Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre 2

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1 Quand le jour de la Pentecôte fut arrivé, ils se trouvaient tous réunis au même lieu d'un commun accord. Et soudain il vint du ciel un bruit semblable à celui d'un vent violent, et il remplit tout l'appartement où ils étaient assis; et il leur apparut comme des langues de feu divisées et il s'en posa sur chacun d'eux. Et ils furent tous remplis de Saint-Esprit et commencèrent à parler en d'autres langues, selon que l'esprit leur donnait de s'exprimer.

II, 1-4. L'événement raconté dans le présent chapitre est généralement désigné dans l'histoire et par les exégètes par le nom de l’effusion du Saint-Esprit, et la théologie enseigne qu'à cette occasion les douze apôtres ont reçu miraculeusement une illumination qui les mettait désormais en possession d'une intelligence parfaite de l'Évangile et à l'abri de toute erreur. Une étude consciencieuse du récit nous conduira à modifier à plus d'un égard cette conception traditionnelle.

Et tout d'abord, nous constaterons que d'après le récit de Luc, il s'agit d’une effusion du Saint-Esprit, de la plus solennelle, de la plus éclatante, si l'on veut, mais ni de la première, ni de la dernière. Ensuite notre texte dit très clairement (comp. v. 15; VI, 3; VIII, 17; XI, 15, etc.), que les Douze n'étaient pas les seuls à y participer. Il est impossible d'admettre que l'auteur, en disant que tous les disciples étaient réunis, ait songé à un nombre si considérablement inférieur à celui qu'il avait indiqué à la page précédente. Au contraire, il est plus que probable qu'à l'occasion de la fête il était venu à Jérusalem beaucoup de personnes de la Galilée qui antérieurement déjà s'étaient attachées à Jésus, et qui n'auront pas manqué de rechercher ses principaux disciples, leurs anciennes connaissances.

Quoi qu'il en soit de cette dernière circonstance, tous les disciples de Jésus étaient réunis ce jour-là, dès la matinée (v. 15), en un même lieu. Quel était ce lieu? Beaucoup de commentateurs ont pensé que ce devait être l'une des salles comprises dans l'enceinte sacrée à l'entour du temple; en effet, l'arrivée d'une foule aussi considérable, au moment même où le phénomène se produisait, sans qu'elle se trompe de direction, la possibilité de lui faire trouver la place nécessaire pour voir et pour entendre, toutes les circonstances enfin paraissent plus faciles à expliquer dans cette supposition. Tout de même il y a à objecter que Luc, en se servant du terme & appartement, de maison (car on peut traduire des deux manières), paraît avoir songé à un local ordinaire et privé, celui-là même qu'il avait eu en vue plus haut (I, 15). Il est vrai qu'alors il est plus difficile de comprendre comment la foule reconnaît le foyer du phénomène, pour y accourir de toutes parts, et comment elle s'y met en rapport avec des hommes qui à eux seuls remplissaient déjà la salle où ils se trouvaient. Mais cette difficulté s'efface en présence d'autres plus grandes encore.

Quant à l'événement lui-même, auquel ce récit est consacré, ce qui frappe d'abord l'attention du lecteur, ce sont les phénomènes extérieurs» et visibles qui l'accompagnent, ou bien même qui le constituent, au gré d'une appréciation superficielle. Pour s'en rendre compte, on a naturellement été tenté, même en dehors de l'école rationaliste, de recourir aux enseignements de la physique; on a parlé d'orage et de tremblement de terre, et les phénomènes de l'électricité ont joué un grand rôle dans les explications données depuis cent ans des faits consignés ici. Mais la forme du récit ne justifie pas de pareilles explications: un orage n'éclate pas sur une seule maison, de manière à y faire accourir les curieux, à moins que la foudre n'y produise des effets visibles au loin; un tremblement de terre disperse la foule et ne l'assemble pas, et les lueurs électriques n'ont pas assez de durée ou de consistance pour permettre une description pareille à celle qui nous est donnée. Celle-ci, en tout cas, veut relater un miracle, un fait qui sort absolument du cercle de l'expérience ordinaire, et s'il y est question de vent et de feu, c'est, comme le texte a soin de le marquer, par simple analogie, et dans un tout autre but que celui de ramener l'événement aux lois de la nature. Heureusement ce but est la chose essentielle, et la forme de la narration, quelle que soit l'idée qu'on s'en fasse, sert à merveille à le faire ressortir.

L'auteur veut raconter une effusion extraordinaire, abondante, du Saint-Esprit; cette communication, importante au plus haut point pour l'histoire de l'Église, est constatée immédiatement par ses effets les plus prochains. Or, partout dans le langage biblique, et par une espèce de nécessité étymologique, l'action de l'esprit est représentée par le souffle, ou symbolisée par le vent, par ce qu'il y a de plus mystérieux, de plus insaisissable (Jean III, 8) dans la vie de la nature; l'intensité de cette action sera donc comparable à la force du phénomène physique; et le vent violent se prête tout aussi bien à exprimer ici l'énergie de l'agitation psychique qui s'empare des disciples, que le calme, produit par une inspiration destinée à tranquilliser l'effervescence de la passion humaine, est bien dépeint ailleurs (1 Rois XIX, 12) par la faible et douce brise du soir. D'un autre côté, l'esprit divin participe à la nature du feu (Matth. Ill, 11. Rom. XII, 11. 2 Tim. I, 6. 1 Thess. V, 19, etc.), par la chaleur qu'il communique à l'homme, tant relativement à l'intensité de ses sentiments qu'il élève jusqu'à l'enthousiasme, qu'à l'égard de l'énergie de la volonté, dont il multiplie les forces. Ces deux idées sont, dans notre texte, la chose essentielle; la forme est un élément très secondaire, et le besoin d'en discuter la valeur ne se fait guère sentir que là où l'expérience intime n'a jamais familiarisé l'interprète avec le fait lui-même.

De même la description particulière du phénomène igné, d'après laquelle il aurait présenté une analogie avec des langues, anticipe sur celle de la première manifestation de l'esprit dans les personnes qui en étaient remplies, Ici encore, la forme apparente du phénomène extérieur correspond avec la nature réelle du phénomène psychique, sur lequel nous allons revenir. Partout ainsi nous avons devant nous l'idée qui se revêt des formes les plus appropriées à son essence et qui aident les intelligences moins exercées à saisir des faits dont la connaissance adéquate ne s'acquiert que par l'expérience personnelle.

Mais l'élément essentiel dont l'exégèse doit s'occuper ici, ce n'est pas cette forme miraculeuse de la communication du Saint-Esprit, mais ce dernier fait en lui-même. Que s'est-il passé avec les disciples? quel effet ont-ils ressenti de l'événement de ce jour? Nous avons déjà constaté qu'il n'est pas question des Douze exclusivement; nous ajouterons que ce n'est pas la seule fois que l'histoire ou la théologie du Nouveau Testament parlent du Saint-Esprit donné aux hommes; nous sommes donc sûrs d'avance que les lumières ne nous manqueront pas du côté des textes, pour nous orienter dans le récit spécial que nous étudions en ce moment.

Et d'abord, pour ce qui est de la modalité de cette communication, le Nouveau Testament nous la représente sous deux points de vue: 1° comme quelque chose de constant, de permanent. En théorie, les chrétiens ont l'Esprit saint; car sans cet esprit, personne n'est véritablement chrétien. C'est ce point de vue idéal qui prédomine par exemple dans les épîtres de Paul; 2° comme un fait qui doit se répéter, dans des occasions particulières, pour des huis spéciaux. Les forces doivent se renouveler pour produire Les effets qui leur sont demandés. Ce point de vue pratique et expérimental est celui du livre des Actes.

Quant au fond, la communication du Saint-Esprit est toujours le moyen par lequel Dieu se met en rapport avec l'homme; par elle, ce dernier reçoit quelque chose qu'il ne possédait pas auparavant et qu'il ne peut se donner lui-même; il est mis à même d'atteindre un but, d'accomplir des actes qui auraient été au-dessus de ses forces et hors de sa portée, sans cette intervention. Ces faits peuvent être constatés dans toutes les sphères de la vie spirituelle de l'homme; mais c'est surtout à l'égard des tendances morales (repentir, foi, sanctification), et de l'activité évangélique (courage, fermeté, apostolat), que la puissance de l'esprit divin se fait sentir, d'après les données des écrits du Nouveau Testament. Dans notre livre des Actes, c'est surtout ce dernier point qui est le plus fréquemment signalé et qui constitue ce qu'on pourrait appeler le domaine particulier du Saint-Esprit, d'après la narration de l'auteur. L'illumination de l'intelligence, laquelle, abandonnée à elle-même, resterait dans le doute et l'obscurité à l'égard des choses les plus essentielles, est certainement aussi comprise dans la notion que nous analysons (Jean XVI, 13 ss.), mais nos textes apostoliques y reviennent bien rarement, en comparaison des deux autres éléments, tandis que la théologie de l'Église a fini par en tenir compte presque exclusivement. Il en est résulté qu'elle a creusé un abîme entre les apôtres, considérés comme jouissant d'un privilège personnel absolu, et les autres chrétiens, déshérités ainsi de ce que Jésus et ses disciples avaient signalé comme le caractère distinctif de tous les vrais croyants. Le philosophe païen avait pu dire: nunquam fuit vir bonus sine afflatu aliquo divino; le rationalisme scolastique a banni l'idée de l'inspiration du cercle des réalités actuelles; et c'est tout au plus l'exaltation maladive des faux prophètes qui se dit et se croit inspirée, tandis que dans le principe tous les chrétiens se sentaient inspirés, et que l'Église risque de perdre la trace de son idéal, si elle ne parvient pas à s'élever de nouveau à ce point de vue.

Les disciples qui formaient le noyau de la première communauté chrétienne, réunis le jour de la Pentecôte, au nombre de plus de cent, sentirent donc subitement la présence et l'action de l'Esprit de Dieu, et cette manifestation intérieure pouvait être précédée et accompagnée de phénomènes extérieurs, qui auraient contribué à provoquer le mouvement extraordinaire qui nous est décrit dans notre texte, mais qui, en tout cas, ne nous intéressent qu'autant qu'ils sont l'interprétation symbolique de ce mouvement. Voyons maintenant comment cette inspiration se manifesta.

5 Or, il y avait à Jérusalem des Juifs qui y séjournaient, des hommes pieux de toutes les nations sous le ciel; et lorsque ce bruit se fit entendre, la foule accourut et fut toute stupéfaite, parce que chacun les entendait parler dans son propre idiome. Ils étaient hors d'eux d'étonnement et disaient: «Tous ces hommes que voici, qui parlent, ne sont-ils donc pas des Galiléens? Comment donc les entendons-nous parler chacun dans son idiome maternel? 

9 Parthes et Mèdes et Élamites, et habitants de la Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie, de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et des contrées de la Lybie cyrénaïque, et Romains actuellement présents ici, tant Juifs que prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler dans nos langues des grandes choses que Dieu a faites!» Et tous étaient hors d'eux, ne sachant que penser, et se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela va devenir?» Mais d'autres s'en moquèrent, en disant qu'ils étaient pris de vin.

II, 5-13. La première impression qu'on reçoit de la lecture de ce morceau, est que les disciples ont tout à coup commencé à parler dans toutes les langues du monde alors connu. C'est ainsi que l'immense majorité des théologiens, depuis Origène jusqu'à nos jours, s'est représenté le fait; et il faut convenir que le récit de Luc semble exiger une pareille interprétation. En effet, à quoi bon cette longue nomenclature de pays et de peuples, depuis les Parthes jusqu'aux Romains, et depuis le Pont jusqu'à la Lybie, si ce n'est pour faire bien ressortir la diversité des langues et leur grand nombre? Il y a plus: les disciples qui parlent sont expressément opposés, en vue de leur idiome galiléen, aux auditeurs dont la langue maternelle est une autre. Enfin, il ne faut pas perdre de vue que l'étonnement de la foule, d'après le texte, est motivé uniquement par ce phénomène des langues, de sorte que, si ce dernier n'avait pas eu quelque chose de miraculeux, on ne saurait s'expliquer les démonstrations des assistants. Tous ces arguments sont faciles à vérifier et élevés au-dessus de toute contestation au point de vue d'une étude grammaticale du texte. On peut ajouter qu'ils ont pu recevoir un surcroît de force par cette réflexion très-ancienne déjà et très-répandue, savoir que les apôtres ont reçu le don des langues, c'est-à-dire le privilège miraculeux de parler des langues étrangères qu'ils n'avaient jamais apprises, pour accomplir plus facilement leur mission, qui les mettait en contact direct avec toutes sortes de peuples plus ou moins éloignés de leur horizon géographique primitif.

Nous accordons tout cela, et pourtant il nous reste de graves doutes au sujet de cette interprétation traditionnelle. Déjà l'explication que nous venons de citer en dernier lieu est très sujette à caution; car les voyages des apôtres chez des peuples lointains ne sont que des légendes, et une tradition ecclésiastique bien plus ancienne parle d'interprètes qu'ils auraient eus avec eux, même dans leurs courses moins longues. Les Actes mêmes (chap. XIV) racontent une scène qui semble permettre la supposition que les apôtres pouvaient ignorer un idiome national et se servir utilement de la langue plus universellement parlée, comme on le ferait aujourd'hui du français, de l'anglais, de l'arabe, dans des contrées où ces langues ne sont pas indigènes. Mais laissons de côté ces considérations historiques et tenons-nous-en à notre texte.

Or, en étudiant ce texte plus attentivement, on découvre d'abord une série de circonstances dont on a bien de la peine à se rendre compte, et qui restent obscures et inexplicables, même pour le lecteur qui n'est point prévenu contre le miracle des langues. Nous ne voulons pas relever la difficulté, plus apparente que réelle, qui s'attache à la première ligne du récit, et que nous avons même en partie effacée dans la traduction. À vrai dire, le v. 5 pourrait être compris de manière que Luc aurait dit: les disciples assemblés étaient eux-mêmes des Juifs de toutes les nations. Mais outre qu'il est peu probable que Jésus ait eu des adhérents d'origine étrangère, il est évident qu'en parlant d'hommes pieux de toutes les nations, alors présents à Jérusalem, l'auteur veut introduire ceux-là même qu'il énumère plus loin; il anticipe sur la suite de son récit.

Nous ne reviendrons pas non plus sur la question du lieu de la scène; nous avons déjà dit qu'il est fort difficile de se représenter des milliers de personnes, accourues de tous côtés et pouvant voir et entendre ce qui se passe dans une chambre, laquelle (d'après chap. I, 13) n'a pas été au rez-de-chaussée de la maison. Nous laissons tout cela comme ne se rapportant pas au fait principal que nous examinons en ce moment. Ce dernier présente des éléments suffisants pour autoriser les réserves que nous avons faites.

Ainsi les hommes qui accourent au bruit des phénomènes mentionnés au commencement du récit, s'écrient en arrivant: Tous ces hommes ne sont-ils donc pas des Galiléens? Comment des étrangers, venus de si loin, savent-ils cela? Qui le leur a dit? Les Galiléens portaient-ils un costume particulier? La maison était-elle connue en ville, cinquante jours après la mort de Jésus, comme celle des Galiléens? Puis ils disent: Nous entendons.... et ils font l'énumération de quinze pays ou peuples, pour constater que ces Galiléens parlent en quinze langues différentes. Mais cela supposerait que chacun des étrangers a parlé au nom de tous; que chacun, dans ce tumulte, a eu connaissance de la présence simultanée de quinze nationalités différentes; que chacun, tout en entendant parler sa langue maternelle, reconnaissait en même temps, et distinctement, les quatorze autres langues; mais toutes ces suppositions sont inadmissibles; autrement, de deux choses l'une, ou bien les assistants, après avoir écouté quelque temps, auraient dû se concerter (texte reçu du v. 7), se communiquer leurs observations et les formuler ensuite, comme il est dit ici (et pour de pareils incidents, il n'y a pas de place dans le récit), ou bien la possibilité de distinguer les quinze idiomes existait aussi pour les assistants et alors le miracle disparaît. En tout cas, la forme de la narration est donc inexacte; aucun individu n'ayant pu dire: nous les entendons parler dans nos langues. Un autre élément d'obscurité se trouve dans la même phrase, quoiqu'il soit un peu moins apparent: Nous les entendons.... Comment les disciples parlaient-ils? Tous à la fois, ou chacun à son tour? Dans le premier cas, comment distinguait-on ce qui se disait, soit quant au fond, soit quant à l'idiome? Dans le second cas, comment s'expliquer que quelques assistants parlent d'un état d'ivresse? Il y a plus: chacun les aurait entendus parler en quinze langues? donc chaque disciple aurait parlé dans toutes ces langues? Cela est si bien le sens prochain des phrases du narrateur, que les Pères ont pu en tirer la conséquence que le miracle s'était produit non dans la bouche des orateurs, mais dans les oreilles des auditeurs, ces derniers entendant ce qu'ils comprenaient, tandis que les disciples parlaient leur langage ordinaire. Mais positivement Luc ne veut pas dire cela.

Tout ce que nous venons de dire n'a pas été écrit dans l'intention de contester le fait en lui-même, mais bien la justesse de la manière dont il est généralement compris. Encore ne nous sommes-nous occupé jusqu'ici que de relever les obscurités du récit pour amener la conviction que ce récit ne vient pas d'un témoin oculaire, puisque, même sans marchander les éléments matériels de la narration, on n'arrive point à comprendre une seule des paroles mises dans la bouche des spectateurs. Mais poursuivons, et examinons maintenant aussi le fond, pour voir si l'événement de la Pentecôte s'est signalé réellement par ce qu'on appelle vulgairement le don des langues.

Le don des langues, au dire de la théorie traditionnelle, a été accordé aux apôtres pour évangéliser les hommes de toutes les nations. Nous avons déjà dit qu'à ce point de vue, le miracle, tel qu'on le conçoit, aurait sa raison d'être. Mais c'est précisément cette raison d'être qui fait défaut ici. Car 1° les disciples parlent en langues, avant l'arrivée d'un seul étranger (v. 4). Auraient-ils eu besoin de s'exercer préalablement? ou savaient-ils d'avance quels étrangers allaient arriver? Il résulte de cette première observation, que le phénomène de la Pentecôte est en réalité indépendant de la présence d'hommes étrangers. 2° Trois mille hommes se font baptiser après un discours de Pierre. Pierre aurait-il parlé successivement en quinze langues? Le texte n'en dit rien. Les trois mille auraient-ils entendu miraculeusement quinze langues, tandis que Pierre ne parlait que la sienne seule? Mais alors les phrases d'étonnement auraient été bien mieux à leur place après le discours d'un orateur unique, qu'en présence d'une foule de personnes qui parlaient et chez lesquelles une pluralité d'idiomes n'était pas absolument merveilleuse. Pierre a parlé dans sa langue habituelle et il a été compris par toute l'assistance. Il résulte de cette seconde observation que le don des langues était parfaitement superflu ce jour-là, car dans les trois mille il peut bien y avoir eu des représentants des quinze nationalités. 3° Cela nous conduit directement à dire que les prétendues quinze langues n'existent que dans l'imagination des lecteurs, ou dans une tradition mal renseignée. Car les hommes présents sont tous des Juifs, soit indigènes, soit pèlerins, donc ils savent et parlent tous l'un des deux idiomes usités alors dans le monde judaïque. Or, ces idiomes, c'est d'un côté le grec, et un dialecte sémitique de l'autre, en un mot, des langues qu'on entendait à Jérusalem tout le long de l'année. Pierre, dans son discours, d'un bout à l'autre, les traite comme Juifs; l'idée ne lui vient pas même qu'il puisse avoir d'autres auditeurs. 4° Enfin, en admettant même que les disciples aient parlé en langues étrangères, de manière que chaque auditeur trouvât à comprendre, par l'organe de l'un d'entre eux, de quoi il s'agissait, comment pouvait-on s'expliquer cela par un état supposé d'ivresse? Comment un discours intelligible pouvait-il produire un pareil effet sur des gens qui disent: nous les entendons parler nos langues?

De tout cela il résulte que la glossolalie du jour de la Pentecôte a été tout autre chose que ce que la tradition en a fait, et que le récit que nous avons devant nous se compose de deux éléments qu'il faut savoir distinguer. Il y a le fond historique, que l'on démêlera sans peine en s'aidant de la description du phénomène telle qu'elle est donnée, d'une manière absolument suffisante, par l'apôtre Paul, dans la première épître aux Corinthiens (chap. XIV), et il y a les méprises de la tradition, par suite desquelles la conception que représente notre texte renferme non seulement un bon nombre de points obscurs, mais même des contradictions. La principale cause de cet amalgame gênant et de ces méprises, doit être cherchée dans le nom, assez singulier du reste, qu'on donna dans la primitive Église à un phénomène psychologique, qui paraît s'être produit assez fréquemment. Ce nom fît prendre le change à ceux qui ne connaissaient le phénomène que par ouï-dire, et a pu les amener à se faire de là chose une idée qui n'avait qu'une analogie très éloignée avec le fait, mais qui pourtant n'en a pas effacé complètement la véritable nature.

Nous disons qu'il s'agit ici d'un phénomène psychologique et non d'un miracle mécanique tel que le conçoit l'opinion vulgaire. Nous pourrions, pour le prouver, analyser dès à présent les textes de St-Paul relatifs à ce même sujet et démontrer notre assertion de la manière la plus irréfragable par l'invocation d'un, aussi puissant témoignage. Mais comme, de nos jours, les commentateurs reconnaissent tous qu'à Corinthe on n'a pas parlé en langues étrangères, et qu'ils se retranchent derrière l'assertion toute gratuite que l'événement de la Pentecôte a été autre chose que ce qui s'est passé à Corinthe, nous nous bornerons à signaler, dans le récit même de Luc, les éléments propres à prouver que cette assertion est erronée et sans fondement. Nous pourrions même administrer une preuve toute mathématique en faveur de notre manière de voir. Deux fois encore le livre des Actes (chap. X et chap. XIX) parle du phénomène de la glossolalie, et dans les deux cas, l'identité du fait avec celui de Corinthe est de la dernière évidence. Or, dans l'un de ces cas, l'auteur fait dire à Pierre que la communication du Saint-Esprit a produit précisément le même effet que sur les disciples lors de la Pentecôte. Mais, quand deux grandeurs sont toutes les deux égales à une troisième, elles sont égales entre elles. Cela est élémentaire.

Dans notre passage, Pierre, pour défendre ses collègues et amis contre le reproche malveillant qu'on leur fait parce qu'ils parlent en langues, ne dit pas un mot de langues étrangères, rien qui, de loin ou de près, rappellerait l'opinion aujourd'hui vulgaire. Il dit: ils prophétisent; il leur est arrivé ce que Joël a prédit. Or, qu'est-ce que Joël a prédit? Il a dit que le don de la prophétie, réservé autrefois à quelques individus privilégiés, serait accordé, dans les derniers jours, au peuple entier. Qu'est-ce que c'est que le don de la prophétie? Est-ce de parler en langues étrangères? Où voyons-nous dans l'Ancien Testament que jamais un prophète ait parlé autrement que dans la langue de son peuple? C'est le don de parler par l'inspiration directe de Dieu et de son esprit. La chose essentielle n'est ni le langage, ni telle forme que ce soit du discours, prose, vers, vision, songe, allégorie, ou autre, c'est l'inspiration. Ces hommes, dit Pierre, sont inspirés, saisis par l'esprit de Dieu, élevés au-dessus de la sphère ordinaire et naturelle de leurs pensées et de leurs sentiments; de simples gens du peuple, ils sont tout à coup devenus prophètes, de manière à parler, comme il appartient aux prophètes, des grandes choses que Dieu a faites. Le Saint-Esprit, que ce soit à l'occasion d'un phénomène extérieur dont la véritable nature nous échappe, ou autrement, a transformé ces obscurs Galiléens en organes de Dieu, pour rendre témoignage des faits qui se sont passés sous leurs yeux, ainsi que des espérances qui s'y rattachent pour eux et pour le monde entier, et dont l'accomplissement s'annonce comme prochain, par cette manifestation même. Pour un peuple qui depuis cinq siècles n'avait plus vu de prophètes, qui avait hésité au sujet de Jean-Baptiste et rejeté Jésus, pour un peuple auquel ce dernier d'ailleurs avait toujours parlé un langage simple, doux, familier, généralement intelligible, pour ce peuple, disons-nous, le phénomène d'un nombre comparativement assez grand d'hommes qui à cet égard sortaient de la ligne commune, devait avoir quelque chose d'étrange, et produire des impressions très-diverses, selon les dispositions des divers auditeurs. Car l'Ancien Testament nous fait voir clairement que la prophétie se signalait d'habitude, non pas seulement par la nature de ce qu'elle enseignait, mais encore par les formes sous lesquelles elle se produisait, l'homme inspiré, possédé par l'esprit, manifestant souvent ses expériences intérieures, son agitation, son enthousiasme, tous ses mouvements psychiques, enfin, par des symptômes correspondants dans la voix, dans les gestes, dans la suite de ses pensées, dans la facilité plus ou moins grande avec laquelle il en rendait compte. L'inspiration, considérée comme phénomène visible, se compose toujours de l'action combinée de deux principes: du principe divin qui s'empare de l'homme, qui le pénètre, le transporte, l'agite, et du principe humain qui reçoit ces impressions. Or, le rapport qui s'établit entre ces deux éléments est très varié, et l'esprit de l'homme peut conserver ou perdre, dans une proportion très diverse, sa propre action dans son contact avec l'esprit de Dieu. L'échelle qu'il peut parcourir est très étendue, depuis le travail indépendant sur les idées communiquées d'en haut, élaborées par la méditation et reproduites sous forme d'enseignement suivi, jusqu'à la perte complète de la conscience de soi-même, jusqu'à l'extase, jusqu'à l'impossibilité de rendre compte, en paroles cohérentes, du sentiment qu'on éprouve. Tout cela nous est signalé par Paul dans son épître aux Corinthiens, tout cela est illustré par de nombreux exemples de l'histoire biblique et de l'histoire ecclésiastique. Les récits de l'Ancien Testament, ceux du Nouveau, l'histoire de nombreuses sectes chrétiennes anciennes et modernes, contemporaines même, sont des instances à produire en faveur de notre explication. Notre texte même en contient une des plus frappantes. On ne fera pas de difficulté d'admettre que Pierre, ce jour-là, n'était pas moins inspiré que tel autre disciple présent; eh bien, son inspiration à lui, lui dicte un discours clair, sensé, suivi, composé de faits historiques, d'arguments empruntés à l'exégèse, ayant son exorde, sa thèse, sa confirmation, sa péroraison. Et au début il dit: Ceux-ci ne sont pas ivres.... il se distingue donc de ceux-ci, c'est-à-dire de ceux qui ont parlé en langues, de ceux dont on a pu se moquer; il parle donc autrement qu'eux; l'inspiration s'est manifestée chez eux tout autrement que chez lui. Eux aussi, ils ont parlé des grandes choses de Dieu, mais de manière à pouvoir passer pour ivres. Eh oui, dans le bon sens du mot, ils l'étaient; transportés, exaltés, hors d'eux; le feu de l'esprit les agitait; ils parlaient, mais ce n'étaient pas des discours; ils étaient pressés de rendre compte de leurs sentiments, mais chacun se trouvait pour ainsi dire en face de lui-même et de Dieu, nul ne se préoccupait du voisin. Nous devrons nous résigner à ne jamais savoir au juste dans quelle mesure et sous quelle forme un fait matériel a provoqué ce mouvement: le fait psychique est on ne peut plus clair. Les disciples saluaient (comp, IV, 31) le moment où le Seigneur paraissait vouloir intervenir visiblement, pour confirmer, pour réaliser ses promesses; et des exclamations, des cris de joie, des formules d'actions de grâces, des hymnes peut-être, manifestaient dans un concert, discordant dans la forme si l'on veut, mais révélant l'accord profond des âmes, tout ce qui s'agitait là de souvenirs et d'espérances. Et cela, comme le texte le dit avec raison, se faisait avant l'arrivée de la foule, laquelle n'a plus vu que la fin de cette scène, qui n'a pas pu durer longtemps, la présence même du public ayant dû contribuer à calmer l'agitation et ayant surtout nécessité une exposition nette et intelligible de tout ce qu'il s'agissait de faire connaître à Israël.

La seule chose que nous n'ayons pas expliquée par ce qui vient d'être dit, c'est l'origine de cette singulière formule, qui a donné lieu à l'erreur traditionnelle parler en langues. Pour cela, nous renvoyons nos lecteurs à l'épître aux Corinthiens.

On a voulu aller plus loin et ne voir dans tout ce récit que l'exposé symbolique du fait de la naissance de l'Église sous l'influence de l'esprit de Dieu, et non un événement réel et positif, plus ou moins imparfaitement compris par la génération qui n'en avait pas été témoin. Mais enfin, il faut bien que les disciples aient commencé une fois à sortir de leur cercle étroit, et que leur activité ait pris des proportions rapidement croissantes, puisque à peu d'années de là, nous nous trouvons en présence de si nombreuses communautés chrétiennes. Or, cette force d'expansion, qui certes n'existait pas au premier jour, où nous les voyons dans une attitude passivement expectative (I, 6), a dû leur venir par quelque impulsion extraordinaire, dont la nature ou*la forme peuvent rester pour nous une énigme, mais que nous n'avons pas le droit de reléguer pour cela dans le domaine de la pure mythologie.

14 Cependant Pierre, se présentant avec les onze, éleva la voix et leur adressa ce discours: «Hommes de Juda, et vous tous qui séjournez à Jérusalem! Sachez bien ceci et prêtez l'oreille à mes paroles: ces hommes ne sont point ivres comme vous le supposez, car c'est la troisième heure du jour; mais c'est ici ce dont a parlé le prophète quand il dit: 

17 II arrivera dans les derniers jours, dit Dieu, que je répandrai de mon esprit sur tous les mortels, et vos fils et vos filles prophétiseront, et vos jeunes gens verront des visions et vos vieillards auront des songes; oui, sur mes serviteurs et sur mes servantes je répandrai de mon esprit en ces jours-là, et ils prophétiseront. Et je ferai voir des prodiges au ciel en haut, et des signes sur la terre en bas, du sang et du feu et des bouffées de fumée; le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang, à l'approche du grand et glorieux jour du Seigneur. Et quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé!

II, 14-21. L'effusion de l'esprit venait de se manifester par des effets communs à un grand nombre de disciples; elle se signale de nouveau et sous une autre forme par le premier discours apostolique, la première prédication de l'Évangile adressée à un public jusqu'ici sans rapport avec les disciples de Jésus. Pierre, qui antérieurement déjà s'était placé à la tête de ses collègues par une plus grande énergie de caractère, inaugure ici sa mission.

Son discours est de nature à nous faire connaître à fond le cercle d'idées dans lesquelles se résumaient les croyances et l'enseignement de la primitive Église. Nous en avons ici devant nous l'exorde, qui nous indique très nettement le point de vue auquel nous devons nous placer pour bien comprendre la nature et la portée de cette théologie simple et populaire, qui suffisait alors aux besoins des masses et qui exerçait sur elles une si puissante attraction.

Après avoir écarté en deux mots l'injurieux soupçon qui avait été exprimé par quelques assistants, par la considération qu'il était absurde de parler d'ivresse dans les premières heures de la matinée, Pierre cite tout au long un texte du prophète Joël (III, 1-5) qui doit servir à expliquer les faits étonnants dont on venait d'être témoin, et à motiver les exhortations que l'orateur compte y rattacher. Joël parle des temps messianiques et les caractérise, non pas, comme cela se voit ailleurs, par la perspective d'une gloire politique ou d'un bonheur matériel, mais par celle d'une effusion du Saint-Esprit tellement abondante, que le peuple entier, les hommes de tout âge et de toute condition y auront part, qu'Israël sera un peuple de prophètes, et que le privilège de quelques rares individus choisis par le Très-Haut deviendra l'apanage de la nation entière. Les visions et les songes ne sont ici que des formes spéciales de la révélation et ceux qui les ont, sont par ce fait même assimilés aux prophètes inspirés par une voie plus immédiate. (En disant: mes serviteurs, etc., la rédaction de Luc affaiblit le sens de l'original, qui dit: les esclaves mêmes.) Cette prédiction du prophète se réalise donc enfin en ce jour et par conséquent les avertissements qui s'y trouvent joints s'appliquent nécessairement au moment actuel.

Or, cette prédiction, et c'est la chose essentielle, se rapporte aux derniers jours. Cela résulte de tout l'ensemble du texte de Joël; cela se voit surtout par la circonstance, que celui de notre livre le dit en toutes lettres, bien que le mot même ne se trouve ni dans l'original, ni dans la version grecque; cela résulte encore de la description des phénomènes terribles de la nature, éclipses et autres, qui sont toujours et partout (Ésaïe XIII, 10, 11. Éz. XXXII, 7, 8, etc., etc.) les signaux de l’approche de la fin. Mais c'est précisément à ce terme suprême que l'invitation adressée aux hommes, & invoquer le nom du Seigneur, devient pressante. C'est le moment fatal qui décidera irrévocablement du sort d'un chacun. Or, dans la bouche de Pierre, invoquer le nom du Seigneur, ne peut signifier autre chose que reconnaître le Christ; et le salut offert comme prix de cette invocation, doit être compris dans le sens évangélique. C'est donc par cette phrase finale du texte cité que l'apôtre arrive naturellement à la partie principale de son discours. Par tout cela nous voyons, à ne pouvoir nous y tromper, que la base de la prédication apostolique primitive, telle qu'elle se dessine dans la présente relation, est avant tout l'idée eschatologique, c'est-à-dire la croyance à la fin prochaine de l'ordre de choses actuel, croyance fondée sur la conviction que le Messie promis s'est déjà manifesté dans la personne de Jésus de Nazareth, qui ne saurait tarder à se révéler de nouveau pour fonder son royaume; l'effusion du Saint-Esprit est considérée comme un symptôme évident de l'accomplissement qui se prépare; et l'exhortation est amenée par la certitude qu'il n'y a plus de temps à perdre.

«22 Hommes d'Israël, écoutez ces paroles! Jésus de Nazareth, un homme légitimé auprès de vous, de la part de Dieu, par des miracles, des prodiges et des signes que Dieu a opérés par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes, vous l'avez livré selon le conseil et la volonté prédéterminée de Dieu, et vous l'avez fait mourir en le crucifiant par la main des infidèles. Mais Dieu l'a ressuscité en rompant les liens de la mort, puisqu'il n'était pas possible qu'il fût retenu par elle.

25 Car David dit de lui: «Je voyais le Seigneur devant moi en tout temps, car il est à ma droite pour que je ne sois pas ébranlé: c'est pourquoi mon cœur s'est réjoui et ma langue a fait éclater mon allégresse; aussi mon corps se reposera-t-il en espérance. Car tu ne laisseras pas mon âme à l'enfer et tu ne permettras pas que ton Saint voie la pourriture. Tu m’as fait connaître les voies de la vie, tu me rempliras de joie en ta présence.»

29 Mes frères, permettez que je vous parle librement au sujet du patriarche David, pour dire qu'il est mort et enterré et que son sépulcre se trouve parmi nous. C'est donc comme prophète, et sachant que Dieu lui avait juré par serment de faire asseoir sur son trône quelqu'un de sa race, qu'il a, dans cette prévision, parlé de la résurrection du Christ; car c'est lui qui n'a pas été dans l'enfer, et dont le corps n'a pas vu la pourriture.

32 C'est ce Jésus que Dieu a ressuscité, ce dont nous sommes tous témoins. Or, élevé par la droite de Dieu et ayant reçu de la part du père l'Esprit Saint promis, il l'a répandu, comme vous le voyez et l'entendez. Car ce n'est pas David qui est monté au ciel, et il dit lui-même: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: assieds-toi à ma droite jusqu'à ce que je te donne tes ennemis pour marche-pied! Ainsi toute la maison d'Israël doit reconnaître pour sûr que Dieu l'a fait Seigneur et Christ, ce Jésus que vous avez crucifié.»

II, 22-36. Ramené à sa plus simple expression, ce discours doit établir que Jésus de Nazareth, crucifié naguère par les Juifs, est le Christ promis. Il se rattache ainsi très bien à l'exorde qui affirmait, par l'application d'un texte scripturaire, que les temps messianiques, les derniers jours, étaient enfin venus. C'est encore principalement par l'argumentation exégétique que l'orateur arrive à prouver sa thèse. Voici d'ailleurs une analyse plus détaillée de ce morceau:

Pierre commence par rappeler la vie et la mort de Jésus, non sans insinuer que les nombreuses preuves de sa mission divine auraient dû produire dans l'esprit du peuple une tout autre disposition à son égard que celle qui amena sa fin tragique; cependant il glisse sur les reproches qu'il pouvait formuler au sujet de cette dernière, et cela d'autant plus facilement que ses auditeurs actuels étaient personnellement hors de cause dans cette affaire. Il insiste davantage sur ce que la mort du crucifié rentrait dans les vues de la Providence, et ne s'était point accomplie sans sa volonté. Car non seulement elle avait été prédite, mais elle amena aussi une démonstration nouvelle, et bien autrement éclatante que toutes celles qui l'avaient précédée, de la dignité de celui qui avait été rejeté par son peuple. La résurrection de Jésus est ainsi posée comme la pierre angulaire, et de la prédication évangélique elle-même, et en particulier de la preuve à administrer relativement à ses titres. (Elle est introduite par une phrase assez étrange, et que nous n'avons pas rendue mot à mot en disant: rompre les liens de la mort; elle signifie proprement: rompre, ou délier les douleurs de la mort. La première version est calquée sur l'hébreu, la seconde appartient à la Bible grecque, dont les auteurs se sont trompés sur la valeur du terme usité dans l'Ancien Testament. Si Pierre doit être censé avoir parlé en hébreu, les douleurs appartiennent à la rédaction de l'auteur helléniste.)

La résurrection de Jésus était d'ailleurs (comme sa mort) une nécessité, un fait qui ne pouvait pas ne pas avoir lieu, parce que il était prédit. En effet, l'orateur cite un passage du Psaume XVI (8-11) où le poète introduit un personnage qui déclare être sûr de ne pas rester dans le séjour des morts, et de ne pas voir son corps livré à la décomposition. Ce personnage (ainsi raisonne l'apôtre) ne peut pas être David lui-même; car quelque respect qu'on doive professer pour ce patriarche, il faut pourtant avouer qu'il est mort et qu'il n'est pas revenu de son tombeau aujourd'hui encore existant à Jérusalem. Donc il parle d'un autre, ou plutôt il fait parler un autre. Cet autre, c'est celui-là même que Dieu avait juré de mettre un jour sur le trône d'Israël, le rejeton le plus glorieux des Isaïdes, le roi de l'avenir, le Christ enfin. En sa qualité de prophète, le roi David s'efface donc ici quant à sa propre personne et sert d'organe à Dieu, qui veut révéler ainsi d'avance au monde les faits principaux de la manifestation future du Messie. La promesse de Dieu, à laquelle il est fait allusion ici, nous rappelle l'interprétation alors usitée de passages comme 2 Sam. VII, 12 ss. Ps. LXXXIX, 4 s.; CXXXII, 11, etc. (Le texte de la citation a été ici allongé par les copistes, qui ont intercalé ces mots: Dieu lui avait juré de susciter le Messie dans sa postérité et de l'asseoir, etc.)

Un second passage (Ps. CX, 1) est allégué pour achever de démontrer que David n'a pas entendu parler de lui-même. Car le personnage qu'il dit avoir été placé à la droite de Dieu, et qu'il appelle son Seigneur, ce ne peut être lui-même. Au contraire, tout concourt à nous y faire reconnaître le ressuscité de Golgotha, dont la présence au ciel est encore constatée par l'effusion du Saint-Esprit dont il est le dispensateur depuis qu'il a été exalté et glorifié.

Nous ne passerons pas outre, sans avoir fait deux remarques d'une portée plus générale, mais assez importantes pour l'appréciation de ce morceau. D'abord nous tenons à constater qu'il suffit à lui seul pour prouver que la théorie du double sens, tant prônée par les Pères et par les anciens théologiens calvinistes, est étrangère à l'exégèse des apôtres. Si ces derniers avaient statué le sens dit littéral ou historique des passages qu'ils citent, à côté du sens messianique qu'ils invoquent, leur argumentation aurait été bien faible, voire sans aucune force probante. Le raisonnement de Pierre, au contraire, se fonde sur l'inadmissibilité du sens historique: David, dit-il, ne peut pas avoir parlé de lui-même (comp. XIII, 34 ss.). En effet, s'il en était autrement, s'il s'agissait pour le psalmiste de n'importe quel fait personnel ou contemporain, sauf à permettre l'application de son texte à un événement futur et messianique, le nerf de l'argumentation serait coupé, et l'application resterait arbitraire. La théorie du double sens est un mauvais expédient caressé aujourd'hui encore par ceux qui veulent sauvegarder l'exégèse des apôtres, sans pouvoir aussi contester le bon droit de celle de la science. Quant à cette dernière, nous renvoyons nos lecteurs, ici comme partout, à notre commentaire sur l'Ancien Testament.

Notre seconde remarque porte sur ce qui est dit ici sur la personne de Christ. La christologie, représentée par les discours insérés dans ce livre, est encore extrêmement simple et populaire. Jésus de Nazareth est un homme, auquel Dieu a donné le pouvoir de faire des miracles, pour le légitimer, l'accréditer auprès des Juifs. Dieu l'a ressuscité après sa mort, l’a élevé par sa droite, c'est-à-dire par sa puissance, et lui a donné l'esprit promis aux croyants, pour qu'il le répandît sur eux. Par tous ces actes, Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus que les Juifs ont crucifié. Il n'y a pas encore de trace dans tout ceci de la conception métaphysique du dogme relatif à la personne du Sauveur. Il n'en est que plus certain que la présente rédaction, quoique faite vers la fin du siècle, repose sur des données, peut-être sur des pièces écrites, de la plus haute antiquité, ou, si l'on veut, prouve que le dogme a mis du temps à se former.

37 Ayant entendu cela, ils en eurent le cœur vivement touché et dirent à Pierre et aux autres apôtres: «Frères, que devons-nous faire?» Et Pierre leur répondit: «Convertissez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ, pour la rémission des péchés, et vous recevrez le don du saint esprit. Car c'est à vous que s'adresse la promesse, et à vos enfants, et à tous ceux au loin que le Seigneur notre Dieu appellera.»

40 II les conjura encore par beaucoup d'autres paroles et les exhortait en disant: «Sauvez-vous du milieu de cette génération perverse!» Et eux, ayant accueilli sa prédication, se firent baptiser, et environ trois mille âmes se rallièrent en ce jour-là.

II, 37-41. Le récit des événements de la Pentecôte se termine par la mention du résultat immédiat produit par le discours de Pierre. Ce dernier n'ayant fait qu'exposer les vérités historiques et théologiques qui formaient le fond de l'Évangile, les auditeurs, touchés de ces vérités, demandent naturellement ce qu'ils auront à faire pour en obtenir le bénéfice; en d'autres termes, la perspective du royaume de Dieu étant présentée comme si proche, ils veulent connaître les conditions de l'entrée qu'ils désirent ne pas manquer. La réponse de Pierre complète donc le cycle des idées que devait parcourir la prédication apostolique. Il leur parle de la repentance et de la foi, éléments constitutifs de tout enseignement évangélique (Marc I, 15. Hist, de la tJiéol. ap., 1. II, ch. 1); le baptême d'eau est le symbole de la repentance et la rémission des péchés en est le fruit; le baptême d'esprit est la conséquence de la foi et le gage du droit de cité dans le royaume. Pierre a pu, à cette occasion, entrer dans de plus amples détails relativement à ces diverses notions, peu familières sans doute à la majorité de ses auditeurs. Cependant il ne faut pas se représenter cet enseignement comme le résumé d'un travail théologique que personne n'avait encore songé à faire; c'était plutôt le sentiment religieux naïf, et se suffisant à lui-même, qui a dû inspirer l'orateur; et c'est aussi la raison pourquoi l'exégèse n'a pas du tout besoin d'entrer ici dans une discussion approfondie de toutes ces notions. Il suffit de rappeler que le royaume de Dieu, déjà d'après les discours des anciens prophètes, devait se former à la suite de la séparation des hommes pieux et fidèles d'avec une génération perverse et rebelle. Le baptême était le rite qui accompagnait et sanctionnait la profession de foi faite dans ce but, et cette profession pouvait être plus nette et plus précise, aujourd'hui que le royaume ne se présentait plus dans un lointain nébuleux, mais à proximité et avec la personne clairement reconnue de celui qui devait l'inaugurer. Ce qu'il y avait là de nouveau, de spécifiquement évan-gélique, c'était, outre la personne même du Christ, la promesse d'une communication immédiate du saint esprit à tous les croyants, promesse désormais positive, parce qu'elle avait commencé à être réalisée (comp. Hist, de la théol. ap., 3 e éd., t. 1, p. 333 ss.). Cette promesse, dit Pierre, faite autrefois vaguement par les prophètes et jamais encore accomplie, c'est à vous, à la génération présente, qu'elle s'adresse; et ce ne sont pas seulement les personnes réunies aujourd'hui qu'elle regarde, ceux qui en ont déjà ressenti les effets; ce sont tous les Israélites, héritiers de l'alliance, qu'ils soient près ou loin, pourvu qu'ils écoutent l'appel que Dieu leur adresse. Si ces appelés de loin devaient être des païens, il faudrait dire que c'est le rédacteur qui les y a mis, et non l'apôtre (chap. X).

Le nombre considérable de personnes qui demandent le baptême n'a rien d'impossible, quand on songe que Pierre n'a fait qu'annoncer la proximité d'un fait que tout Israël attendait, la réalisation d'une espérance partagée par une nation entière.

42 Cependant ils étaient assidus à l'enseignement des apôtres et dans la communion des repas et des prières. Et la population entière était frappée d'étonnement, et il se faisait beaucoup de signes et de prodiges par les apôtres. Et tous les croyants se réunissaient dans un même lieu et avaient tout en commun; et ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et les partageaient entre tous, selon que quelqu'un était dans le besoin. 46 Et chaque jour ils étaient assidus au temple, d'un commun accord, et prenaient de même leurs repas à la maison, se nourrissant avec une joie pure et cordiale, louant Dieu et jouissant de la faveur publique; et le Seigneur amenait chaque jour à L'Église ceux qui étaient sauvés.

II, 42-47. Ce morceau est un de ces résumés généraux que l'auteur de notre livre a coutume de mettre après le récit des événements principaux qu'il expose d'une manière plus détaillée. Ici il s'agissait de peindre l'état de la communauté de Jérusalem dans les premières semaines ou dans les premiers mois qui suivirent la Pentecôte. Déjà au v. 42 il n'est plus question des trois mille qui venaient de recevoir le baptême; la plupart d'entre ces derniers avaient été des pèlerins étrangers (v. 9 et ss.) et ne restèrent point à Jésusalem. Ils n'auraient d'ailleurs pas trouvé de place dans un seul et même lieu (v. 44).

Les traits caractéristiques du présent tableau sont les suivants: 1° La communauté avait ses réunions régulières, dans lesquelles les apôtres enseignaient, soit en reproduisant le souvenir des faits dont ils avaient été les témoins, soit en recueillant dans les textes de l'Ecriture les preuves de la portée de ces mêmes faits. Un pareil enseignement, naturel et nécessaire à tout égard, l'était surtout, parce que le baptême se donnait à qui le demandait et après une déclaration très-sommaire. 2° Ces réunions étaient à la fois des réunions de prières et de repas, et à ces deux égards il y avait communion (v. 42) entre les croyants. Nous disons repas et non sainte-cène, parce que la pbrase hébraïque employée deux fois dans le texte a la signification générale et vulgaire. La Gène, le rite sacré, se célébrait habituellement à l'issue du repas, comme cela s'était fait lors de l'institution. Le texte, tel qu'il se lit dans les bonnes éditions modernes au v. 42, fait voir que Luc ne veut pas parler de quatre choses assidûment faites par les chrétiens, mais de deux: ils s'attachaient à suivre l'enseignement des apôtres et vivaient en communion fraternelle entre eux, et cette communion se manifestait tant dans les repas communs ou agapes, comme on les nomma bientôt, que dans les prières communes. 3° Tous assistaient régulièrement aux exercices religieux du temple, s'y rendant d'un commun accord aux heures de prières, et ne songeant pas le moins du monde à s'en séparer. 4° Ils avaient tous leurs biens en commun et pourvoyaient ainsi aux besoins des indigents. Pour ce fait spécial, nous prions nos lecteurs de recourir à la note sur le chap. IV, v. 31 ss.

Par toutes ces habitudes, les chrétiens étaient donc des modèles de piété et de charité; ils jouissaient de la faveur publique; les prosélytes leur arrivaient en grand nombre; et l'opinion qui ne tarda pas à se former à leur égard, devint bientôt le principal appui d'une puissance miraculeuse qu'ils commencèrent à exercer sur les esprits d'abord, sur les corps ensuite.

La phrase finale: Dieu leur amenait ceux qui étaient sauvés, reflète déjà la conception théologique, de laquelle sortit le dogme de la prédestination, bien qu'elle ne soit encore que très légèrement accusée.

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