Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉTUDES CHRÉTIENNES

DES ÂMES ALTÉRÉES.

1833

***

Lorsque le nautonier (batelier), mollement étendu sur le rivage dans une belle matinée de printemps, embrasse d’un long regard la surface des mers, il voit une plaine immobile, riante et colorée des fétus du soleil; mais s’il pouvait pénétrer dans les profondeurs de l’abîme, il y découvrirait des trombes, des tourbillons, des volcans et des luttes à mort entre les monstres qui peuplent ce vaste empire.

Telle est l’image du monde et sa tromperie.

Quand on se borne à examiner l’enveloppe dont le monde se couvre chez les nations civilisées, quand on ne fait que jeter un rapide coup d’œil sur les rapports extérieurs qui existent entre les hommes, tout semble calme, reposé, prévenant, heureux.

Mais que d’agitations et de troubles sous cette apparence de paix!

Que d’orages au fond de ces cœurs qui se montrent si tranquilles au-dehors!

Combien d’âmes haletantes, desséchées, altérées, derrière ces visages où s’épanouit un joyeux sourire!

Toute âme d’homme a soif de bonheur; elle en est altérée, et ne saurait pas l’être sans s’anéantir elle-même.

La soif du bonheur est la loi de l’âme humaine, comme la loi des planètes est de graviter autour du soleil, comme la loi des corps graves est de se précipiter vers le centre de la terre.


MAIS CE BONHEUR, ON LE CHERCHE OÙ IL N’EST PAS,

ET ON NE LE CHERCHE PAS OU IL EST.


Science, fortune, gloire, amour, puissance: voilà les formes sous lesquelles on se représente le bonheur, ou pour mieux dire, voilà les mots sous lesquels on le traduit.

La science! elle rend presque toujours le cœur plus vide, plus mécontent de ses incertitudes, Plus harassé de ses doutes, non plus satisfait ni plus paisible; Pascal, cet effrayant génie, comme l’appelle M. de Châteaubriand, ne criait pas: «Joie, joie, joie et pleurs de joie,» après avoir percé d’une vue profonde les plus épaisses ténèbres de la science; il écrivit ces paroles pour les poser sur son cœur au moment où il s’écriait: «Dieu de Jésus-Christ, Père juste, je t’ai connu!»

La fortune! sur les trois à quatre mille suicides qui affligent la France (publié en 1834), chaque année, comptez s’il ne s’en commet pas trois sur quatre dans la demeure de l’homme riche et entouré de tout ce commode loisir que l’opulence amène derrière elle.

La gloire! croyons-en un poète, M. de Lamartine, qui a pu la connaître autant que personne, et qui la rejette dédaigneusement, «comme une écorce aride que nos lèvres pressent en vain.»

L’amour! les liens de famille et d’amitié! ne sait-on pas que l’habitude les use, que l'absence les relâche, que l'égoïsme les ronge, et que la mort les brise?

La puissance enfin! Alexandre se trouvait à l’étroit dans la vaste enceinte du monde; Napoléon étouffait en Europe; et cette immense ambition n’est que la fidèle image de celle qui s’agite dans les plus humbles chaumières.

Pauvres brebis errantes et dispersées, «chacune dans son propre chemin,» courez donc après la science et la fortune, après l’amour et la gloire, après la puissance ou toute autre convoitise de la vie! Souvent, il vous arrivera de ne pas les atteindre; mais vous fût-il même donné de les saisir, vous ne posséderiez qu’une ombre qui n’étanchera pas votre soif de bonheur; votre âme sera toujours brûlante et altérée: «Celui qui boira de cette eau aura encore soif.»

L’âme humaine éprouve une autre soif, celle du pardon de Dieu, d’une réconciliation avec son Juge-Suprême.

IL se peut faire qu’on réponde négligemment:

Qu’ai-je à redouter?

Suis-je pire que mes semblables?

N’ai-je pas rempli mes devoirs?

Je suis tranquille sur ce point, tout à fait tranquille.

Homme du siècle, tu mens!

Non, tu n’es pas tranquille; tu as tellement peur, au contraire, que tu crains plus que toute chose au monde cette peur même que tu désavoues, et il n’y a rien qui ne te soit bon pour t’en affranchir.

La soif du pardon de Dieu s’est manifestée partout et de tout temps; j’en atteste ces innombrables victimes égorgées sur les autels des dieux du paganisme; j’en atteste ce sang humain qui a coulé sur les pierres des Druides; j’en atteste ces mères qui jettent leurs enfants aux crocodiles du Gange, et ces débris de membres écrasés qui marquent la route de l’idole de Jaggernaut.

S’il fallait des témoignages plus rapprochés de nous, j’en appellerais à ces degrés du Capitole usés par les genoux des pèlerins, à ces flagellants, à ces trappistes, à tant de milliers et de millions d’hommes qui se sont imposé les supplices les plus cruels pour apaiser leur soif ardente de réconciliation avec le Juge qu’ils ont offensé.

Mais pourquoi chercher des exemples ailleurs qu’au-dedans de soi?

Vous-même, vous, qui que vous soyez, vous, homme de plaisir, qui savez si bien arranger votre visage pour n'avoir pas un air triste et sombre, ne vous est-il jamais arrivé, dans une heure de solitude et d’ennui, lorsque vous étiez seul devant vos souvenirs et vos dégoûts, de vous replier sur votre conscience; et à la vue de ces abîmes d’égoïsme, d’orgueil, d’impureté, d’envie, de haine, qui sont creusés si avant dans votre cœur que vos yeux n’en pouvaient découvrir le fond, n’avez-vous pas été pour vous-même un objet d’angoisse et d’effroi?

Votre front ne s’est-il pas incliné dans le sentiment d’une honte qui le sillonnait comme un fer brûlant?

N’avez-vous pas dit: Comment préviendrai-je le juste jugement de l’Éternel?

Vous aviez soif alors, soif du pardon de Dieu. Mais voici ce qu’on fait communément aujourd’hui pour essayer de désaltérer son âme:

Les uns imaginent des mensonges auxquels ils croient, parce qu’ils veulent y croire à tout prix; ils se créent un Dieu qui n’existe pas et des mérites qu’ils n’ont pas; un Dieu dépouillé de justice et de sainteté, un Dieu qui serait au-dessous de la dernière de ses créatures s’il était ce qu’ils se persuadent qu’il est; des mérites qui se bornent à déguiser adroitement nos fautes et à blanchir le dehors pour cacher la pourriture du dedans.

D’autres n’y prennent pas même tant de souci; ils sortent tout simplement de leur chambre, selon l’expression d'un philosophe chrétien; ils demandent des distractions au moindre objet qu’ils rencontrent, à une mousse qui végète, à un insecte qui rampe, à un moucheron qui tournoie dans les airs, à je ne sais quel bruit vide et factice qu’on entend dans les sociétés mondaines; ils ramasseraient de la fange pour s’en couvrir les yeux plutôt que de se résoudre à se voir tels qu’ils sont.

Cependant les uns, malgré les mensonges qu'ils adoptent, les autres, malgré la dissipation dans laquelle ils se plongent, ne réussissent jamais à jouir de la paix intérieure; s’ils s’en vantent, ils mentent.

Ils étourdissent leur douleur, mais ne la guérissent point; ils endorment laborieusement leur soif, mais ne la désaltèrent point. Cette soif se réveille, ardente et impitoyable, au jour qu’ils ne s’y attendent pas; et que faire lorsqu’on s’est creusé «des citernes crevassées qui ne contiennent point d’eau?»

Il y a enfin une soif qui n’est pas moins naturelle à notre cœur; c’est la soif de la vie.

Quelques sophistes, il est vrai, se font braves contre la mort; mais le soin qu’ils mettent à l’embellir, ou plutôt à la déguiser, avant de s’avancer à sa rencontre, prouve que leur bravoure n’est qu’un effort désespéré de l’orgueil humain contre l’horreur que nous éprouvons à l’idée de l’anéantissement: l’homme véritablement courageux ne se donne pas la peine de tant décrier la force de son adversaire, avant de se mesurer corps à corps avec lui.

La plupart des gens du monde choisissent un autre moyen pour s’affranchir de cette soif dévorante; ils chassent la mort de leurs pensées; ils disent à la tombe qu’y a-t-il entre toi et moi?

Ils s’attachent à conclure, selon la magnifique parole du prophète, un accord et une alliance avec le sépulcre. Mais cet accord ne subsiste point, mais cette alliance est rompue. Tantôt, c’est un cri de mort qui retentit si fortement qu’il est impossible de ne pas l’entendre; tantôt, c’est le retour d’une époque solennelle, l’anniversaire d’une grande catastrophe qui contraint le cœur le plus imprévoyant et le plus endurci à calculer le peu de jours qu'il lui reste à vivre.

Et il a soif, et il est altéré d’un insatiable besoin de vie!

Et il recule d’épouvante à l’aspect de la tombe qui s’entrouvre sous ses pas!

Malheureux et insensé! Il a «employé son argent pour ce qui ne nourrit point et son travail pour ce qui ne rassasie point.»

«Si quelqu’un a soif, disait Jésus-Christ, qu’il vienne à moi et qu’il boive; celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, mais l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau vive qui jaillira jusqu’à la vie éternelle.»

«O vous qui êtes altérés, venez aux eaux!»

Vous avez soif du pardon de Dieu;

voici «L’AGNEAU DE DIEU QUI ÔTE LE PÉCHÉ DU MONDE.»

Vous avez soif de vie;

voici celui qui «est la vie,» et qui «a mis en évidence la vie et l'immortalité par son Évangile.»


Vous avez soif de paix et de bonheur;

voici Jésus qui vous donnera sa paix, une paix qui «surpasse toute intelligence,» et au-delà du tombeau, «le poids éternel d’une gloire infiniment excellente.»


***


Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos.

Prenez mon joug sur vous et recevez mes instructions,

car je suis doux et humble de coeur;

et vous trouverez du repos pour vos âmes.

Car mon joug est doux, et mon fardeau léger.

Matthieu 11, 28-30



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