Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VII


Conspiration du prince de Cellamare contre le régent. – Intervention de Jacques Basnage. – Il désigne Court au régent comme auxiliaire indispensable. – Basnage et Court. – Mémoire instructif.

Ce document officiel, envoyé au nom d'un synode où il y avait eu environ soixante anciens, produisit un excellent effet sur Basnage, qui écrivit à Antoine Court: «Il me serait difficile de vous exprimer la joie que m'a causée votre lettre; la date même m'a fait un plaisir extrême, aussi bien que les noms signés. Je bénis Dieu de ce qu'il a commencé son oeuvre parmi vous. Toutes les règles de discipline que vous observez, sont conformes à celles de nos pères dont Dieu a béni les soins et les courageux efforts.» Son approbation ne fut pas toutefois sans réserves, car il la fit suivre par de sérieuses appréhensions sur les assemblées religieuses, les trouvant trop nombreuses et trop fréquentes, et manifestant la crainte que le fanatisme des derniers temps, qui n'était pas encore complètement éteint, ne les transformât, malgré les précautions que l'on pourrait prendre et la surveillance qu'on exerçait, en foyers de révolte.

Court, pour détruire cette accusation, d'autant plus alarmante qu'elle venait d'un homme vénérable et d'une grande influence, attaché par sa naissance et par une véritable sympathie aux Églises du désert, prit de nouveau la plume et lui répondit, à la date du 30 juillet.

» Tout le monde sait que les ennemis de la vérité commencèrent par attaquer ceux qui la prêchaient; ils n'ignoraient pas que, lorsque les pasteurs sont frappés, les brebis sont bientôt dispersées. Tous ceux de nos Églises furent forcés de les abandonner, ce qu'ils ne firent qu'en versant beaucoup de larmes; leur dévouement pour l'oint du Seigneur est à l'abri de tout soupçon, et nous sommes convaincus que presque toutes les violences dont on a usé à leur égard sous le règne précédent, ont été exercées à l'insu du roi, trompé par les pharisiens du siècle.

» Nous protestons contre ceux qui voudraient nous engager à la révolte; mais il est des cas où il n'est pas à propos d'obéir aveuglément au prince: la timidité et l'amour du monde se couvrent souvent du nom de prudence. Voici donc l'abrégé de ce qui s'est passé dans nos cantons, depuis la révocation de l'édit de Nantes, la démolition de nos temples et l'exil de nos ministres.

» Il serait difficile et peu nécessaire de marquer le nombre des fidèles, qui, préférant la liberté de leur conscience à toutes les douceurs de la patrie, sont allés peupler les pays étrangers. Leur foi s'est manifestée d'une manière éclatante. – Nous ne parlerons pas des apostats qui ont trahi la vérité pour quelque pension ou quelque charge. Quel nombre prodigieux de fidèles qui, après de fortes épreuves, ont succombé sous le poids de la croix»!

» Nous voici arrivés à un petit nombre d'élus, chéris du ciel, qui ne voulurent pas abandonner leur patrie ni renoncer à leur religion, et qui, persécutés, s'enfuirent dans le désert. On envoya après eux un fleuve de troupes pour les faire périr; mais la guerre qui s'éleva peu après, força l'illustre à rappeler ses soldats, pour s'opposer à ses ennemis; la terre s'ouvrit pour plusieurs. – Et ainsi les fidèles qui couraient les bois et les déserts goûtèrent un peu de relâche.

» Ce fut dans ces circonstances que l'esprit de Dieu saisit quelques-uns et les poussa à prêcher la vérité de l'Écriture sainte. Ils firent des assemblées qui contribuèrent à en relever plusieurs et à en raffermir d'autres. Aussi sera-t-on forcé de mettre au rang des martyrs de Jésus-Christ grand nombre de ceux qui ont passé dans ce pays pour idiots, gens de néant, coureurs, scélérats, perturbateurs du repos public. – Le peu de repos que la guerre avait procuré aux fidèles de ce pays, ne dura pas longtemps; le zèle des faux dévots s'alluma. – Les maisons de ceux qui n'observaient pas le culte romain devenaient des casernes de dragons ou de soldats. Les couvents et les séminaires se remplissaient de fils, de filles ou de femmes. On ne parlait plus que d'exil et de galères. Les mères pleuraient leurs enfants enlevés. Toutes les familles étaient en deuil. Les maris étaient séparés de leurs épouses, et les femmes devenaient veuves avant la mort de leur époux. On demandait la mort, mais on voulait nous conserver la vie pour satisfaire une charité barbare.

» Ce fut dans ce temps que l'abbé du Chaila, fameux convertisseur, occasionna la guerre des Cévennes ou des camisards. À cette époque de confusion, où était l'Église? où était-elle du temps d'Élie, de Daniel, de Jérémie et des Macchabées? Elle était partout; elle était à Jérusalem, à Babylone, en Égypte. Elle gémissait parmi les hypocrites et les scélérats. L'Esprit de Dieu s'était répandu sur plusieurs; le fanatisme s'était aussi répandu, de telle sorte que le pays a failli en être entièrement infecté. Tout cela donna occasion à plusieurs qui avaient vécu dans une crasse ignorance, de lire et de méditer les saintes Écritures. La science s'augmentait tous les jours, plusieurs étaient épurés au feu de l'affliction; les méchants se portaient méchamment et les fidèles glorifiaient Dieu.

» La paix et la tranquillité succédèrent enfin aux meurtres, aux incendies et aux divisions. On défendit aux prêtres d'inquiéter les réformés pour la religion, et de forcer aucun nouveau converti à faire ce que l'on appelle son devoir. On se contenta de désarmer le peuple et de défendre les assemblées sous les mêmes peines qu'auparavant. Mais Dieu ne s'est jamais laissé sans témoignage. Sa providence et son amour ne se sont pas réglés sur la politique du prince. Il continua à revêtir de ses grâces plusieurs personnes d'une vile apparence aux yeux de la chair, qui, sans toucher au droit du roi et aux intérêts de l'État, ont fait continuellement jusqu'à aujourd'hui des assemblées pour prêcher au peuple le pur Évangile.

» Nous voulons, avec la grâce du Seigneur, jusqu'au dernier soupir de notre vie, en rendant à César ce qui est à César, rendre à Dieu ce qui est à Dieu. Nos assemblées ne sont point tumultueuses; on n'y porte point d'armes. Nous n'avons rien à nous reprocher de ce côté-là, puisque nous blâmons tous ceux qui sont sortis de nos rangs pour suivre d'autres maximes que celles de l'Évangile. – La doctrine de nos adversaires et la nôtre sur l'obéissance due aux rois est bien différente. – C'est pourquoi nous pourrions bien attribuer la rébellion des camisards, non seulement aux violences qu'on exerça contre eux, – mais encore au mauvais levain de doctrine dont on les avait forcés pendant longtemps de se nourrir.

» Nous pourrions donner depuis ce temps-là quelques exemples de notre modération; mais un seul suffira. Il y a environ deux ans [1] qu'on arrêta un jeune homme qui faisait des prières et des exhortations; il était fort aimé; on devait le conduire d'Alais à Montpellier; une jeunesse nombreuse pleine de courage, croyant faire une bonne oeuvre, avait résolu de l'enlever au détachement qui n'avait qu'une quarantaine de personnes; la chose se serait exécutée selon les apparences avec facilité; mais ceux qui ont soin de prêcher les maximes de l'Évangile, s'y opposèrent, de telle sorte qu'on aima mieux ne pas risquer de mettre tout le pays en feu et voir un frère sceller de son sang les vérités qu'il avait prêchées, que de lui rendre la liberté pour édifier encore le peuple.

» Depuis que nous sommes privés du saint ministère, si Dieu n'avait suscité quelques personnes pour réveiller la foi des peuples et pour ranimer leur zèle, il est certain que tous les habitants de la campagne et la plupart de ceux des villes, qui sont sans lettres, ou privés de bons livres, seraient tombés dans une si crasse ignorance, que nous ne doutons pas qu'ils n'eussent pas été différents des peuples chez qui la superstition règne le plus. Dieu, malgré nos péchés, n'a pas voulu nous abandonner entièrement. Après avoir transporté son chandelier dans d'autres climats, il a soufflé dans nos pays quelques lumignons fumants, pour la consolation de plusieurs, et nous attendons avec une espérance vive qu'il plaise à ce grand Dieu de remettre notre Jérusalem dans un état renommé sur la terre.

» Peut-on, sans être ennemis de Dieu, condamner des hommes qui, étant animés de la charité de Jésus-Christ, renoncent à tout ce qu'ils ont dans le monde pour employer leurs soins et leurs travaux à l'édification et à la consolation de l'Église? – Nous ne nous arrêterons pas longtemps à réfuter ceux qui annoncent l'Évangile et qui cependant improuvent nos assemblées. Supposons pour un moment que cinq ou six bergers eussent trente ou quarante mille brebis, dispersées dans un vaste pays, séparées par des cloisons, serait-il possible que ces bergers pussent nourrir tant de brebis, s'ils ne formaient de petits troupeaux pour leur donner tour à tour les choses nécessaires? Nous ne croyons pas même qu'il fût difficile de prouver que les chrétiens des premiers siècles et nos pères du temps de la Réformation; aient fait des assemblées, quoique les princes les eussent défendues. Nous n'ignorons pas qu'il ne faille de la prudence et des lieux à l'abri des persécuteurs; et nous avons si bien suivi cette méthode, que pour une assemblée qui est découverte, il s'en fait cent à l'insu des ennemis. Il est vrai que quelques maisons ou granges ont été rasées, quelques personnes ont été condamnées aux galères, plusieurs mises en prison, très peu ont souffert la mort. Mais ignore-t-on qu'il y a des croix attachées à la profession de l'Évangile? – On a remarqué quelquefois que lorsqu'une assemblée avait été vendue, les détachements roulaient autour du lieu où elle se faisait, comme les habitants de Sodome et de Gomorrhe autour de la maison de Loth; et il est arrivé que des brebis qui venaient de paître, ont servi de guides pour reconduire chez eux des loups qui étaient venus pour les dévorer.

» Nous protestons encore contre tous ceux à qui il appartiendra, que nous voulons rendre à notre prince ce qui lui est dû; mais nous croyons qu'il ne nous est pas permis de négliger pour un peu de temps notre salut ni celui de nos frères. Nous avons souffert longtemps et nous souffrirons encore, jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu d'ouvrir les yeux au prince sur notre innocence et ses intérêts. – Nous voudrions bien que tout le monde fût prophète et que personne n'eût besoin que d'autres l'enseignassent; mais non, il faut que ceux à qui Dieu a donné quelque talent le fassent valoir, à quelque prix que ce soit, persuadés que Dieu les soutiendra dans leurs épreuves.»

Lorsque Basnage reçut cette lettre si instructive sur la réorganisation des Églises du désert, il était septuagénaire, et malgré cela, sur les instances du comte de Morville, ambassadeur de France en Hollande, et sur la demande du régent, il écrivit une instruction pastorale, qui fut envoyée à toutes les Églises du royaume, dans le but de les affermir dans la fidélité due au roi et de les préserver des intrigues étrangères. Elle seconda puissamment l'oeuvre de conciliation de Court, et l'on vit deux hommes, dont l'un était le plus illustre pasteur du refuge, et l'autre le plus jeune ministre du désert, unir leurs efforts pour raffermir le patriotisme des protestants français.

[1] 22 janvier 1718, supplice d'Étienne Arnaud. 

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