Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI


Conspiration du prince de Cellamare contre le régent. – Intervention de Jacques Basnage. – Il désigne Court au régent comme auxiliaire indispensable. – Basnage et Court. – Mémoire instructif.

 

À cette époque éclata la guerre fomentée par l'obscure intrigue du prince de Cellamare contre le régent. Cet ambassadeur d'Albéroni, premier ministre de Philippe V, roi d'Espagne, voulait tenter d'amener une révolution en France, en essayant d'agiter encore les Cévennes. Le duc d'Orléans l'apprit, en fut alarmé, et il chercha un auxiliaire pour le sortir d'embarras. Il crut le trouver dans Jacques Basnage, ancien pasteur de Rouen, réfugié à La Haye, où le grand pensionnaire Heinsius, qui l'aimait beaucoup et le regardait avec Voltaire comme «plus propre à être ministre d'État que d'une Église,» l'avait déjà employé avec succès dans plusieurs négociations importantes. Sa réputation de diplomate habile avait été répandue à la cour de France par les soins du marquis de Torcy, du maréchal d'Uxelles et du cardinal de Bouillon, qui, pendant leurs ambassades dans les Provinces-Unies, avaient soutenu avec lui des rapports fréquents, ce qui avait décidé le régent à donner ordre à l'abbé Dubois, lorsqu'un an auparavant il était allé à La Haye, pour négocier le traité de la triple alliance, de le consulter et de suivre ses avis, parce qu'il avait l'assurance que les justes motifs de plaintes que ses coreligionnaires, sa famille et lui-même avaient contre le gouvernement français, ne l'empêcheraient point de s'employer avec zèle à cette négociation. Comme cette confiance n'avait pas été trompée, elle eut pour effet de lui faire prendre la résolution d'avoir de nouveau recours à son influence pour empêcher que les promesses brillantes que le prince de Cellamare faisait au nom de son maître Albéroni, ce prêtre intrigant qui rêvait pour Philippe V la monarchie universelle, ne séduisissent les protestants du Midi et ne les portassent à rallumer la guerre des camisards qui était heureusement éteinte. Basnage, consulté, désigna au gouvernement français Antoine Court comme l'homme qui, dans ces circonstances graves, pouvait arrêter le mal à sa naissance. Le régent, sur ces indications, dont il reconnut l'importance, envoya en Languedoc le colonel Génac de Beaulieu, pour conférer avec le ministre du désert, qui déclara à cet agent royal qu'il avait déjà éconduit lui-même les émissaires espagnols, qu'il n'y avait que la rigueur des édits qui pût faire soulever les protestants, et que, même pour l'éviter dans ce cas, il travaillait sans relâche et au péril de sa vie à l'extinction des dernières étincelles de ce foyer brûlant d'où était sorti l'embrasement camisard. Ces réponses, claires et rassurantes, satisfirent le régent, et, quoiqu'elles dénotassent dans Antoine Court une puissance évangélique qui lui fit ombrage, toutefois, pour marquer sa gratitude à ce pasteur, il lui fit offrir une pension considérable, que ce dernier refusa, parce qu'à sa jouissance était attachée la condition d'aliéner ses biens et de s'établir hors du royaume.

Mais si, dans cette circonstance, Basnage témoigna une si grande confiance à Antoine Court, celui-ci, en retour, le paya de la plus entière vénération et ne fit rien d'important dans la province ou dans l'Église sans l'avoir préalablement consulté. Quel directeur plus éclairé et plus prudent aurait-il pu choisir? N'était-ce pas Basnage, qui, aux conférences de Gertruydemberg, avait demandé que la liberté de conscience de ses coreligionnaires français devînt une des conditions du traité de paix signé à Utrecht et qui termina la guerre de la succession? Et n'est-il pas à peu près certain qu'une aussi juste réclamation aurait été acceptée, sans les faibles insistances que mirent les puissances du Nord à l'appuyer, parce qu'elles ne voulurent point subordonner la fin d'une guerre qui avait si longtemps embrasé l'Europe à des transactions intérieures entre le roi de France et ses sujets.

Ce fut à Basnage que Court adressa, le 11 mai 1719, le mémoire instructif suivant sur ce qui se passait alors dans l'Église désolée de France, au sujet des saintes assemblées qui se convoquaient dans le désert et aux heures nocturnes.

«Dans les exercices qui se font dans le désert, les pasteurs, que Dieu a suscités d'une manière extraordinaire pour consoler les pauvres âmes affligées, ont le soin d'observer la méthode que pratiquaient nos pères et que pratiquent encore les Églises de Genève.

» À l'égard du gouvernement et de la conduite de l'Église, il est bon qu'on sache que les pasteurs qui s'exposent dans le désert, prirent d'abord toutes sortes de bons moyens pour établir des anciens dans les lieux qu'ils parcouraient, pour réprimer les scandales, avoir soin des malades et assister les nécessiteux. Dieu a bien voulu le faire réussir; car à présent, presque dans tous les lieux où il se fait des assemblées, il y a des personnes établies pour la fonction d'ancien. – Ayant réussi dans leur pieux dessein, il fut ensuite délibéré de convoquer des synodes de six mois en six mois, pour y proposer des règlements touchant la conduite que les pasteurs et les anciens auraient à tenir, et pour délibérer sur les autres choses qui se présenteraient. Ce qui fut fait, tellement que, par un effet de la grâce de Dieu, nous pouvons avoir aujourd'hui comme une forme d'Église.

» Quand on a un nombre d'environ sept pasteurs dans la charge depuis longtemps, et un assez bon nombre d'anciens établis, et qu'on se trouve assemblés dans le synode, on commence par la nomination d'un modérateur, d'un adjoint et d'un greffier. Ceci étant fait s'il se présente quelqu'un qui ait le pieux désir d'être admis à la charge de pasteur, on s'informe d'abord de sa vie, de ses moeurs et de sa doctrine; et après avoir procédé à l'examen de l'un et de l'autre, et lui avoir fait connaître l'excellence de sa charge, les peines et travaux qu'il faut endurer pour s'en acquitter avec fidélité et surtout dans l'état où l'on se trouve dans ce malheureux pays, s'il persiste dans son pieux dessein, on le reçoit pour proposer la Parole seulement, car on ne donne la permission d'administrer les sacrements qu'à ceux qui sont capables de recevoir entièrement la sainte vocation.

» À l'égard des anciens, on ne procède point à leur réception, à moins qu'ils n'aient un bon témoignage de l'Église et des voisins, de vivre dans la crainte de Dieu et d'être sans reproche. Au reste, on s'attache autant qu'on peut à se conformer à la discipline ecclésiastique dressée d'un commun accord par les Églises réformées de France. »

 

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