Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V


L'intendant Bernage. – Mission donnée à Corteis. – Consécration d'Antoine Court. – Jean Bétrine

Louis-Basile de Bernage succéda à Bâville dans l'intendance de la police, de la justice et des finances de la province du Languedoc, et le marquis de La Fare, en qualité de commandant, fut chargé de le seconder dans ce poste si important mais si délicat. Cet intendant était un administrateur vigilant disposé à punir les coupables, ne s'arrêtant que devant leur nombre qui devint de jour en jour plus considérable.

Il manquait des ministres régulièrement consacrés par l'imposition des mains, pour les évangéliser. Il n'y en avait, à cette époque, qu'un seul en France qui fût dans ce cas; c'était Jacques Roger, né à Boissières dans la Vaunage. Après être sorti du royaume en 1711, et avoir été consacré au ministère évangélique dans le Wurtemberg, il était rentré sans craindre la loi pénale qui le lui défendait, et s'était établi dans le Dauphiné, où il travaillait avec un grand zèle et un éclatant succès à la réorganisation des Églises. Aussi Antoine Court et ses compagnons d'oeuvre n'avaient d'autre mission dans le champ du Seigneur que celle que leur avait confiée le choix libre et tout à fait arbitraire de simples réunions synodales, dont le caractère était purement officieux; ils ne pouvaient donc que proposer la parole et non pas administrer les sacrements. C'était un inconvénient grave, auquel il était urgent de remédier; dans ce but il fut décidé, dans une conférence tenue entre Court, Durand, Crotte et Corteis, que ce dernier, qui avait déjà fait un séjour assez prolongé dans le Wurtemberg, où même il avait laissé sa femme, passerait, pour aller momentanément la rejoindre, par Zurich, et que là il demanderait à la classe des pasteurs de lui accorder l'ordination apostolique, selon le rit de la discipline helvétique.

Corteis était un homme de grand dévouement; aussi il n'hésita pas à entreprendre ce long et périlleux voyage dans un temps où les plus secrets passages des frontières étaient gardés et où des archers couraient les grands chemins et battaient la campagne; il se déguisa, marcha de nuit, dormit le jour dans les bois, surmonta adroitement les obstacles et arriva sans accident au terme de son voyage. La classe des pasteurs de Zurich s'intéressait vivement aux protestants de France, elle en avait donné des marques nombreuses; elle comprit la nécessité pressante qu'il y avait de donner des pasteurs, sinon éclairés, du moins convaincus et fidèles, aussi, sans se laisser arrêter par la forme, elle accueillit la demande de Corteis et le consacra.

Le nouveau serviteur de Dieu se hâta de recommencer son pèlerinage; à son retour, un synode composé de quarante-cinq membres, fut convoqué pour le 7 février, et il eut ceci de particulier, c'est que ses séances furent précédées par la première consécration solennelle qui eut lieu au désert; le peuple averti d'avance s'y rendit avec empressement de plusieurs lieues à la ronde et forma l'une de ces grandes assemblées religieuses qui se réunirent dans la suite si souvent, mais à des époques irrégulières. – Les membres du synode formèrent un cortège, à la tête duquel marchèrent Corteis et Court; le premier, revêtu seul de la robe pastorale, monta en chaire; le second s'assit au bas à une place réservée. Corteis n'était pas un prédicateur éloquent; sa science se bornait à la connaissance des saintes Écritures, acquise non par des études théologiques, mais par la seule méditation secrète et les lumières du Saint-Esprit; aussi ne savait-il autre chose que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Il commença son allocution par la lecture des passages suivants: Ephés., IV, 11; Luc, X, 16; Jean, XX, 21; 1 Cor., V, 18, 19, 20, et 1 Tim., I, 2, qui retracent à la fois les devoirs du pasteur et du troupeau. Il exhorta l'un et l'autre à y prendre sérieusement garde, afin que tous pussent bien remplir leur devoir: le ministre, en s'acquittant d'autant plus fidèlement de sa charge, qu'il la connaissait être précieuse et excellente devant Dieu, et le peuple, en recevant en toute révérence la Parole de Dieu, qui lui serait annoncée par celui qui lui était envoyé. Puis le prédicateur lut encore ce qui est écrit: 1 Tim., III, Tite, I, et 1 Pierre, I, où l'apôtre enseigne quel doit être le ministre; et afin que Dieu fit la grâce au récipiendaire de s'en fidèlement acquitter, il fit une courte mais fervente prière dans laquelle il inséra ces mots prescrits par l'ancienne discipline ecclésiastique: «Qu'il te plaise, ô Dieu, orner des dons et des grâces de ton Saint-Esprit, ce tien serviteur, légitimement élu selon l'ordre établi en ton Église, le fournissant abondamment de tous les dons nécessaires pour se bien acquitter de sa charge, à la gloire de ton saint nom, à l'édification de l'Église et au salut de celui qui t'est maintenant dédié et consacré par notre ministère.» – Descendant ensuite de chaire, Corteis se tint debout, et Court s'étant mis à genoux, il lui posa ses deux mains sur la tête, et, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, lui transmit, selon l'usage des apôtres, le droit qu'il avait reçu lui-même sur la terre helvétique, d'administrer la sainte cène, de baptiser les enfants et de bénir les mariages. Après cela, il lui donna le baiser fraternel, et pendant que les membres du synode, à leur tour, lui tendirent la main d'association, le peuple ému, levant des mains de reconnaissance vers le ciel, entonna en choeur le psaume CXXII, composé pour l'usage des Israélites qui, venant des extrémités du pays pour assister aux fêtes solennelles à Jérusalem, s'encourageaient à supporter les fatigues du voyage, par la pensée que bientôt ils seraient dans la ville sainte et qu'ils y trouveraient une compensation à toutes leurs peines.

Après la célébration publique de cette cérémonie rendue solennelle et impressive par sa simplicité, le synode s'occupa naturellement de la vocation des futurs pasteurs, et quoiqu'il fût urgent d'en augmenter rapidement le nombre, il décida néanmoins qu'aucun d'eux ne serait reçu «qu'après un examen sérieux de sa doctrine et de ses moeurs qui établirait que sa vie était sainte, irrépréhensible, et qu'il possédait les lumières et les connaissances requises pour s'acquitter d'un si glorieux emploi.»

Jean Bétrine, de Vergèze, fut le premier à qui ces règles disciplinaires furent appliquées, et quoiqu'il n'eût fait aucune étude des langues saintes, il reçut néanmoins de la compagnie «le droit de prêcher l'Évangile partout où la providence de Dieu l'appellerait.» Il était l'un de ces jeunes gens auxquels Court avait adressé un appel, et qui, se sentant «la vocation du martyre,» avaient abandonné, pour y répondre, ou la charrue, ou les ateliers, ou les comptoirs, ou les greffes, et s'étaient groupés autour de lui pour le suivre dans ses courses, afin de recevoir, en marchant à ses côtés, des leçons de catéchisme, de prédication, de théologie et de science apostolique, dans le but de remplacer plus tard les pasteurs dont la persécution ne cessait d'éclaircir les rangs.

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