Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III


Convocation des prédicants. – Leurs noms et leur origine. – Première réunion synodale. – Règlements adoptés. – Seconde réunion. – Mesures disciplinaires prescrites. – Troisième réunion. – Membres nouveaux qui y assistent – Articles qu'elle ajoute à la discipline.

Ce plan une fois conçu dans la méditation et dans la prière, Court se mit aussitôt à l'oeuvre pour en activer l'exécution et en assurer la réussite; sa première démarche fut de convoquer pour le 21 août, et par l'intermédiaire de messagers prudents et fidèles, tous les prédicants connus des Cévennes et du bas Languedoc. Depuis la révocation de l'édit de Nantes, il en avait paru dans ces contrées un assez grand nombre pour remplacer les pasteurs exilés, comme Cotin Masson, Brocas, Malzac, Giraud, Gardren, Gillet, Givry, Dunoyer, Debruc, Cardel, Salve Guyon, et surtout Claude Brousson, qui tous avaient péri sur le gibet ou se trouvaient renfermés dans les prisons de l'État. Mais à cette époque il n'en restait que sept de libres, sur lesquels cinq seulement répondirent à l'appel qui leur fut adressé par Court: ce furent Étienne Arnaud, Pierre Durand, Jean Crotte, Jean Huc et Jean Vesson.

Arnaud était un jeune Cévenol, plein de foi et de zèle, qui évangélisait les nombreux villages des basses et hautes Cévennes.
Pierre Durand, né à Bouchet, avait à peine seize ans, et il venait de quitter l'étude de la jurisprudence pour se vouer au ministère sous la croix, par suite de l'enthousiasme qu'avait allumé dans son âme le récit des persécutions.
Jean Crotte était d'une condition obscure et encore adolescent, mais son dévouement avait déjà été mis à l'épreuve et sa foi avait grandi au milieu des dangers auxquels il avait été déjà exposé.

Il n'y avait que Huc et Vesson qui fussent arrivés à l'âge mûr; ils auraient dû, à cause de cela même, être les conseillers et les directeurs de leurs jeunes compagnons d'oeuvre; mais comme leur ignorance les avait fait tomber dans les aberrations de l'esprit et le fanatisme de l'erreur, Antoine Court eut à combattre leur résistance à l'établissement d'un ordre régulier et leurs objections à la rédaction d'une confession de foi scripturaire et positive.

Tous ces députés arrivèrent le jour indiqué au lieu du rendez-vous, qui était le fond d'une carrière solitaire et abandonnée, que les Romains avaient exploitée à Roquemalière ou à Barutel, avec les trésors que leur avait prêtés Antonin le Pieux, en y sciant et taillant sur place ces énormes blocs de pierre qui servirent à la construction des arènes. Quelques membres laïques de leur connaissance intime les accompagnaient; ils venaient de loin et avaient marché toute la nuit, guidés par les messagers fidèles qui leur avaient apporté les lettres de convocation. Leur costume était celui des paysans des Cévennes, composé d'un chapeau à basse forme et à grands rebords, d'une blouse brune recouvrant entièrement leurs habits de bure, de souliers à doubles semelles ferrées et saillantes, d'un sac de cuir à provisions placé en bandoulière sur leurs épaules et d'un bâton de chêne vert à la main. Dès la pointe du jour, heure solennelle où la nature se réveille et qui est le moment le plus favorable pour contempler comme à l'oeil les perfections invisibles de Dieu dans ses ouvrages, ils découvrirent leurs têtes, joignirent leurs mains, fléchirent le genou et se mirent en prière, pour invoquer sur leurs personnes et sur leur projet la miséricorde divine et les lumières du Saint-Esprit; en se relevant, chacun prit place sur une pierre en saillie; Antoine Court seul se tint debout, et prenant la parole, il leur fit une vive et touchante peinture de l'état des choses et de la nécessité qu'il y avait d'y apporter tous les remèdes qui étaient en leur pouvoir; il leur dit que l'un des plus efficaces, après le bon exemple que chaque prédicateur était obligé à donner de la purification du sanctuaire de tout fanatisme, était le rétablissement de la discipline; aussi leur proposa-t-il d'en jeter, à l'instant même, le premier fondement, en nommant un modérateur pour présider aux délibérations qu'on allait prendre, et un secrétaire pour en inscrire les actes conformes. Cette proposition ayant été agréée, avec cette modification qu'un seul membre suffisait pour remplir les deux emplois, Antoine Court en fut investi par la presque unanimité des suffrages.

Il avait d'avance préparé un programme qu'il soumit à leur examen. Voici, d'après son témoignage écrit, de quelle manière il fut accepté: «On commença par conférer la charge d'anciens aux laïques qui se trouvaient dans l'assemblée, et il fut convenu qu'on en établirait dans tous les lieux où les prédicateurs et les prédicants étaient reçus; qu'ils seraient chargés: – de veiller sur les troupeaux en l'absence du pasteur; – de choisir des lieux favorables pour la convocation des assemblées; – de faire des collectes pour assister les pauvres et les prisonniers; – de procurer des retraites sûres aux prédicateurs et de leur fournir des guides pour les conduire d'un lieu à un autre, – on mit ensuite en délibération que, selon l'ordre de saint Paul (1 Cor., XIV, 54), il serait défendu aux femmes de prêcher, qu'il serait ordonné à tous de s'en tenir uniquement aux enseignements si clairs et si populaires de la sainte Écriture, qui est la seule règle de la foi, et qu'en conséquence on rejetterait toutes les prétendues révélations qui avaient la vogue, non-seulement parce qu'elles n'avaient aucun fondement dans les livres sacrés, seuls inspirés par le Saint-Esprit, mais encore à cause des grands abus qu'elles avaient produits.»

Ces deux derniers articles parurent inopportuns et dangereux à Huc et à Vesson, qui d'abord s'opposèrent à leur adoption; mais après de longues explications, appuyées par de nombreux exemples, que leur donna Antoine Court, ils finirent par en reconnaître la nécessité dans les circonstances exceptionnelles où se trouvait l'Église et donnèrent leur adhésion.

Ces règlements généraux, dont on tira de nombreuses copies pour les répandre, eurent, auprès comme au loin, un grand retentissement, produisirent d'excellents effets et firent donner à cette petite assemblée le nom de premier synode du désert.

Le second se réunit le 22 août 1716; les mêmes membres le composèrent, et prirent en commun les mesures disciplinaires suivantes, qu'ils jugèrent les mieux adaptées au temps critique où ils vivaient et les plus conformes au véritable esprit du saint et glorieux Évangile: elles concernèrent la célébration du culte public et les devoirs des pasteurs: «On lira, est-il dit dans ce nouveau règlement, le décalogue avant la prédication, tous les auditeurs se tenant debout; – lorsque cette dernière sera finie, on fera réciter le catéchisme aux enfants en leur expliquant ce qu'il y a de moins clair pour leur intelligence; – les pères de famille seront exhortés à présider trois fois par jour la prière en commun dans leurs maisons et à la faire réciter tour à tour par leurs enfants et leurs domestiques afin de les porter à ce saint exercice avec plus de diligence; – on devra destiner au moins deux heures à la dévotion du dimanche à laquelle toutes les personnes de la maison assisteront avec recueillement; – on reprendra en public, après trois admonitions successives, tous ceux qui commettront des crimes noirs et scandaleux; – on n'appellera jamais les fidèles d'un mandement (ou ressort ecclésiastique) dans les assemblées qui seront convoquées, dans un autre; – on écoutera la Parole de Dieu comme étant la règle infaillible de la foi, et on refusera de reconnaître toute prétendue révélation comme nécessaire au complément de notre croyance, et à cause des grands scandales qui sont arrivés de notre temps: les pasteurs veilleront avec soin à l'observation de cette règle capitale; – les pasteurs, ayant l'approbation des anciens, devront faire toutes les fonctions de leur charge, prêcher, administrer les sacrements, et bénir les mariages. On veillera sur leur conduite, et s'ils commettent quelque faute grave qui soit en scandale à leurs frères ou à l'Église, ils devront être démis de leurs fonctions pour quelque temps, à moins que celui qui sera tombé n'en témoigne une repentance sincère. – Les pasteurs étant arrivés en un lieu devront s'informer des vices les plus communs pour y apporter remède, et en interrompre le cours. Les pasteurs devront se rassembler de six mois en six mois, pour examiner si tous ont eu soin de visiter les malades, d'ordonner des collectes pour les secourir, en un mot, s'ils ont rempli les devoirs de leur charge sans reproche. S'il arrive quelque cas qui demande une assemblée avant les six mois pour décider quelque chose, comme pour appliquer quelque censure à un pasteur ou à un troupeau, ou pour quelque autre cas survenu, trois pasteurs avec quelques anciens pourront assembler un colloque pour cela. Enfin, les anciens exhorteront les fidèles d'avoir soin de tous les pasteurs que la divine providence leur enverra, tant pour leur sûreté que pour leur entretien.»

Cette pièce fondamentale, en ce qui touche l'histoire de la renaissance des Églises réformées en France, fut complétée par la troisième assemblée synodale qui se réunit le 2 mars 1717. Deux nouveaux membres y parurent, Montbonnoux de Bernis, l'ami de Ravanel, qui relia à la nouvelle Église la théocratie camisarde, et Pierre Carrière dit Corteis, originaire de Castagnols près Vialas dans les Cévennes, qui devait devenir, dans l'Église de Nîmes, un collaborateur de Court peut-être moins éclairé, mais aussi convaincu et aussi courageux que lui-même.

Cette assemblée ajouta aux articles de la discipline déjà en vigueur, les suivants: «Les pasteurs n'emploieront pas plus d'une heure, tout au plus cinq quarts d'heure, à leurs prédications; les sieurs Durand, Crotte et Court, prédicants, administreront jusqu'à nouvel ordre le sacrement de la sainte cène dans toutes les Églises où la prudence chrétienne le leur permettra; – on n'accordera aucun secours dans leurs souffrances à ceux qui se jetteront aveuglément dans le danger, soit en allant soit en revenant des assemblées religieuses, à cause de leur imprudence et témérité; mais on assistera, au contraire, de tout son pouvoir ceux qui se seront conduits selon la prudence chrétienne et que la providence divine aura appelés à souffrir, non seulement eux, mais encore leurs pères, mères, femmes et enfants. – S'il arrive que quelque pasteur, par un zèle précipité et une chaleur trop ardente, vienne à jeter témérairement ses frères dans le danger, il sera démis de sa charge, jusqu'à ce qu'il donne des preuves de sentiments plus sages, se conduisant selon la prudence chrétienne. – Les pasteurs ne convoqueront les assemblées que de huit en huit jours, si ce n'est dans le cas d'une dévotion extraordinaire, comme en un temps de jeûne et de cène. – Si un pasteur donne scandale à l'Église, soit par ses mauvaises moeurs, soit par sa conduite répréhensible et ne veut pas se soumettre à la discipline ecclésiastique et à l'instruction commune de ses frères, il sera proclamé partout, et même à la tête des assemblées, excommunié lui et tous ceux qui le soutiendront dans son impiété, jusqu'à ce qu'il obéisse au commandement de l'apôtre, qui dit: « Que les esprits des prophètes sont soumis aux prophètes » (1 Cor., XIV, 52).

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