Le pasteur Pank. - Le philosophe Ch. Secrétan. - Le professeur F. Godet.
Le pasteur berlinois Pank, de l'Église
Saint-Philippe, à son retour d'Oxford,
présenta sur la question du jour, à
la Conférence ecclésiastique
générale de Barmen, le 12 août
1875, un rapport publié plus tard en
brochure
(1).
D'emblée M. 0. Pank se
prononce sur la grande valeur du
réveil : « Le tronc et les
racines sont bons et divins quand bien même
il se trouverait quelques rameaux et quelques
feuilles malades. » Et tout le rapport
consistera à développer cette
pensée.
Il résume comme suit le
message d'Oxford, qui devient remarquablement clair
sous sa plume :
1° Le but poursuivi par Jésus, notre salut, n'est pas seulement notre justification mais aussi notre sanctification.
2° Dans la vie du plus grand nombre des croyants d'aujourd'hui on constate un fâcheux contraste entre la sanctification réclamée par l'Écriture et leur propre expérience. Ce déficit de vie spirituelle est la cause cachée de la désharmonie intérieure du chrétien et de la faiblesse collective de l'Église en face du monde.
3° La communion complète avec Christ qu'ordonne et promet l'Écriture, est possible. Le fait se réalise :a) par une consécration complète à Dieu ;
b) non par notre force mais par une foi qui s'attend fermement au Seigneur.4° Dans cette étroite communion avec Christ le chrétien parvient :
a) en veillant continuellement, à se libérer de tout péché conscient ;
b) à demeurer dans une paix ininterrompue ;
c) à recevoir le Saint-Esprit dans une mesure beaucoup plus grande que par le passé.5° Règles pratiques :
a) Ne pas se mettre en souci pour l'avenir, mais croire maintenant que Jésus me sauve de moment en moment par sa force préservatrice ;
b) Commencer tout de suite l'expérience.
Tout serait à citer dans ce rapport, mais
il faut nous borner.
« .... Nous qui ne
consacrons à la sanctification qu'un simple
paragraphe de nos dogmatiques ou une petite heure
de nos cours d'instruction religieuse, nous sommes
mal venus à nous plaindre que P. Smith la
prêche exclusivement. Souvenons-nous qu'il
parle à des chrétiens chez lesquels
le fondement des autres vérités a
déjà été posé.
Il n'existe pas de berger qui puisse parcourir
à lui seul avec son troupeau toute la
prairie de l'Écriture. Un message
spécial lui a été
imposé ; c'est ce qui fait sa vocation
et sa force....
.... Il ne faut pas nous
tromper,
quand Paul affirme de quelqu'un qu'il
« est en Christ » il
veut dire tout simplement qu'il
est chrétien ; Jean l'exprime en disant
« avoir communion avec Lui » ou
« demeurer en Lui » et
être chrétien ce n'est pas moins que
cela. Ces expressions me paraissent rendre plus
exactement la doctrine d'Oxford que le terme
généralement employé de
« sanctification par la
foi ».
.... Autre chose est, par
humilité et en présence de la
sainteté que Dieu réclame, de se
reconnaître encore douloureusement
éloigné du but à atteindre,
puis de se relever plein de foi et de marcher dans
la lumière reçue, ou bien de
persister à demeurer en dehors de la voie
que l'Écriture indique et refuser de faire
le loyal essai d'une complète sanctification
en en contestant d'avance la réussite.
L'affirmation tant de fois
répétée que nous sommes
partout et toujours des pécheurs, que nous
ne pouvons pas respirer sans pécher à
paralysé cette autre
vérité : « A Dieu ne
plaise que nous demeurions dans le
péché ! »
Ni Smith, ni les promoteurs du
réveil n'entendent nier la tentation, ses
dangers, ou la nécessité du combat,
mais ce qu'ils nient énergiquement c'est la
nécessité de la défaite.
Réel est le danger, mais réelle aussi
la victoire de la foi. C'est par la victoire sur le
péché qu'on arrive au plein repos de
l'âme. »
Après le pasteur berlinois il
est intéressant d'entendre dans ce
débat le philosophe Charles
Secrétan.
P. Smith n'écrivit rien de
complet sur sa doctrine. C'étaient
plutôt des articles de journaux ou de courts
opuscules qui prenaient leur vol. Cependant il est
une brochure qui, par sa longueur et surtout par le
sujet qu'elle traite, peut être
envisagée comme le résumé de
la pensée de P. Smith, c'est : La
Sainteté par la foi (2), que
traduisit
incognito Charles Secrétan
lui-même et sur laquelle il fit
paraître une courte étude dans le Chrétien évangélique
(3).
Tout d'abord, constate le
philosophe
lausannois, « la sainteté que
l'auteur promet au vrai fidèle dès
ici-bas n'est pas l'impeccabilité :
elle consiste dans un progrès continu de
lumière en lumière, durant lequel le
croyant restera constamment fidèle à
la connaissance variable qu'il
possède ».
Un autre point que note
Secrétan c'est que « cette
sainteté relative et progressive n'est pas
un bénéfice acquis une fois pour
toutes par un acte instantané ».
Non, la sanctification doit
être incessamment renouvelée dans
l'âme pour y subsister, et la condition de la
grâce permanente, c'est la
persévérance dans la foi. La
condition du fidèle est donc toujours
précaire et s'il persiste dans la communion
avec Dieu, c'est l'effet d'un miracle toujours
nouveau. Cependant, on voit bien que M. Smith fait
une différence entre l'acquisition et la
conservation de la foi sanctifiante, probablement
parce qu'il considère la première
comme plus difficile que la seconde. Et en effet,
pour croire que désormais nous ne
pécherons plus contre notre conscience, il
faut contredire toute l'analogie de nos
expériences précédentes,
tandis qu'une fois en possession de ce bienheureux
privilège, notre confiance dans les
promesses divines s'aidera de l'expérience
des fruits déjà
récoltés. Quoi qu'il en soit, M.
Smith ne fait entendre nulle part qu'il soit
certain de ne plus pécher
lui-même ; il
reconnaît expressément, au contraire,
avoir péché depuis qu'il a
reçu le don de la sanctification ; ce
qu'il dit, c'est que s'attendre à
pécher c'est conniver avec le
péché, préparer sa propre
défaite. »
Secrétan reconnaît avec
une bonne foi parfaite que Smith ne s'adresse
qu'aux coeurs avides de sainteté, qui ont
déjà combattu, qui ont
déjà souffert pour obtenir la
sainteté. Il suppose donc implicitement de
sérieux efforts antérieurs chez ceux
auxquels il apporte son message. Il ne nous
conseille pas de renoncer à l'effort, mais
de l'appliquer sur un autre point. Au lieu de
chercher à nous sanctifier nous-mêmes
pour l'amour de Celui qui nous a sauvés, il
veut que nous lui laissions le soin de nous
sanctifier ; mais il entend par là que
nous continuions à vouloir la sanctification
par-dessus toute chose, et que nous nous attachions
à croire fermement, résolument et
constamment, en dépit de tous les souvenirs
et de toutes les apparences, que Dieu nous fait
déjà surmonter la tentation
présente et qu'il nous fera marcher de
vérité en vérité. Et,
en effet, croire de coeur que Dieu nous fait
vaincre une tentation, n'est-ce pas
déjà l'avoir
surmontée ?
« .... Bornée
à son trait essentiel, affirme-t-il encore,
la doctrine du Réveil d'Oxford me
paraît irréprochable. Que la
perfection de la personne, de l'être moral,
que la sainteté soit la grande affaire,
l'unique affaire, il n'est pas possible d'en douter
lorsqu'on croit en Dieu, lorsqu'on croit en
soi : la sainteté c'est ce que Dieu
veut, c'est ce que Dieu est ; une religion qui
finalement nous dispenserait de la sainteté
serait une chose mauvaise....
.... La sainteté pour
laquelle on rend grâces,
n'est qu'une sainteté
relative aux lumières de celui qui l'a
reçue ; elle consiste à ne pas
pécher sciemment. Si la conscience n'est pas
suffisamment éclairée, il peut
arriver qu'un homme déclare de la meilleure
foi du monde qu'à sa connaissance il ne
pèche plus, tandis que ses voisins
trouveront peut-être, et non sans raison,
qu'il néglige tel de ses devoirs les plus
importants. Et si le cas est possible, tenons pour
certain qu'il se produira. En somme, les
grâces divines doivent rayonner du dedans. Si
ces grâces abondent au point de rendre un
homme à la fois parfaitement heureux et
parfaitement sage, il n'est pas besoin qu'il en
parle, on le verra bien. Peut-être même
le verra-t-on mieux s'il n'en parle
pas. »
Les déclarations du
philosophe lausannois sont fort instructives et
nous paraissent réfuter complètement
les objections de M. de Pressensé. Nous
retenons surtout cette parole comme un joyau :
« Une religion qui finalement nous
dispenserait de la sainteté serait une chose
mauvaise. »
Si quelqu'un était
préparé à parler avec
autorité et compréhension spirituelle
du réveil de sanctification c'était
Frédéric Godet, professeur de
théologie à la Faculté
indépendante de Neuchâtel. Quelques
mois auparavant, il avait publié ses Études bibliques sur le
Nouveau
Testament. De l'une d'entre elles,
intitulée : L'Oeuvre de
Jésus-Christ, l'auteur écrivait
à la fin de sa vie : « Si
jamais Dieu m'a donné quelque chose, je
crois que c'est ce que j'ai dit là
(4). »
Dans la seconde partie de cette
étude : Christ en nous, Godet
expose magistralement l'apparition et le
développement de la vie nouvelle dans le
croyant : « Notre
sainteté ce n'est pas proprement nous
changeant et devenant meilleurs ; car,
après cinquante ans de travail fidèle
il nous arrive de nous retrouver tout à
coup, dès que notre propre nature reprend le
dessus, aussi mauvais qu'un demi-siècle
auparavant ; c'est bien plutôt Lui naissant et
grandissant en nous, de
manière à remplir notre coeur et
à bannir graduellement notre moi naturel,
notre vieil homme, qui, lui, ne s'améliore
pas, et n'a autre chose à faire qu'à
périr.
Comment s'opère dans la
pratique cette espèce d'incarnation par
laquelle Christ devient lui-même notre
nouveau moi ? Par un procédé
libre et moral, que Jésus a décrit
dans une parole qui nous étonne, parce
qu'elle met sa sanctification presque sur le
même pied que la nôtre :
« Comme le Père qui est vivant m'a
envoyé et que je vis par le Père,
ainsi celui qui me mange, lui aussi, vivra par
moi. »
(Jean
VI, 57.) Jésus se
nourrissait du Père qui l'avait
envoyé, et vivait par lui. Cela signifie
sans doute que chaque fois qu'il devait agir ou
parler, il commençait par s'effacer
lui-même, puis il laissait le Père
vouloir, penser, agir, être tout en lui.
Pareillement, lorsque nous
sommes
appelés à faire un acte ou à
prononcer une parole, nous devons commencer par
nous annuler nous-mêmes en face de
Jésus, et après avoir supprimé
en nous, par un acte énergique, tout
désir propre, toute pensée propre,
toute activité propre, laisser Jésus
déployer en nous sa volonté, sa
sagesse, sa force. C'est ainsi que nous vivons par
lui, comme il vivait par le Père, que nous
le mangeons (c'est l'image dont il se sert),
comme il se nourrissait du Père. Le
procédé de Jésus et le
nôtre sont identiques. Seulement celui de
Jésus se rapportait
directement à Dieu, parce qu'il était
en communion immédiate avec lui, tandis que
le nôtre s'adresse à Jésus,
parce que c'est avec lui que le croyant communique
immédiatement et par lui seulement que nous
trouvons et possédons le
« Père qui est vivant ».
Là est le secret, généralement
si peu compris, de la sanctification
chrétienne
(5). »
Le passage Romains
VI, 11 :
« Ainsi vous aussi,
considérez-vous comme morts au
péché et vivants à Dieu en
Christ Jésus, notre Seigneur », la
clé de la sanctification chrétienne,
F. Godet l'interprétait de la même
manière que les promoteurs du
réveil :
« L'apôtre veut
dire, écrit-il : En conséquence
de ce que vous contemplez en Jésus, voici le
point de vue auquel vous devez désormais
vous placer, quand vous vous envisagez
vous-mêmes. Il ne faut plus vous voir tels
que vous êtes naturellement : esclaves
du péché, morts à Dieu. Il
faut vous envisager tels que vous êtes en
Christ ; morts au péché, vivants
à Dieu. En dehors et au-dessus du vieil
homme qui vit encore, le croyant possède un
moi nouveau, un avec Christ, qui vit
déjà en Lui, ce moi a rompu avec le
péché, il est sincèrement
consacré à Dieu.... La simple
moralité naturelle dit à
l'homme : « Deviens ce que tu dois
être ». La sanctification
chrétienne dit au croyant :
« Deviens ce que tu es en Christ. Elle
met ainsi à la base du travail moral un fait
positif auquel le fidèle peut venir et
revenir de nouveau à chaque instant. Et
c'est là la raison pour laquelle son travail
ne se perd pas en une stérile aspiration et
n'aboutit pas au découragement.... On ne se
sépare pas peu à
peu du péché. On rompt avec lui en
Christ une fois pour toutes. On se place par un
acte décisif de la volonté dans la
sphère de la sainteté parfaite ;
et c'est en dedans de celle-ci que s'opère
le travail de la sanctification, le renouvellement
graduel de la vie personnelle
(6). »
C'est à la Revue de
Montauban (7), dans une
analyse
détaillée de la déclaration de
principes publiée par M. Th. Monod : De quoi il s'agit,
que F. Godet donna toute
sa pensée sur le réveil de
sanctification.
Le professeur neuchâtelois
affirme très nettement qu'il ne s'agit pas,
en effet, d'un enseignement nouveau mais d'une
expérience nouvelle de la
vérité ancienne. Le nouveau
réveil est venu dire à des
chrétiens abattus, qui ne combattaient plus
avec énergie parce qu'ils
n'espéraient plus vaincre :
« La victoire est à vous, le
Vainqueur vit. Ce n'est pas vous, c'est lui qui,
pendant qu'il était sur la terre, dans une
chair semblable à la nôtre,
« a condamné le
péché dans la
chair » ; c'est lui qui a dit :
« Je me sanctifie moi-même pour eux
afin qu'eux aussi soient sanctifiés en
vérité. »
Le vrai moyen de sanctification
c'est l'attitude à la fois réceptive
et active par laquelle la volonté de l'homme
se fait à chaque instant l'organe de la
volonté de Christ qui, lui prêtant sa
force, accomplit ainsi par elle le devoir de la
situation donnée.
« Il y a une
contradiction
singulière dans les reproches qu'on adresse
à ce mouvement. D'un côté on
lui reproche d'être quiétiste et de
l'autre on lui fait un grief de cet acte
énergique et décisif qu'il
réclame avant tout, sous
le nom de consécration. La condition
indispensable à remplir, du
côté de l'homme, pour devenir l'organe
de l'action de Dieu, c'est de commencer par se
mettre une fois sérieusement sous cette
action en faisant à Dieu le sacrifice absolu
de tout ce qui nous sépare de lui dans notre
coeur et dans notre conduite ; puis de nous
remettre toujours de nouveau sous cette action, car
rien n'est fait une fois pour toutes dans la vie
spirituelle. Ce qui est fait aujourd'hui et ne se
refait pas demain, commence à se
défaire. Dans et par cet être ainsi
consacré, Dieu agit : « Vous
en moi, moi en vous », disait
Jésus. « Vous en moi »
c'est l'être humain consacré se
détachant du sol naturel, le moi, la vie
propre, pour se transplanter en Christ.
« Moi en vous », c'est Christ
descendant dans l'être consacré et
déployant sa force dans ce coeur ouvert
à lui. »
« Ce qui fait la force
de
ce mouvement, ajoute M. Godet, c'est que cet
enseignement apparaît chez plusieurs comme un
fait
expérimenté. »
Si F. Godet rendait ainsi
publiquement témoignage aux bienfaits du
mouvement de sanctification ; si, chose plus
remarquable encore, l'enseignement du professeur
neuchâtelois et celui des promoteurs du
réveil apparaissaient comme spirituellement
unis quoique un peu différemment
exprimés, cependant Godet n'approuvait pas
toutes les méthodes de propagation du
réveil d'Oxford.
« Les expressions
hasardées et inexactes, affirme-t-il, les
moyens d'excitation factice, les promesses
exagérées n'ont pas toujours
manqué. Ce sont surtout ces dernières
qui nous ont paru dangereuses, parce qu'elles
doivent conduire à des déceptions et
aboutissent ainsi à de nouveaux découragements.
Les vives expériences faites
par les premiers témoins du mouvement ne
sont pas de nature à se reproduire telles
quelles chez le plus grand nombre de ceux à
qui on les expose comme des faits à la
portée immédiate de tous. Il y avait
chez ceux qui les firent les premiers des besoins
déjà réveillés, des
luttes antérieures, de profondes
aspirations, une préparation spirituelle en
un mot, qui donne pour eux un relief, un prix, une
efficacité incomparables aux
vérités dont nous parlions tout
à l'heure, tandis que la masse de ceux
à qui on les prêche dans les
réunions dites de
« consécration » n'ayant
point encore subi une préparation pareille,
se trouvent hors d'état de les
expérimenter avec la même
intensité, et font bientôt la triste
expérience que rien n'est
décidément changé dans leur
vie.
Alors ils se demandent ce que
sont
devenues les promesses de paix inaltérable,
de luttes toujours victorieuses, de douleurs
toujours consolées qu'on leur avait faites
et que les cantiques de réveil leur avaient
mises sur les lèvres. Et quand, à la
suite de ce qu'on avait cru être une
consécration définitive, le
péché se montre de nouveau dans
quelque acte d'une poignante réalité,
que deviennent les espérances
surexcitées ? Il y a là, ce nous
semble, un avertissement sérieux pour ceux
qui se trouvent appelés à diriger ce
mouvement.... Puissent-ils s'appliquer à
demeurer fidèles aux Écritures !
Nous demandons au Seigneur, de tout notre coeur,
qu'il soit leur lumière et leur force dans
l'oeuvre importante qu'il leur a confiée, en
sorte qu'ils puissent toujours dire comme saint
Paul : « Grâces à Dieu,
qui nous fait partout triompher en Christ et qui
manifeste par nous l'odeur de sa connaissance en
tout
lieu. »
Tout en partageant la pensée
profonde du réveil - quoique avec des
réserves de méthodes - F. Godet
différait des propagateurs du mouvement dans
l'interprétation de Romains VII. Comme ce
chapitre a été très
discuté à ce moment-là, nous
rappellerons brièvement les trois
interprétations qui en furent
proposées.
Tout d'abord F. Godet et P.
Smith se
rencontrent pour affirmer que l'état
décrit dans Romains VII ne peut pas
être l'état normal du chrétien.
Mais quand Paul a-t-il « commis le mal
qu'il ne voulait pas faire sans pouvoir accomplir
le bien qu'il désirait
faire » ? Quand était-il le
captif de cette « loi du
péché agissant dans ses membres et
luttant contre la loi de son
intelligence » ? Voilà la
question.
Selon P. Smith l'apôtre
présente ici le récit d'une triste
expérience faite un certain temps
après sa conversion, en se livrant à
la tentative de se rendre parfait par ses efforts
propres de telle sorte qu'à la suite de
cette aberration le péché reprit vie
en lui ; il se vit privé
momentanément de sa communion intime avec
Christ par conséquent aussi de sa victoire
sur le péché
(8).
Et P. Smith faisait
l'application de
cet état aux chrétiens
justifiés mais non
sanctifiés.
Tandis que F. Godet
(9) envisage
que
Paul parle ici du temps où, pharisien
sincère, il essayait loyalement mais sans
succès de pratiquer la loi de Dieu....
« Paul, affirme M. Godet, ne peut avoir
laissé se relâcher le lien qui
l'unissait à Christ après sa
conversion. L'apôtre ne parle ici ni de
l'homme naturel dans son
état d'ignorance et de péché
volontaire, ni de l'enfant de Dieu, né de
nouveau, affranchi par la grâce et
animé de l'Esprit de Christ, mais de l'homme
dont la conscience réveillée par la
loi a engagé avec sincérité,
avec crainte et avec tremblement, mais encore avec
ses propres forces la lutte
désespérée contre le mal, tout
en ajoutant que dans nos circonstances actuelles,
la loi qui réveille ainsi la conscience et
l'appelle à la lutte contre le
péché, c'est la connaissance de
l'Evangile et de Jésus-Christ - avec ses
promesses et ses menaces - dès qu'on l'isole
de la justification en lui et de la sanctification
par lui. »
Ainsi pour P. Smith l'état
décrit par Paul dans Romains
VII, c'est l'état du
converti qui, tenaillé par les obligations
de Romains
VI, lutte
désespérément, sans
succès, jusqu'à ce qu'enfin,
après avoir saisi sa sanctification en
Christ par la foi comme sa justification, il
devient capable de réaliser Romains
VIII.
Tandis que Frédéric
Godet, au contraire, envisage la vraie conversion
comme une prise de possession de la sanctification
en même temps que de la justification, et
Romains VII comme l'état du chrétien
de nom, déjà réveillé
dans sa conscience par la fréquentation des
cultes, par les habitudes religieuses, qui lutte
contre ses penchants mais qui n'a pas encore
passé par la vraie conversion.
M. Gustave Rosselet, alors
pasteur
à Cortaillod, entra dans le débat qui
s'était ouvert à ce sujet dans le
Journal religieux et donna cette troisième
interprétation : Romains VII
décrit ce que le chrétien est
toujours en soi-même. Réduit à
ses propres forces, l'homme le mieux disposé
ne fera pas d'autres expériences que celles
de Romains VII, soit qu'il ne soit pas encore
parvenu à la possession de
« Christ en lui », soit qu'il
soit déchu, consciemment ou inconsciemment,
de l'attitude divine. Au contraire, dans le
chapitre VIII, l'apôtre montre l'oeuvre de
Dieu, les merveilles de la grâce, dans ce
pauvre « moi » du chapitre VII.
Ainsi G. Rosselet se sépare et de P. Smith
et de Godet qui tous les deux font de Romains
VII une marche d'escalier
dépassée, l'un par la sanctification,
l'autre par la conversion, et il place Romains
VII à
côté de Romains
VIII d'une manière
inséparable. Le premier c'est
« moi-homme »
(10), quand
je
suis, pour une cause ou pour une autre,
réduit à moi-même aussi bien
avant qu'après la conversion et à
toutes les étapes de la sanctification. Le
second, c'est « moi-en
Christ », revêtu de toutes ses
capacités et de tous ses
privilèges.
Entre P. Smith et Godet il n'y a
pas
une manière très différente
d'envisager la conversion et la
consécration. Pour Godet les deux actes sont
réunis, tandis que Smith les sépare.
En théorie Godet dit vrai, la Bible ne
connaît qu'une conversion, bouleversante, qui
conduit d'un coup à travers la repentance,
la réconciliation avec Dieu, la
régénération, la vie nouvelle
jusqu'à l'appropriation de l'oeuvre de Dieu
tout entière par le Saint-Esprit. La vie
chrétienne de ceux qui ont passé par
une telle expérience ne consiste plus
qu'à conserver, développer et
communiquer ce trésor. Ce fut le chemin de
saint Paul, celui des âmes
d'élite.
Pratiquement, pour nous, la
foule
des anonymes qui marchons
péniblement, les étapes
indiquées par P. Smith et par le
réveil d'Oxford sont plus habituelles. Leur
distinction met une singulière clarté
dans notre vie spirituelle et nous facilite
l'ascension.
Après une conversion bien
faible, suivie de reculs et de reconversions
successives, nous avons enfin saisi le Sauveur pour
notre justification et puis, d'heure sainte en
heure sainte, par une consécration à
réitérées fois
renouvelée, nous arrivons enfin à
l'accepter par la foi pour notre sanctification.
Béni soit Dieu de ce qu'il y a des forces en
Christ et des interprétations scripturaires
pour tous les états spirituels et pour tous
les tempéraments. Le bon Berger prend soin
de sa brebis et lui réserve des abris au fur
et à mesure que fidèlement, elle
gravit avec Lui le sommet. L'essentiel est de
croire que « celui qui a commencé
cette bonne oeuvre en nous l'achèvera
aussi ».
En dépit de
légères divergences d'opinions, de
certaines critiques, même de boutades un peu
dures, F. Godet a été dans nos pays
un vigoureux propagateur du réveil d'Oxford.
Il en a pris la défense dans un écrit
spécial, il en a déposé le
germe par son action personnelle dans le coeur de
ses disciples, il en a assuré
théologiquement les bases par les
interprétations si scientifiquement
évangéliques de ses commentaires.
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