Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XVI

Quelques défenseurs du mouvement.

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Le pasteur Pank. - Le philosophe Ch. Secrétan. - Le professeur F. Godet.


Le pasteur berlinois Pank, de l'Église Saint-Philippe, à son retour d'Oxford, présenta sur la question du jour, à la Conférence ecclésiastique générale de Barmen, le 12 août 1875, un rapport publié plus tard en brochure (1).

D'emblée M. 0. Pank se prononce sur la grande valeur du réveil : « Le tronc et les racines sont bons et divins quand bien même il se trouverait quelques rameaux et quelques feuilles malades. » Et tout le rapport consistera à développer cette pensée.
Il résume comme suit le message d'Oxford, qui devient remarquablement clair sous sa plume :

1° Le but poursuivi par Jésus, notre salut, n'est pas seulement notre justification mais aussi notre sanctification.

2° Dans la vie du plus grand nombre des croyants d'aujourd'hui on constate un fâcheux contraste entre la sanctification réclamée par l'Écriture et leur propre expérience. Ce déficit de vie spirituelle est la cause cachée de la désharmonie intérieure du chrétien et de la faiblesse collective de l'Église en face du monde.

3° La communion complète avec Christ qu'ordonne et promet l'Écriture, est possible. Le fait se réalise :

a) par une consécration complète à Dieu ;
b) non par notre force mais par une foi qui s'attend fermement au Seigneur.

4° Dans cette étroite communion avec Christ le chrétien parvient :

a) en veillant continuellement, à se libérer de tout péché conscient ;
b) à demeurer dans une paix ininterrompue ;
c) à recevoir le Saint-Esprit dans une mesure beaucoup plus grande que par le passé.

5° Règles pratiques :

a) Ne pas se mettre en souci pour l'avenir, mais croire maintenant que Jésus me sauve de moment en moment par sa force préservatrice ;
b) Commencer tout de suite l'expérience.

Tout serait à citer dans ce rapport, mais il faut nous borner.
« .... Nous qui ne consacrons à la sanctification qu'un simple paragraphe de nos dogmatiques ou une petite heure de nos cours d'instruction religieuse, nous sommes mal venus à nous plaindre que P. Smith la prêche exclusivement. Souvenons-nous qu'il parle à des chrétiens chez lesquels le fondement des autres vérités a déjà été posé. Il n'existe pas de berger qui puisse parcourir à lui seul avec son troupeau toute la prairie de l'Écriture. Un message spécial lui a été imposé ; c'est ce qui fait sa vocation et sa force....

.... Il ne faut pas nous tromper, quand Paul affirme de quelqu'un qu'il « est en Christ » il veut dire tout simplement qu'il est chrétien ; Jean l'exprime en disant « avoir communion avec Lui » ou « demeurer en Lui » et être chrétien ce n'est pas moins que cela. Ces expressions me paraissent rendre plus exactement la doctrine d'Oxford que le terme généralement employé de « sanctification par la foi ».

.... Autre chose est, par humilité et en présence de la sainteté que Dieu réclame, de se reconnaître encore douloureusement éloigné du but à atteindre, puis de se relever plein de foi et de marcher dans la lumière reçue, ou bien de persister à demeurer en dehors de la voie que l'Écriture indique et refuser de faire le loyal essai d'une complète sanctification en en contestant d'avance la réussite. L'affirmation tant de fois répétée que nous sommes partout et toujours des pécheurs, que nous ne pouvons pas respirer sans pécher à paralysé cette autre vérité : « A Dieu ne plaise que nous demeurions dans le péché ! »

Ni Smith, ni les promoteurs du réveil n'entendent nier la tentation, ses dangers, ou la nécessité du combat, mais ce qu'ils nient énergiquement c'est la nécessité de la défaite. Réel est le danger, mais réelle aussi la victoire de la foi. C'est par la victoire sur le péché qu'on arrive au plein repos de l'âme. »

Après le pasteur berlinois il est intéressant d'entendre dans ce débat le philosophe Charles Secrétan.
P. Smith n'écrivit rien de complet sur sa doctrine. C'étaient plutôt des articles de journaux ou de courts opuscules qui prenaient leur vol. Cependant il est une brochure qui, par sa longueur et surtout par le sujet qu'elle traite, peut être envisagée comme le résumé de la pensée de P. Smith, c'est : La Sainteté par la foi (2), que traduisit incognito Charles Secrétan lui-même et sur laquelle il fit paraître une courte étude dans le Chrétien évangélique (3).

Tout d'abord, constate le philosophe lausannois, « la sainteté que l'auteur promet au vrai fidèle dès ici-bas n'est pas l'impeccabilité : elle consiste dans un progrès continu de lumière en lumière, durant lequel le croyant restera constamment fidèle à la connaissance variable qu'il possède ».

Un autre point que note Secrétan c'est que « cette sainteté relative et progressive n'est pas un bénéfice acquis une fois pour toutes par un acte instantané ».

Non, la sanctification doit être incessamment renouvelée dans l'âme pour y subsister, et la condition de la grâce permanente, c'est la persévérance dans la foi. La condition du fidèle est donc toujours précaire et s'il persiste dans la communion avec Dieu, c'est l'effet d'un miracle toujours nouveau. Cependant, on voit bien que M. Smith fait une différence entre l'acquisition et la conservation de la foi sanctifiante, probablement parce qu'il considère la première comme plus difficile que la seconde. Et en effet, pour croire que désormais nous ne pécherons plus contre notre conscience, il faut contredire toute l'analogie de nos expériences précédentes, tandis qu'une fois en possession de ce bienheureux privilège, notre confiance dans les promesses divines s'aidera de l'expérience des fruits déjà récoltés. Quoi qu'il en soit, M. Smith ne fait entendre nulle part qu'il soit certain de ne plus pécher lui-même ; il reconnaît expressément, au contraire, avoir péché depuis qu'il a reçu le don de la sanctification ; ce qu'il dit, c'est que s'attendre à pécher c'est conniver avec le péché, préparer sa propre défaite. »

Secrétan reconnaît avec une bonne foi parfaite que Smith ne s'adresse qu'aux coeurs avides de sainteté, qui ont déjà combattu, qui ont déjà souffert pour obtenir la sainteté. Il suppose donc implicitement de sérieux efforts antérieurs chez ceux auxquels il apporte son message. Il ne nous conseille pas de renoncer à l'effort, mais de l'appliquer sur un autre point. Au lieu de chercher à nous sanctifier nous-mêmes pour l'amour de Celui qui nous a sauvés, il veut que nous lui laissions le soin de nous sanctifier ; mais il entend par là que nous continuions à vouloir la sanctification par-dessus toute chose, et que nous nous attachions à croire fermement, résolument et constamment, en dépit de tous les souvenirs et de toutes les apparences, que Dieu nous fait déjà surmonter la tentation présente et qu'il nous fera marcher de vérité en vérité. Et, en effet, croire de coeur que Dieu nous fait vaincre une tentation, n'est-ce pas déjà l'avoir surmontée ?

« .... Bornée à son trait essentiel, affirme-t-il encore, la doctrine du Réveil d'Oxford me paraît irréprochable. Que la perfection de la personne, de l'être moral, que la sainteté soit la grande affaire, l'unique affaire, il n'est pas possible d'en douter lorsqu'on croit en Dieu, lorsqu'on croit en soi : la sainteté c'est ce que Dieu veut, c'est ce que Dieu est ; une religion qui finalement nous dispenserait de la sainteté serait une chose mauvaise....

.... La sainteté pour laquelle on rend grâces, n'est qu'une sainteté relative aux lumières de celui qui l'a reçue ; elle consiste à ne pas pécher sciemment. Si la conscience n'est pas suffisamment éclairée, il peut arriver qu'un homme déclare de la meilleure foi du monde qu'à sa connaissance il ne pèche plus, tandis que ses voisins trouveront peut-être, et non sans raison, qu'il néglige tel de ses devoirs les plus importants. Et si le cas est possible, tenons pour certain qu'il se produira. En somme, les grâces divines doivent rayonner du dedans. Si ces grâces abondent au point de rendre un homme à la fois parfaitement heureux et parfaitement sage, il n'est pas besoin qu'il en parle, on le verra bien. Peut-être même le verra-t-on mieux s'il n'en parle pas. »

Les déclarations du philosophe lausannois sont fort instructives et nous paraissent réfuter complètement les objections de M. de Pressensé. Nous retenons surtout cette parole comme un joyau : « Une religion qui finalement nous dispenserait de la sainteté serait une chose mauvaise. »

Si quelqu'un était préparé à parler avec autorité et compréhension spirituelle du réveil de sanctification c'était Frédéric Godet, professeur de théologie à la Faculté indépendante de Neuchâtel. Quelques mois auparavant, il avait publié ses Études bibliques sur le Nouveau Testament. De l'une d'entre elles, intitulée : L'Oeuvre de Jésus-Christ, l'auteur écrivait à la fin de sa vie : « Si jamais Dieu m'a donné quelque chose, je crois que c'est ce que j'ai dit là (4). »

Dans la seconde partie de cette étude : Christ en nous, Godet expose magistralement l'apparition et le développement de la vie nouvelle dans le croyant : « Notre sainteté ce n'est pas proprement nous changeant et devenant meilleurs ; car, après cinquante ans de travail fidèle il nous arrive de nous retrouver tout à coup, dès que notre propre nature reprend le dessus, aussi mauvais qu'un demi-siècle auparavant ; c'est bien plutôt Lui naissant et grandissant en nous, de manière à remplir notre coeur et à bannir graduellement notre moi naturel, notre vieil homme, qui, lui, ne s'améliore pas, et n'a autre chose à faire qu'à périr.

Comment s'opère dans la pratique cette espèce d'incarnation par laquelle Christ devient lui-même notre nouveau moi ? Par un procédé libre et moral, que Jésus a décrit dans une parole qui nous étonne, parce qu'elle met sa sanctification presque sur le même pied que la nôtre : « Comme le Père qui est vivant m'a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui qui me mange, lui aussi, vivra par moi. » (Jean VI, 57.) Jésus se nourrissait du Père qui l'avait envoyé, et vivait par lui. Cela signifie sans doute que chaque fois qu'il devait agir ou parler, il commençait par s'effacer lui-même, puis il laissait le Père vouloir, penser, agir, être tout en lui.

Pareillement, lorsque nous sommes appelés à faire un acte ou à prononcer une parole, nous devons commencer par nous annuler nous-mêmes en face de Jésus, et après avoir supprimé en nous, par un acte énergique, tout désir propre, toute pensée propre, toute activité propre, laisser Jésus déployer en nous sa volonté, sa sagesse, sa force. C'est ainsi que nous vivons par lui, comme il vivait par le Père, que nous le mangeons (c'est l'image dont il se sert), comme il se nourrissait du Père. Le procédé de Jésus et le nôtre sont identiques. Seulement celui de Jésus se rapportait directement à Dieu, parce qu'il était en communion immédiate avec lui, tandis que le nôtre s'adresse à Jésus, parce que c'est avec lui que le croyant communique immédiatement et par lui seulement que nous trouvons et possédons le « Père qui est vivant ». Là est le secret, généralement si peu compris, de la sanctification chrétienne (5). »

Le passage Romains VI, 11 : « Ainsi vous aussi, considérez-vous comme morts au péché et vivants à Dieu en Christ Jésus, notre Seigneur », la clé de la sanctification chrétienne, F. Godet l'interprétait de la même manière que les promoteurs du réveil :
« L'apôtre veut dire, écrit-il : En conséquence de ce que vous contemplez en Jésus, voici le point de vue auquel vous devez désormais vous placer, quand vous vous envisagez vous-mêmes. Il ne faut plus vous voir tels que vous êtes naturellement : esclaves du péché, morts à Dieu. Il faut vous envisager tels que vous êtes en Christ ; morts au péché, vivants à Dieu. En dehors et au-dessus du vieil homme qui vit encore, le croyant possède un moi nouveau, un avec Christ, qui vit déjà en Lui, ce moi a rompu avec le péché, il est sincèrement consacré à Dieu.... La simple moralité naturelle dit à l'homme : « Deviens ce que tu dois être ». La sanctification chrétienne dit au croyant : « Deviens ce que tu es en Christ. Elle met ainsi à la base du travail moral un fait positif auquel le fidèle peut venir et revenir de nouveau à chaque instant. Et c'est là la raison pour laquelle son travail ne se perd pas en une stérile aspiration et n'aboutit pas au découragement.... On ne se sépare pas peu à peu du péché. On rompt avec lui en Christ une fois pour toutes. On se place par un acte décisif de la volonté dans la sphère de la sainteté parfaite ; et c'est en dedans de celle-ci que s'opère le travail de la sanctification, le renouvellement graduel de la vie personnelle (6). »

C'est à la Revue de Montauban (7), dans une analyse détaillée de la déclaration de principes publiée par M. Th. Monod : De quoi il s'agit, que F. Godet donna toute sa pensée sur le réveil de sanctification.

Le professeur neuchâtelois affirme très nettement qu'il ne s'agit pas, en effet, d'un enseignement nouveau mais d'une expérience nouvelle de la vérité ancienne. Le nouveau réveil est venu dire à des chrétiens abattus, qui ne combattaient plus avec énergie parce qu'ils n'espéraient plus vaincre : « La victoire est à vous, le Vainqueur vit. Ce n'est pas vous, c'est lui qui, pendant qu'il était sur la terre, dans une chair semblable à la nôtre, « a condamné le péché dans la chair » ; c'est lui qui a dit : « Je me sanctifie moi-même pour eux afin qu'eux aussi soient sanctifiés en vérité. »

Le vrai moyen de sanctification c'est l'attitude à la fois réceptive et active par laquelle la volonté de l'homme se fait à chaque instant l'organe de la volonté de Christ qui, lui prêtant sa force, accomplit ainsi par elle le devoir de la situation donnée.
« Il y a une contradiction singulière dans les reproches qu'on adresse à ce mouvement. D'un côté on lui reproche d'être quiétiste et de l'autre on lui fait un grief de cet acte énergique et décisif qu'il réclame avant tout, sous le nom de consécration. La condition indispensable à remplir, du côté de l'homme, pour devenir l'organe de l'action de Dieu, c'est de commencer par se mettre une fois sérieusement sous cette action en faisant à Dieu le sacrifice absolu de tout ce qui nous sépare de lui dans notre coeur et dans notre conduite ; puis de nous remettre toujours de nouveau sous cette action, car rien n'est fait une fois pour toutes dans la vie spirituelle. Ce qui est fait aujourd'hui et ne se refait pas demain, commence à se défaire. Dans et par cet être ainsi consacré, Dieu agit : « Vous en moi, moi en vous », disait Jésus. « Vous en moi » c'est l'être humain consacré se détachant du sol naturel, le moi, la vie propre, pour se transplanter en Christ. « Moi en vous », c'est Christ descendant dans l'être consacré et déployant sa force dans ce coeur ouvert à lui. »

« Ce qui fait la force de ce mouvement, ajoute M. Godet, c'est que cet enseignement apparaît chez plusieurs comme un fait expérimenté. »

Si F. Godet rendait ainsi publiquement témoignage aux bienfaits du mouvement de sanctification ; si, chose plus remarquable encore, l'enseignement du professeur neuchâtelois et celui des promoteurs du réveil apparaissaient comme spirituellement unis quoique un peu différemment exprimés, cependant Godet n'approuvait pas toutes les méthodes de propagation du réveil d'Oxford.
« Les expressions hasardées et inexactes, affirme-t-il, les moyens d'excitation factice, les promesses exagérées n'ont pas toujours manqué. Ce sont surtout ces dernières qui nous ont paru dangereuses, parce qu'elles doivent conduire à des déceptions et aboutissent ainsi à de nouveaux découragements.

Les vives expériences faites par les premiers témoins du mouvement ne sont pas de nature à se reproduire telles quelles chez le plus grand nombre de ceux à qui on les expose comme des faits à la portée immédiate de tous. Il y avait chez ceux qui les firent les premiers des besoins déjà réveillés, des luttes antérieures, de profondes aspirations, une préparation spirituelle en un mot, qui donne pour eux un relief, un prix, une efficacité incomparables aux vérités dont nous parlions tout à l'heure, tandis que la masse de ceux à qui on les prêche dans les réunions dites de « consécration » n'ayant point encore subi une préparation pareille, se trouvent hors d'état de les expérimenter avec la même intensité, et font bientôt la triste expérience que rien n'est décidément changé dans leur vie.

Alors ils se demandent ce que sont devenues les promesses de paix inaltérable, de luttes toujours victorieuses, de douleurs toujours consolées qu'on leur avait faites et que les cantiques de réveil leur avaient mises sur les lèvres. Et quand, à la suite de ce qu'on avait cru être une consécration définitive, le péché se montre de nouveau dans quelque acte d'une poignante réalité, que deviennent les espérances surexcitées ? Il y a là, ce nous semble, un avertissement sérieux pour ceux qui se trouvent appelés à diriger ce mouvement.... Puissent-ils s'appliquer à demeurer fidèles aux Écritures ! Nous demandons au Seigneur, de tout notre coeur, qu'il soit leur lumière et leur force dans l'oeuvre importante qu'il leur a confiée, en sorte qu'ils puissent toujours dire comme saint Paul : « Grâces à Dieu, qui nous fait partout triompher en Christ et qui manifeste par nous l'odeur de sa connaissance en tout lieu. »

Tout en partageant la pensée profonde du réveil - quoique avec des réserves de méthodes - F. Godet différait des propagateurs du mouvement dans l'interprétation de Romains VII. Comme ce chapitre a été très discuté à ce moment-là, nous rappellerons brièvement les trois interprétations qui en furent proposées.

Tout d'abord F. Godet et P. Smith se rencontrent pour affirmer que l'état décrit dans Romains VII ne peut pas être l'état normal du chrétien. Mais quand Paul a-t-il « commis le mal qu'il ne voulait pas faire sans pouvoir accomplir le bien qu'il désirait faire » ? Quand était-il le captif de cette « loi du péché agissant dans ses membres et luttant contre la loi de son intelligence » ? Voilà la question.

Selon P. Smith l'apôtre présente ici le récit d'une triste expérience faite un certain temps après sa conversion, en se livrant à la tentative de se rendre parfait par ses efforts propres de telle sorte qu'à la suite de cette aberration le péché reprit vie en lui ; il se vit privé momentanément de sa communion intime avec Christ par conséquent aussi de sa victoire sur le péché (8).
Et P. Smith faisait l'application de cet état aux chrétiens justifiés mais non sanctifiés.

Tandis que F. Godet (9) envisage que Paul parle ici du temps où, pharisien sincère, il essayait loyalement mais sans succès de pratiquer la loi de Dieu.... « Paul, affirme M. Godet, ne peut avoir laissé se relâcher le lien qui l'unissait à Christ après sa conversion. L'apôtre ne parle ici ni de l'homme naturel dans son état d'ignorance et de péché volontaire, ni de l'enfant de Dieu, né de nouveau, affranchi par la grâce et animé de l'Esprit de Christ, mais de l'homme dont la conscience réveillée par la loi a engagé avec sincérité, avec crainte et avec tremblement, mais encore avec ses propres forces la lutte désespérée contre le mal, tout en ajoutant que dans nos circonstances actuelles, la loi qui réveille ainsi la conscience et l'appelle à la lutte contre le péché, c'est la connaissance de l'Evangile et de Jésus-Christ - avec ses promesses et ses menaces - dès qu'on l'isole de la justification en lui et de la sanctification par lui. »

Ainsi pour P. Smith l'état décrit par Paul dans Romains VII, c'est l'état du converti qui, tenaillé par les obligations de Romains VI, lutte désespérément, sans succès, jusqu'à ce qu'enfin, après avoir saisi sa sanctification en Christ par la foi comme sa justification, il devient capable de réaliser Romains VIII.

Tandis que Frédéric Godet, au contraire, envisage la vraie conversion comme une prise de possession de la sanctification en même temps que de la justification, et Romains VII comme l'état du chrétien de nom, déjà réveillé dans sa conscience par la fréquentation des cultes, par les habitudes religieuses, qui lutte contre ses penchants mais qui n'a pas encore passé par la vraie conversion.

M. Gustave Rosselet, alors pasteur à Cortaillod, entra dans le débat qui s'était ouvert à ce sujet dans le Journal religieux et donna cette troisième interprétation : Romains VII décrit ce que le chrétien est toujours en soi-même. Réduit à ses propres forces, l'homme le mieux disposé ne fera pas d'autres expériences que celles de Romains VII, soit qu'il ne soit pas encore parvenu à la possession de « Christ en lui », soit qu'il soit déchu, consciemment ou inconsciemment, de l'attitude divine. Au contraire, dans le chapitre VIII, l'apôtre montre l'oeuvre de Dieu, les merveilles de la grâce, dans ce pauvre « moi » du chapitre VII. Ainsi G. Rosselet se sépare et de P. Smith et de Godet qui tous les deux font de Romains VII une marche d'escalier dépassée, l'un par la sanctification, l'autre par la conversion, et il place Romains VII à côté de Romains VIII d'une manière inséparable. Le premier c'est « moi-homme » (10), quand je suis, pour une cause ou pour une autre, réduit à moi-même aussi bien avant qu'après la conversion et à toutes les étapes de la sanctification. Le second, c'est « moi-en Christ », revêtu de toutes ses capacités et de tous ses privilèges.

Entre P. Smith et Godet il n'y a pas une manière très différente d'envisager la conversion et la consécration. Pour Godet les deux actes sont réunis, tandis que Smith les sépare. En théorie Godet dit vrai, la Bible ne connaît qu'une conversion, bouleversante, qui conduit d'un coup à travers la repentance, la réconciliation avec Dieu, la régénération, la vie nouvelle jusqu'à l'appropriation de l'oeuvre de Dieu tout entière par le Saint-Esprit. La vie chrétienne de ceux qui ont passé par une telle expérience ne consiste plus qu'à conserver, développer et communiquer ce trésor. Ce fut le chemin de saint Paul, celui des âmes d'élite.

Pratiquement, pour nous, la foule des anonymes qui marchons péniblement, les étapes indiquées par P. Smith et par le réveil d'Oxford sont plus habituelles. Leur distinction met une singulière clarté dans notre vie spirituelle et nous facilite l'ascension.

Après une conversion bien faible, suivie de reculs et de reconversions successives, nous avons enfin saisi le Sauveur pour notre justification et puis, d'heure sainte en heure sainte, par une consécration à réitérées fois renouvelée, nous arrivons enfin à l'accepter par la foi pour notre sanctification. Béni soit Dieu de ce qu'il y a des forces en Christ et des interprétations scripturaires pour tous les états spirituels et pour tous les tempéraments. Le bon Berger prend soin de sa brebis et lui réserve des abris au fur et à mesure que fidèlement, elle gravit avec Lui le sommet. L'essentiel est de croire que « celui qui a commencé cette bonne oeuvre en nous l'achèvera aussi ».

En dépit de légères divergences d'opinions, de certaines critiques, même de boutades un peu dures, F. Godet a été dans nos pays un vigoureux propagateur du réveil d'Oxford. Il en a pris la défense dans un écrit spécial, il en a déposé le germe par son action personnelle dans le coeur de ses disciples, il en a assuré théologiquement les bases par les interprétations si scientifiquement évangéliques de ses commentaires.


1) Die Heiligung durch den Glauben, im Blick auf die Oxforder Bewegung. Barmen 1875. Firma : J.-F. Steinhaus.

2) R. P. Smith. Lausanne, Arthur Imer, 1875. Traduit de l'anglais.

3) Chrétien évangélique, 1875, p. 535-537.

4) F. Godet, par Philippe Godet. Neuchâtel 1913, p. 431.

5) Études bibliques du Nouveau Testament. Christ en nous, p. 175-186.

6) Commentaire sur l'Épître aux Romains, t. II, p. 38, 39.

7) Année 1876, p. 341 sq.

8) Servitude et Liberté, par P. Smith. Neuchâtel, J. Sandoz, 1875, p. 14.

9) Commentaire sur l'Épître aux Romains, t. II, p. 133 sq.

10) Nos versions devraient traduire : « Malheureux, moi homme, qui me délivrera de ce corps de mort ? » (Rom. VII, 24). Ce « moi-homme » c'est la clé de tout le passage.
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