Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XV

Les objections au mouvement.

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Les objections du professeur Beck et de Edmond de Pressensé.


Il n'entre pas dans le cadre de ce travail de mentionner toutes les discussions publiques qui ont pris naissance autour du réveil d'Oxford. Nous en avons du reste déjà cité quelques-unes en Suisse et en Allemagne.

À toutes les réunions pastorales et synodales, la question de la sanctification était discutée avec un souci évident d'impartialité par les uns, avec âpreté par les autres. Un mot malheureux, échappé à l'un des promoteurs du mouvement, était colporté, grossi, même dénaturé. La médisance et la malveillance n'ont pas toujours été évitées par ceux-là mêmes qui, plus que d'autres et par la nature même de leur vocation, sont appelés à demeurer modérés et charitables.

D'autre part le mouvement d'Oxford a trouvé de chaleureux défenseurs, de vigoureux champions en dehors même du cercle de ceux qui s'y étaient rattachés. Tel professeur, sans avoir passé personnellement par les expériences des propagateurs attitrés du réveil et tout en faisant ses réserves, donnera publiquement raison à ceux qui lui paraissaient mettre en pratique l'Écriture dans son sens le plus complet.

Il est certain que plusieurs des critiques dont le mouvement d'Oxford a été l'objet lui ont été fort utiles, en soulignant ses points faibles et en indiquant à ses conducteurs les récifs sur lesquels ils couraient le danger de se jeter. En fin de compte le bon grain du réveil est sorti du crible plus pur de balle, plus nourrissant et plus apte à la germination.

Tandis qu'en Écosse, le modérateur de l'Église libre, M. Stuart, dans le discours qui clôturait la session synodale de 1875, concluait au danger que le réveil d'Oxford faisait courir à la simplicité de l'Évangile, le professeur Rambert de l'Église libre, à Lausanne, présentait, le 8 novembre 1875, à la Société vaudoise de théologie, un travail très sympathique au mouvement, malgré certaines réserves de méthode.

Dans cette séance, M. Th. Rivier prit chaudement la défense de P. Smith :
« Ni P. Smith, ni ses amis, disait-il, n'ont songé à faire de la théologie. Ils ont, le premier surtout, exposé leurs expériences et l'honorable commerçant de Philadelphie avoue franchement qu'il peut se tromper dans l'expression qu'il donne à ses affirmations. »

Le pasteur Buscarlet fit remarquer à ce propos que les promoteurs du mouvement « se sont rectifiés l'un par l'autre, ce qui s'était déjà produit chez les apôtres et les réformateurs (1). »

Nous ne nous arrêterons pas à relever les coups portés au mouvement d'Oxford par le rationalisme sceptique. La Renaissance, par exemple, l'organe libéral de Paris, se permettait les plaisanteries du plus mauvais goût sur la prière d'intercession, tout en proclamant « la complète vanité » des réveils. Mais il est deux hommes, deux des défenseurs les plus bibliques et les plus aimés du christianisme évangélique, qui ont combattu vivement le mouvement d'Oxford : ce sont le professeur Beck de Tubingue et l'ancien pasteur Edmond de Pressensé de Paris. Leurs objections ont eu un grand retentissement et résument le fond de l'opposition qui était faite au réveil de 1874. Nous les exposerons en détail.

L'Union jurassienne, qui avait alors Arnold Bovet parmi ses rédacteurs, publiait sous la plume de ce dernier, dans son numéro du 17 avril 1875, l'entrefilet suivant :
« Le professeur Beck (2) de Tubingue, dont la foi est connue, attire des centaines d'étudiants à ses cours.... Or, nous apprenons qu'il se montre plus sympathique à ce mouvement-ci qu'à d'autres manifestations de réveil et qu'en particulier il approuve la tendance du Glaubensweg, journal allemand qui en est l'organe. »

Ce fut de ce petit nuage que sortit la tempête. Le professeur Beck, auquel l'entrefilet fut communiqué, se fâcha très fort. Il répondit par une brochure extrêmement vive de ton, déclarant qu'on s'était servi de son nom à la légère et que ce mouvement-ci pas plus que d'autres ne pouvait avoir son adhésion.

Dans cette publication de combat (3), le professeur allemand fait au réveil d'Oxford de nombreuses objections :
« Ce mouvement éveille l'enthousiasme et la sentimentalité des gens. Il excite les imaginations maladives par des descriptions du ciel et de l'enfer ; par des récits brodés et romantiques de conversions ; par l'importance que les promoteurs du mouvement donnent à leurs intéressantes personnes, en exposant leurs expériences et leurs épreuves.... Tout autre était la méthode de Jésus et des apôtres.... Jésus en particulier n'admettait pas une amélioration « à grands sauts » de la volonté ; il attendait patiemment le développement de la semence, quoiqu'il eût à sa disposition une puissance miraculeuse (4).

Tout dépend non pas de ce qu'on fait mais de la manière dont on le fait. La bonne intention chrétienne, sans mesure et sans frein, a déjà produit, au nom de la foi, bien des doctrines et bien des oeuvres qui ne sont que des excroissances, des branches parasites et gourmandes qui poussent rapidement mais qui épuisent l'arbre. Ce sont des constructions qui s'élèvent bien sur le bon fondement mais dont les matériaux ne supportent pas l'épreuve divine et confondent les espérances (5).

La Parole de Dieu n'est pas là pour nous donner la tranquillité, mais pour « corriger, pour convaincre, pour instruire dans la justice ». Depuis que j'utilise l'Écriture de cette manière pour moi-même et pour d'autres, ajoutait l'honorable professeur, j'endure bien des angoisses et bien des combats, mais parce que je passe consciencieusement au travers de ces angoisses, j'obtiens une paix bien fondée, je suis sur le vrai chemin étroit.... Pour ceux qui suivent ce chemin, Dieu n'est pas comme un juge qui les appellerait toujours de nouveau devant son tribunal pour faire leur procès....

« Nous n'avons pas à arracher le secours de Dieu puisque Jésus-Christ lui-même nous a été donné de la part de Dieu pour nous réconcilier avec lui ; le sang de son Fils nous purifie de tout péché chaque fois que nous venons nous placer à sa lumière avec nos péchés intérieurs et extérieurs ; dès lors nous pouvons poursuivre notre course en achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu. Avec cela, il y aura encore de nouvelles fautes. Mais nous n'en sommes pas déchargés sommairement par une absolution qui aurait été faite une fois pour toutes ; nous les reconnaîtrons, nous les confesserons, nous nous jugerons nous-mêmes devant le Seigneur....

Il compte encore avec nous, non comme un juge avec des malfaiteurs, mais comme un père sérieux et strict avec des enfants sincères.
Il ne les chasse pas de la maison, mais il fait leur éducation pour les rendre meilleurs. Alors nous sommes à la fois préservés d'une sécurité trompeuse et d'une vie malheureuse où l'on se tourmente inutilement (6) ».

Beck cite encore certaines paroles sévères de Bengel (7) à l'égard des Moraves, puis la brochure se termine par quelques mots très vifs à l'adresse de l'Union jurassienne qui a pu se méprendre de pareille manière sur sa pensée alors qu'elle est si connue et par ses élèves et par ses ouvrages.

Ce réveil qui faisait le bonheur de tant de chrétiens fut une véritable épine pour le malheureux professeur de Tubingue.
Il écrivait encore dans une lettre privée, datée du 15 avril 1875 (8) :
« C'est demain que recommencent les cours ; je dois avouer que je ne les reprendrai pas de gaîté de coeur, car l'esprit d'erreur qui va croissant oppose de plus en plus une croyance confuse et fascinante à la saine doctrine biblique que je représente. L'esprit d'erreur, maintenant surtout, trouble les âmes sincères et sérieuses par cette véritable chasse à courre spirituelle qui nous vient d'Oxford. Il ne suffit plus que l'on s'empare avec une sorte de précipitation de la justification, voilà qu'on cherche maintenant à saisir la sanctification avec la même impatience.... »

La brochure de Beck fit du bruit dans la presse religieuse. Le Chrétien évangélique, par la plume de M. Dupraz, se tient prudemment sur la réserve. On y lit :
« Les chrétiens nombreux qui n'ont pas encore une opinion arrêtée sur le mouvement nouveau, feront bien de méditer la brochure du professeur Beck à côté des écrits qui ont paru dans un autre sens. Audiatur et altera pars (9) n'est pas seulement un précepte de Justinien, mais encore la devise de tous les hommes consciencieux qui cherchent à connaître la vérité (10). »

M. Th. Monod reconnaît que la brochure du professeur de Tubingue renferme « nombre d'avertissements et d'observations d'une haute valeur », mais elle procède d'une connaissance imparfaite des vues et de l'oeuvre de P. Smith. Ces « imaginations excitées par des descriptions du ciel et de l'enfer », ces « récits brodés », ces « romantiques histoires de conversions » et surtout « cette importance donnée à leurs intéressantes personnes » ne sont pas le fait du mouvement actuel. Par contre, dans d'autres passages de sa brochure, par l'importance que donne Beck à la poursuite de la sanctification et à l'oeuvre sanctifiante de Jésus-Christ, il se rapproche beaucoup de la pensée centrale du mouvement. « Nous ne nions pas qu'il y ait entre le professeur allemand et l'industriel américain des divergences sérieuses, surtout quant à la manière de diriger les âmes, mais tous les deux sont, quant à l'essentiel, beaucoup plus d'accord qu'il ne semble (11). »

La Semaine religieuse de Genève, dans ce débat, prend résolument la défense du mouvement d'Oxford : « Il s'agit de faits et non de pures théories. Or il y a dans ce cas des faits nombreux et positifs qui ne sauraient être récusés. Nous ne parlons pas d'agitations fébriles ou d'excitations nerveuses qui ne nous plaisent pas plus qu'au pieux professeur de Tubingue, nous parlons des effets directs et plus ou moins immédiats produits dans les assemblées religieuses par la prière et par la prédication fidèle de l'Évangile. Ces effets, nous les tenons pour certains, parce que nous les avons éprouvés nous-mêmes et parce que nous avons pu en constater la réalité bienfaisante sur bien des âmes.

« Ajoutons que dans le mouvement actuel, s'il se manifeste çà et là quelques exagérations, et si certaines idées sont peut-être mises plus en saillie que d'autres, ceux qui prêchent et parlent dans les diverses réunions n'entendent aucunement s'affranchir de la Parole de Dieu, puisque c'est à elle qu'ils en appellent toujours et qu'ils renvoient leurs auditeurs (12).

M. Fritz de Rougemont (13), qui donna en son temps à ses collègues neuchâtelois des travaux intéressants et impartiaux sur les mouvements religieux des quarante dernières années, publia sur la polémique qui nous occupe les lignes suivantes :
« Un des élèves de M. Beck, pasteur de notre Église indépendante, me disait un jour : « M. Beck est le docteur biblique ». Ce mot est le plus grand éloge qu'on puisse faire d'un professeur en théologie, et caractérise parfaitement bien les dons et l'oeuvre de M. Beck.
Mais il n'est pas d'homme infaillible et le plus biblique des docteurs peut errer dans ses jugements sur les temps présents.

M. Beck est le Bengel de notre siècle, et aussi s'appuie-t-il dans sa lettre sur l'autorité de son devancier. Bengel a été l'adversaire déclaré de Zinzendorf et des Frères de l'Unité. Or, l'histoire a, depuis un siècle, prononcé dans ce procès sa sentence sans appel. L'Église morave a été bénie de Dieu d'une manière merveilleuse, et elle a fait au près et au loin tant de bien, qu'on ne saurait, sans pécher, mettre en doute la légitimité de son oeuvre. M. Beck est l'adversaire de toutes les oeuvres du Réveil actuel. Or, l'histoire a déjà prononcé entre lui et nous sa sentence de Gamaliel, et cette sentence nous suffit. Elle nous dispense d'entrer dans une discussion désormais inutile.

Ce n'est pas à dire que les promoteurs de ces oeuvres-là n'aient commis et ne commettent bien des fautes. Mais si Dieu ne voulait bénir que des ouvriers infaillibles, il ne bénirait personne.
S'il eût vécu au temps d'Élisée, M. Beck aurait été un sacrificateur qui aurait incessamment rappelé ses compatriotes à la consciencieuse observation des lois mosaïques, qui aurait vu avec crainte l'activité des prophètes et qui aurait sévèrement blâmé les simples fidèles fréquentant les conventicules du successeur d'Élie (14). »

On nous permettra de faire les remarques suivantes au sujet des objections de Beck.
Le professeur de Tubingue - sa critique le laisse entendre - n'admet pas plus une conversion soudaine qu'une prise de possession instantanée de la sanctification.
Or, Pierre et Paul dans leur travail d'évangélisation, le livre des Actes en fait foi, ont prêché et obtenu une « amélioration à grands sauts ». Pierre ne dit-il pas à ses auditeurs de la Pentecôte : « Repentez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Actes Il, 38). Repentance, pardon des péchés, don du Saint-Esprit en un même temps ! Quoi de plus soudain ? Paul dit au geôlier de Philippes : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé toi et ta famille », et la même nuit « cet homme se réjouit de ce qu'il avait cru en Dieu avec sa famille. » (Actes XVI, 31-34.) Jésus aussi obtint des résultats immédiats. Sans doute il est des cas où la semence a mis du temps à lever, mais il en est d'autres où « celui qui sème et celui qui moissonne ont eu ensemble de la joie. » La conversion de la Samaritaine et de ses combourgeois de Sichar en est la preuve. Et la conversion du démoniaque gadarénien qui le jour même de son salut était invité à rendre témoignage ? Et celle de Matthieu le péager ou la transformation foudroyante de Saul de Tarse ? Ne sont-ce pas des « conversions soudaines » ? Beck frappe à faux quand il refuse au ministère de Christ et des apôtres les transformations instantanées.

Quand il s'agit de sanctification, la critique de Beck nous semble porter davantage, mais il faut distinguer.
Les promoteurs les plus sages du réveil parlaient de deux phases dans la sanctification : la consécration immédiate, puis la vie nouvelle, oeuvre de persévérance et de foi, ce que Th. Monod traduisait en disant : « On monte d'un seul coup sur le bateau, après quoi celui-ci nous porte peu à peu au but du voyage. »

Un autre groupe de promoteurs du mouvement semblait promettre une transformation radicale du coeur, une régénération complète dès la consécration. La pratique ne vérifia pas la théorie ; il y eut des déceptions et sur ce point il faut donner raison à Beek.

Le professeur allemand parle admirablement de la nécessité d'un travail profond et sérieux de sanctification, mais il va trop loin quand il combat ceux qui trouvent leur tranquillité « dans les affirmations de la Parole de Dieu ; celle-ci n'a-t-elle pas été plutôt donnée pour enseigner, pour corriger ? » Et pourtant lui-même, en rendant son témoignage, reconnaît que Dieu « ne nous appelle pas toujours devant son tribunal pour nous faire notre procès ». C'est donc que lui-même est arrivé aussi à une sorte de tranquillité après s'être laissé purifier par Jésus-Christ et corriger par la Parole de Dieu. Pourquoi la tranquillité du coeur des réveillés d'Oxford ne vaudrait-elle pas la sienne et ne serait-elle nécessairement que fausse sécurité et illusion ? Des gens qui ne prenaient pas le péché assez au sérieux il s'en est trouvé parmi ceux d'Oxford, c'est vrai ; mais il n'en manquait pas dans les Églises. Des âmes aussi profondément pieuses que celle de Beck, des expériences aussi authentiquement chrétiennes que les siennes, il s'en est trouvé en grand nombre dans le mouvement que le célèbre professeur condamnait avec tant de verdeur. Le danger de prendre le péché à la légère existait dans le réveil - nous y reviendrons dans nos conclusions - mais c'est le fait du coeur humain lui-même et si les temps de chaleur et de vie spirituelle mettent ce danger en lumière, ceux de sécheresse et d'indifférence le multiplient encore bien davantage.

Dans la Revue chrétienne (15), le fondateur de ce périodique, M. E. de Pressensé, ancien pasteur de l'Église libre de Paris, sénateur inamovible, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, le porte-parole de l'évangélisme contre le libéralisme, fit paraître sous ce titre : Quelques réflexions à l'occasion du mouvement religieux inauguré par M. P. Smith, un article dans lequel il prenait à partie les méthodes et les doctrines du réveil d'Oxford.

Plus vivement que le professeur de Tubingue, le sénateur français reproche au mouvement de supprimer l'effort et d'introduire dans l'Évangile un levain de « quiétisme », cette tendance mystique à l'anéantissement de la volonté sous prétexte d'union étroite avec Dieu. Ce reproche pouvait être vrai à l'égard de Smith qui a reconnu très franchement, après sa chute, qu'il avait « non pas trop, mais trop exclusivement appuyé sur la confiance aux dépens de la vigilance ». Des hommes comme Rappard, Bovet, lord Radstock, Varley, Warneek ont toujours imposé l'effort à leurs auditeurs, mais l'effort appliqué au bon endroit, au maintien des relations étroites avec Jésus-Christ.

« En surexcitant le sentiment sans faire une part suffisante à la pensée, à la conscience, disait encore de Pressensé, on déchaîne le torrent du mysticisme et on rompt l'équilibre de l'être humain. On décourage la réflexion, la discussion, la théologie pour dire : Livrez-vous à vos impressions, n'analysez pas ; goûtez la douceur de votre émotion. Si l'on écoutait de pareils conseils on irait à Lourdes. Sans théologie un mouvement religieux manque de santé et d'équilibre. »

Nous répondons avec l'Ecclésiaste « Il y a un temps pour tout.... Et le coeur du sage connaît, apprécie les temps. » Il y a un temps pour discuter, pour formuler, mais il y en a un autre pour s'humilier, pour « sentir sa misère », pour se mettre en règle avec Dieu en dehors de toute formule et de toute théologie. Béni soit Dieu quand les théologiens en reviennent à la foi toute nue, à l'appropriation pure et simple de la grâce de Dieu, comme de pauvres pécheurs qui reviennent à Dieu ! Après quoi, sagement, saintement ils formuleront leurs expériences. Quand des Godet, des Charles Secrétan, des Th. Monod s'appliquaient à affermir les bases théologiques du mouvement, on ne peut pas dire que celui-ci manquait de santé, d'équilibre et menait à Lourdes.

E. de Pressensé exprime le regret de ce que le mouvement contribue à produire l'indifférence en matière ecclésiastique « par son besoin excessif d'alliance évangélique ; les luttes ecclésiastiques sont nécessaires ». Hélas ! celles-ci, plus tard, n'ont que trop bien pris leur revanche et la Trêve-Dieu du mouvement d'Oxford n'a pas été de longue durée ; cependant elle a réjoui l'Église en lui faisant espérer un temps où les hommes « forgeront leurs épées en hoyaux ».

L'ancien pasteur de Paris est impitoyable aussi pour l'affirmation des promoteurs du mouvement que nous sommes responsables devant Dieu des seuls péchés conscients :
« Distinguer, dit-il, entre les péchés conscients que notre conscience nous reproche et ceux que nous commettons inconsciemment, c'est tomber dans une hérésie morale des plus périlleuses et qui rappelle à s'y méprendre la distinction des péchés mortels et véniels. Quoi ! je suis invité à me croire un saint sans laisser troubler ma joie par mes fautes cachées qui ne sont en définitive que la manifestation de ma nature mauvaise ! Apparemment, si j'étais plus saint je les distinguerais mieux et je m'en affligerais. Si je ne m'en afflige pas c'est que je suis à un degré inférieur de la sainteté et, cependant, mon devoir est de ne pas perdre ma sérénité, seul moyen de conserver ma sainteté. Il y a là une contradiction insoluble.... »

Il nous semble que M. de Pressensé a manqué de sens pédagogique en faisant ce reproche aux hommes d'Oxford. La distinction entre nos péchés conscients, qui nous pèsent à la conscience et ceux qui font partie d'un état spirituel inférieur, dont nous ne nous rendons pas compte, facilite singulièrement la marche vers la sainteté. Je ne puis pas m'élever d'un coup à la stature spirituelle de l'homme fait, mais quand l'Esprit de Dieu, directement ou par la voix d'un frère, m'oblige à renoncer, par un acte de consécration obéissante et confiante, à tout ce que je sais aujourd'hui être coupable ou même douteux dans ma vie, je le puis faire avec foi. Nécessairement si je persévère, si je dis à Dieu : Révèle-moi toujours plus complètement ta volonté et l'état de mon propre coeur, de nouvelles obligations précises se découvriront à moi, de nouvelles taches m'apparaîtront ; en me mirant dans le miroir de la Parole de Dieu, le malaise de conscience qui en résultera me poussera à de nouveaux actes d'obéissance et de nouvelles forces me seront accordées pour remporter de nouvelles victoires.

En vérité il n'y a pas de moyen de sanctification plus pratique que celui qu'enseignèrent les hommes d'Oxford. Ed. de Pressensé n'a pas compris le sens profond de cette méthode quand elle est - il va sans dire - consciencieusement appliquée.

L'article de la Revue chrétienne se termine par cet appel : « Nous demandons en grâce, à ceux qui patronnent ce mouvement au milieu de nous, de désavouer sans ambages les erreurs si graves qui ont été signalées depuis longtemps par des représentants éminents du christianisme évangélique de divers pays et de le faire avec assez de netteté pour que tous les malentendus soient dissipés. »

Enfin de Pressensé s'exprime avec une certaine bienveillance en disant du mouvement, sous forme de conseil :
« Il se fera surtout apprécier par ses fruits. S'il creuse son sillon dans les consciences, s'il développe le sentiment de la justice et de l'équité là où il fait défaut, s'il ranime dans l'Eglise la généreuse pitié pour tout ce qui souffre, s'il se garde d'un obscurantisme étroit et dédaigneux des labeurs de la pensée chrétienne, s'il fait sa part à l'élément moral dans l'idée et dans la pratique, s'il écarte toute notion quiétiste, s'il impose silence aux amis dangereux, qui nous parlent de supprimer l'effort, la lutte dans la vie religieuse et se vantent de ne plus connaître la tentation, s'il nous montre qu'il ne veut point tarir dans nos yeux les brûlantes larmes de la repentance continue et dans nos coeurs les poignantes tristesses de la compassion, ni arrêter ce douloureux soupir vers l'idéal non encore réalisé, qui caractérise les grands chrétiens ; alors il nous prouvera qu'il ne faut pas prendre pour sa direction dominante les excentricités de quelques disciples exagérés, et nous l'accueillerons avec une joie qui sera sans réserve. »

Beck et de Pressensé ont rendu service au mouvement par le « garde à vous ! » qu'ils ont lancé d'une voix vibrante, par la droiture de leurs intentions, par leur volonté d'empêcher que la révélation de la gloire de Dieu ne soit ternie. Ils ont servi de garde-fous au mouvement. Peut-être le rôle de ceux qui ont cherché à mieux comprendre la valeur de ce réveil et qui en ont parlé en amis et en tuteurs a-t-il été plus fraternel et plus distinctement inspiré de Dieu.




Les objections du professeur Beck et de Edmond de Pressensé.

Il n'entre pas dans le cadre de ce travail de mentionner toutes les discussions publiques qui ont pris naissance autour du réveil d'Oxford. Nous en avons du reste déjà cité quelques-unes en Suisse et en Allemagne.

À toutes les réunions pastorales et synodales, la question de la sanctification était discutée avec un souci évident d'impartialité par les uns, avec âpreté par les autres. Un mot malheureux, échappé à l'un des promoteurs du mouvement, était colporté, grossi, même dénaturé. La médisance et la malveillance n'ont pas toujours été évitées par ceux-là mêmes qui, plus que d'autres et par la nature même de leur vocation, sont appelés à demeurer modérés et charitables.

D'autre part le mouvement d'Oxford a trouvé de chaleureux défenseurs, de vigoureux champions en dehors même du cercle de ceux qui s'y étaient rattachés. Tel professeur, sans avoir passé personnellement par les expériences des propagateurs attitrés du réveil et tout en faisant ses réserves, donnera publiquement raison à ceux qui lui paraissaient mettre en pratique l'Écriture dans son sens le plus complet.

Il est certain que plusieurs des critiques dont le mouvement d'Oxford a été l'objet lui ont été fort utiles, en soulignant ses points faibles et en indiquant à ses conducteurs les récifs sur lesquels ils couraient le danger de se jeter. En fin de compte le bon grain du réveil est sorti du crible plus pur de balle, plus nourrissant et plus apte à la germination.

Tandis qu'en Écosse, le modérateur de l'Église libre, M. Stuart, dans le discours qui clôturait la session synodale de 1875, concluait au danger que le réveil d'Oxford faisait courir à la simplicité de l'Évangile, le professeur Rambert de l'Église libre, à Lausanne, présentait, le 8 novembre 1875, à la Société vaudoise de théologie, un travail très sympathique au mouvement, malgré certaines réserves de méthode.

Dans cette séance, M. Th. Rivier prit chaudement la défense de P. Smith :
« Ni P. Smith, ni ses amis, disait-il, n'ont songé à faire de la théologie. Ils ont, le premier surtout, exposé leurs expériences et l'honorable commerçant de Philadelphie avoue franchement qu'il peut se tromper dans l'expression qu'il donne à ses affirmations. »

Le pasteur Buscarlet fit remarquer à ce propos que les promoteurs du mouvement « se sont rectifiés l'un par l'autre, ce qui s'était déjà produit chez les apôtres et les réformateurs (1). »

Nous ne nous arrêterons pas à relever les coups portés au mouvement d'Oxford par le rationalisme sceptique. La Renaissance, par exemple, l'organe libéral de Paris, se permettait les plaisanteries du plus mauvais goût sur la prière d'intercession, tout en proclamant « la complète vanité » des réveils. Mais il est deux hommes, deux des défenseurs les plus bibliques et les plus aimés du christianisme évangélique, qui ont combattu vivement le mouvement d'Oxford : ce sont le professeur Beck de Tubingue et l'ancien pasteur Edmond de Pressensé de Paris. Leurs objections ont eu un grand retentissement et résument le fond de l'opposition qui était faite au réveil de 1874. Nous les exposerons en détail.

L'Union jurassienne, qui avait alors Arnold Bovet parmi ses rédacteurs, publiait sous la plume de ce dernier, dans son numéro du 17 avril 1875, l'entrefilet suivant :
« Le professeur Beck (2) de Tubingue, dont la foi est connue, attire des centaines d'étudiants à ses cours.... Or, nous apprenons qu'il se montre plus sympathique à ce mouvement-ci qu'à d'autres manifestations de réveil et qu'en particulier il approuve la tendance du Glaubensweg, journal allemand qui en est l'organe. »

Ce fut de ce petit nuage que sortit la tempête. Le professeur Beck, auquel l'entrefilet fut communiqué, se fâcha très fort. Il répondit par une brochure extrêmement vive de ton, déclarant qu'on s'était servi de son nom à la légère et que ce mouvement-ci pas plus que d'autres ne pouvait avoir son adhésion.

Dans cette publication de combat (3), le professeur allemand fait au réveil d'Oxford de nombreuses objections :
« Ce mouvement éveille l'enthousiasme et la sentimentalité des gens. Il excite les imaginations maladives par des descriptions du ciel et de l'enfer ; par des récits brodés et romantiques de conversions ; par l'importance que les promoteurs du mouvement donnent à leurs intéressantes personnes, en exposant leurs expériences et leurs épreuves.... Tout autre était la méthode de Jésus et des apôtres.... Jésus en particulier n'admettait pas une amélioration « à grands sauts » de la volonté ; il attendait patiemment le développement de la semence, quoiqu'il eût à sa disposition une puissance miraculeuse (4).

Tout dépend non pas de ce qu'on fait mais de la manière dont on le fait. La bonne intention chrétienne, sans mesure et sans frein, a déjà produit, au nom de la foi, bien des doctrines et bien des oeuvres qui ne sont que des excroissances, des branches parasites et gourmandes qui poussent rapidement mais qui épuisent l'arbre. Ce sont des constructions qui s'élèvent bien sur le bon fondement mais dont les matériaux ne supportent pas l'épreuve divine et confondent les espérances (5).

La Parole de Dieu n'est pas là pour nous donner la tranquillité, mais pour « corriger, pour convaincre, pour instruire dans la justice ». Depuis que j'utilise l'Écriture de cette manière pour moi-même et pour d'autres, ajoutait l'honorable professeur, j'endure bien des angoisses et bien des combats, mais parce que je passe consciencieusement au travers de ces angoisses, j'obtiens une paix bien fondée, je suis sur le vrai chemin étroit.... Pour ceux qui suivent ce chemin, Dieu n'est pas comme un juge qui les appellerait toujours de nouveau devant son tribunal pour faire leur procès....

« Nous n'avons pas à arracher le secours de Dieu puisque Jésus-Christ lui-même nous a été donné de la part de Dieu pour nous réconcilier avec lui ; le sang de son Fils nous purifie de tout péché chaque fois que nous venons nous placer à sa lumière avec nos péchés intérieurs et extérieurs ; dès lors nous pouvons poursuivre notre course en achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu. Avec cela, il y aura encore de nouvelles fautes. Mais nous n'en sommes pas déchargés sommairement par une absolution qui aurait été faite une fois pour toutes ; nous les reconnaîtrons, nous les confesserons, nous nous jugerons nous-mêmes devant le Seigneur....

Il compte encore avec nous, non comme un juge avec des malfaiteurs, mais comme un père sérieux et strict avec des enfants sincères.
Il ne les chasse pas de la maison, mais il fait leur éducation pour les rendre meilleurs. Alors nous sommes à la fois préservés d'une sécurité trompeuse et d'une vie malheureuse où l'on se tourmente inutilement (6) ».

Beck cite encore certaines paroles sévères de Bengel (7) à l'égard des Moraves, puis la brochure se termine par quelques mots très vifs à l'adresse de l'Union jurassienne qui a pu se méprendre de pareille manière sur sa pensée alors qu'elle est si connue et par ses élèves et par ses ouvrages.

Ce réveil qui faisait le bonheur de tant de chrétiens fut une véritable épine pour le malheureux professeur de Tubingue.
Il écrivait encore dans une lettre privée, datée du 15 avril 1875 (8) :
« C'est demain que recommencent les cours ; je dois avouer que je ne les reprendrai pas de gaîté de coeur, car l'esprit d'erreur qui va croissant oppose de plus en plus une croyance confuse et fascinante à la saine doctrine biblique que je représente. L'esprit d'erreur, maintenant surtout, trouble les âmes sincères et sérieuses par cette véritable chasse à courre spirituelle qui nous vient d'Oxford. Il ne suffit plus que l'on s'empare avec une sorte de précipitation de la justification, voilà qu'on cherche maintenant à saisir la sanctification avec la même impatience.... »

La brochure de Beck fit du bruit dans la presse religieuse. Le Chrétien évangélique, par la plume de M. Dupraz, se tient prudemment sur la réserve. On y lit :
« Les chrétiens nombreux qui n'ont pas encore une opinion arrêtée sur le mouvement nouveau, feront bien de méditer la brochure du professeur Beck à côté des écrits qui ont paru dans un autre sens. Audiatur et altera pars (9) n'est pas seulement un précepte de Justinien, mais encore la devise de tous les hommes consciencieux qui cherchent à connaître la vérité (10). »

M. Th. Monod reconnaît que la brochure du professeur de Tubingue renferme « nombre d'avertissements et d'observations d'une haute valeur », mais elle procède d'une connaissance imparfaite des vues et de l'oeuvre de P. Smith. Ces « imaginations excitées par des descriptions du ciel et de l'enfer », ces « récits brodés », ces « romantiques histoires de conversions » et surtout « cette importance donnée à leurs intéressantes personnes » ne sont pas le fait du mouvement actuel. Par contre, dans d'autres passages de sa brochure, par l'importance que donne Beck à la poursuite de la sanctification et à l'oeuvre sanctifiante de Jésus-Christ, il se rapproche beaucoup de la pensée centrale du mouvement. « Nous ne nions pas qu'il y ait entre le professeur allemand et l'industriel américain des divergences sérieuses, surtout quant à la manière de diriger les âmes, mais tous les deux sont, quant à l'essentiel, beaucoup plus d'accord qu'il ne semble (11). »

La Semaine religieuse de Genève, dans ce débat, prend résolument la défense du mouvement d'Oxford : « Il s'agit de faits et non de pures théories. Or il y a dans ce cas des faits nombreux et positifs qui ne sauraient être récusés. Nous ne parlons pas d'agitations fébriles ou d'excitations nerveuses qui ne nous plaisent pas plus qu'au pieux professeur de Tubingue, nous parlons des effets directs et plus ou moins immédiats produits dans les assemblées religieuses par la prière et par la prédication fidèle de l'Évangile. Ces effets, nous les tenons pour certains, parce que nous les avons éprouvés nous-mêmes et parce que nous avons pu en constater la réalité bienfaisante sur bien des âmes.

« Ajoutons que dans le mouvement actuel, s'il se manifeste çà et là quelques exagérations, et si certaines idées sont peut-être mises plus en saillie que d'autres, ceux qui prêchent et parlent dans les diverses réunions n'entendent aucunement s'affranchir de la Parole de Dieu, puisque c'est à elle qu'ils en appellent toujours et qu'ils renvoient leurs auditeurs (12).

M. Fritz de Rougemont (13), qui donna en son temps à ses collègues neuchâtelois des travaux intéressants et impartiaux sur les mouvements religieux des quarante dernières années, publia sur la polémique qui nous occupe les lignes suivantes :
« Un des élèves de M. Beck, pasteur de notre Église indépendante, me disait un jour : « M. Beck est le docteur biblique ». Ce mot est le plus grand éloge qu'on puisse faire d'un professeur en théologie, et caractérise parfaitement bien les dons et l'oeuvre de M. Beck.
Mais il n'est pas d'homme infaillible et le plus biblique des docteurs peut errer dans ses jugements sur les temps présents.

M. Beck est le Bengel de notre siècle, et aussi s'appuie-t-il dans sa lettre sur l'autorité de son devancier. Bengel a été l'adversaire déclaré de Zinzendorf et des Frères de l'Unité. Or, l'histoire a, depuis un siècle, prononcé dans ce procès sa sentence sans appel. L'Église morave a été bénie de Dieu d'une manière merveilleuse, et elle a fait au près et au loin tant de bien, qu'on ne saurait, sans pécher, mettre en doute la légitimité de son oeuvre. M. Beck est l'adversaire de toutes les oeuvres du Réveil actuel. Or, l'histoire a déjà prononcé entre lui et nous sa sentence de Gamaliel, et cette sentence nous suffit. Elle nous dispense d'entrer dans une discussion désormais inutile.

Ce n'est pas à dire que les promoteurs de ces oeuvres-là n'aient commis et ne commettent bien des fautes. Mais si Dieu ne voulait bénir que des ouvriers infaillibles, il ne bénirait personne.
S'il eût vécu au temps d'Élisée, M. Beck aurait été un sacrificateur qui aurait incessamment rappelé ses compatriotes à la consciencieuse observation des lois mosaïques, qui aurait vu avec crainte l'activité des prophètes et qui aurait sévèrement blâmé les simples fidèles fréquentant les conventicules du successeur d'Élie (14). »

On nous permettra de faire les remarques suivantes au sujet des objections de Beck.
Le professeur de Tubingue - sa critique le laisse entendre - n'admet pas plus une conversion soudaine qu'une prise de possession instantanée de la sanctification.
Or, Pierre et Paul dans leur travail d'évangélisation, le livre des Actes en fait foi, ont prêché et obtenu une « amélioration à grands sauts ». Pierre ne dit-il pas à ses auditeurs de la Pentecôte : « Repentez-vous et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ pour le pardon de vos péchés ; et vous recevrez le don du Saint-Esprit » (Actes Il, 38). Repentance, pardon des péchés, don du Saint-Esprit en un même temps ! Quoi de plus soudain ? Paul dit au geôlier de Philippes : « Crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé toi et ta famille », et la même nuit « cet homme se réjouit de ce qu'il avait cru en Dieu avec sa famille. » (Actes XVI, 31-34.) Jésus aussi obtint des résultats immédiats. Sans doute il est des cas où la semence a mis du temps à lever, mais il en est d'autres où « celui qui sème et celui qui moissonne ont eu ensemble de la joie. » La conversion de la Samaritaine et de ses combourgeois de Sichar en est la preuve. Et la conversion du démoniaque gadarénien qui le jour même de son salut était invité à rendre témoignage ? Et celle de Matthieu le péager ou la transformation foudroyante de Saul de Tarse ? Ne sont-ce pas des « conversions soudaines » ? Beck frappe à faux quand il refuse au ministère de Christ et des apôtres les transformations instantanées.

Quand il s'agit de sanctification, la critique de Beck nous semble porter davantage, mais il faut distinguer.
Les promoteurs les plus sages du réveil parlaient de deux phases dans la sanctification : la consécration immédiate, puis la vie nouvelle, oeuvre de persévérance et de foi, ce que Th. Monod traduisait en disant : « On monte d'un seul coup sur le bateau, après quoi celui-ci nous porte peu à peu au but du voyage. »

Un autre groupe de promoteurs du mouvement semblait promettre une transformation radicale du coeur, une régénération complète dès la consécration. La pratique ne vérifia pas la théorie ; il y eut des déceptions et sur ce point il faut donner raison à Beek.

Le professeur allemand parle admirablement de la nécessité d'un travail profond et sérieux de sanctification, mais il va trop loin quand il combat ceux qui trouvent leur tranquillité « dans les affirmations de la Parole de Dieu ; celle-ci n'a-t-elle pas été plutôt donnée pour enseigner, pour corriger ? » Et pourtant lui-même, en rendant son témoignage, reconnaît que Dieu « ne nous appelle pas toujours devant son tribunal pour nous faire notre procès ». C'est donc que lui-même est arrivé aussi à une sorte de tranquillité après s'être laissé purifier par Jésus-Christ et corriger par la Parole de Dieu. Pourquoi la tranquillité du coeur des réveillés d'Oxford ne vaudrait-elle pas la sienne et ne serait-elle nécessairement que fausse sécurité et illusion ? Des gens qui ne prenaient pas le péché assez au sérieux il s'en est trouvé parmi ceux d'Oxford, c'est vrai ; mais il n'en manquait pas dans les Églises. Des âmes aussi profondément pieuses que celle de Beck, des expériences aussi authentiquement chrétiennes que les siennes, il s'en est trouvé en grand nombre dans le mouvement que le célèbre professeur condamnait avec tant de verdeur. Le danger de prendre le péché à la légère existait dans le réveil - nous y reviendrons dans nos conclusions - mais c'est le fait du coeur humain lui-même et si les temps de chaleur et de vie spirituelle mettent ce danger en lumière, ceux de sécheresse et d'indifférence le multiplient encore bien davantage.

Dans la Revue chrétienne (15), le fondateur de ce périodique, M. E. de Pressensé, ancien pasteur de l'Église libre de Paris, sénateur inamovible, membre de l'Académie des sciences morales et politiques, le porte-parole de l'évangélisme contre le libéralisme, fit paraître sous ce titre : Quelques réflexions à l'occasion du mouvement religieux inauguré par M. P. Smith, un article dans lequel il prenait à partie les méthodes et les doctrines du réveil d'Oxford.

Plus vivement que le professeur de Tubingue, le sénateur français reproche au mouvement de supprimer l'effort et d'introduire dans l'Évangile un levain de « quiétisme », cette tendance mystique à l'anéantissement de la volonté sous prétexte d'union étroite avec Dieu. Ce reproche pouvait être vrai à l'égard de Smith qui a reconnu très franchement, après sa chute, qu'il avait « non pas trop, mais trop exclusivement appuyé sur la confiance aux dépens de la vigilance ». Des hommes comme Rappard, Bovet, lord Radstock, Varley, Warneek ont toujours imposé l'effort à leurs auditeurs, mais l'effort appliqué au bon endroit, au maintien des relations étroites avec Jésus-Christ.

« En surexcitant le sentiment sans faire une part suffisante à la pensée, à la conscience, disait encore de Pressensé, on déchaîne le torrent du mysticisme et on rompt l'équilibre de l'être humain. On décourage la réflexion, la discussion, la théologie pour dire : Livrez-vous à vos impressions, n'analysez pas ; goûtez la douceur de votre émotion. Si l'on écoutait de pareils conseils on irait à Lourdes. Sans théologie un mouvement religieux manque de santé et d'équilibre. »

Nous répondons avec l'Ecclésiaste « Il y a un temps pour tout.... Et le coeur du sage connaît, apprécie les temps. » Il y a un temps pour discuter, pour formuler, mais il y en a un autre pour s'humilier, pour « sentir sa misère », pour se mettre en règle avec Dieu en dehors de toute formule et de toute théologie. Béni soit Dieu quand les théologiens en reviennent à la foi toute nue, à l'appropriation pure et simple de la grâce de Dieu, comme de pauvres pécheurs qui reviennent à Dieu ! Après quoi, sagement, saintement ils formuleront leurs expériences. Quand des Godet, des Charles Secrétan, des Th. Monod s'appliquaient à affermir les bases théologiques du mouvement, on ne peut pas dire que celui-ci manquait de santé, d'équilibre et menait à Lourdes.

E. de Pressensé exprime le regret de ce que le mouvement contribue à produire l'indifférence en matière ecclésiastique « par son besoin excessif d'alliance évangélique ; les luttes ecclésiastiques sont nécessaires ». Hélas ! celles-ci, plus tard, n'ont que trop bien pris leur revanche et la Trêve-Dieu du mouvement d'Oxford n'a pas été de longue durée ; cependant elle a réjoui l'Église en lui faisant espérer un temps où les hommes « forgeront leurs épées en hoyaux ».

L'ancien pasteur de Paris est impitoyable aussi pour l'affirmation des promoteurs du mouvement que nous sommes responsables devant Dieu des seuls péchés conscients :
« Distinguer, dit-il, entre les péchés conscients que notre conscience nous reproche et ceux que nous commettons inconsciemment, c'est tomber dans une hérésie morale des plus périlleuses et qui rappelle à s'y méprendre la distinction des péchés mortels et véniels. Quoi ! je suis invité à me croire un saint sans laisser troubler ma joie par mes fautes cachées qui ne sont en définitive que la manifestation de ma nature mauvaise ! Apparemment, si j'étais plus saint je les distinguerais mieux et je m'en affligerais. Si je ne m'en afflige pas c'est que je suis à un degré inférieur de la sainteté et, cependant, mon devoir est de ne pas perdre ma sérénité, seul moyen de conserver ma sainteté. Il y a là une contradiction insoluble.... »

Il nous semble que M. de Pressensé a manqué de sens pédagogique en faisant ce reproche aux hommes d'Oxford. La distinction entre nos péchés conscients, qui nous pèsent à la conscience et ceux qui font partie d'un état spirituel inférieur, dont nous ne nous rendons pas compte, facilite singulièrement la marche vers la sainteté. Je ne puis pas m'élever d'un coup à la stature spirituelle de l'homme fait, mais quand l'Esprit de Dieu, directement ou par la voix d'un frère, m'oblige à renoncer, par un acte de consécration obéissante et confiante, à tout ce que je sais aujourd'hui être coupable ou même douteux dans ma vie, je le puis faire avec foi. Nécessairement si je persévère, si je dis à Dieu : Révèle-moi toujours plus complètement ta volonté et l'état de mon propre coeur, de nouvelles obligations précises se découvriront à moi, de nouvelles taches m'apparaîtront ; en me mirant dans le miroir de la Parole de Dieu, le malaise de conscience qui en résultera me poussera à de nouveaux actes d'obéissance et de nouvelles forces me seront accordées pour remporter de nouvelles victoires.

En vérité il n'y a pas de moyen de sanctification plus pratique que celui qu'enseignèrent les hommes d'Oxford. Ed. de Pressensé n'a pas compris le sens profond de cette méthode quand elle est - il va sans dire - consciencieusement appliquée.

L'article de la Revue chrétienne se termine par cet appel : « Nous demandons en grâce, à ceux qui patronnent ce mouvement au milieu de nous, de désavouer sans ambages les erreurs si graves qui ont été signalées depuis longtemps par des représentants éminents du christianisme évangélique de divers pays et de le faire avec assez de netteté pour que tous les malentendus soient dissipés. »

Enfin de Pressensé s'exprime avec une certaine bienveillance en disant du mouvement, sous forme de conseil :
« Il se fera surtout apprécier par ses fruits. S'il creuse son sillon dans les consciences, s'il développe le sentiment de la justice et de l'équité là où il fait défaut, s'il ranime dans l'Eglise la généreuse pitié pour tout ce qui souffre, s'il se garde d'un obscurantisme étroit et dédaigneux des labeurs de la pensée chrétienne, s'il fait sa part à l'élément moral dans l'idée et dans la pratique, s'il écarte toute notion quiétiste, s'il impose silence aux amis dangereux, qui nous parlent de supprimer l'effort, la lutte dans la vie religieuse et se vantent de ne plus connaître la tentation, s'il nous montre qu'il ne veut point tarir dans nos yeux les brûlantes larmes de la repentance continue et dans nos coeurs les poignantes tristesses de la compassion, ni arrêter ce douloureux soupir vers l'idéal non encore réalisé, qui caractérise les grands chrétiens ; alors il nous prouvera qu'il ne faut pas prendre pour sa direction dominante les excentricités de quelques disciples exagérés, et nous l'accueillerons avec une joie qui sera sans réserve. »

Beck et de Pressensé ont rendu service au mouvement par le « garde à vous ! » qu'ils ont lancé d'une voix vibrante, par la droiture de leurs intentions, par leur volonté d'empêcher que la révélation de la gloire de Dieu ne soit ternie. Ils ont servi de garde-fous au mouvement. Peut-être le rôle de ceux qui ont cherché à mieux comprendre la valeur de ce réveil et qui en ont parlé en amis et en tuteurs a-t-il été plus fraternel et plus distinctement inspiré de Dieu.



1) Voir le Registre des Protocoles de la Société vaudoise de Théologie.

2) Joh. Tobias Beck, né en 1804, professeur de théologie à Bâle puis à Tubingue, mort en 1878, est connu pour ses publications de dogmatique évangélique.

3) Le mouvement religieux actuel. Lettre de M. le professeur Beck, docteur en théologie, à Tubingue. Imp. L.-A. Borel, Neuchâtel, 1875.

4) Pages 5 et 6. - 

5) Page 8.

6) Pages 8-10.

7) Théologien wurtembergeois qui vivait au commencement du XVIII me siècle. Profondément pieux il avait cependant blâmé les doctrines et les efforts de Zinzendorf dans son Esquisse des Frères moraves.

8
) Reproduite par le Kirchenfreund de 1875, p. 152. 

9) Il est bon d'entendre aussi l'autre cloche. 

10) Année 1875, p. 359.

11) Le Libérateur, 1875, p. 94. 

12) N° du 19 juin 1875.

13) Ancien pasteur à Dombresson, aujourd'hui retiré à Neuchâtel.

14) Journal religieux, n° du 26 juin 1875.

15) Avril 1876. 
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