Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIV

La transformation du mouvement.

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Keswick. - En Allemagne. - Jellinghaus. - Le Libérateur jurassien. - 3e Réunion de Neuchâtel. - A. Rollier. - Lausanne. - Le Ried.


Le réveil d'Oxford s'est perpétué en Angleterre sous une forme un peu différente de celle qui a prévalu sur le continent.
Sans doute les réunions occasionnelles de consécration, ici et là, ont continué. Déjà avant Brighton des réunions semblables avaient eu lieu à Stroud et à Cheltenham, présidées par le révérend Webb Peploe.

À celles de Londres, du 21 au 28 février 1876, on sentit le besoin, dans le manifeste qui les annonçait, de rassurer le public et de bien marquer la volonté des promoteurs de se tenir éloignés de toutes les doctrines dangereuses ou compromettantes : « Il est arrivé à des hommes pieux, disait-on, faute d'avoir bien compris notre enseignement, de nous représenter comme des adeptes de l'antinomianisme (l'abus de la grâce) ou du perfectionnisme. Cela nous fait un devoir de déclarer publiquement que ces doctrines sont non seulement désavouées, mais exécrées par nous et que la teneur et le fruit de notre enseignement leur sont entièrement opposés.... Nous enseignons non pas l'exemption de la lutte spirituelle, mais le moyen d'être préservé de la défaite. Nous déclarons que, plus nous avançons dans la vie divine plus nous avons conscience que notre seule ressource est dans la grâce de Dieu, le sang de Jésus et l'action du Saint-Esprit.

Nous affirmons aussi que la nature déchue est continuellement présente dans le croyant, tant qu'il est sur la terre, mais que cette nature sera mise et maintenue dans l'incapacité d'agir, par la puissance de Dieu et du Saint-Esprit, dans la mesure où le croyant demeure en Christ par la foi et pendant le temps seulement qu'il persévère dans cette attitude.... (1) »

Mais ce sont surtout les conventions de Keswick, dans le Cumberland au nord de l'Angleterre, et celles qui prirent naissance sur le même modèle un peu partout dans le Royaume-Uni et ses colonies, qui maintinrent et développèrent le mouvement de sanctification, en l'orientant du côté pratique.

La première convention de Keswick avait été convoquée le 28 juillet 1875, quelques semaines après Brighton, par Canon Harfort Battersby, qui avait été gagné à Oxford à la doctrine du mouvement. Cette conférence de dix jours devait être présidée par P. Smith lui-même. Ensuite des circonstances malheureuses que l'on sait, Battersby et R. Wilson en prirent la direction. Les orateurs furent Thornton, Croome et Webb Peploe. Le programme était à peu près celui de Brighton ; environ six cents personnes y participèrent. Les années suivantes les auditoires allèrent en augmentant. On aimait à y rencontrer F.-B. Meyer, Evan Hopkins, Elder Cumming.

Aujourd'hui, ces réunions d'un caractère très biblique et très sage, dans lesquelles on évite toute expression exagérée, poursuivent encore vigoureusement la réalisation pratique de l'Évangile intégral.

M. le professeur Bois, de Montauban, dans une petite brochure publiée en 1905 (2), parle d'une manière très sympathique de ces assemblées et de la tendance spirituelle qui y règne : F.-B. Meyer, l'un des orateurs les plus écoutés de Keswick, écrit le distingué professeur, exposait il y a quelque temps sa propre expérience en ces termes :
« Perpétuellement il arrive que, après une journée extrêmement épuisante, je me réveille le lendemain matin absolument déprimé, sans aucune émotion consciente de joie, à peine capable d'élever mon coeur en prière ou en actions de grâces. À de tels moments, le diable vient et me dit : Eh bien, où en es-tu maintenant ? Et je réponds : Christ est en moi ! La voix sinistre reprend : Est-ce que tu le sens ? Non, je ne le sens pas, mais qu'importe que je le sente ou non. Christ est en moi quoi que ce soit que je sente ! Oh ! continuait M. Meyer s'adressant à ses auditeurs, si vous vouliez seulement persévérer à vous dire à vous-mêmes, comme je l'ai fait plus de cent fois par jour : Je ne le sens pas, je n'en ai aucune joie, mais Jésus-Christ est aussi certainement dans mon coeur qu'il est dans le ciel lui-même ! Je dis cela plus de cent fois par jour ; et, j'ose l'affirmer, le Saint-Esprit m'en donne la vérification. Car Jésus-Christ, suivant sa promesse, se fait connaître et fait connaître sa présence intime à celui qui lui est obéissant et qui garde ses commandements. » À quoi M. Bois ajoutait, en s'adressant aux pasteurs qui l'écoutaient : « Plus que jamais - n'est-il pas vrai ? - mes chers amis, nous avons besoin d'être unis à ce Christ-là, et de réaliser cette vie en Christ dont parle l'apôtre saint Paul (3). »

Mais ce qui fait l'originalité de Keswick et des réunions pareilles, c'est la tendance pratique et missionnaire qui y prédomine. Ces assemblées réunissent au mois de juillet, pendant une dizaine de jours, jusqu'à quatre mille participants. De nombreux étudiants des deux sexes y accourent, et les futurs médecins ne sont pas les moins nombreux ni les moins zélés.

On y prêche que la sanctification ne procure point une vie facile et contemplative mais qu'elle implique une existence de sacrifice au service de Jésus-Christ et de son règne. Dans ces milieux chauds, véritables foyers de consécration, se forment les ouvriers et les ouvrières dont ont besoin les oeuvres d'évangélisation et de relèvement. C'est surtout la mission en terre païenne qui a bénéficié, ces dernières années, de Keswick.

L'organe spécial de ce mouvement est Life of Faith. De son côté le Christian ouvre largement ses colonnes à tout ce qui est christianisme de réveil.

En Allemagne aussi le mouvement d'Oxford se continua dans diverses directions et par différents moyens.
Déjà en 1875 le baron de Gemmingen, qui avait assisté aux assemblées d'Oxford et de Brighton, présida des réunions de consécration à Gernsbach où il habitait. D'autres réunions analogues eurent lieu à Pforzheim, Baden-Baden, Lichtenthal, auxquelles prirent part des hommes comme 0. Stockmayer, Jellinghaus, Baedecker, Rappard. L'influence de M. Rappard sur les frères de Chrischona fut aussi un grand moyen de propager la pensée profonde d'Oxford dégagée, comme elle l'était chez l'inspecteur, de ses éléments étrangers et traduite en vie spirituelle simple et pratique.

Les cantiques nouveaux, issus du réveil d'Oxford, contribuèrent aussi à en répandre le parfum ; nous avons déjà mentionné ceux que publia le musicien Gebhardt. Il faut y ajouter les Glaubenslieder, de P. Kober de Bâle, puis les Gemeinschaltslieder, publiés par M. et Mme Rappard.

Après que le Glaubensweg de Chrischona eut cessé de paraître, deux journaux nouveaux, s'inspirant à peu près de la même tendance, le Gemeinschalftsblatt (zur Förderung des auf Gotteswort gegründeten Christentums) et en 1885, Der Sladtmissionnar le remplacèrent, publiés tous les deux par A. Gerhard à Emden. À Berlin paraissait le Friedens-Halle sous les auspices du comte Bernstorff.

Après le grand mouvement de 1875, Baedecker revint à Berlin et avec le concours de Mlle Toni von Blücher, il y organisa de nouvelles séries de réunions.

Le prédicateur Rohrbach à Charlottenbourg, M. Jasper von Oertzen, le zélé propagateur de l'oeuvre des colporteurs et des Unions chrétiennes de jeunes gens, le professeur Christlieb, l'évangéliste Schrenk qui avait été à Oxford et à Brighton, furent parmi les partisans distingués et pondérés du mouvement d'Oxford dans les diverses parties de l'Allemagne.

Comme en Angleterre, ce mouvement réchauffa le zèle des hommes qui travaillaient à la mission intérieure et extérieure et leur a fourni des collaborateurs fidèles et joyeux. De plus il contribua au développement spirituel des Gemeinschalten. Celles-ci furent poussées à se donner une organisation générale et, dans leurs congrès de Gnadau et de Eisenach, elles furent amenées à étudier en commun les sources profondes de la vie spirituelle authentique, en même temps qu'elles polémisaient vaillamment contre l'intrusion d'une théologie qui évidait l'Évangile de sa réalité et de sa puissance.

À côté de ces conférences générales qui se tenaient sur le terrain des Églises nationales, on sentit le besoin en 1886, principalement parmi les hommes qui avaient été touchés par le mouvement d'Oxford, de grouper sous l'égide de l'Alliance évangélique des frères de diverses dénominations dans un but d'édification restreinte et intensive. Mlle Anna von Weling offrit son orphelinat de Blankenburg qui devint le centre de ces réunions. Mlle Toni von Blücher, l'évangéliste Baedecker, le colonel Knobelsdorf, l'apôtre de la Croix-Bleue à Berlin, M. 0. Stockmayer, le général von Viebahn, qui s'occupe avec un dévouement extraordinaire de l'évangélisation populaire surtout parmi les soldats et les marins allemands, l'évangéliste Bernard Kühn, qui devint rédacteur de l'Allianzblatt, l'organe de Blankenburg, et d'autres hommes appartenant aux cercles d'activité spirituelle et aux Gemeinschalten, répondirent à cet appel. L'Allianz Conferenz de Blankenburg se constitua et se mit en relations avec Keswick. F. B. Meyer vint à plusieurs reprises affirmer l'unité de tendances des deux conventions.

Il n'y avait pas opposition de principes entre Gnadau et Blankenburg. « Ce sont souvent les mêmes hommes qui se retrouvent aux deux conférences, écrit un journal, mais tandis qu'à Gnadau ils se réunissent comme de courageux héros, ils viennent à Blankenburg, semblables à de tranquilles élèves, non pour discuter, mais pour s'asseoir aux pieds de Jésus comme le faisait Marie. Ils se laissent sonder par l'Esprit et remplir de sa force. C'est de Jésus-Christ lui-même que descend la bénédiction qu'ils reçoivent. »

Plus tard les questions eschatologiques passèrent trop au premier rang des préoccupations. On ne demeura pas toujours dans la sobriété. Il fallut réagir aussi contre des éléments illuministes, perfectionnistes. Aujourd'hui la conférence de Blankenburg a retrouvé son équilibre : elle pousse à plus de consécration pour mieux évangéliser.

En Suisse allemande il faut mentionner aussi, comme un fruit du mouvement d'Oxford, les établissements de retraite de Remismühle, près de Winterthour. C'est un centre de vie spirituelle dans lequel la poursuite de la sanctification s'allie au besoin d'évangéliser. On sait que la « Zeltmission » est un des plus beaux fleurons de l'activité de ces maisons. Le nom de Georges Steinberger, l'auteur des Petites Lumières (4), un recueil de méditations excellentes, est inséparable de celui de Remismühle.

Mais l'homme qui contribua pour une large part à affermir le mouvement d'Oxford dans les pays de langue allemande, qui lui donna une base dogmatique large en opposition à la multiplicité des opinions individuelles, ce fut Théodore Jellinghaus, dont le livre Le Salut complet et présent par Christ (5), publié en 1880, fut tiré à plusieurs éditions.

Jellinghaus, né en 1841, après avoir séjourné en Afrique au service de la Mission Gossner, rentra en Allemagne et y devint pasteur dès 1874. Les lignes suivantes, tirées de la préface de son livre, montrent par quelle évolution intérieure il avait passé :
« En septembre 1874, après un deuil douloureux dans ma famille, je fus conduit par Dieu aux réunions de sanctification d'Oxford. Avec un certain nombre de frères allemands, j'assistai à la puissante manifestation de l'Esprit de Dieu dont ces réunions de croyants furent l'objet. J'entendis combien des prédicateurs sérieux, fondés sur la Parole de Dieu, appartenant aux dénominations les plus diverses, et qui avaient pour la plupart déjà travaillé avec fruit à la conversion des âmes, reconnaissaient cependant que par ce mouvement la puissance sanctifiante du sang de Christ leur était apparue dans une lumière toute nouvelle. J'appris aussi comment ces mêmes hommes, par une foi et une consécration sans réserves, avaient fait d'heureuses expériences de purification intérieure et de victoire sur les tentations auxquelles ils avaient toujours succombé jusqu'alors.

Plusieurs de ces enseignements d'Oxford donnaient lieu pour nous à de sérieux combats intérieurs. Cependant, d'accord avec d'autres frères, j'acquis la conviction que cette doctrine était essentiellement biblique et réservait une vraie consolation pour les enfants de Dieu qui luttent dans les efforts de la sanctification légaliste. Je fis moi-même avec joie cette expérience.

Le cher P. Smith fut appelé à Berlin par le prédicateur de la cour Baur. Quoiqu'il ne fût pas orateur et ne s'exprimât que par interprète, il y détermina en quelques jours, un mouvement de réveil tel que jamais auparavant on n'en vit se produire de semblable en si peu de temps.

Je me mis à écrire dans le Glaubensweg, qui comptait près de huit mille lecteurs, des articles sur la repentance, la foi, la sanctification. Ce qui me valut de la part de théologiens, aussi bien que de laïques, de nombreux encouragements et témoignages d'affection.

J'étais revenu d'Oxford avec la vision claire que, sans l'assurance fondamentale du salut - sur laquelle règne chez nous, en Allemagne, bien moins d'unité de vues et de clarté qu'en Angleterre - la doctrine de sanctification ne pouvait apporter aucune bénédiction profonde et durable. C'est pourquoi il me parut nécessaire de publier un livre qui présentât à la fois la justification et la sanctification par la foi.... »

Le livre de Jellinghaus, excellent, peut-être un peu touffu et trop abondant en répétitions, est riche de sève biblique. Dans la première partie, la grâce du Sauveur qui justifie est mise bien en lumière. Dans la seconde partie, c'est l'obligation et le moyen de la sanctification qui sont présentés. Et cette sanctification n'est ni wesleyenne, ni oxfordienne, ni anglo-saxonne, ni germaine ; elle est simplement biblique. C'est l'exposé objectif, mesuré, sans excès de bagage théologique et à la portée de tout laïque cultivé, de ce que Jésus, Paul, Jean ont enseigné.
Ce livre eut une portée considérable et un succès du meilleur aloi, puisqu'il en est à sa quatrième édition. Il constitua le recueil dogmatique par excellence des Gemeinschalten et rencontra même bon accueil chez les théologiens de la droite évangélique.

Ces dernières années - le diable sait toujours gâter les meilleures choses - certains pasteurs luthériens ont accusé Jellinghaus d'avoir ouvert la porte au mouvement dit « de Pentecôte », du parler en langues et du perfectionnisme, en décrivant et en défendant le mouvement d'Oxford dans son livre. Le malheureux, âgé et neurasthénique, fut navré de ces reproches ; il dut être interné dans une maison de santé. À peu près guéri en 1911, il se mit à écrire à divers amis de longues lettres dans lesquelles il déplorait le mal qu'il s'accusait d'avoir fait aux âmes par ses soi-disant erreurs doctrinales.

Deux de ses correspondants, le pasteur Hahn de Markt-Alverselben et l'évangéliste Bruchs de Lichtenrade ont tiré de ces lettres une brochure de rétractation (6), que Th. Jellinghaus a publiée sous son nom. À l'apparition de cette publication M. le pasteur et professeur Hadorn de Berne, dans le Kirchenfreund, M. Mojon dans les Brosamen, comme le pasteur Heinatsch, dans une étude publiée à Neumünster et augmentée d'une préface du Dr K. Müller, professeur de théologie à Erlangen, prirent résolument fait et cause pour le Jellinghaus de 1880 contre celui de 1912, et défendirent le malheureux auteur contre lui-même en invoquant son état de santé. Le Jellinghaus qui seul compte devant l'histoire, c'est bien celui qui exposa avec tant de conviction et de compétence la réalité de la justification et de la sanctification par un acte divin dont la foi prend possession et non pas celui qui s'est livré à une rétractation pénible et.... sénile. À voir tant de fissures se produire chez plusieurs de ceux qui ont été les propagateurs du réveil d'Oxford, ne semble-t-il pas que le Malin se soit acharné contre eux d'une façon spéciale ?

La publication du Libérateur de M. Th. Monod dura jusqu'en 1880, mais les derniers numéros parurent irrégulièrement. La Mission intérieure, le journal rédigé à Nîmes par le pasteur Babut, publia encore quelques articles d'édification de M. Monod sous la rubrique : Le Libérateur. « Voilà bientôt sept ans, ainsi parle M. Monod dans le dernier article du fascicule de 1880, que la première pensée de la fondation de ce journal se fit jour sous les ombrages de Broadlands, alors qu'entre chrétiens français et suisses, formant un petit groupe sur le gazon des « parcs herbeux » et au bord des « eaux tranquilles », nous chantions le cantique qui venait de s'échapper de nos âmes affranchies :

J'ai trouvé, j'ai trouvé la voie....

.... Les bénédictions qui ont découlé de cette source, non seulement par le canal de notre humble feuille, mais par une multitude de publications, cantiques de réveil, réunions spéciales de consécration (autant de fruits de ce mouvement, et tout ensemble autant de moyens de le propager) nous avons mieux à faire que d'essayer d'en dresser la statistique : « le grand jour le fera connaître ». Il est certain que ce qui, il y a quelques années, semblait à la plupart d'entre nous une nouveauté à peine croyable, tant elle était belle et que nous allions chercher avidement dans les ouvrages de M. W.-E. Boardman ou de M. et Mme P. Smith, est devenu à peu près partout, quant à son essence, un enseignement compris, accepté, presque banal. En Angleterre surtout, le grand courant évangélique, en dehors de toute tendance spéciale, s'est largement pénétré de cet esprit.... »

Plus tard, en 1890, l'organe du Jura bernois, l'Union jurassienne ayant cessé de paraître, un nouveau Comité de rédaction, composé de MM. A. Morel alors pasteur à Moutier, J. Gross, pasteur à Tramelan et A. Besson, pasteur à Tavannes, fonda un journal, Le Libérateur, héritier à la fois de l'Union jurassienne et du Libérateur de M. Monod, pour représenter en Suisse française la pensée d'Oxford. Nous lisons en effet dans l'article-programme du premier numéro, sous la signature de M. A. Morel : « Il (Le Libérateur) ne poursuivra qu'un seul but : faire connaître la douce figure de Celui qui a été oint du Saint-Esprit et de force, pour guérir tous ceux qui sont sous l'empire du diable.

Car nous croyons que le Libérateur n'est pas seulement venu de Sion pour effacer nos péchés, mais pour en tarir la source (Rom. XI, 26), que c'est un Vainqueur qui est descendu sur cette terre pour y détruire le règne du mal et briser le joug d'airain qui pèse sur tous les membres de notre race, que par conséquent le dernier des malheureux, assujetti à la dernière des passions, est susceptible d'être affranchi de la puissance de son péché, et cela, uniquement par la foi au Libérateur.
Voilà la conviction que nous voudrions faire partager à nos lecteurs, pour le bonheur de ceux qui soupirent après la liberté, pour l'honneur de l'Évangile et pour l'avancement du règne de Dieu dans notre pays. »

C'était donc bien la pensée centrale du mouvement d'Oxford, l'affranchissement du péché par la foi, qui animait les fondateurs de cet organe.
Ajoutons que La Feuille religieuse du Canton de Vaud, si appréciée de ses nombreux lecteurs, rédigée avec tant de compétence et de spiritualité par M. le pasteur Tophel, représente, elle aussi, en Suisse romande, l'élément profond, éternel, du mouvement de sanctification.
Dans notre pays les réunions de consécration continuaient. Mentionnons encore celles qui eurent lieu à Neuchâtel du 26 au 29 octobre 1880.

L'invitation, signée de MM. 0. Stockmayer et Th. Monod portait ces lignes :
« .... Les réunions tenues dans cette ville au mois de septembre 1875 ont laissé des traces de bénédictions réelles et fécondes, et toutes les fois que des enfants de Dieu s'attendent au Seigneur pour se grouper autour de sa Parole, Il se plaît à répondre à leur attente. Il faut au Seigneur aujourd'hui autant que jamais « un peuple de franc vouloir », un peuple qui, connaissant ce que c'est que d'être mort à soi-même, au péché et au monde, puisse vivre tout entier en Lui, et pour Lui, dans l'attente de son retour. »

Lord Radstock avait accepté la présidence des réunions d'évangélisation.
« C'était la première fois, dit le rédacteur du Journal religieux, que nous entendions lord Radstock, et nous nous sommes expliqués, en l'entendant, les bénédictions dont sa parole a été accompagnée en Angleterre, en France, en Russie, en Belgique, en Suède.

Elle est avant tout un témoignage à la vérité, à la divinité de Jésus-Christ, à la parfaite suffisance de sa mort, à son infinie puissance pour quiconque se confie en lui ; cette vérité, on sent qu'il la connaît par expérience et qu'il en vit ; ce qu'il donne ce n'est pas ce qu'il a appris dans les livres, mais ce qu'il a vu, entendu, touché, concernant la Parole de vie ; et c'est là ce qui doit faire une vive et salutaire impression, surtout sur ceux qui connaissent peu l'Évangile ou qui ne le connaissent pas du tout.... »

On parla beaucoup de mort au péché, de résurrection avec Christ. Les auditeurs furent autorisés à poser des questions par écrit auxquelles les orateurs répondaient publiquement.
En voici une : « Comment réaliser, dans les détails d'une journée très remplie, la mort à soi-même, la crucifixion avec Christ ? »

M. Th. Monod répondit :
« Voici par exemple une mère de famille surchargée d'occupations, n'ayant pas une minute de loisir du matin jusqu'au soir. À grand'peine elle a pu trouver une petite demi-heure pendant laquelle elle va s'enfermer dans sa chambre, prendre sa Bible et se recueillir. C'est une chose excellente, n'est-ce pas ? Dieu le lui commande, Dieu l'y engage. Mais voilà qu'au moment même où elle va commencer sa lecture, elle entend des cris. C'est un enfant qui réclame les soins de sa mère. Il faut laisser là sa Bible, son moment tranquille et soigner son enfant. Que va-t-elle faire ? Dira-t-elle : Il me faut être douce, patiente, Seigneur Jésus, aide-moi ? Non, cela ne suffit pas ! mais si, dès le moment où l'interruption commence, par un premier regard de foi, elle se dit : « Quel bonheur que ma vieille nature, mon impatience soit là clouée sur la croix et ne puisse plus rien sur moi, merci, mon Dieu ! » elle aura la victoire. Elle ira passer cette demi-heure tout autrement qu'elle n'aurait pensé, mais elle aura fait un pas en avant dans cette journée, lors même qu'elle ne retrouverait plus le moment désiré (7). »

On ne vit plus les foules qui s'étaient portées à Neuchâtel en 1875, aussi le rédacteur du Journal religieux terminait le compte-rendu de ces journées en disant :
« Ceux qui ont assisté aux réunions de Neuchâtel doivent s'abstenir de porter aucun jugement sur ceux qui n'ont pas cru devoir laisser de côté leur tâche journalière pour se joindre à leurs frères. Qu'ils se gardent de les comparer aux invités qui refusent de se rendre au « grand souper » sous les plus misérables prétextes. Ils ne doivent pas juger, mais se souvenir qu'ils seront jugés : « Vous qui avez tant parlé de mort au péché, montrez-leur, dira le monde, que vous êtes morts au péché (8). »

M. Auguste Rollier, alors pasteur à Saint-Aubin, et plus tard professeur d'exégèse du Nouveau Testament à la Faculté nationale de théologie de Neuchâtel, écrivait dans son journal intime, au lendemain de ces réunions, les lignes suivantes (9) :

30 octobre 1880.
« Vous tous qui craignez Dieu, venez, écoutez et je raconterai ce qu'il a fait à mon âme. Ps. LXVI, 16. Avant de raconter, quand tu m'y appelleras, devant mes frères, je veux, mon Dieu, raconter devant toi, dans la reconnaissance et l'adoration, tout le bien que tu as fait à mon âme.

Depuis longtemps, ô mon Dieu, tu as mis, par ta grâce, dans mon âme un invincible attrait vers cette vie qui vient de toi, qui est la vie sainte, glorieuse, éternelle, que tu as donnée et que nous avons en ton Fils Jésus-Christ. Déjà par ta bonté, par ton amour de Père, par ta grâce toute gratuite, je possédais cette vie en croyant en ton Fils. J'en connaissais la beauté, la douceur, la puissance, au moins dans une certaine mesure, et quand mon devoir à ton service m'appelait à en parler, je pouvais le faire avec assurance et joyeusement, à l'imitation de ton apôtre Jean. 1 Jean I, 1 à 4.

Mais cette vie connue, goûtée, possédée, ne l'était ni avec plénitude, ni avec continuité. Et d'où venait cet amoindrissement ? Il venait de ce que la vie propre occupait encore de la place en moi. Il y avait intermittence, rétrécissement, parce qu'il y avait mélange. Grâces te soient rendues, ô mon Dieu, ce mélange tu me l'as, ces jours derniers, non seulement découvert (je ne l'ignorais pas, j'en souffrais, je le condamnais, je le combattais et souvent par ta grâce victorieusement), mais tu m'en as délivré ou du moins tu m'as rappelé et remis en mains le moyen que précédemment déjà tu m'avais enseigné et donné pour être délivré. L'enlèvement de l'obstacle à la plénitude et à la permanence de ta vie en moi, ô Christ, c'est la suppression de cette vie propre qui occupait encore une part de la place qui t'est due, c'est la mort à moi-même complète, décisive, définitive.

Cette mort bienheureuse à soi-même, condition de la vie en Toi et de ta vie en nous, Seigneur, tu m'en avais fait commencer l'apprentissage dès cette année bénie de 1856 où tu m'as, à Bellefontaine, introduit, en triomphant de ma répulsion et de mes résistances, sur cette voie ouverte par ton précurseur : « Il faut qu'Il croisse et que je diminue » Jean III, 30. Dès lors, tu n'as cessé, Seigneur, de grandir devant moi et en moi et de me faire diminuer jusqu'à ce que, il y a cinq ans, à Londres, en entendant D. Moody et à Brighton ensuite et surtout à travers une réelle agonie de plusieurs jours, tu m'as introduit plus avant jusque dans la mort à moi-même.

Je te rends, Seigneur, de profondes actions de grâce, pour ce chemin de bénédictions de plus en plus grandes par lequel Il t'a plu de me conduire. Cependant jusqu'ici, ce n'était qu'un acheminement. J'avais bien compris la théorie, et c'était déjà une lumière de ton Esprit, une précieuse faveur de ta part ; mais j'avais plus compris que réalisé. Je voyais en idée cette mort à moi-même, cette implantation de mon vieil homme en ta mort. Je la reconnaissais, j'y acquiesçais, mais j'appelais cela l'état de droit ; dans le langage des hommes, j'aurais dit l'idéal, et j'y opposais toujours l'état de fait, autrement dit la (soi-disant) réalité. Maintenant, ô mon Dieu, je te bénis de ce que tu m'as fait voir et sentir que la foi consiste précisément à transformer actuellement et perpétuellement l'état de droit en état de fait, l'idéal en réalité, parce que la réalité, Seigneur Jésus, la réalité est en toi et que la foi qui te saisit, qui te reçoit tout entier, reçoit, saisit la réalité de tout ce qui est en toi, y compris la réalité de ta mort pour nous, de notre mort en ta mort.

Oui, ta Parole le dit, et ce n'est pas vrai parce que ta Parole le dit ; ta Parole le dit parce que cela est vrai et réel ; nous qui sommes à toi, tes rachetés, qui sommes en toi par la foi et par ton Saint-Esprit, les membres de ton corps, nous sommes morts (Rom. VI), nous avons été baptisés en ta mort, plongés, engloutis, enveloppés, enfermés dans ta mort par le baptême. Nous avons été faits (cela est fait) une même plante avec toi par la conformité à ta mort (sumphutoï) (10) et voilà pourquoi nous le sommes aussi par la conformité à ta résurrection.

Tu as mis, pendant ces jours, par ton Esprit, en parfaite lumière devant mes yeux l'implication de notre mort en ta mort, la réalité de notre mort dans la réalité et l'efficacité expiatoire et rédemptrice de ta mort.
Et par ce coup de mort que tu as donné à ma vie propre, Seigneur, tu as enlevé l'obstacle que cette vie ténébreuse, souillée et misérable opposait en moi à la communication par toi et à la participation pour moi de la plénitude et de la continuité de ta vie spirituelle et céleste.

4 décembre 1880. Cinq semaines se sont écoulées depuis que les lignes précédentes ont été écrites et grâces à Dieu, ces semaines, bien loin d'amener la réfutation ou la contrepartie de ces faits, en ont été la confirmation et le développement.... »

Les réunions générales de consécration allaient en s'espaçant, mais la prédication d'un Évangile éclairé par la lumière du réveil se multipliait partout.

Les quelques traits suivants des réunions de Lausanne, en juin 1882, donnent bien la physionomie de ces assemblées, alors que le mouvement s'était apaisé et clarifié.
C'est d'abord l'intérêt soutenu que manifeste le public réveillé et sympathique qui remplit les locaux. Au dire d'un témoin oculaire, la réunion du jeudi soir à Saint-François s'est prolongée jusqu'à dix heures du soir sans fatigue pour les auditeurs. Dans les coeurs circulait l'air des sommets ; on écoutait les orateurs facilement, comme si l'on marchait à la montagne.

Puis ce qui étonne et ce qui plaît, c'est l'esprit de véritable Alliance évangélique qui anime les représentants des diverses dénominations. Peut-être bien, une fois les réunions passées, certaines mesquines rivalités se manifesteront-elles à nouveau ; mais pendant ces journées, il règne entre les assistants une fusion des coeurs, dont, forcément, il reste quelque chose dans la vie ordinaire. La Sainte-Cène finale, présidée par M. Rappard, fut distribuée par des pasteurs nationaux, libres, allemands, méthodistes, assistés d'un frère de l'Assemblée du Pont.

À Lausanne comme ailleurs, les auditeurs furent pressés d'accepter les promesses scripturaires qui parlent de sanctification. « Je puis tout par Christ qui me fortifie », lisait-on, et tôt après on chantait la réponse : « Toute victoire est possible à qui combat avec foi ! » On rappela une expérience du professeur Lange de Zurich, précédemment à Bonn. Il fut assailli un jour par une tentation abominable et puissante. Dans le sentiment de sa faiblesse il porta ses regards sur la personne du Sauveur crucifié et il fut délivré instantanément.

Relevons encore quelques pensées exprimées au cours de ces réunions.
« On s'imagine parfois qu'en assistant à un culte on porte un fruit comme si c'était tout son devoir. Un culte n'est pas un fruit pas plus qu'un arrosoir ou une bêche ne sont des fruits ; les cultes sont des moyens de travailler à la production du véritable fruit et ce fruit-là est clairement défini dans Galates V, 22-25. »

« Garder pour soi ce que le Seigneur veut qu'on lui sacrifie est la principale cause de nos défaites et de l'inefficacité de ses promesses. »

« Faire tout comme pour Lui, recevoir tout comme de Lui, ne procure pas seulement un grand bien spirituel, mais est utile mentalement et physiquement en pacifiant l'esprit et en calmant les nerfs. »

Au culte de clôture, M. Rappard prononça ces paroles : « 
Chaque fois que je prends la Cène, j'ai l'habitude d'implorer du Seigneur une grâce spéciale. Aujourd'hui je lui demande de me pénétrer davantage de son grand amour pour les siens ; qu'il m'inspire non pas cette charité banale dont parlent sans cesse les gens du monde, mais l'amour qu'il a eu pour tous et qui s'est exprimé par le service le plus humble et le plus dévoué, le lavage des pieds de ses disciples (Jean XIII) ; un amour qui détruise l'égoïsme et qui se donne pour le salut de tous. Le service du Seigneur est si doux à remplir. Jamais il ne fatigue ; ce qui fatigue c'est de prêcher ce qu'il a été et ce qu'il a fait tandis qu'on vit soi-même d'une tout autre manière ; alors il y a des tiraillements fatigants. Mais celui qui vit de la vie de son Sauveur, ne se lasse point de le servir (11). »

Nous ne pouvons pas clore ce chapitre sans mentionner brièvement le rôle joué par le Ried dans le maintien et le développement en Suisse romande des grandes pensées du mouvement d'Oxford.
Dans cet asile de la peinture religieuse et de l'amour chrétien, Dieu a fait une oeuvre remarquable, depuis près de trente ans, parmi de nombreux malades du corps et de l'esprit. De combien de conversions authentiques, de quels actes de consécration, de quelles victoires sur la chair ou le démon ces maisons, tout enveloppées de verdure et devant lesquelles passent en chemin de fer tant de voyageurs affairés, n'ont-elles pas été les témoins discrets ?

Nous pensons aussi aux réunions de consécration, autrefois plus ouvertes, aujourd'hui restreintes, qui s'y tiennent presque chaque année. Là se sont réunis depuis 1880 les hommes qui ont été au Jura bernois, à Berne, dans les cantons de Neuchâtel, Vaud, Genève, dans le Pays de Montbéliard et plus loin encore, les propagateurs du mouvement de sanctification. Et aujourd'hui, après tant d'années, il y a tout à la fois quelque chose d'identique et de changé dans ces réunions du Ried. Ce qui est resté le même, c'est le besoin et la poursuite d'une vie profonde, cachée avec Christ en Dieu, c'est le travail de conquête - au travers de combien de reculs et de chutes - d'une sanctification plus réelle, sous la direction toujours fidèle et puissante de M. Stockmayer. D'autre part il y a quelque chose de changé : l'interprétation de l'Apocalypse, les vues spéciales qui pendant un temps avaient trop accaparé l'attention, ont été remises à leur place. Par contre l'examen courageux de certains problèmes actuels a pénétré aujourd'hui dans le cercle des préoccupations du Ried. Les participants à ces réunions ne veulent pas de l'immobilisme, de la pure contemplation ; ils affirment la vitalité du courant qu'ils représentent, en cherchant dans la prière et l'édification mutuelle le mot d'ordre de Dieu pour l'heure présente. On a pu entendre un jour l'un d'entre eux dire à Dieu - « Change ma manière de voir, mais donne-moi ton Fils, donne-moi ta Parole. Je veux la réalité éternelle. »

Saisir plus que jamais la croix d'une main et tendre l'autre au monde, avec un amour renouvelé, une telle attitude est nécessairement féconde. On essaie de réaliser l'équilibre entre la vie intérieure et l'activité extérieure, entre l'intense réceptivité à toutes les manifestations de la grâce de Dieu et l'amour du prochain sous ses formes les plus actuelles.

Et puis, ce qui fait le caractère de ces réunions, c'est la profonde unité de ceux qui se réunissent en ce lieu privilégié. « Après avoir rendu les armes devant Dieu, on apprend à les rendre les uns devant les autres. » L'unité ne provient pas du manque de diversité, mais du respect et de l'amour mutuels. Nulle barrière ecclésiastique ou dogmatique ne fait obstacle à l'union des âmes. On s'est humilié des jugements malveillants portés les uns sur les autres et l'on s'est appliqué à aimer, à adorer avec des coeurs plus vidés d'égoïsme et plus remplis de la personne même de Christ.

Telle de ces assemblées ne constituait-elle pas déjà comme un diminutif de l'Église universelle dont le coeur battait en certaines heures à l'unisson avec celui du Maître ?


1) Journal religieux, 1876, p. 35-36. Dans ces mêmes réunions M. Th. Monod fit une série d'allocutions sur « Le Don de Dieu ». Elles ont été réunies en brochure et publiées en français chez J. Bonhoure, Paris.

2) La Sanctification individuelle et la Sanctification sociale du Pasteur Montauban, chez l'auteur.

3) Pages 18 et 19. 

4) Ed. Mack, Lausanne.

5) Das völlige, gegentvärtige Heil durch Christum, Verlag J. D Prochnow, Berlin. La 4e édition de 1898 a paru chez P. Kober, Spittlers Nachfolger, Bâle. 

6) Erklärung über meine Lehrirrungen. Th. Jellinghaus. Verlag : Prack und C°, Lichtenrade. 

7) Souvenir des réunions religieuses de Neuchâtel. Delachaux Frères, 1881, p. 43.

8
) Journal religieux, 6 nov. 1880.

9) Transmises par M. Ch. Borel, ancien collègue de M. Rollier, avec l'assentiment de la famille de ce dernier.

10) Mot grec qui signifie proprement « greffés » et que Paul emploie dans Rom. VI, 5

11) Voir la Feuille religieuse du 25 juin 1882. Lettre à un malade. 
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