Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIII

Les dernières années de Pearsall Smith.

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Tristes nouvelles de P. Smith. - Appréciations et avertissements. - Sa mort. - Vieillesse de Mme Smith.


P. Smith s'était engagé à présider, après la convention de Brighton, toute une série de réunions en Suisse, en Allemagne et en Belgique. Il avait même fait le projet de se rendre, l'hiver suivant, en Russie avec lord Radstock quand, brusquement, il s'embarqua pour les États-Unis.

D'étranges rumeurs commençaient à circuler dans le public au sujet de sa raison et même de sa moralité. Au commencement de 1876 son comité responsable, après une enquête approfondie, exposait dans une lettre au « Freeman » que Smith, atteint d'une nouvelle crise de son mal cérébral, avait dû cesser toute activité et que, malheureusement, les premiers symptômes de la crise avaient été accompagnés d'aberrations dans l'ordre de la pensée. Pendant quelque temps en effet, le pauvre Smith avait enseigné secrètement une doctrine étrange et non biblique.

On se souvient que la maison de santé, dans laquelle il avait été hospitalisé en 1872, était dirigée par un médecin chrétien. Celui-ci avait pour spécialité de traiter les troubles psychiques, suite d'amour déçu, chez les deux sexes. Tout en soignant médicalement ses malades, il les réconfortait spirituellement en leur présentant Jésus-Christ comme le consolateur mystique des coeurs blessés. P. Smith avait été vivement intéressé par cette thérapeutique. Il voulut la pratiquer aussi et, dans des entretiens confidentiels, en se servant de comparaisons du Cantique des cantiques, il présenta le Christ à diverses personnes comme le fiancé de l'âme d'une manière qui éveilla des soupçons.

Avec son tempérament, P. Smith n'était pas fait pour exercer une semblable cure d'âme, surtout si l'on songe qu'il était de nouveau la proie de la maladie. Heureusement qu'il ne s'est rien passé de grave ; on tremble en pensant à ce qui aurait pu arriver.
Il n'en reste pas moins que Smith n'agissait pas ouvertement ; il n'était pas à l'aise dans sa conscience et son comité, en parlant de chute, n'a pas été trop sévère. P. Smith lui-même l'a reconnu.

Un peu plus tard, quand les forces lui furent revenues, il écrivait des États-Unis au Record :
« Quand on m'a fait voir les aberrations auxquelles Satan m'entraînait, je les ai immédiatement reconnues, confessées, rejetées et abandonnées à jamais.... J'ai insisté non pas trop fortement mais trop exclusivement sur la confiance en Dieu, tandis que je n'ai pas suffisamment accentué la nécessité de la vigilance.... Que mon exemple avertisse que les plus grands privilèges sont tout près des plus grands dangers et que, dans le temps même où nous croyons faire la volonté de Dieu, nous sommes néanmoins exposés à être trompés par l'Ennemi, qui s'approche de nous déguisé en ange de lumière !

« J'ai été bien malade, mais je me remets peu à peu. Si le Seigneur me permet de travailler encore pour lui je serai plus humble et plus vigilant, cherchant moins à accomplir de grandes choses qu'à marcher dans ses voies avec un coeur débonnaire et contrit. Jusqu'ici, dans l'emploi de mes forces, j'ai eu trop en vue de grands triomphes spirituels, mais le Seigneur a voulu m'humilier et me faire descendre au plus bas, pour mieux me faire réaliser ma propre faiblesse. Dans mes écrits je ne sais rien voir qui soit contraire à la Bible, mais j'y discerne une tendance contre laquelle il faut nous garder avec soin, celle de ne présenter qu'une seule face de la vérité (1). »

Quand on prononce le mot de chute, immédiatement dans le public on met les choses au pire et l'on parle d'immoralité. Mme Smith n'a pas perdu un instant confiance en son mari. Elle écrivait en février 1876 à une amie d'Angleterre :
« Ce nous est précieux de savoir que tant de nos chers amis prient pour nous et connaissent assez mon cher mari pour ne pas donner créance aux cruelles accusations que l'on répand sur son compte. »

Blackwood, membre du comité responsable de Smith, déclarait dans une lettre adressée au Record :
« Nous nous sentons pressés d'affirmer qu'il faut absoudre P. Smith de toute mauvaise intention.... nous lui devons de le laver publiquement de tout reproche d'immoralité.... Son enseignement secret ne consistait en rien d'autre qu'en une sorte d'aveuglement spirituel, tout rempli d'étranges et sataniques subtilités. »

Varley aussi publia une défense de Smith. Il décrivit tout au long dans le Christian World, les phases de la maladie de Smith. Comme Blackwood, Varley était membre du comité des huit, il n'ignora rien de l'enquête. Aux premières nouvelles de la chute de Smith, il s'était exprimé très sévèrement à l'égard de l'Américain. Mais après que l'affaire se fut éclaircie, il devint tout à fait favorable à Smith. Voici comment il termine sa lettre :
« J'affirme ma conviction absolue qu'en dehors de sa maladie de cerveau, M. Smith est un saint homme de Dieu, pur de coeur, qui a glorifié le Dieu qui s'est servi de lui pour accomplir de grandes choses. Je suis d'autant mieux placé pour le dire que je n'ai pas une confiance illimitée en son jugement et que je n'ai jamais pu accepter tout ce qu'il a dit et écrit. À la venue du Seigneur, certainement il lui sera donné une place élevée. Je ne puis autrement que de prier incessamment pour lui (2). »

La nature de P. Smith était en elle-même sensible à l'excès. M. J. Paroz de Peseux écrivait, à propos de ce triste événement dont tout le monde parlait, ces lignes qui nous paraissent très justes :
« Notre coeur, ici-bas, est un pauvre captif qui n'a pas la permission d'étendre ses ailes. Plus qu'aucune autre faculté, le coeur doit s'exercer au renoncement, à la mortification ; de là le devoir de veiller sur son coeur, comme sur son imagination, comme sur ses pensées. »

P. Smith n'avait pas fait d'études spéciales. Ce fut heureux dans un sens ; il ne théorisait pas la vie et par là même donnait cette si puissante impression de sanctification vécue. D'autre part il ignorait les dangers du mysticisme. L'histoire de l'Église l'aurait renseigné sur les aberrations qui ont accompagné quelques-uns des plus beaux mouvements de réveil. Il aurait eu peur de ces entretiens trop spéciaux et trop prolongés avec des personnes d'un autre sexe et se serait défié de certaines émotions maladives.

Et puis, comme ceux qui ont la foi facile, il s'appropriait peut-être avec une certaine superficialité les déclarations les plus profondes et les plus solennelles de l'Écriture. C'est du moins l'impression qu'il faisait à quelques-uns de ses meilleurs amis, à M. Rappard en particulier. Il faut le reconnaître, avec tous ses dons, tous ses talents, il était dans sa constitution intime d'un métal moins pur que plusieurs de ses collaborateurs plus modestement doués. Et pourtant, parce qu'il était réceptif à la grâce de Dieu, le Seigneur en a tiré un parti admirable.

Il est certain aussi que les amis du mouvement ont trop exalté l'instrument dont Dieu se servait et lui ont fait du mal. Un grand nombre de chrétiens s'étaient imaginé que P. Smith avait atteint le faîte de la sainteté et lui faisaient comme une auréole d'admiration. Peut-être la gloire du Christ, le modèle parfait, en était-elle obscurcie et le Seigneur a-t-il dû mettre de côté l'instrument que l'orgueil gagnait. Il y a certainement une part de vérité dans l'affirmation de M. Stockmayer : « C'est l'Église qui est responsable de la chute de P. Smith ; elle a vécu de lui sans le porter en même temps. »

Lord Radstock de son côté nous écrivait sur ce triste sujet :
« Sans doute beaucoup des serviteurs de notre Seigneur ont été bénis par le moyen de Smith dans les Conférences ; mais le fait que nous avons peut-être parlé trop de l'homme et pas assez glorifié notre Seigneur adorable, la seule et unique Source, a aveuglé nos yeux sur le péril qu'il y a pour un homme d'être sur « le pinacle du temple » où tout le monde le voit, au lieu d'être dans le temple où personne ne le voit, mais où il est dans la présence de Dieu. »

Smith l'avoue. Il n'a pas veillé suffisamment contre les maléfices du démon - qui voyait avec rage le succès de ce mouvement. La cime surplombe l'abîme et le Malin sait préparer des crevasses pour tous les tempéraments et des tentations efficaces pour chaque degré spirituel.
Il ressort de cette chute un solennel avertissement, tout particulièrement à l'adresse de ceux qui s'essaient à gravir les sommets. Ne disons jamais d'un penchant : il est mort ! Ne disons pas de notre pied - il est sûr ! Ne croyons jamais surtout que nous sommes arrivés au but, à une sanctification complète. La sanctification la plus saine est celle qui consiste à poursuivre la sainteté le plus humblement, le plus fidèlement et le plus simplement possible.

La chute de P. Smith marqua un arrêt dans l'expansion du réveil de sanctification.
Certains propagateurs du mouvement jetèrent au panier les livres de P. Smith et ne voulurent plus entendre parler ni de l'homme ni du message. Le plus grand nombre des amis du réveil furent navrés. Il y eut des larmes publiques et cachées. On lit dans une lettre de l'époque :
« Je voudrais, oh ! je voudrais pouvoir le dire à M. Smith :De même que nous avons reçu le message glorieux dont son Maître l'avait chargé, ainsi nous recevons, le coeur saignant et pourtant confiant, la poignante leçon que son erreur nous transmet. Je voudrais qu'il sentît que nous tous nous nous humilions avec lui, le front dans la poussière, le regard voilé de larmes, recueillant l'enseignement sévère mais béni que nous apporte son exemple. Qui sait combien de fautes, combien de chutes et d'erreurs nous seront épargnées à nous-mêmes pour avoir vu l'homme fort ainsi frappé aujourd'hui ? (3) »

D'autres, comme le pasteur Layer de Wilhelmsdorf, surent garder la mesure dans leur jugement : « Ne nous laissons pas enlever le bon grain de ce mouvement à cause de l'ivraie que Satan y a semée. »
C'est dans le même sens que M. Th. Monod terminait l'article du Libérateur par lequel il avait communiqué toute cette triste affaire à ses lecteurs :
« Confiez-vous au Sauveur ! ne doit jamais être séparé de : Veillez et priez ! ni de : Combattez le bon combat de la foi ! Une intention droite ne suffit pas pour nous faire marcher droit, c'est sur la Parole de Dieu que nos pas doivent être affermis (Ps. CXIX, 104). En somme la vérité et la sainteté profiteront de cette humiliation salutaire. Nous baissons la tête et ne voulons plus louer que le Sauveur (4). »
« Un homme peut chanceler, affirmait Rappard de sa voix mâle et avec sa foi de géant, cela ne change rien à la fidélité de Dieu ! »

Après son retour en Amérique, en 1875, P. Smith passa par des alternatives de foi lucide et d'obscurité spirituelle. Pendant un de ces bons moments, il prit part avec Moody à des réunions d'évangélisation, il correspondit avec quelques-uns des amis qui lui étaient restés fidèles. Sa femme entra activement dans la lutte antialcoolique aux États-Unis.

Vers 1880, les Pearsall Smith revinrent en Angleterre et s'établirent à Guilford où Smith mena la vie d'un malade, soigné avec le plus grand dévouement par sa femme qui, a-t-on dit, « gardait la foi pour lui ». M. Stockmayer visita P. Smith à Guilford alors qu'il était très souffrant. Le malade se montra touché de l'affection de son visiteur. Après l'entretien il l'embrassa avec effusion. M. Stockmayer nous disait qu'il avait trouvé P. Smith dans son bon sens, mais avec quelque chose de mélancolique qui faisait peine à voir.

P. Smith mourut d'un cancer le 17 avril 1898, tranquille et patient, mais sans que se fût dissipé, à vues humaines, le nuage qui obscurcissait sa foi.

Déjà du vivant de son mari, mais surtout après la mort de ce dernier, Mme Smith se donna à des oeuvres de relèvement et de salut. Pendant plusieurs années, elle fut secrétaire de la grande organisation des Unions chrétiennes de jeunes filles. Elle devint un des plus fermes soutiens de « l'Association britannique des femmes pour la Tempérance ». Elle se rallia aussi à la cause du suffrage féminin, se donnant à ces diverses oeuvres avec la même puissance entraînante qu'elle déployait autrefois aux beaux jours du réveil. Dans ses discours, incapable d'être insipide, elle captivait toujours son auditoire par ses récits vivants et tout illustrés d'anecdotes.

En même temps elle était devenue la confidente de nombreuses personnes éprouvées : « Ce n'était jamais en vain, lit-on dans l'article nécrologique que lui consacra le Christian, que l'on faisait appel dans les moments difficiles, à la sagesse et à l'à-propos de « soeur Hannah ». Nous savions qu'elle avait passé par le feu et par mainte tempête. Nous en avions une preuve dans l'expression douce, forte et châtiée tout à la fois de ses traits et l'esprit de bonté dont elle faisait preuve pour relever chacun. Nous l'avons souvent entendue répéter : Je ne puis être malheureuse, car j'ai toujours Dieu avec moi. (5) »

En 1888, deux de ses filles épousèrent des Anglais et toute la famille vint à Londres, mais c'est à Oxford qu'elle passa les derniers temps de sa vie. Tandis qu'elle-même demeurait clouée dans un fauteuil par un rhumatisme persistant, sa maison était devenue le but d'un véritable pèlerinage. On venait voir et entendre cette vieille dame dont les souvenirs étaient si nets, les facultés si claires, la foi si ferme.

Elle écrivit beaucoup les derniers temps de sa vie, en particulier ce Non-Egoïsme de Dieu, singulier mélange de foi, d'expériences profondes et d'expressions osées. Parfois elle y fait preuve de sentiments emportés, d'un franc parler choquant, puis, la page suivante, on y retrouve les confessions humbles et les cris de victoire de la Soeur Hannah des meilleurs jours. Le livre se termine par ces lignes : « J'ai eu quelques faibles lueurs de la gloire de l'au-delà et ce fut assez pour me ravir le coeur. Mais là-haut je verrai le Seigneur tel qu'Il est et j'en attends le moment avec joie. »

Il est certain que les éditions successives du Secret d'une vie heureuse, celui des ouvrages de Mme Smith qui a eu le plus de succès, ont contribué dans une large part à maintenir ouverte la question de la victoire sur le péché posée par le mouvement d'Oxford, et ont stimulé et stimulent encore par une surprenante vigueur de foi ceux qui cherchent le bonheur vrai dans les victoires de la sanctification.

Mme Smith s'endormit dans sa quatre-vingtième année par une belle après-midi de mai 1911, paisible au milieu de ses trois enfants et tout entourée des fleurs qu'elle aimait le plus.

S'il nous fallait caractériser en quelques mots la manière dont P. Smith et sa femme ont saisi la vie spirituelle - pour autant qu'on peut connaître quelqu'un par ses écrits - nous dirions que chez l'un, le sentiment a pris le dessus, tandis que chez l'autre l'intelligence est devenue envahissante. L'effroi et l'horreur du péché qui ont saisi aux entrailles les réformateurs, et qui se retrouvent chez un Boardman, un Radstock, un Rappard, un Stockmayer, leur a manqué. Or seuls ceux qui ressentent à la pensée d'une chute possible le plus angoissant des frémissements, sont les indestructibles « appuis de la vérité » dans le temple que Dieu érige sur la terre. Mais loué soit Dieu de ce que la prière et la vigilance peuvent être la sauvegarde de quiconque croit à la régénération possible de son tempérament lui-même et permet au Christ-Sauveur de reconstruire « sur d'anciennes ruines ».


1) Le Libérateur, 1876, p. 47-48.

2) Voir pour toute cette affaire : Jellinghaus : Das völlige, gegenwäritge Heil durch Christum. Berlin. Verlag J. D. Prochnow, t. II, p. 39-53. 

3) Le Libérateur, 1876, p. 29. 

4) Le Libérateur, 1876, p. 16.

5) Le Christian du 3 août 1911. 
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