Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XII

Nouvelles réunions en Suisse romande.

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Sainte-Croix. - M. Périllard. - 3e Réunion de Neuchâtel. - MM. Tophel, Th. Monod, F. Godet. - Témoignages de MM. A. Besson, E. Barnaud, Henriquet.


Après Brighton les réunions de sanctification continuèrent à se multiplier en Suisse, en Allemagne et en France. Pour ne pas dépasser les limites que nous nous sommes assignées, nous n'en décrirons que deux en Suisse romande, en y ajoutant le témoignage de quelques-uns des frères qui se sont rattachés alors au mouvement d'Oxford. Du 12 au 15 juillet 1875 avaient lieu les assemblées de Sainte-Croix. Nous reproduisons les lignes suivantes du compte-rendu qu'en donna M. E. Grobet, alors pasteur suffragant à Perroy, et qui devint un des habitués des réunions de consécration :

« À dix heures et à deux heures nous avions l'étude de la Parole de Dieu. On se sentait dépréoccupé des hommes ; on désirait écouter ce que Dieu dit et croire ce qu'il dit, et prendre au mot ses promesses. Que de passages, compris imparfaitement, qui s'illuminent quand on les lit aux pieds de Jésus ! On se demande parfois : Comment se fait-il que je n'aie pas compris cela plus tôt ? .... Et permettez-moi de vous citer un trait qui est à lui seul la preuve évidente que le Seigneur était avec nous. Le mercredi soir, lors d'une réunion d'appel, d'évangélisation, un père présenta son fils à Jésus, demandant avec larmes le changement de son coeur. Ce fils, depuis dix-huit ans, vivait dans le péché, ouvertement, et affligeait ses malheureux parents.
- O vous, qui priez pour une âme qui vous est précieuse écoutez ! - Le fils prodigue était là.... la prière fut entendue, l'Esprit de Dieu lui révéla la grandeur de ses péchés. Il passa la nuit dans le trouble et, le jeudi matin, n'en pouvant plus supporter le fardeau, haïssant sa misère, il alla se jeter à genoux devant son père et sa mère, leur demandant pardon. À la réunion du matin, après une prière émue de son père, il se leva, confessa publiquement ses fautes : « C'est moi, c'est moi qui suis ce fils prodigue, disait-il ; mais me voici, je reviens à mon père. » Je n'oublierai jamais ce moment. Bien des yeux se remplissaient de larmes. Un enfant perdu venait de trouver dans les bras de Jésus amour et pardon.... (1)

Comme ailleurs, les personnes qui avaient été particulièrement touchées furent invitées à le manifester publiquement en se levant ; un certain nombre d'entre elles le firent joyeusement. M. C. Pahud, pasteur national, protesta dans le Journal évangélique du canton de Vaud (2) contre ces témoignages publics. Il terminait cependant son article par ces paroles de conciliation : « Si je ne puis, comme M. Grobet, approuver tout ce qui s'est passé, si j'insiste moins que lui sur les résultats immédiats, je puis cependant me joindre sincèrement à lui pour bénir Dieu de ce que l'Évangile a été annoncé d'une manière aussi vivante.... »

M. Périllard était alors pasteur de l'Église libre à Sainte-Croix ; il revenait de Brighton et c'était en grande partie à son instigation que les réunions avaient été organisées.
Dans une lettre particulière M. Périllard nous raconte ses souvenirs de cette époque ; nous en citons ici un fragment
« .... Parmi les collaborateurs de M. Pearsall Smith, M. Th. Monod est, à mon sens, celui qui a fait entendre la note la plus claire et la plus entièrement scripturaire. J'aime à me souvenir de ses allocutions à Brighton (je n'étais pas à Oxford) et à Genève.

C'est lui surtout qui a relevé le devoir de la vigilance et rappelé le sérieux de la lutte, alors que l'enseignement de P. Smith soulignait surtout le repos de la foi, ouvrait la porte à une certaine tendance quiétiste, qui certes n'était pas dans sa pensée, car pour parvenir au repos de la foi, il proclamait la nécessité d'une entière et absolue consécration. Mais le danger était d'en venir à croire (comme l'ont fait ensuite les adhérents de la doctrine dite des « Coeurs purs ») que cette consécration s'opérait une fois pour toutes, et que le coeur était si bien renouvelé que le vieil homme était définitivement et pratiquement anéanti, sans que le chrétien ait plus rien à craindre de ses attaques.

Hélas ! on s'est bientôt rendu compte de la réalité de l'expérience que Luther exprimait dans son pittoresque langage : « Je croyais avoir noyé mon vieil homme, mais je me suis aperçu que le misérable savait nager. » - M. Th. Monod a rappelé sans cesse (et il n'a pas été seul à le faire) la nécessité de demeurer en Christ pour avoir part à sa vie, et il a insisté sur le devoir de la vigilance et de l'exercice sans cesse renouvelé de la volonté pour nous maintenir dans le repos de la foi et nous assurer la victoire.

La mention du nom de M. Th. Monod m'a conduit à signaler les dangers que courait le mouvement d'Oxford. Mais j'aurais dû parler tout d'abord de la lumière bénie qu'il a fait luire sur notre chemin. Non pas que les promoteurs de ce mouvement aient rien enseigné que d'autres n'aient enseigné avant eux, non pas qu'ils aient rien découvert ; mais ils ont souligné des vérités scripturaires trop habituellement laissées dans l'ombre ; ils ont fait paraître avec une clarté nouvelle la personne du Christ « capable de sauver parfaitement ceux qui s'approchent de Dieu par lui », Christ qui n'est pas seulement « justice », mais « sanctification » et « rédemption ».

Pour beaucoup de chrétiens cet appel à prendre possession de la plénitude du salut que Dieu nous a préparé en Christ fut une révélation. Plusieurs pasteurs y trouvèrent un renouveau de leur ministère, et plus d'une Église sentit passer sur elle un souffle de réveil.... (3) »

À Neuchâtel, un grand Comité d'Alliance évangélique, composé de MM. les pasteurs Monnerat de l'Église libre, président, L. Nagel et Du Bois de l'Église nationale, E. Robert-Tissot, H. Junod de l'Église indépendante, Reichel, pasteur morave à Peseux, Ecklin, pasteur allemand et des laïques : Dr Touchon, L. Coulon, Ferdinand Beek, François Touchon, F. de Perregaux, prit l'initiative de convoquer des réunions de consécration du 21 au 23 septembre 1875. Il s'assura le concours de Th. Monod ; il avait invité P. Smith, mais celui-ci était déjà reparti pour les États-Unis. Pendant trois jours on devait étudier à la lumière de l'Écriture : le Mal, le Remède, et la Guérison.
Le Comité organisa pour les trois soirs des réunions en langue allemande à la Salle des Conférences.
On comptait sur une grande participation, l'attente fut dépassée ; il fallut se transporter au Temple du Bas, déjà pendant la journée ; parfois même il fallut tenir une réunion parallèle à la chapelle des Terreaux.
Plus de cent pasteurs avaient répondu à l'appel.

Le lundi soir, M. Tophel, alors pasteur de l'Église libre, à Genève, définit le but des réunions par une heureuse comparaison :
« Si vous voyiez, dit-il, sur la voie ferrée un train arrêté et le mécanicien assis sur la voie, pleurant de ce que le convoi ne marche pas, vous lui diriez : Mon ami, ce n'est pas en te lamentant que tu feras avancer le train ; cherche plutôt la cause de l'arrêt, puis : en avant ! De même pendant longtemps, nous avons gémi sur le peu de progrès de notre vie chrétienne ; on a dit et répété que son niveau baissait. Le moment est venu de ne plus se contenter de ces plaintes trop justes. Il faut rechercher les causes de l'arrêt, les supprimer et se remettre en marche. C'est à quoi visent les réunions qui commencent aujourd'hui. »

Le lendemain, le sujet si grave du péché fut traité avec un sérieux et une profondeur qui saisirent à la conscience tous les assistants. Les principaux orateurs étaient MM. Stockmayer, Th. Rivier, A. Bovet, Coulon, pasteur à Corcelles, Barde de Vandoeuvres, H. Junod de Neuchâtel, Borel de Saint-Aubin. Mais ce fut Th. Monod qui prononça les paroles décisives.
Il dénonça le mal avec la dernière énergie : « Où est-il ? ou plutôt où n'est-il pas ? Vous dirai-je de regarder autour de vous et de le chercher dans votre patrie ou dans la mienne, dans l'Église, dans le monde dans les familles ? Non. Nous ne sommes pas ici pour faire des amplifications.
Regardez en vous-mêmes. Ne vous occupez pas du mal en général, mais du vôtre en particulier.
Soyez de bon compte avec Dieu et avec vous-mêmes.

Quelques-uns sont venus pour apprendre à connaître l'obstacle qui les arrête dans la voie chrétienne et ils le connaissent depuis longtemps. La lumière ne nous manque pas. Mais l'on fait avec le mal, comme le père qui joue avec son enfant, L'enfant s'est caché derrière le rideau et le père le cherche partout ; il voit ses petits pieds dépasser le rideau et entend ses rires étouffés, mais il le cherche ailleurs, partout, excepté où il sait qu'il est. Nous faisons de même à l'égard du péché. On sait où est son péché, on le voit et on l'entend, mais on le cherche avec soin partout où l'on sait qu'il n'est pas. Allez donc dans ce petit coin dont vous vous tenez soigneusement éloignés et auquel vous avez toujours tourné le dos et vous trouverez votre péché. Vous, l'incrédulité, vous la paresse, vous l'impureté, vous la colère, vous l'avarice, vous l'idolâtrie des vôtres, vous l'égoïsme. Cherchez bien. Laissez Dieu chercher. N'imitez pas les malades qui cachent leur vrai mal au médecin par crainte des amputations qu'il faudrait faire. Et celui qui vous aura montré le mal vous dira comment le mal peut être guéri.... (4) »

Entre les grandes réunions avaient lieu des assemblées plus restreintes, pour les dames, pour les hommes, pour les pasteurs. C'est dans une de ces réunions pastorales que M. Th. Monod demandait spirituellement à ses contradicteurs qui niaient la possibilité de la délivrance du péché : « Jusqu'à quel point le chrétien peut-il rester voleur, ou menteur sans compromettre son salut ? »

C'est alors aussi que M. Stockmayer, avec un courage extraordinaire, mit son coeur à nu devant ses collègues et leur raconta jusqu'où la puissance du sang de Christ avait agi dans son être physique, au scandale des uns, à l'édification profonde des autres. Il fut conduit dans cette même séance à déclarer que depuis un temps qu'il indiqua, il ne se souvenait pas d'avoir commis un acte d'infidélité consciente. Dans le public, qui ne sait pas faire les nuances, on lui prêta l'affirmation qu'il ne péchait plus.

En réalité il avait dit :
« Pour moi comme pour mes frères qui annonçons la délivrance du péché, la sainteté ne peut être un état comme elle l'est pour Dieu, c'est une attitude. Tant que je demeure dans l'attitude du racheté de Jésus-Christ, gardé par sa puissance, je suis préservé de chutes, tout en conservant dans mon être terrestre toutes les dispositions au mal ; puis cette attitude se fortifie par l'exercice et devient une habitude. »

Le mercredi on traita de la question du « remède ». C'est le professeur Frédéric Godet qui introduisit le sujet et présida la réunion.
« Que penserait, dit le théologien neuchâtelois, un étranger qui verrait ces grandes foules réunies ici ? Il penserait que nous célébrons l'anniversaire de quelque événement national. Non, lui dirions-nous ; et si cet homme était ignorant du christianisme, nous ajouterions : nous sommes ici, parce qu'un homme a réalisé sur la terre la sainteté parfaite.
- Mais qu'est-ce que cela vous fait ? pourrait-il demander.
- Ah ! répondrions-nous, ce qui a été possible à un Jésus-Christ, est possible à tous, et ce qui est possible à tous est un devoir pour tous. Mais quel est le lien entre cette vie unique du Christ et la nôtre ?
La réponse je la trouve dans Romains VIII, 1-4. Aucune condamnation !

Saint Paul fait entendre par là qu'il y a plus d'une sorte de condamnation ; il y a celle qui est le mécontentement, la colère, la malédiction de Dieu ; pécheur, je suis maudit ! Quelle pensée bien propre à nous faire frissonner. Les chapitres I-V de l'épître aux Romains montrent comment cette condamnation est ôtée pour le croyant qui saisit par la foi la justice de Christ.

Il y a une seconde condamnation, celle qui est dans le péché même. Si le péché demeure après le pardon, la condamnation renaîtra dans la mesure où le péché subsiste. Rappelez-vous l'homme à qui sa dette vient d'être remise et qui se refuse de remettre celle de son compagnon de service.
Jésus ne nous justifie pas pour nous dispenser de la sainteté, mais pour la rendre possible.

Le pardon est le seuil du temple, la sainteté est le sanctuaire même. Le salut de l'âme, ce n'est pas seulement qu'elle soit pardonnée, mais qu'elle soit en santé, sainte, car le péché est à la fois faute et maladie. Voilà pourquoi la sanctification doit couronner la justification.

Mais quel lien y a-t-il entre elles ? L'apôtre le dit : « La loi de l'Esprit de vie qui est en Jésus-Christ m'a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Il y a une loi en Jésus-Christ ; cette loi n'est point extérieure ; elle n'est pas non plus la conscience qui pèse sur notre volonté ; elle est intérieure, elle pénètre, entraîne, subjugue, fortifie la volonté, c'est l'Esprit de vie qui est en Jésus-Christ. Jésus nous le communique et nous transmet par là sa propre sainteté réalisée ici-bas....
Le mouvement actuel, sur lequel on peut faire peut-être certaines réserves, - je ne le juge pas - est une réaction contre la tendance qui envisageait le mal comme nécessaire. Vinet, dans un moment d'épanchement, m'a dit ce mot que j'ai recueilli avec soin :
« Dans le coeur des meilleurs chrétiens, la grâce cache un venin subtil ; ils disent : péchons non pour que, mais parce que la grâce abonde. »

N'est-il pas humiliant qu'on ait pu dire : « Le mensonge est le péché des chrétiens ; - personne n'est plus âpre au gain que les chrétiens ; - et qu'on ait pu écrire : Trouvez-moi une bonne domestique, mais surtout que ce ne soit pas une soeur ! C'est humiliant pour nous et pour le Seigneur qui a travaillé et lutté pendant trente ans pour notre sanctification !

Le divorce entre le péché et nous dont parle le chapitre VI des Romains, il faut le maintenir. « Vous êtes morts, faites donc mourir ! » C'est quand le divorce est prononcé, que nous pouvons éloigner le péché ; c'est sur le fondement de ce divorce prononcé en face de la croix qu'il faut continuer à vivre.... (5) »

Ce matin-là, un laïque, M. Steinheil (6), industriel à Rothau en Alsace, prit aussi la parole : « Le remède n'est pas parcimonieusement donné, dit-il, c'est Christ, Dieu en Christ, le pain du ciel. Mais le remède n'agit pas avec l'efficacité qu'il faudrait parce que nous sommes incrédules, nous doutons de sa puissance. Voilà pourquoi nous sommes pauvres au sein de la richesse, affamés en présence d'une table abondamment chargée de biens.... »

Citons encore ces paroles de M. le pasteur DuBois :
« Au commencement de son ministère Jésus entra dans la synagogue de Nazareth et lut dans le prophète Esaïe : L'Esprit du Seigneur est sur moi.... etc., Luc IV, 18-19.
Immense parole dans le temps où elle fut prononcée. Alors pour les pauvres, pour ceux qui avaient le coeur brisé, pour les captifs, il n'y avait aucun secours pour ainsi dire, aucune consolation, aucune délivrance. On comprend que les multitudes aient suivi Jésus.

Aujourd'hui le Seigneur fait entendre les mêmes paroles : est-ce à moins bon droit ? .... Des esclaves ? Libres citoyens du plus libre des pays, nous ne connaissons pas l'esclavage antique, mais nous avons les esclaves des passions inavouables, de l'impureté, du mensonge, d'un caractère violent....

Voici le Libérateur ! Qui est-il ? Votre frère. Que faire ? Aller à Lui. Mais qu'est-ce que aller à Lui ? Le connaître, jouir de sa présence ? Oui, mais avant tout s'unir à Lui en vérité, lui ouvrir son coeur pour qu'il y apporte la force de l'Éternel et que, nous délivrant parfaitement, il nous fasse entrer dans la République des Cieux. »

Le jeudi, à propos de la guérison du péché, M. Tophel disait : « Voici la parole du jour dans le livre de textes des Moraves : « Sur vous qui craignez mon nom se lèvera le soleil de justice et la santé sera dans ses rayons » (Mal. IV, 2). Cette prophétie s'est accomplie, le soleil s'est levé, chacun peut et doit trouver la pleine santé. Dans l'Ancienne alliance, le croyant est sous tutelle ; la fortune n'est pas encore entre ses mains. Le privilège de la Nouvelle alliance c'est que le croyant a la jouissance de son capital, l'âme possède son céleste Époux, l'oeuvre proprement dite du Saint-Esprit a commencé, oeuvre de régénération.
- Mais je n'ai rien éprouvé d'extraordinaire !
- Ne vous en inquiétez pas. Quand le fruit commence-t-il dans la fleur ? à quelle minute, à quelle seconde ? Nul ne le sait, nul ne le voit. De même Christ est formé en vous, lors même que vous n'avez rien éprouvé d'extraordinaire. Et quelle oeuvre que celle-là ! Elle est permanente, durable, définitive.... »

La dernière assemblée, celle du jeudi soir, fut présidée par M. Th. Monod :
« Nous avons donné notre coeur à Dieu, nous l'avons donné sincèrement. Cela suffit-il ? Personne n'était plus sincère que Pierre quand il disait : « Je ne me scandaliserai pas, je ne t'abandonnerai pas. » Et quelques heures après il était tombé de poltronnerie en poltronnerie, de mensonge en mensonge, de faux serment en faux serment, jusqu'à renier son Maître.... Nous disons ce soir au Seigneur : « Je te suivrai partout où tu iras. » Mais sur quoi repose cette confiance ? Sur le bien reçu, vos émotions, vos bons désirs ? Cela ne vaut rien.

Dites plutôt comme ce prêtre, qui pendant les heures sombres de la Commune, voyant venir la nuit, écrivait dans son journal : « Seigneur, je compte sur vous, ne comptez pas sur moi. » Que Pierre nous serve d'exemple : Ne comptons jamais sur nous, comptons toujours sur Lui.... Quelqu'un m'a demandé comment on peut être débarrassé du « moi ».
C'est une grande question que je ne puis pas traiter dans ce moment comme il le faudrait. Je me borne à dire ceci : Le moi est comme l'ombre qui nous suit partout. Mais quand ne voyons-nous plus notre ombre ? C'est quand nous regardons vers le soleil. Regardez en face le Seigneur Jésus et vous ne verrez plus votre ombre. »

M. Barde s'adressa à ceux qui ne sont pas encore guéris mais qui ont accepté le traitement approprié à leur cas : « Pourquoi le médecin est-il souvent inquiet de ses malades ? Parce que ceux-ci, souvent, détruisent l'effet des remèdes par leurs imprudences ou leur négligence. On en veut faire à sa tête ; on accepte le remède proposé par le Seigneur et puis on oublie peu à peu que « hors de Lui nous ne pouvons rien faire ».

Ce soir-là le pasteur Alphonse Besson, de Tavannes, dans le Jura bernois, rendit un témoignage dont plusieurs auditeurs ont conservé le souvenir. Nous détachons de son journal intime le récit de la transformation qui s'était opérée en lui pendant ces réunions de Neuchâtel et la manière dont il fut amené à en témoigner publiquement.
« Il s'est passé pour moi, à l'occasion des réunions religieuses qui ont eu lieu à Neuchâtel les 21, 22 et 23 septembre dernier, un événement qui mérite dans le journal de ma vie religieuse une mention particulière.

Réjoui par le mouvement actuel, je suis parti pour Neuchâtel, le coeur plein d'espérance ; j'attendais beaucoup pour notre Église de ces assemblées religieuses. Cependant je ne me croyais pas appelé à recevoir personnellement de nouvelles grâces de mon Dieu. Je me sentais en sa communion ; j'avais reçu mille témoignages de sa bonté. Je jugeais les défaillances partielles de ma foi, mes petites faiblesses morales, mes laisser-aller, choses toutes naturelles et inhérentes à la nature humaine, des boulets aux pieds que le chrétien est appelé à traîner après lui jusqu'à son dernier soupir et je me sentais satisfait.

Tout en éprouvant une grande sympathie pour le Réveil actuel, il me semblait y découvrir certaines exagérations : Qu'était-ce que cette influence mystérieuse de l'Esprit qui, disait-on, avait opéré sur certains « réveillés » pour les amener à accepter en plein les principes nouveaux annoncés par M. P. Smith ? De plus les témoignages publics me semblaient être parfois les produits de l'orgueil plutôt que de la fidélité chrétienne. Enfin les efforts mêmes des promoteurs du mouvement qui voulaient à tout prix le fonder théologiquement sur la Bible me mettaient en défiance.
J'étais tellement dominé par ces craintes d'exagération crue j'exprimai publiquement le désir de voir s'engager une discussion approfondie sur le mouvement entre MM. F. Godet et Th. Monod.

Vint la nuit du mercredi au jeudi. Le soir, j'étais rentré sous le toit hospitalier qui m'abritait, moins satisfait que la veille de tout ce que j'avais vu et entendu. La vue de la foule m'avait édifié, mais je n'avais été frappé spécialement ni par un texte, ni par un discours. Je lus quelques passages, je me recommandai à Dieu selon mon habitude et m'endormis tranquillement.
Au milieu de la nuit, je fus réveillé par une angoisse indescriptible. Était-ce de la fièvre, de l'excitation ? Je pris un livre dans la bibliothèque, pour me calmer. C'était Buffon. Je l'avais choisi pour faire diversion à toutes les émotions religieuses ressenties les jours précédents.

Un remords violent s'empara de moi. Quoi, délaisser sa Bible en faveur de Buffon à un moment semblable ! Je pris mon Nouveau Testament ; aussitôt il se produisit une détente en moi ; j'avais obéi. En ouvrant le livre, mes regards tombèrent sur le chapitre XII des Hébreux. Ces paroles qui étaient pourtant de vieilles connaissances m'apparurent à cette heure-là comme si je les avais lues pour la première fois. J'arrivai au verset 25 : « Prenez garde de ne point mépriser celui qui vous parle : car si ceux qui méprisaient ceux qui leur parlaient n'ont point échappé, nous serons punis beaucoup plus sévèrement, si nous nous détournons de celui qui nous parle des cieux....

Ces paroles firent sur moi une impression des plus vives. Elles m'auraient été adressées à haute voix qu'elles ne m'eussent pas paru plus saisissantes. Je fus rempli du sentiment de la présence de Dieu et je dis : Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ! Alors par un phénomène psychologique incompréhensible à quiconque nierait la toute-puissance du Seigneur, je me vis en un instant transformé dans mes manières de voir au sujet du Réveil et de ses doctrines. Toutes les affirmations des promoteurs du mouvement que j'avais combattues la veille devenaient mes propres convictions. Mes objections battaient en retraite comme une troupe en fuite. Je m'avouai vaincu par le Seigneur, et je lui déclarai que dorénavant je me joindrais, dans la mesure de ce qu'il réclamerait de moi, à la « nuée de témoins » qui lui rendaient témoignage dans le réveil actuel.

Mais, tout à coup, après consécration, semblait-il, totale et sans réticence de mon être au Seigneur, l'angoisse s'empara de nouveau de mon coeur. Je pris mon livre de cantiques, les Hymnes du croyant, l'ouvris et lus au n° 74 :

Je veux me lever, je veux me lever
Et m'en aller vers le Père et je lui dirai....

Je suivis le conseil qui m'était donné d'une manière si catégorique et là, à genoux devant mon Dieu, je fis la sincère confession de mes péchés et je me recommandai à sa grâce par Jésus-Christ, cette grâce dont j'avais tant de fois déjà fait l'expérience. Mais l'angoisse persistait. « Le Seigneur me pardonnera-t-il ? » Dans mon trouble je repris mon recueil de cantiques et tombai sur le n° 72 :

Tel que je suis, pécheur rebelle,
Au nom du sang versé pour moi.
Au nom de ta voix qui m'appelle,
Jésus, je viens à Toi !

Ce cantique était une réponse à mes perplexités et, dès les premiers mots, j'éprouvai une joie, un repos, une tranquillité que je n'avais encore jamais éprouvés. Je savais depuis longtemps que Dieu m'avait pardonné mes péchés en Jésus-Christ, mais je ne l'ai jamais su comme en ce moment-là. Chaque mot de ce cantique faisait sur mon coeur l'effet d'une goutte d'eau sur les lèvres du voyageur fatigué. Combien j'étais heureux ! Je me sentais dans toute la force du terme un enfant de Dieu.

Comment décrire le bonheur que j'éprouvai pendant plus de deux heures à lire et à relire ce chapitre XII des Hébreux et ces deux beaux cantiques. C'était un avant-goût du ciel. Après le premier moment passé, la question du témoignage public se posa à mon esprit. Devais-je dire à mes frères ce que j'avais vu et reçu ? Devais-je en particulier annoncer que j'avais changé de manière de voir à l'égard du Réveil ? Par moment il me semblait que non, que je devais garder pour moi ce pieux dépôt, ne pas laisser échapper le parfum en ouvrant le vase de grand prix qui m'avait été accordé. Puis la voix intérieure me criait que ce serait une lâcheté et quand j'étais décidé à parler la même voix intérieure me disait. Prends garde à l'orgueil !

Je résolus de ne plus me préoccuper de cette question, de m'en remettre à Dieu et de me laisser guider par lui. Dès le lendemain, je dis à plusieurs personnes ce qui m'était arrivé. Je ne pouvais agir autrement. À la réunion des pasteurs, l'après-midi, je me sentis pressé de raconter les événements de la nuit. En sortant de cette réunion un vénérable frère me dit : « J'ai éprouvé aussi la nuit dernière une joie toute particulière mais je me suis tu. » Je le remerciai de son observation, lui dis combien je le comprenais puisque la veille encore, j'aurais fait comme lui.
- Désormais, me disais-je, tu te tairas. Tu as rendu témoignage, cela suffit.

Quand j'arrivai à la réunion du soir, le Temple du Bas était rempli. Je ne trouvai à m'asseoir que sur les marches de l'escalier de la chaire. C'est là que M. Th. Monod qui présidait vint me trouver pour me demander de rendre mon témoignage. Je ne me sentis pas libre de refuser et suis heureux d'avoir déclaré, à la gloire de Dieu, que Jésus-Christ est près des siens plus que je ne le croyais et qu'il assiste d'une manière particulière les propagateurs du réveil actuel.... »

Si ce témoignage parut déplacé à quelques-uns, il en affermit d'autres.
M. Borel-Girard, alors correspondant du Chrétien évangélique, écrivait après les réunions de Neuchâtel :
« Ces journées ont affirmé la réalité de la communion des saints. Nationaux, indépendants et libres, oubliant tout ce qui peut les séparer dans le temps pour ne s'occuper que de ce qui les unit dans l'éternité, formaient à Neuchâtel comme une grande famille. Cela faisait du bien à voir dans ce pays si profondément divisé par les questions ecclésiastiques. Aussi les journaux incrédules, organes du parti qui fait sa joie de nos déchirements, n'ont-ils pas manqué de se moquer plus ou moins agréablement de « ce peuple hétérogène autant que traditionnel, qui sous prétexte d'adorer Dieu, se livre à toute espèce d'exercices ».

Eh bien, oui, moquez-vous tant qu'il vous plaira ; vos injures n'empêcheront pas ceux qui sont vraiment unis dans l'amour du Christ de se retrouver.... (7) »

De son côté, l'Union Jurassienne terminait son compte rendu en disant - « Les réunions de Neuchâtel ont laissé, dans les coeurs de la grande majorité de ceux qui y ont assisté, plus qu'une excellente impression, plus qu'un bon souvenir, plus que de sincères résolutions ; la conviction que le Christ, vivant aux siècles des siècles, est près de nous et qu'il veut et qu'il doit habiter dans nos âmes pour cette vie et pour l'éternité. C'est là ce que désiraient les organisateurs de ces réunions si belles, si bonnes et ils ont été exaucés au delà de ce qu'ils attendaient. »

Après les réunions de Neuchâtel, la lettre suivante parut dans le Journal évangélique du Canton de Vaud (8) :

Moudon, le 30 septembre 1875.
Voulez-vous recevoir dans vos colonnes ma confession au sujet des assemblées religieuses de Neuchâtel ? Cette confession, j'aurais dû la faire de vive voix dans l'une des réunions spécialement destinées aux hommes, mais une fausse timidité m'en a empêché.

Lorsque je me rendis à Neuchâtel dans la journée du 20 septembre, ce n'était point avec l'intention d'appuyer par ma présence le mouvement religieux provoqué en Angleterre par M. Pearsall Smith. Ce mouvement soulevait au contraire en moi des oppositions de toute nature. Depuis longtemps j'appelais de mes voeux un réveil de la vie religieuse au sein de nos Églises et par nos Églises au sein de nos populations. Mais il m'était impossible de partager sans de nombreuses réserves, le point de vue de nos frères anglais, et surtout d'approuver les moyens employés par eux pour ranimer le zèle chrétien de leurs auditeurs. - J'allai donc à Neuchâtel plutôt en homme du dehors, en critique, pour voir et pour entendre par moi-même ce qui se passerait et ce qui se dirait, que pour mon édification.

Et maintenant, je suis allé, j'ai vu et entendu, et je puis affirmer que les réunions religieuses du 20 au 23 septembre ont été à la gloire de Dieu et pour le relèvement de son Église. Tout ce qui s'est dit et tout ce qui s'est fait durant ces trois à quatre journées, à part quelques discours sans importance, était marqué au coin du plus parfait bon sens chrétien et m'a profondément édifié.

Maintenant aussi mes préventions sont tombées. Je condamne toujours certaines exagérations et certaines tendances du mouvement tel qu'il s'est produit en Angleterre, mais je crois que dans nos pays de langue française le mouvement est entré dans une voie pleinement évangélique, et, pour ce qui me concerne, je déclare y adhérer de tout mon coeur.

Maintenant je me rends compte de ce qu'il y a de nouveau dans les vues exprimées par les promoteurs du mouvement. Ce que ces derniers se proposent c'est d'engager les chrétiens à vivre d'une manière plus conforme à la piété qu'ils professent, de lutter, en particulier, contre leurs péchés, non pas en se disant : « L'issue de ma lutte sera la défaite » mais bien : « L'issue de ma lutte sera la victoire par Jésus-Christ mon Sauveur ».

Trop aisément les chrétiens prenaient leur parti de leurs chutes, trop aisément ils passaient condamnation sur leurs souillures ; trop fréquemment ils regardaient à eux-mêmes, au lieu de regarder au Sauveur et à ses promesses de secours. La vie chrétienne doit être une continuelle ascension vers la perfection, et non point une succession de hauts et de bas, de pas en avant et de reculs ; autrement que signifierait cette parole du livre des Proverbes que corroborent tant d'autres déclarations du Nouveau Testament - Le sentier des justes est comme la lumière resplendissante dont l'éclat va croissant jusqu'au plein midi ?
Voilà ce que j'ai appris à Neuchâtel ; non pas que je l'ignorasse absolument, mais je prêchais et je vivais à peu près comme si je l'eusse ignoré.
Voilà aussi le témoignage public que je me sens pressé de rendre aux hommes qui, dans cette circonstance, ont été les organes du Dieu de sainteté.
Recevez....

E. BARNAUD, pasteur.

À la même époque, un comité composé de représentants des diverses Églises et dénominations convoquait à Lausanne des réunions semblables. Ce furent les mêmes bénédictions accordées en réponse aux mêmes demandes : plus de vie chrétienne authentique.

Nous n'en retiendrons qu'un témoignage, celui que rendait un vieillard, le pasteur en retraite Henriquet (9), un témoin et un ouvrier du premier réveil, qui fait pour ainsi dire le trait d'union entre le réveil des Bost, des Malan et celui d'Oxford. Par la suite il rédigea ce témoignage à la demande de M. Monod qui le publia dans le Libérateur :
« Vous m'avez demandé d'exprimer dans le Libérateur, comme je l'ai fait de vive voix dans une réunion à Lausanne, mes impressions et mes expériences personnelles, au sujet du mouvement religieux qui se propage depuis quelque temps en France et en Suisse, par les assemblées dites de consécration.

C'est avec empressement que je réponds à votre désir, car plus j'y réfléchis et moins je puis comprendre que les chrétiens évangéliques de toute dénomination ne soient pas unanimes à se réjouir de ce mouvement, avec actions de grâces à notre Dieu. C'est une doctrine nouvelle et dangereuse, a-t-on dit d'abord ; puis, mieux renseigné et ne pouvant y méconnaître la vieille et toujours neuve doctrine de la grâce de Dieu en Jésus-Christ, on n'a voulu voir dans ce qui se passait qu'une agitation factice et vaine. Toutefois, il me paraît impossible que les amis de la vérité se méprennent longtemps encore sur le vrai caractère d'un réveil qui n'a point d'autre objet que la sanctification des croyants, qui ne s'attache exclusivement à aucune forme particulière d'Église, et qui certainement produit en bien des lieux, des fruits de vie et de paix. Plusieurs frères en ont déjà rendu témoignage.

Dans une des assemblées de ce genre dont nous avons été favorisés à Lausanne, j'ai cru devoir prendre la parole dans ce sens. Enfant et témoin du premier réveil, d'abord dans le canton de Vaud, mon pays natal, de 1824 à 1826, et en France depuis 1827, j'ai toujours confessé et prêché le même Évangile de la grâce de Dieu auquel je crois encore, n'ayant jamais eu d'autre règle de ma foi et de ma doctrine que les Écritures divinement inspirées de l'Ancien et du Nouveau Testament.

Je n'ai donc jamais cessé de recevoir et d'annoncer Jésus-Christ, Fils de Dieu, comme unique et parfait Sauveur de quiconque croit en Lui. Aussi a-t-il daigné bénir mon faible ministère, en amenant bien des âmes à sa connaissance partout où j'ai été appelé à parler en son nom. Et cependant, je dois reconnaître aujourd'hui qu'il me manquait quelque chose, pour moi-même d'abord, et aussi pour l'accomplissement de l'oeuvre que le Seigneur m'avait confiée. Je croyais, mais je ne jouissais que très imparfaitement des privilèges de ma foi ; je ne possédais que par intervalles l'assurance et la jouissance de mon salut ; aussi je n'étais pas habituellement heureux en Christ, et il y avait certaines tentations dont je n'étais pas victorieux.

Maintenant je vois ce qui manquait à ma foi.... J'ai donc compris que la mort et la résurrection de Jésus-Christ sont aussi efficaces pour nous affranchir du péché que pour nous arracher à la mort éternelle et que, par conséquent, nous devons attendre de Lui, par la foi et de jour en jour, la victoire sur le péché et la sanctification de l'Esprit, avec autant d'assurance que notre justification ; car « il est puissant, Lui, le Roi de gloire, pour sauver entièrement ceux qui s'approchent de Dieu par Lui (10) »


1) Journal évangélique du canton de Vaud n° du 30 juillet 1875. 

2) Ibid, 27 août 1875. 

3) Lettre particulière du 17 juin 1913 

4) Journal religieux, 25 sept. 1875. 

5
) Journal religieux, 2 oct. 1875.

6) Cet homme remarquable tint l'école du dimanche pendant cinquante ans aux enfants de ses ouvriers. Il fut d'entre les premiers à répartir des bénéfices à ses ouvriers ; il s'occupait en père de leur bien-être et surtout de leur salut. Député à la Chambre, à Paris, il ne craignit pas d'y faire une courageuse profession de sa foi chrétienne.

7) Chrétien évangélique 1875, p. 496-497. 

8) N° du 8 oct. 1875. 

9) Vaudois de naissance, il avait été longtemps pasteur à Sainte-Foy dans la Dordogne. 

10) Le Libérateur 1876, p. 4 et 5. 
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