À vouloir réunir en faisceau les
conclusions qui se dégagent de
l'étude de ce mouvement, la première,
la principale, celle qui nous semble s'imposer avec
la clarté de l'évidence, c'est que
l'Esprit souffle où il veut !
Le réveil d'Oxford n'aurait
jamais pris naissance par le seul jeu des causes
humaines. Que la piété
équilibrée de nos milieux religieux
d'Allemagne, de Suisse, de France soit tout
à coup sortie de son habituelle
réserve, qu'un nombre considérable
des pasteurs les plus distingués et les plus
zélés aient été
jetés dans la consternation par les
déficits de leur vie spirituelle et de leur
ministère, que bergers et troupeaux, jusque
chez les anglicans et les luthériens, aient
pleuré, prié et confessé
publiquement leurs besoins et même leurs
péchés, c'est un fait trop
extraordinaire pour qu'il ne soit pas d'ordre
divin.
Dieu a voulu le réveil de
sanctification de 1874 et 1875 ; c'est un
temps de grâce qu'il a donné à
son peuple. Il est vrai de reconnaître que
divers facteurs de succès se sont
trouvés réunis à ce
moment-là.
Jamais peut-être depuis la
Réformation, les chrétiens
évangéliques n'avaient
été aussi nombreux, aussi
groupés, aussi affirmatifs, aussi
spirituellement développés
qu'à cette époque-là. La
prédication de la croix retentissait dans
les chaires évangéliques avec
netteté et puissance. On n'atténuait
ni les couleurs, ni les
contours : évangéliques et
libéraux étaient parfaitement
distincts, aussi bien spirituellement que
théologiquement. On retrouve dans la voix
des prédicateurs d'alors l'écho de
celle des réformateurs. L'Église
croyante possédait des fondements bibliques
suffisamment solides pour supporter un
progrès en hauteur. Le Christ,
fidèlement accepté comme
« justice », pouvait se
révéler « sanctification et
rédemption ». Cet état de
l'Église, dont elle ne se doutait pas
elle-même et qui la poussait au contraire
à s'humilier et à soupirer
après un printemps spirituel, était
exceptionnellement favorable à une nouvelle
Pentecôte.
À ce moment aussi il s'est
rencontré des deux côtés de
l'océan des hommes de culture, vivants et
consacrés, dont les expériences
étaient à la fois précises et
profondes. Ceux d'Europe plus calmes, plus clairs,
mais aussi plus
« théoriques » ont
été soulevés,
réchauffés, déclenchés
si l'on peut dire, par les Américains plus
ardents et plus pratiques. Ceux-ci, à leur
tour, se sont rectifiés, en partie du moins,
au contact de leurs frères de l'Ancien
Monde. Et ce levain composé d'hommes comme
Boardman, Smith, Radstock, Monod, Rappard,
Stockmayer, Warneck est entré dans une
pâte qui ne demandait qu'à lever. Il
s'est trouvé alors, comme à d'autres
moments décisifs de l'histoire de
l'Église, que les besoins et les hommes
capables d'y répondre apparaissaient
simultanément. C'était le doigt de
Dieu !
Si le mouvement d'Oxford n'a pas
échappé complètement aux
erreurs de doctrine et aux dangers psychologiques
qu'entraîne dans un réveil le
soulèvement d'une quantité aussi
considérable de
pensées et
d'émotions nouvelles, il en a cependant
été préservé dans une
large mesure.
La plupart des propagateurs ont
redoublé d'efforts pour écarter le
perfectionnisme et l'illuminisme, en distinguant
clairement ces éléments douteux de la
vraie perfection et de la vraie illumination
bibliques. Sans doute il a pu arriver malgré
toutes les explications, que des orateurs dans
leurs allocutions, des laïcs dans leur
témoignage, des soeurs dans leurs
prières, perdissent de vue la distinction
entre l'état latent du péché
qui subsiste et les péchés conscients
dont une attitude de foi délivre le croyant
et donnassent à penser qu'ils croyaient
à un état de perfection acquise.
Peut-on sans injustice en faire un grief à
la doctrine du mouvement ? Du reste, quel
réveil spirituel, à commencer par
celui de la Pentecôte, n'a pas
prêté à confusion ?
Quelles vagues ne se bordent pas
d'écume ? Il arrive souvent que quand
tout a été expliqué,
éclairé, remis au point, il n'y a
plus de mouvement du tout et l'on se surprend, en
bon ordre, sans éclats ni erreurs, à
marquer le pas, quand ce n'est pas à
s'endormir doucement. Planter une graine, donner le
jour à un enfant, c'est courir des risques
mais c'est multiplier la vie.
Il est vrai, malheureusement,
qu'en
Suisse comme dans d'autres pays on vit se
détacher des premiers témoins
d'Oxford un groupe de chrétiens qui passa
les bornes du bon sens, de la pensée
scripturaire et qui s'en est allé donner
dans les exagérations du
« Woodisme »
(1) et
du
« Pentecôtisme »
(2), mais
le nombre de ces exaltés
fut relativement faible ; et puis les
excès, s'ils parlent de prudence, de
vigilance, ne doivent pas faire par réaction
la fortune de l'immobilisme et
déprécier la
bénédiction spéciale que Dieu
donne par un réveil bien
marqué.
Relevons cependant deux dangers
que
court tout mouvement semblable et auquel celui
d'Oxford n'a pas complètement
échappé, malgré les efforts de
plusieurs de ses promoteurs. Le premier a
été signalé avec une grande
vigueur par Beck et de Pressensé. Ils l'ont
fait si violemment que nous avons dû en son
temps prendre contre eux la défense du
réveil. Ils n'en ont pas moins eu
partiellement raison dans leurs
reproches.
Le caractère américain
comporte un besoin d'activité et une
énergie intenses. Quand tel frère du
Nouveau Monde a enfin reconnu sa faiblesse,
renoncé, par la foi, à ses efforts
propres de sanctification légaliste et
accepté de vivre de confiance dans la
pratique de l'obéissance, il arrive à
peu près au point normal, son énergie
latente subsiste et lui est un préservatif
suffisant contre la passivité. Tandis qu'il
est arrivé à des chrétiens du
« vieux pays »,
déjà portés par nature vers la
loi du moindre effort, en renonçant à
la lutte, de devenir paresseux, contemplatifs ou de
manifester une sorte de déséquilibre
entre la conscience morale, faible, insuffisamment
sévère au péché et la
conscience religieuse, exagérément
développée par un dangereux besoin
d'émotions variées.
La doctrine d'Oxford fut une
bonne
et sainte nouvelle pour ceux qui
connaissaient les efforts douloureux de la lutte
opiniâtre contre le péché. Pour
eux la pierre fut roulée et le Christ vivant
fut leur victoire. Par contre elle fut en
piège aux caractères mous, aux
dilettantes religieux dont elle ne stimulait pas
assez la volonté.
Le suprême danger, l'orgueil,
non pas seulement celui qui menace tous les hommes,
les intellectuels, les savants chrétiens,
mais celui qui est spécial aux gens de
réveil, à ceux qui ont fait
l'expérience profonde de la puissance de
l'Évangile, à ceux qui se mettent en
avant et qui rendent témoignage, n'a pas
été étranger non plus au
mouvement. C'est une arme empoisonnée dont
le diable est habile à se servir. C'est
là peut-être ce qui, en fin de compte,
a annulé le témoignage de Smith ou de
telle autre personnalité d'Oxford. Plus on
monte, plus le vertige est dangereux et c'est le
fruit d'une grande sagesse et d'une longue
expérience chrétienne que cette
parole de lord Radstock : « Que le
Seigneur nous garde, nous qui n'avons pas d'autre
mérite que sa
Croix ! »
Les hommes d'Oxford n'ignoraient
pas
les périls. Des prières instantes,
publiques et particulières, demandaient
à Dieu protection pour ceux qui
étaient, de par leur courage ou leur
richesse spirituelle, les plus exposés aux
coups de l'Adversaire. Des combats douloureux se
livraient dans les consciences de ceux que Dieu
mettait ainsi au « pinacle du
temple », des actes précis
d'humiliation et de consécration
s'accomplissaient à genoux et, grâce
à Dieu, beaucoup d'entre eux, revêtus
de toutes les armes de Dieu, ont été
vainqueurs. Des témoignages publics, merveilleusement
puissants
purent être rendus en toute humilité,
parce que la victoire avait été
remportée dans le secret. S'il en est qui
sont tombés, qui n'ont pas suffisamment
veillé, qu'un vertige d'erreur ou un
emballement humain ont précipités des
hauteurs, l'Église en a pleuré. Leur
chute a servi de solennel avertissement et a
opéré le triage entre ceux qu'un
invincible attrait attirait, malgré tout,
vers l'Évangile intégral et ceux qui
ne cherchaient dans les réunions de
réveil que des émotions rares ou de
superficiels progrès.
Et maintenant que nous avons
signalé les dangers du mouvement et fait la
part du déchet, qu'il nous soit permis de
souligner brièvement quelques-uns des
résultats de ce pur et profond réveil
des consciences.
Individuellement, une foule
d'hommes
sont devenus le sel de leurs Églises en
retrouvant dans un acte précis de
consécration une saveur spirituelle toute
nouvelle. Il a bien fallu prêcher une
doctrine, l'expliquer, la défendre, mais on
insistait avant tout sur la nécessité
de faire soi-même l'expérience de ce
qui était annoncé. On venait, on
voyait et à chaque instant partait le
cri : « J'étais aveugle et
maintenant je vois ! » Ils n'ont pas
encore tous disparu les témoins de ce temps
béni ! Voyez dans l'une de nos
réunions cet homme à la barbe
blanche, connu par l'aide précieuse qu'il
apporte à son pasteur, par le bien qu'il
fait aux malades, par la rectitude de sa vie et
l'intensité de sa foi. Il se lève, il
parle, il prie. Sa parole est un humble mais
éclatant témoignage rendu à la
puissance du Seigneur, qui « transforme
les déserts en sources d'eau ».
À mesure qu'il parle de
victoire sur le péché et raconte
quelque chose de la crise d'âme par laquelle
il a passé autrefois, son visage s'illumine,
l'auditoire monte avec lui sur les sommets et tel
jeune chrétien sort, à la fois
touché et déconcerté, d'une
telle prédication. Soyez-en
sûrs ! C'est un vieux
représentant du réveil
d'Oxford.
Collectivement, il y eut
après Oxford un renouveau de vie dans les
groupements religieux. Les prédicateurs qui
avaient pris le courage de « se parler
l'un à l'autre » de leur
état intérieur, qui avaient, avec le
Seigneur, triomphé de l'obstacle connu ou
caché de leur vie intime, prenaient le
courage maintenant de s'attaquer chez autrui
à la racine même du mal et de
prononcer des vérités qui
précédemment leur seraient
restées à la gorge. Ce n'était
plus en « reporters » qu'ils
parlaient de victoires, mais en témoins. Et
les auditeurs, soulevés par les chants
nouveaux, par les prières de la foi, par les
prédications riches de moelle biblique et
d'expérience personnelle, sentaient un
souffle nouveau leur gonfler le coeur. Ils osaient
croire à l'efficace de cette paire
d'ailes : la confiance et l'obéissance
au Christ-Sauveur. Les réunions de
prières, les études bibliques
étaient vivifiées et l'on accourait,
le dimanche soir, de toutes les paroisses
d'alentour pour entendre parler un pasteur qui
avait assisté à des réunions
de consécration.
Partout où le réveil a
passé, une oeuvre de rapprochement s'est
opérée entre les chrétiens.
Les distinctions ecclésiastiques
subsistaient mais les obstacles à la
fraternité spirituelle tombaient. Cette
unité dans la diversité s'obtenait
non par des concessions préalables,
courtoisement encore que diplomatiquement
fixées, mais tout simplement, sans qu'on
en parlât, sans qu'on s'en
doutât. On priait, on s'humiliait, on sondait
l'Écriture et son propre coeur et ou
oubliait tout le reste. Ce fut le réveil non
d'une Église, d'une fraction de
l'Église ou d'une nation, mais le
réveil de l'Église, répandue
à travers les nations et les Églises
du monde entier.
Dès le premier instant le
réveil de sanctification poussa à
l'évangélisation ; ce fut la
marque de sa saine constitution. Les hommes
d'Oxford devinrent des évangélistes
dans toute la force du terme. Pendant que les
chrétiens se consacraient, des
indifférents, des enfants prodigues se
convertissaient. Oxford n'a pas mis des saints dans
des niches mais préparé pour le
règne de Dieu une armée de
conquérants.
Quand Joséphine Butler
prêcha en 1875 sa croisade en faveur des
femmes tombées, elle trouva partout des
chrétiens prêts à recevoir son
message. Ils s'étaient jugés
eux-mêmes, leur coeur brûlait d'un
saint amour pour les victimes les plus malheureuses
du péché ; on crut au
relèvement et au salut des pires.
Et quand, en 1877, L.-L. Rochat
prophétisa la guérison des buveurs
par l'engagement d'abstinence, pris avec l'aide de
Dieu, où trouva-t-il l'appui des
premières mains tendues sinon chez ceux qui
avaient été touchés par le
réveil de 1874 ?
Aujourd'hui encore, ne sont-ce
pas,
en Angleterre, en France, en Allemagne, en Suisse,
les hommes de la première ou du moins de la
seconde génération d'Oxford,
forgés et, trempés dans les
réunions de sanctification,
personnalités vigoureuses, fécondes,
attachées de toutes leurs forces au Christ
de la Bible, qui obtiennent les plus grands
succès dans l'évangélisation
des masses, dans la diffusion de l'Écriture,
et dans les oeuvres de
relèvement ?
Il est bon de constater aussi
que la
mission en terre païenne a
bénéficié du réveil
d'Oxford dans une mesure qu'on ne peut
évaluer. Nous avons parlé
déjà de Keswick en Angleterre, devenu
un centre missionnaire. Warneck en Allemagne,
Coillard et Boegner en France, ces géants de
la mission, ont été tous les trois
profondément touchés par le
réveil de sanctification. Sans l'auxiliaire
d'une consécration à la
manière nouvelle auraient-ils, comme ce fut
le cas, dépassé à ce point la
mesure des serviteurs ordinaires ?
Mais un résultat qui
l'emporte sur tous les autres, c'est la gloire que
le mouvement d'Oxford a rapportée au
Maître. Un instant dans la vie de
l'Église, Jésus-Christ n'a-t-il pas
éprouvé à nouveau le sentiment
qui l'étreignait à Sichar,
près du puits de Jacob, quand les
Samaritains disaient à la femme :
« Ce n'est plus à cause de ce que
tu nous as dit que nous croyons ; car nous
l'avons entendu nous-mêmes, et nous savons
que c'est lui qui est véritablement le
Sauveur du monde ? »
Et quand tel orateur en renom,
telle
jeune fille de haut lignage, tel moniteur de
l'École du dimanche répétait
avec larmes les paroles du cantique :
- Je veux brûler, mais de ta flamme,
- Luire mais de ton jour,
- De ton âme animer mon âme,
- Aimer de ton amour,
le Sauveur n'a-t-il pas dû goûter
quelque chose du salaire de son travail
d'âme ?
Implorerons-nous de Dieu, à
cette heure solennelle de
l'histoire, un nouveau réveil
d'Oxford ? L'histoire ne se
répète pas. Pourtant c'est bien d'une
bénédiction semblable que
l'Église a besoin. Quand, à la fureur
guerrière, succédera dans le sein de
l'humanité blessée et humiliée
une soif intense de vie divine, l'Église
sera-t-elle capable d'y répondre ? Oui
ou non ? Voilà la question des
questions.
Demandons à Dieu de nous
faire voir le péché où il est
et tel qu'il est. Que sert-il de filtrer l'eau
à la fontaine, si le cadavre continue
à se décomposer dans le
réservoir ?
Et puis demandons-lui la plénitude de sa
grâce. Que
Christ lui-même soit « formé
dans nos coeurs ». Que nous devenions
« une même plante avec
lui ». « Il peut sauver parfaitement tous ceux qui
s'approchent de
Dieu par lui. »
Alors nous serons à la
hauteur de la tâche !
Christ n'a-t-il pas
dit :
« Si quelqu'un a soif,
qu'il vienne à moi et qu'il boive. Qui croit
en moi, des fleuves d'eau vive couleront de lui,
comme l'Écriture le dit. »
(Jean
7, 37-38.)
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