Le Libérateur. - C.-H. Rappard. - Le Glaubensweg. - Réunions de Berne, de Nîmes, de Montauban, de Marseille, du Locle et de Genève.
L'année 1875 s'ouvrit par l'apparition de
deux périodiques, l'un en français -
Le Libérateur, l'autre en allemand Des Christen
Glaubensweg qui devinrent les
organes du mouvement sur le continent et
correspondirent au journal anglais : The
Christians Palhway of Power. Celui-ci avait
débuté une année plus
tôt, en janvier 1874, sous la direction de P.
Smith.
Le Libérateur
- en
sous-titre : Journal d'études bibliques
et d'expériences chrétiennes -
paraissait chez J. Bonhoure à Paris et avait
pour rédacteur en chef M. Th. Monod. Le
prospectus annonçant son apparition
disait : « Ce journal ne s'occupera
ni de questions politiques, ni de questions
ecclésiastiques ; il s'abstiendra
même, autant que possible, de
polémique sur le terrain de la
théologie. Il ne sera l'organe d'aucune
Église, d'aucun système, d'aucun
parti. Il ne donnera point de nouvelles, sinon
celles qui se rapportent directement aux
progrès de la vie de Dieu dans les
âmes.
En deux mots, cette petite
feuille a
essentiellement pour objet, par l'étude de
la Bible et de l'expérience
chrétienne, le progrès dans la
grâce et dans la connaissance de
Jésus-Christ, qui affranchit les croyants de
la condamnation qu'ils ont méritée,
de la domination du péché et de tous
les fardeaux qui les oppressent ; de là
notre titre : Le Libérateur....
Nous pouvons dès aujourd'hui
compter parmi nos collaborateurs - MM. G. Appia,
Armand-Delile, Babut, Boardman, Bonifas, A. Bovet,
Challand, Dieterlen, Aug. Fisch, Good, Hocart, Jean
Monod, Léopold Monod, Th. Rivier, L.
Sautter, M. et Mme P. Smith,
etc.... »
Dès son apparition le Libérateur rencontra
le plus
favorable accueil, et tira à quatre mille
exemplaires.
Au même moment apparaissait
chez Spittler à Bâle : Des
Christen Glaubensweg (zur Weekung und
Förderung des christlichen Lebens)
rédigé par M. Rappard, le directeur
de l'École d'évangélistes de
Sainte-Chrischona.
C.-H. Rappard avait
été impressionné et enrichi
à Oxford (1). Il écrivait à sa
femme : « Le principal obstacle
à la bénédiction, c'est le moi. Il faut qu'il se renie
catégoriquement, oui, même le moi qui
prêche. C'est l'un des pires.... Il faut que
l'inspecteur même reste mort.... »
À propos de cette mort
à soi-même, mise en lumière
à Oxford, Rappard rapporte ce
témoignage raconté par un
évangéliste : « Mon
Dieu s'est approché de moi une de ces
dernières nuits ; il avait beaucoup
à reprendre en moi, il me dit
d'abord :
- Voilà un rameau qui ne vaut
rien, il faut le
couper.
- Oui, Seigneur, répondis-je
non sans qu'il m'en coûtât, coupe-le
Toi-même. Le Seigneur
continua :
- Voici une branche qui ne porte
pas
de fruit ; et voilà une pousse qu'il ne
convient pas de laisser dans ma vigne.
- Oui, Seigneur, répondis-je
encore, taille seulement, émonde pourvu que
je te possède, Toi... !
Mais la nuit passée le
Maître est venu plus près encore et
m'a dit :
- Ce n'est pas seulement tel
rameau
ou telle branche c'est toi tout entier qu'il faut
abattre et mettre à mort. « Mes
frères, c'était douloureux, mais
c'est fait et définitivement
fait. »
Rappard écrivait encore
d'Oxford : « Le Seigneur nous
bénit de plus en plus. On pourrait se
figurer, de loin, que c'est affaire de sentiments,
mais je puis certifier que c'est une
réalité. Ajouter foi aux promesses de
Dieu, qu'y a-t-il au monde de plus
réel ? Prends une déclaration de
ton Dieu, examine-la attentivement dans son
contexte, puis d'un coeur entièrement
livré crois tout simplement que Dieu
entend bien dire ce qu'Il
dit. »
Rentré à Chrischona,
Rappard souhaitait que les élèves et
les professeurs de l'Institut reçussent
quelque chose de la bénédiction qu'il
avait trouvée lui-même. Dans cette
attente il mit à part quelques jours, du 16
au 21 novembre 1874, et il invita son ami, J.-J.
Riggenbach, pasteur-adjoint de la paroisse de
St-Léonard à Bâle, à
venir lui aider : « Dans ces
réunions, écrit-il, nous avions
entièrement remis la direction au
Saint-Esprit. Le Seigneur eut d'abord à nous
faire descendre très profond. La
lumière d'En-Haut fit venir au jour bien des
choses qui avaient
entravé la bénédiction et
paralysé l'effort. Mais une fois le mal
ouvertement reconnu et abandonné sans
restriction, quand l'on put se livrer pleinement et
se jeter dans les bras de Dieu, l'expérience
de la vérité divine de 1 Jean I, 7 se
réalisa, à savoir que « le
sang de Jésus-Christ purifie de tout
péché ». Plusieurs des
habitants de l'Institut obtinrent la grâce
demandée et « se placèrent
avec gratitude entre les bras du bon Berger pour se
laisser désormais garder et porter par lui
jusqu'à la fin ».
Quand on apprit à Bâle
qu'il se produisait un réveil à
Chrischona, plusieurs personnes vinrent se joindre
à leurs frères que Dieu
bénissait et reçurent à leur
tour une nouvelle vie.
C'est quelques semaines plus
tard
que Rappard fondait le Glaubensweg en
collaboration avec son beau-frère Kober,
libraire à Bâle.
Conçu selon les mêmes
principes que le Libérateur, le nouveau
journal poursuivait le même but :
« .... La croix de
Christ,
lit-on dans le premier numéro, nous a
délivrés du châtiment du
péché, elle est aussi le moyen de
nous affranchir de sa domination. Le chemin qui y
mène, c'est la foi qui nous unit à
Christ. Elle est le trait d'union entre notre
faiblesse et la toute-puissance de Dieu.... Nous
voudrions mettre les croyants en garde contre le
danger de rabaisser les exigences de Dieu au niveau
de leurs propres expériences
défectueuses et les pousser au contraire
à hausser leur vie intérieure et
extérieure au niveau de la
révélation divine, à marcher
dans une lumière toujours croissante et dans
la victoire sur le péché et sur le
moi.... »
Les principaux collaborateurs de
Rappard étaient Th.
Jellinghaus, sur lequel nous aurons à
revenir, Markus Hauser de Zurich, Boardman, M. et
Mme Smith, Wilh. Claus, le pasteur W. Ecklin,
etc.
D'emblée le nouveau journal
recueillit, comme le Libérateur, de
nombreuses adhésions et bientôt il
tira à huit et neuf mille exemplaires.
Rappard eut plus d'une fois la joie d'apprendre que
tel numéro avait été en
bénédiction spéciale et avait
- petit grain de semence - rapporté du cent
pour un. Un des premiers exemplaires, tombé
aux mains d'un soldat de la légion
étrangère en Algérie, devint
le moyen de ramener cet homme au Sauveur d'abord,
dans sa patrie ensuite.
C'est avec une sagesse vraiment
spirituelle, avec amour, avec une cordialité
distinguée que le Glaubensweg, comme
ses deux partenaires français et anglais,
fut rédigé. Tel article signé
de son rédacteur constitue un pain savoureux
et fortifiant. Voici quelques lignes,
détachées de l'un d'entre eux et qui
donneront une idée des autres :
« Une fois
consacrés au Seigneur par une sorte de
contrat intime et décisif, en vertu duquel
nous avons renoncé à tout ce qui,
à la lumière de Dieu, apparaît
comme coupable ou seulement douteux, cette
consécration peut et doit se continuer en
une expérience qui se prolonge.
C'est maintenant que va se
démontrer si cette consécration est
une réalité ou un simple flux de
paroles. Le croyant consacré se
considérera comme mort au
péché et comme
propriété vivante de Jésus.
Surgit-il un désir coupable ou quelque
tentation venant du dehors, il
s'écriera : « Je suis
à mon Bien-aimé ; comment
pourrais-je me souiller ? » Une
question se pose-t-elle à propos de l'emploi
du temps ou de l'argent, une
voix ne manquera pas de se faire entendre au fond
du coeur : « Mon temps, mon argent,
tout n'appartient-il pas à mon Seigneur,
à qui je me suis livré corps et
âme ? » C'est toujours le
même ancien message, éternellement
nouveau : Venez à moi ! et
Demeurez-en moi !
Le pasteur Correvon, de
Francfort,
rend cet hommage à Rappard :
« Ce qui m'a toujours frappé en
lui, c'est sa grande sobriété
alliée à une chaleur juvénile,
à un amour bouillant pour le Seigneur, qui
nous enthousiasmait, nous, les jeunes d'alors
(2). »
La première semaine de
janvier 1875, le Comité de l'Alliance
évangélique de Berne, dans lequel
huit dénominations étaient
représentées, organisa une
série de réunions dans le but
d'étudier les doctrines du mouvement
d'Oxford. Plusieurs chrétiens
n'étaient pas sans inquiétudes. Les
uns se demandaient comment on remplirait ces
journées en l'absence des rapports et
conférences d'usage ; les autres
craignaient de voir des discussions pénibles
s'introduire entre partisans et adversaires du
mouvement. On fut trompé en bien ; le
temps parut trop court pour célébrer
ce qu'on appela « la fête de
l'Éternel ».
L'hospitalité bernoise fut
à la hauteur de l'affluence des
participants. Il en vint de partout, de la Suisse
allemande, de la Suisse française, de
l'Allemagne. Le besoin d'entendre parler de ces
grandes grâces et de recevoir quelques
miettes était intense. Les maisons
familiales s'ouvraient toutes larges ; les
hôtels étaient remplis ; les
tables d'hôte étaient
présidées par des membres du
comité organisateur. Un hôtelier
disait : comme à Oxford -
« Ah ! Monsieur,
quelle semaine nous avons passée ! Si
nous avions toujours de tels voyageurs, comme notre
métier serait
différent ! »
Des choeurs étaient
admirablement exécutés. On chantait
les hymnes de Sankey qui venaient d'être
traduites et imprimées. La plus grande
liberté ne cessa de régner et toutes
les opinions se faisaient jour, parfois avec tant
de vivacité qu'un éclat se serait
produit si l'Esprit n'était intervenu.
Plusieurs s'étaient rendus à Berne
avec défiance craignant que la
sanctification ne devînt une affaire
d'enthousiasme ou qu'il n'en résultât
pour finir une secte nouvelle. De vieux
chrétiens se demandaient ce que l'on pouvait
avoir de nouveau à leur dire.
« Il y avait toute une
petite phalange d'amis, lisons-nous dans une lettre
particulière, qui n'étaient pas du
tout d'accord avec nous pendant les
premières journées. On parlait
même de leur intention de s'en aller
dès le troisième jour. Je m'en
souviens bien à cause des heures de la nuit
passées en prières pour demander
à Dieu de donner et de maintenir une union
vraie et profonde. Cette prière fut
exaucée.... Je n'ai pas oublié les
luttes intenses par lesquelles passait M. J.-G. qui
s'écriait dans une réunion
intime : - Non, vous ne me prendrez pas ce
Jésus qui pardonne, qui a pitié des
pécheurs misérables! - Il n'avait pas
encore compris que ce Jésus qu'on proclamait
comme le Libérateur, comme celui qui
sanctifie, était le même que celui qui
pardonne et dont le sang précieux lave les
souillures et détruit la puissance du
péché. Ceux qui l'ont entendu rendre
son témoignage dans la suite, après
qu'il eut saisi la grâce remise en
lumière par le mouvement d'Oxford, ne l'ont
jamais oublié.... Je me souviens fort
bien du premier
témoignage de M. et de Mme Vischer, de
Bâle, de la splendide expérience du
major Brunschweiler qui, dans une crise d'angoisse
intérieure, avait demandé les
supplications du peuple de Dieu à l'une des
réunions de prières du matin et qui,
le soir, dans le même cercle, la figure
rayonnante de joie, bénissait le Seigneur de
lui avoir fait grâce et de l'avoir
accepté.... »
Le mardi, un pasteur aimé
à Berne, M. G. s'exprima comme si ce
mouvement était d'origine sectaire et
maladive. Le jeudi encore il parlait dans le
même sens, ajoutant toutefois que s'il se
trompait, il ne désirait rien tant que
d'être convaincu d'erreur et d'apprendre
à connaître un moyen de sanctification
autre que ceux qu'il avait pratiqués jusque
là.
Le lendemain, à la fin de la
conférence du matin, pendant laquelle encore
plusieurs objections avaient été
formulées contre la doctrine en question, M.
G. déclara que le jour commençait
à poindre dans son esprit, qu'il comprenait
de plus en plus ce qui d'abord lui avait paru
hérissé de difficultés et que
la conviction se faisait en lui que ce mouvement ne
venait pas des hommes mais de Dieu. Il terminait
son discours en disant :
« Oui, que le Seigneur
me
dirige, m'éclaire, me porte ! Qu'il me
sauve, c'est-à-dire qu'il me justifie et me
sanctifie ; pour moi, je renonce enfin, une
fois pour toutes, à vouloir le faire
moi-même ! »
Ce témoignage fit une grande
impression sur l'assistance. L'opposition
était vaincue. Plusieurs donnaient gloire
à Dieu de ce qu'il s'était
révélé à eux comme le
Sauveur parfait qui a délivré les
siens non seulement de la condamnation du
péché, mais aussi de son
empire.
« À Berne on parla
du péché comme on doit en parler,
ainsi s'exprime un correspondant du Journal
religieux, comme des vignerons parleraient du
phylloxéra, comme des infirmes du mal qui
empêche leur guérison. On ne craignit
pas de prendre « la bête par les
cornes ». On traitait ces sujets comme
des choses réelles et palpables. Dans la
réunion d'hommes du matin il fut question de
péchés et de tentations dont on ne
parle d'ordinaire qu'à mots couverts ou par
de lointaines allusions, aussi le sérieux
fut-il réel et profond. »
Mais la note dominante
c'étaient la louange et l'adoration. La foi,
peu à peu, se changeait en vue et la
prière en action de grâce. Des larmes
coulaient de bien des yeux. À propos du
témoignage public, M. Th. Rivier fit
remarquer que lorsque Jésus
guérissait, il disait à l'un :
« Va et raconte les grandes choses que le
Seigneur t'a faites ! » tandis qu'il
recommandait à d'autres de ne rien dire
à personne. Il en est encore ainsi
aujourd'hui, l'un doit parler, l'autre se taire. Ce
que M. Rappard confirmait en disant « Il
est bien entendu que nous ne réclamons
d'autres témoignages que ceux qui sont des
actes de fidélité, auxquels ceux qui
les apportent ne pourraient se soustraire sans
désobéir.... »
L'intérêt est
allé en croissant ; l'Esprit de Dieu
était là. Il ne se produisit aucune
manifestation déplacée ; une
grande sérénité, une paix
réelle, la paix d'En-Haut rayonnait sur les
visages.
« Malgré
l'autorité de la parole d'un Rappard, d'un
Stockmayer, d'un Riggenbach, conclut le même
correspondant, on quittait ces réunions en
oubliant les hommes et en se retrouvant comme les
disciples après la
transfiguration, avec « Jésus
seul », se sachant gardé par lui
et sanctifié par l'onction de sa
grâce. »
Le correspondant de Berne du
Chrétien évangélique, feu
M. le pasteur Bernard, écrivait les lignes
suivantes de sa plume fine et
savoureuse :
« Peu curieux de
nouveautés, ce n'est pas sans
méfiance que j'ai écouté les
premiers échos des conférences
d'Oxford ; mais je n'ai pas tardé
à sentir qu'il y avait là un souffle
divin et que Dieu exauçait enfin la demande
mille fois répétée d'une
nouvelle effusion du Saint-Esprit. En entendant nos
amis Riggenbach, Rappard, Stockmayer, je me
disais : voici ce qu'il nous faut ! Leurs
discours respiraient je ne sais quelle
fraîcheur printanière qui
épanouissait les coeurs. On voyait
renaître à l'espérance bien des
chrétiens affadis ou
découragés.... J'ai été
ensuite agréablement impressionné par
l'absence de toute polémique, soit contre
les adversaires du christianisme, soit contre des
chrétiens de telle ou telle
dénomination. On insistait uniquement sur ce
qui constitue à chaque instant la vie de
l'âme, sur une entière
consécration à Dieu, sur une
obéissance absolue aux appels du
Saint-Esprit, sur un sacrifice sincère de
tout interdit. Je sais bien que dès que la
dogmatique s'en mêle, on arrive à des
difficultés.
La théorie de la
sanctification par la foi peut conduire à
des abus... Pressé par les appels chaleureux
de nos frères, je cherchais un
renouvellement de ma vie intérieure, une
connaissance plus intime de l'amour divin, une
confiance plus entière au Sauveur
« qui sauve toujours », un
renoncement plus sincère au
péché, une délivrance des
pièges de Satan....
Une autre considération s'est
présentée à mon esprit.
N'est-il pas étrange
qu'au moment où nos libéraux exaltent
la science aux dépens de la foi, Dieu
suscite trois Américains
théologiquement peu lettrés qui
obtiennent des effets merveilleux que mille savants
réunis ne pourraient pas produire. On
découvre dans l'histoire une ironie divine,
bien amère pour les impies. « Dieu
se rira d'eux », dit l'Écriture.
Avec toute la science dont ils
se
vantent et que quelques-uns possèdent
réellement, les libéraux vident les
églises et les facultés
théologiques, minent la foi et le
sérieux moral, tandis que l'inculte Moody,
le chanteur Sankey, l'industriel Smith ne trouvent
nulle part des locaux assez vastes pour contenir
les foules affamées et poussent des
centaines de jeunes hommes dans la carrière
théologique. C'est que ces hommes croient la
Bible et la comprennent (fides praecedit
intellectum, la foi précède la
compréhension) tandis que le Dr Strauss et
ses disciples, semblables à l'homme
psychique de saint Paul, ne comprennent point les
choses de l'Esprit, parce que la foi fait
défaut.
« Enfin le mouvement
d'Oxford m'a conduit à considérer le
rôle singulièrement proéminent
assigné aux Îles Britanniques dans les
destinées du règne de Dieu. C'est le
pays missionnaire par excellence. Dès les
premiers siècles de notre ère,
l'Irlande (l'île des saints),
l'Écosse, l'Angleterre couvraient le
continent de leurs fondations pieuses. Saint
Béat était écossais, Fridolin,
irlandais, Colomban et ses douze collègues
sortaient du couvent de Bangor, Willibrod et ses
compagnons étaient anglais de mère
ainsi que le grand Winfried (Boniface). Wiclef fut
le père spirituel de Jean Huss et
indirectement de l'Église morave. À
partir de Wesley et de Whitefield
quelle succession presque
ininterrompue de réveils en Amérique
comme dans la mère patrie ! Si les
Églises du continent se délabrent et
présentent un aspect souvent lamentable,
nous ne nous soustrairons pas au souffle vivifiant
venu d'Oxford....
(3) »
Aux réunions de
consécration qui eurent lieu à
Nîmes au mois de février suivant,
mêmes bénédictions, mêmes
actions de grâces.
La participation fut comme
partout
extraordinaire, tous les lieux de culte se
remplissaient d'une foule compacte, il fallait
continuellement se partager en deux ou trois
réunions parallèles.
L'affluence des pasteurs et
évangélistes fut considérable,
on en compta cent seize.
Citons parmi les pasteurs
français MM. Babut de Nîmes, Matth.
Lelièvre, Daniel Benoît de Montmeyran,
Brocher de Nîmes, Molines et R. Leenhardt de
Montpellier, Puaux de Nîmes, etc.,
etc.
De la Suisse, MM. Dardier,
Descombaz, Fuster (Genève) ; Favre,
Glardon, Meylan, Perrelet (Vaud) ; Comtesse,
Coulon, Doutrebande, Jacottet, Monnerat, Nagel, F.
et H. de Rougemont, Verdan (Neuchâtel) ;
G. Fayot (Jura bernois).
M. Th. Monod figurait à ces
réunions parmi les organisateurs et les
orateurs.
Un moment palpitant dans la
première journée fut la séance
pastorale de 4 heures et demie, bientôt
transformée en réunion de
prières. Au lieu de discuter, les pasteurs
s'humilièrent. Ils confessaient publiquement
à Dieu les péchés de leur
ministère. Le je remplaçait le nous
et on sentait que cet aveu était
réclamé de Dieu lui-même comme
une condition de
délivrance. « Et à la
vérité, dit le correspondant du Chrétien évangélique,
quelques-unes de ces confessions étaient si
humiliantes, qu'il fallait bien toute la puissance
de l'Esprit de Dieu pour les arracher du fond des
coeurs. En les écoutant, nous sentions tous
nos yeux se mouiller de larmes. Plus d'une fois
l'émotion abrégea la prière.
Jamais je n'avais assisté à pareille
scène. »
De l'avis général ce
fut bienfaisant d'entendre avec quelle
clarté les divers orateurs parlèrent
de la nécessité et de la
possibilité de réaliser une vie
sainte et avec quel courage et quelle
humilité beaucoup d'entre eux
témoignèrent, soit au cours des
réunions de prières, soit dans leurs
allocutions, des capacités et des joies
spirituelles que Dieu donne à celui qui le
prend au mot.
M. G. Fayot, pasteur à
Saint-Imier, disait : « Mettons-nous
face à face avec la Parole de Dieu pour
apprendre à nous repentir comme nous le
devons. La vie hors de Jésus-Christ, c'est
la vie qui se traîne. Soyons bibliques,
évangéliques dans notre foi, notre
repentance et notre sanctification....
(4) »
M. Th. Monod rendait sous cette
forme originale son joyeux témoignage :
« S'il y a un grand danger à
parler, même du Seigneur, pour l'amour de
soi, il y a une grande bénédiction
à parler même de soi pour l'amour de
Lui. Mon expérience n'est pas bien ancienne,
mais depuis quelques mois je réalise enfin
ce que j'avais prêché, publié,
que le chrétien ne s'appartient plus
à lui-même. »
Un autre frère disait :
« Nous n'avons pas à garder Dieu,
Dieu nous gardera. Quand Lincoln fit
sa proclamation
d'émancipation, tous les esclaves furent
libres en droit, mais en fait il n'y eut de libres
que ceux qui vivaient sous la protection des
troupes fédérales. Nous sommes tous
libres du péché en
Jésus-Christ, mais nous ne jouissons de
cette liberté que sous la protection du
Saint-Esprit, puissance que Dieu nous envoie pour
nous garantir nos
droits ! »
« Le point culminant
des
conférences, le moment décisif fut
celui où, après avoir exposé
d'après l'Écriture le devoir d'une
entière consécration, le
président (M. Th. Monod) nous invita
à accomplir ce devoir. Il y eut d'abord
quelques minutes de prière
silencieuse ; puis l'assemblée se leva
et chanta lentement avec un sentiment de profond
sérieux le cantique :
- Mon coeur, mon corps, mon âme
- Ne m'appartiennent plus ;
- Ton amour les réclame,
- Ils sont à toi, Jésus.
- Reçois mon sacrifice, il est sur ton autel.
- Esprit, Esprit, descends ! j'attends le feu du Ciel !
Bien des âmes se donnèrent alors
à Dieu. On en eut la preuve le
lendemain ; un si grand nombre de
frères, pasteurs ou laïques,
éprouvaient le besoin de magnifier l'amour
de Dieu à leur égard que, pour donner
à ce besoin une pleine satisfaction aussi
bien que pour gagner du temps, M. Monod invita
toutes les personnes qui désiraient rendre
publiquement leur témoignage à se
tenir debout pendant qu'on chanterait un cantique
d'actions de grâces. Les deux tiers de
l'assemblée se levèrent; et, tandis
qu'un alléluia montait vers le ciel, on
pouvait voir sur tous ces visages rayonner la joie,
une joie céleste, à travers les larmes. Cette
scène restera gravée dans la
mémoire de ceux qui eurent le
privilège de la vivre. Après la
Sainte Cène finale, une collecte que l'on
fit en faveur de la Société des
Missions de Paris rapporta plus de deux mille
francs
(5).
Le lendemain M. Barnaud, pasteur
de
l'Église libre de Beauvoisin, disait :
« Dans la journée
d'hier, nous nous sommes consacrés à
Dieu. Qu'allons-nous faire ? Simplement
retourner chacun à notre vocation.
Comment ! ne rien faire
d'extraordinaire ? Employer à tenir un
ménage, à labourer un champ, une vie
toute consacrée à Dieu ? Oui,
car rien n'est changé dans notre vie que
nous-mêmes. Ne nous préoccupons pas de
l'avenir ; c'est à Dieu de diriger et
de conduire. Nous aurons chaque jour la grâce
qui nous est nécessaire, mais pas
plus ; la veuve de Sarepta n'avait chaque jour
dans sa fiole que l'huile nécessaire pour la
journée.... »
Il y eut des conversions très
remarquables, des délivrances spirituelles
extraordinaires. Entre les réunions,
à chaque instant, des personnes s'abordaient
le visage tout joyeux pour se dire les grandes
choses que le Seigneur avait faites pour elles. Des
gens qui ne se connaissaient pas s'accostaient et
se déclaraient qu'ils avaient pu jeter leur
fardeau aux pieds de Jésus.
De Nîmes, M. P. de Coulon
écrivait au Journal
religieux :
« Certainement, j'ai
ressenti quelque chose de ce que devaient
éprouver les enfants d'Israël
lorsqu'ils participaient aux fêtes
solennelles de Jérusalem et qu'ils
chantaient le psaume bien connu :
« Oh ! que
c'est
une chose bonne et que c'est une chose
agréable que les frères demeurent
unis ensemble.... »
La partie la plus substantielle
de
ces assemblées était certainement les
excellentes expositions et explications de notre
président, M. Th. Monod. Elles ont
jeté la lumière dans les esprits et
elles ont été l'instrument dont Dieu
s'est servi pour dissiper bien des
préventions et faire luire d'une
clarté resplendissante la précieuse
doctrine de la sanctification parla
foi.... »
M. Aug. Glardon écrivait de
son côté : « Des
innombrables discours qui furent prononcés,
pas un n'apporta dans ce beau concert une note
discordante. On était trop près du
ciel pour se souvenir des barrières
terrestres. Il aurait suffi de voir avec quelle
vigueur ces représentants d'Églises
rivales s'embrassaient au moment du départ,
pour comprendre qu'il y avait là autre chose
qu'une fraternité de
parade.... »
Est-ce à dire que si l'union
des coeurs était complète,
l'unité de vues était absolue ?
Non, ce ne serait pas possible. Comme le remarquait l'Église libre,
deux courants se
faisaient jour. Certains frères
considéraient le vieil homme comme
réellement, absolument mort dans le
chrétien et s'abandonnaient pleinement
à l'amour de Dieu, sans réserver
d'autre rôle à leur activité
personnelle dans leur sanctification que celui de
recevoir les dons du Seigneur. Ils insistaient sur
la souveraineté sans limites de cette
grâce d'En Haut qui doit faire tout en nous
et qui nous unissant à Jésus-Christ
d'une manière intime, doit nous faire
trouver dans cette communion même et les
forces nécessaires pour modifier notre
vieille nature et les progrès spirituels
destinés à nous rapprocher de Dieu.
C'étaient ceux qui penchaient
sur tout vers la confiance et
qui pouvaient offrir des arguments à ceux
qui accusaient le mouvement de quiétisme
(6).
D'autres, tout en admettant que
le
vieil homme chez le chrétien est
condamné depuis le jour même de la
conversion, ne pouvaient le considérer comme
absolument mort, comme péri, pour employer
une expression d'une ancienne traduction
biblique ; tout en reconnaissant que la foi au
Sauveur avait détruit le charme, les
attraits que le péché exerçait
auparavant sur eux, ils affirmaient que cette foi
même avait provoqué dans leur
âme une lutte douloureuse entre la chair et
l'esprit, lutte où ils se sentaient soutenus
par le sentiment de leur élection, par la
grâce du Seigneur, par une communion
grandissante avec le Rédempteur, mais lutte
réelle, dont ils ne se sentaient pas libres
de s'affranchir, où, au contraire toutes les
forces vives de leur être étaient
engagées, et dont les
péripéties devaient, ils le savaient,
ils le croyaient, contribuer à leur
sanctification et à la gloire de
Dieu.
« Mais, concluait le
journal cité plus haut, la rencontre de ces
deux tendances n'a été qu'une
bénédiction : elle a
rappelé aux premiers le sérieux de la
lutte chrétienne et de la
responsabilité, après comme avant la
grâce ; elle a placé dans une
lumière plus vive sous les yeux des seconds
le grand principe de la sanctification par la foi.
Et tous se retrouvaient, gardant chacun son
individualité et le cachet imprimé
par Dieu sur ses expériences
personnelles ; tous se retrouvaient dans une
même fraternité,
unis aux milliers d'âmes
qui n'étaient venues à ces
fêtes que pour adorer le Seigneur et se
consacrer plus entièrement à son
service. Oui, le Seigneur était
là !
« Rien d'étrange,
rien de nerveux. Le mouvement religieux se
distingue surtout par un caractère de
paisible sérieux, de repos dans le Seigneur,
de sainte confiance en la rédemption
accomplie par le Christ qui lui donne à la
fois une grande élévation et une
grande force.... »
Avec une sagesse tout
évangélique, M. Matth.
Lelièvre s'adressant aux promoteurs du
réveil dont le succès était si
grand, leur donnait ces judicieux conseils :
« Efforcez-vous d'atténuer le plus
possible cet élément d'imperfection
qui s'attache aux meilleures oeuvres.
Appliquez-vous à écarter de ce
mouvement tout ce qui pourrait le compromettre et
l'affaiblir. Autant nous disons aux uns :
abstenez-vous de juger avec
légèreté et
précipitation une oeuvre qui porte si
manifestement le cachet de Dieu, autant nous disons
aux autres : Écartez avec soin tout ce
qui pourrait servir à voiler ou à
paralyser l'action de l'Esprit de Dieu. Et pour
préciser notre pensée nous
demanderons à nos amis : Qu'ils ne
substituent jamais leurs sentiments ou même
leurs expériences à la Parole de
Dieu, mais plutôt qu'ils ne cessent de les
contrôler au moyen de cette autorité
souveraine. Qu'ils ne se lassent pas d'affirmer
qu'il ne s'agit pas tant de théories
nouvelles sur la sanctification, que d'un retour
à Jésus, notre
« sanctification » aussi bien
que notre « justice ». Qu'ils
soient sobres de théories, et qu'ils s'en
tiennent aux paroles mêmes de
l'Écriture plutôt qu'aux explications
qu'en ont données les docteurs, anciens ou
nouveaux. Qu'ils évitent les discussions sans fin
qui
ont
été l'écueil de tant de
réveils, et qu'ils se souviennent que de
toutes les démonstrations qu'ils pourraient
donner des vérités actuellement
remises en lumière, une seule est absolument
convaincante, c'est le témoignage d'une vie
sanctifiée
(7). »
À ce moment de l'année
1875, les réunions de consécration se
multipliaient. Il s'en tenait à Montauban,
à Nyons, à Bourdeaux, à
Nérac, à Bergerac, à Die,
à Marseille, à Londres sous les
auspices de la fraction évangélique
de l'Église anglicane, à Strasbourg.
Dans cette dernière ville on vint de toute
l'Alsace, de l'Allemagne du sud ; les
auditoires réunissaient jusqu'à
quinze cents personnes. Nous ne pouvons parler de
toutes ces réunions, la place et les sources
nous manquent. Bornons-nous à dire quelques
mots de celles de Montauban et de
Marseille.
Quelques professeurs de la
faculté de théologie de Montauban
avaient demandé des réunions dans
l'espérance qu'il y aurait là un
moyen d'édification et de réveil pour
les étudiants. Les organisateurs de cette
rencontre n'étaient cependant pas sans
inquiétude. On craignait en particulier le
labyrinthe des discussions théologiques. Or
cette crainte se démontra chimérique.
M. Th. Monod écrivait plus tard :
« Dans les réunions
pastorales, on avait tellement peur de faire de la
théologie qu'on n'en a pas fait du tout. On
a constamment fait appel à la Parole de
Dieu. »
Il faut dire qu'à ce moment
commençaient à paraître des
brochures, des articles hostiles au mouvement et
qui suscitaient des controverses parfois violentes.
Les professeurs et les étudiants
de Montauban prirent aux
réunions la part la plus sympathique. Un des
moments les plus émouvants fut celui
où le professeur Bois père insista
avec une chaleur extraordinaire de parole sur le
fait que le chrétien possède en
Christ sa sanctification aussi bien que sa justice
et que, par la foi, il peut être
libéré aussi bien de la puissance que
de la condamnation du péché. Il
exhorta vivement ses auditeurs à entrer dans
cette voie de confiance, qui n'exclut pas la lutte
mais où la victoire est
assurée.
Un grand nombre d'étudiants
furent touchés. Quelques-uns priaient
à haute voix, d'autres demandaient que l'on
priât pour eux, plusieurs se sont ouverts
à des frères
expérimentés qui ont constaté
qu'une oeuvre profonde s'accomplissait dans ces
âmes.
À la suite de ce mouvement de
réveil, dont l'étudiant Pierre
Dieterlen fut un des bénéficiaires,
des réunions de prières furent
organisées le samedi soir à la
Faculté de Montauban.
À propos de P. Dieterlen,
disons qu'en arrivant à Valentigney comme
jeune pasteur, il trouva là aussi tout un
groupe de chrétiens entrés en contact
avec le réveil d'Oxford, par
l'intermédiaire de la famille
Peugeot.
Rappelons aussi que Alfred
Boegner,
récemment sorti de la Faculté, ne
resta pas étranger à ce
mouvement ; les Pensées du matin
(8),
qu'il
consignait dans son journal intime dès 1875
en font foi.
À Marseille, l'heure des
diverses réunions avait été
fixée de manière à laisser
libres les commerçants aux heures qui sont
plus spécialement celles des
affaires.
Les organisateurs de ces
réunions étaient émus du
nombre des auditeurs - surtout des hommes - qui
prenaient part aux services de l'après-midi.
Ces hommes d'affaires, dont toute la semaine est
prise par le commerce avaient su se réserver
plusieurs heures chaque jour pour s'occuper de
leurs intérêts spirituels. Il en est
qui, durant ces journées, ont fermé
leurs bureaux aux heures de réunions et
invité leurs employés à s'y
rendre avec eux.
Du 3 au 5 mars, réunions au
Locle. L'intérêt de l'auditoire va
grandissant. Le vendredi, le vaste temple est
tellement rempli que plusieurs personnes doivent
s'en retourner faute de place. De toutes les
localités voisines on était accouru.
C'était M. Stockmayer qui présidait.
M. le pasteur P. Comtesse écrivait au Journal religieux :
« L'Esprit de Dieu agissait sur les
coeurs.
Les beaux cantiques :
J'ai
trouvé, j'ai trouvé la voie.... Sur
toi je me repose.... qui répondaient si bien
aux besoins de l'assemblée, retentissaient
avec force, et l'on sentait que Jésus
lui-même était là,
criant : « Que celui qui a soif
vienne à moi et qu'il
boive ! »
Si nous n'avons pas contemplé
ici ce que nous avions vu à Nîmes, des
frères se lever au milieu de ces grandes
assemblées pour déclarer qu'ils
avaient trouvé la paix en se consacrant au
Seigneur, nous savons que plusieurs soeurs l'ont pu
dire en toute simplicité dans une
réunion spéciale aux Billodes, le
samedi matin ; et nous savons aussi par le
culte du dimanche soir et par d'autres
témoignages encore, que beaucoup
d'âmes ont trouvé la paix et la joie
en Jésus le Libérateur....
(9) »
Du 8 au 12 mars c'était
Genève qui organisait
à son tour une
série de réunions. Le public genevois
était assez partagé sur
l'opportunité de ces assemblées. On
disait couramment :
« Nous avons entendu
déjà tant de choses cet hiver !
Nous avons tant d'assemblées ; il ne
faut pas trop multiplier les appels, le public
finira par se fatiguer. »
À quoi le rédacteur de
la Semaine religieuse
répliquait :
« Le public n'est pas
fatigué, ou plutôt s'il est
fatigué c'est des luttes stériles
dans lesquelles on le promène depuis
quelques années, sous prétexte de
libéralisme et de
progrès. »
Et en effet, quand bien même
on ne lui avait promis ni grands orateurs, ni
grands discours, ni fortes émotions, ni
rapports substantiels mais qu'on lui a parlé
de réveil, d'édification, de
prières, il est accouru en foule, le public
genevois, dans le sentiment que c'est bien
là le besoin de l'Église. Le premier
jour on respirait à la réunion une
atmosphère pas très chaude. Ceux qui
arrivaient de Montmeyran, de Nîmes, de Paris,
de Neuchâtel, trouvaient les réunions
bien froides, bien compassées. Les autres,
ceux qui n'avaient encore rien vu se demandaient
pourquoi il n'y avait pas de manifestations plus
extraordinaires.
Mais peu à peu le souffle de
Dieu pénétra de chaleur ces foules de
plus en plus attentives, de plus en plus nombreuses
qui se pressaient par centaines dans les locaux de
la Rive droite et de l'Oratoire. Le soir la salle
de la Réformation réunissait
jusqu'à deux mille cinq cents auditeurs,
toujours recueillis, souvent saisis d'une
émotion profonde.
« Quelles que soient
les
opinions que l'on ait sur la doctrine de la
sanctification par la foi, déclare le
correspondant du Journal religieux, une chose
demeure, c'est que le vent de l'Esprit passe sur
nos Églises et qu'il est
sage d'y regarder à deux fois avant de
condamner à la légère ce
mouvement....
(10) »
M. Ed. Barde, alors pasteur à
Vandoeuvres, plus tard professeur
d'exégèse du Nouveau Testament
à l'Oratoire de Genève,
écrivait après les
réunions :
« La première
impression que les assemblées du 8 au 14 me
laissent c'est l'étonnement.
Étonnement que cela réussît si
bien, que le concours des chrétiens
fût si considérable. On avait bien
demandé Sa bénédiction, mais
on n'osait pas l'attendre si pleine, si vaste...
Puis ce fut la
joie !... Parmi
les fruits visibles de ces réunions, il faut
mentionner le rapprochement entre les
chrétiens. Pasteurs, anciens, laïques
sentaient qu'ils étaient avant tout membres
de l'Église de Christ. Ils se sont
aimés comme chrétiens....
Il faut noter aussi une vue
beaucoup
plus nette soit de la valeur de la Bible, soit de
la manière de s'en servir et de la
présenter. Les discours les plus saisissants
n'ont été autre chose qu'une
paraphrase biblique où l'explication et
l'application étaient constamment
associées. Les portions les plus connues de
l'Écriture sont celles qui ont fait le plus
d'impression et se sont trouvées les plus
nouvelles....
(11) »
M. C. Correvon, alors
étudiant à Genève, rappelle
ses souvenirs de ce temps dans une lettre
adressée à Mme Rappard. Nous en
détachons ces lignes :
« .... Des centaines de
pasteurs et de laïques furent empoignés
par cet important mouvement et amenés
à une vie nouvelle de consécration au
Seigneur. Personnellement, je n'oublierai jamais
que ce fut ce puissant courant spirituel qui me mit
d'aplomb sur le terrain de la croix et me
révéla la vraie signification éternelle de la
mort de
Christ. Ces vérités fondamentales de
Rom. VI, VII, VI II étaient alors perdues
pour la plupart des croyants, et c'est à
Pearsall Smith qu'il fut donné de les
remémorer à nos Églises
assoupies....
.... L'affirmation claire et
nette
de la possibilité, pour quiconque croit, de
la sanctification, de la pleine victoire en Christ
et d'une communion ininterrompue avec le Sauveur
crucifié et ressuscité, cette
affirmation joyeuse, retentissait comme une fanfare
dans les rangs des soldats de Christ
épuisés et déprimés.
C'était pour nous comme une nouvelle
révélation, et je chantais avec
transport en compagnie de mes amis de l'Union
chrétienne et de la faculté de
théologie, les cantiques de Moody et Sankey
qui exprimaient avec tant d'émotion ces
vues.
Il me serait impossible
d'oublier
certaines réunions de prières
d'alors, une, entre autres, à la Salle de la
Réformation, à Genève,
où après quelques paroles
pénétrantes de MM. Th. Monod et
Godet, toute l'assemblée, d'un mouvement
irrésistible et spontané, tomba
à genoux pour entonner le magnifique psaume
des Huguenots :
- Comme un cerf altéré brame
- Après le courant des eaux....
Je pense aussi à une réunion dans la Salle de la Rive droite, à laquelle M. Rappard prit une part prépondérante, et où beaucoup de pasteurs, déclarèrent avoir trouvé le Sauveur. Je ne saurais reproduire mot à mot ces allocutions.... Les traces bénies de ce réveil de 1875 sont encore visibles, et dans toute la Suisse romande et ailleurs, il est beaucoup d'hommes qui font remonter leur vie spirituelle à cette époque.... (12) »
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