Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

M. Otto Stockmayer.

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Sa conversion. - Oxford. - Son enseignement de la sanctification. - La maladie et l'Évangile. - Ses vues spéciales. - Sa personnalité spirituelle.


À plusieurs reprises déjà le nom de M. O. Stockmayer est revenu sous notre plume. Il est temps de chercher à caractériser l'influence considérable que cet homme de Dieu - véritable prophète - a exercée sur le développement du réveil d'Oxford dans nos contrées. Fils de préfet allemand, candidat en théologie sans convictions évangéliques, hanté d'idées étranges mais doué d'une extrême sensibilité, O. Stockmayer était entré, en qualité de précepteur, par l'intermédiaire du professeur de la Faculté libre de Lausanne, R. Clément, dans la famille Cornaz, de Montet, au Vully (1). Il se montrait consciencieux et ferme dans sa tâche envers les enfants qui lui étaient confiés. En retour il était entouré de prévenances et d'affection chrétienne. Renfermé, solitaire, il ne goûtait guère la piété réveillée de Mme Cornaz (2) et redoutait par-dessus tout les tête-à-tête avec elle.

Cependant il s'opérait un travail spirituel en lui, les lignes suivantes en font foi :
« Vous parlerai-je de ma conversion à Dieu, un soir de septembre 1862 ? L'année auparavant deux circonstances en avaient préparé la voie. On m'avait prêté un livre de Mme de Gasparin : Les Horizons prochains et célestes. J'étais inconverti, ne croyant ni en Dieu, ni au ciel, ni à l'éternité, mais la question se posa devant moi : Si ceux qui croient à ces choses ont raison et s'il y a réellement un ciel et une éternité, alors jeune homme, tu es perdu ! C'était un problème qui méritait d'être résolu.

« L'autre circonstance fut la présence d'un professeur de théologie passant, ce même été, ses vacances dans la maison où je logeais et que j'eus ainsi l'occasion de voir de près. Je savais qu'il était un homme de Dieu et tout en le méprisant pour cela, j'entendais au dedans de moi une voix me dire : Cet homme est plus noble que toi, avec toutes tes aspirations et ton imagination, cet homme vit pour les autres et toi tu ne vis que pour toi. Un rayon de la gloire de l'Agneau immolé apparut alors à mon horizon au travers de ce cher serviteur de Dieu ! C'était une vie que je ne connaissais pas, une vie plus élevée. Je compris qu'après tout, la plus grande gloire ici-bas pouvait être de vivre pour les autres. (3) »

Peu de jours avant son départ de Montet, tout en se promenant une dernière fois sur la terrasse avec Mme Cornaz, Stockmayer s'ouvrit quelque peu. Soudain son interlocutrice s'arrêta, le regarda dans les yeux et s'écria : « Je suis en angoisse pour vous ! » Le jeune homme, malade moralement et préparé par l'Esprit de Dieu, ne put s'empêcher de se dire à part lui : « Elle ne sait pas elle-même à quel point son angoisse est justifiée ! »

Dieu permit que ce coup droit porté à sa conscience le transperçât. Rentré dans sa chambre, selon sa propre expression, il prit sa vie, la brisa en trois morceaux et la jeta devant le Seigneur : « Cette fois, Seigneur, ce que tu veux et non plus ce que je veux. » Et il saisit la grâce par un acte de foi « toute nue ».

En automne 1862, il entrait au service de l'Église libre vaudoise ; il fut quelque temps desservant du poste d'évangélisation de Tavannes-Tramelan. Un besoin impérieux de sainteté le tourmentait. Quand il traversait les pâturages, dans ses courses pastorales, il enviait le bétail qui paissait - « Au moins les bêtes ne sont responsables de rien ! »

Il devint plus tard pasteur de l'Auberson, aux Granges de Sainte-Croix. C'est là qu'en 1874, un numéro du journal de P. Smith, Pathway of Power, lui tomba sous la main et lui communiqua le désir de connaître de plus près le mouvement anglais de sanctification. Peu après, il reçut une invitation à se rendre à Oxford. Il y allait dans le désir de recevoir un baptême de l'Esprit bien marqué, quelque chose qui le subjuguât et le courbât jusqu'à terre. Dieu lui fit comprendre qu'il lui tenait en réserve une autre grâce. Un jour, à Oxford, dans une des réunions pastorales, il se leva pour rendre son témoignage « Je ne pus, dit-il, que balbutier ces quelques mots Seigneur, je me confie en toi ! » Vaincu par l'émotion il tomba dans les bras de Boardman qui l'étreignit sur son coeur.

Il revint transformé. Il avait appris cette leçon si simple mais si féconde : se confier en Dieu pour toutes choses. Et dès lors, selon sa propre expression « le Maître allait déplier un à un les plis de son caractère puis replier ce dernier dans des plis nouveaux et conformes à la volonté divine. »

C'est à l'Auberson qu'un comité de Neuchâtel (4), constitué en alliance évangélique, vint le chercher pour en faire une sorte d'agent itinérant du réveil d'Oxford. Tantôt seul, tantôt avec d'autres frères - Bovet et Rappard principalement - il s'en allait aussi bien en pays allemand qu'en pays romand exposer les doctrines du réveil et allumer de tous côtés de nouveaux foyers de vie profonde.
Cet enseignement sur la sanctification, M. Stockmayer le résuma plus tard dans une brochure intitulée : La Grâce et le Péché (5).

Selon l'Écriture, le péché n'occupe aucune place, ne conserve aucun droit dans la vie du croyant. Nulle part la Bible ne suppose que les manifestations de la chair doivent persister chez l'enfant de Dieu. « Ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises » (Gal. V, 24). Il faut que les paroles de l'Évangile qui promettent ou commandent à l'enfant de Dieu la sainteté, la pureté, la perfection, reprennent un sens. Il y a eu décès de nous-mêmes dans la mort de Christ, séparation d'avec le monde et le péché, puis résurrection à une vie nouvelle. Notre corps en réalité n'est plus à nous, il appartient à Christ. Nous n'avons le droit de vivre que pour autant que nos membres servent le Ressuscité dans la puissance de sa résurrection (Rom. VI). Celui qui est mort ne peut plus être accusé du péché passé, ni maîtrisé par le péché présent.

« D'autre part, continue M. Stockmayer, ce n'est pas que nous prêchions une sainteté parfaite, une vie chrétienne exempte de péché dans le sens absolu du mot. Mais autre chose est d'avoir du péché, et autre chose d'en commettre. L'apôtre Jean dit dans sa première épître (ch. II, 1) : « Je vous écris afin que vous ne péchiez point. » Il ne pouvait pas dire : afin que vous n'ayez pas du « péché », puisque, au chapitre 1, 8, il avait déclaré : « si nous disons que nous n'avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes.... »

Évidemment, si l'apôtre exige que nous ne péchions point, il n'a pas en vue une marche ou un état du coeur dans lequel le Saint-Esprit n'aurait plus rien à reprendre. Au chapitre 1, 7, il dit : « Si nous marchons dans la lumière, comme Il est lui-même dans la lumière, le sang de Jésus-Christ, son Fils, nous purifie de tout péché. »

Cela prouve qu'il reste du péché même chez celui qui marche dans la lumière, et laisse supposer un domaine du péché dans lequel l'Esprit et le sang de Christ agissent sur nous, éclairant et purifiant de nouveaux replis de notre être sans que notre marche dans la lumière et notre communion avec Dieu en soient interrompues. Ce que l'Écriture demande, c'est que l'enfant de Dieu demeure dans des conditions telles que cette oeuvre de purification puisse s'opérer, lentement et graduellement sans doute, mais d'une manière sûre et continue.... (6) C'est ici un des points en litige sur lesquels on n'a pas compris M. Stockmayer. Quand il annonçait la possibilité de la délivrance du péché, on l'accusait de prêcher une sainteté inaccessible à l'homme. Quand, pour encourager ses frères et les convaincre, il surmontait sa répugnance à parler de lui et rendait témoignage à la grâce de Dieu qui l'avait gardé de chute depuis son entière consécration à Dieu, on l'accusait d'orgueil spirituel, on prétendait qu'il ne savait pas ce que c'était que le péché par omission, aussi coupable que le péché par commission.

Il nous semble que M. Stockmayer transportait la question sur le vrai terrain biblique quand il disait : « Notre nature reste pécheresse, nous serions menteurs si nous disions que nous n'avons point de péché, mais la grâce de Dieu nous a gardés et peut nous garder de commettre tout péché conscient. »

C'est une étroite arête de vérité. On peut glisser d'un côté, sur la pente du péché nécessaire où se débat le gros de l'Église, tout en se raccrochant aux branches des bonnes résolutions et du légalisme. Ou bien on peut tomber de l'autre côté dans les affirmations de l'impeccabilité et de la destruction totale du vieil homme, ce qui conduit aux expériences décevantes du perfectionnisme. M. Stockmayer s'est gardé des deux dangers en disant : « Le péché est bien encore en eux (ceux chez qui l'Esprit de Dieu a pu déployer tous ses effets) et reste en eux, mais ce sont eux qui ont changé de domicile. L'Esprit de Dieu a transporté le centre de leur vie en Jésus-Christ en les unissant à lui comme le sarment l'est au cep (7). »

« Peu à peu, dit encore M. Stockmayer, notre coeur et notre pied s'affermissent sur ce sentier glorieux. La grâce de Dieu devient une puissance qui nous porte et dont l'influence nous pénètre et nous enveloppe. L'Esprit de Dieu pousse et fait agir ceux qui, dans un libre abandon, se sont livrés tout entiers à leur Dieu ; ils n'ont plus besoin de se pousser eux-mêmes. Il ne leur faut plus ni effort, ni tension morale, pour regarder sans cesse à Christ ; ils ne sauraient plus faire un pas sans s'appuyer sur Lui. Dans leur relation filiale avec leur Dieu, la confiance, une confiance absolue et illimitée, est devenue en eux une seconde nature et une attitude constante. L'amour a banni la crainte et la contrainte.... (8). »

Si A. Bovet et H. Rappard se sont cantonnés sur le terrain d'Oxford, celui de la sanctification par la foi, O. Stockmayer a ajouté à son enseignement des éléments nouveaux, des vues spéciales sur la guérison par la foi et sur le retour de Christ.

Le mouvement d'Oxford, dans l'ensemble de ses promoteurs, n'a pas relié la sanctification à la préparation du retour de Christ, il n'a pas non plus pris position dans la question de la guérison par la prière. Le mouvement d'Oxford est resté neutre en face de ces diverses questions, comme il était neutre au point de vue ecclésiastique et c'est ce qui donna confiance à une foule d'hommes que des vues trop étroites, ou simplement trop arrêtées sur l'un ou l'autre de ces points, auraient tenus à distance.

Peu à peu les vues particulières de M. O. Stockmayer ont diminué le cercle de ses auditeurs et restreint son influence à certains milieux.
Ce fut d'abord la prédication de la guérison par la foi ou plus exactement de « la santé par Christ » que M. O. Stockmayer ajouta à celle de la sanctification.
Déjà avant Oxford il avait remis à Dieu seul le soin de sa santé mais sans faire ni enseigner de théorie à ce sujet.

En 1878, par contre, il publia une brochure de quinze pages, sur La Maladie et l'Évangile (9), dans laquelle il défendait vigoureusement sa manière devoir.
« Le disciple de Jésus n'est pas affranchi de la souffrance, au contraire la souffrance lui est nécessaire, mais dans cette souffrance la maladie n'est pas comprise. D'après Jacques V, 13 et 14, il est des chrétiens qui souffrent, d'autres qui sont dans la joie, enfin il en est (en dehors de ceux qui souffrent) qui sont malades. À chacune de ces catégories d'affligés correspond un traitement spécial. Les premiers, qu'ils prient ; les seconds, qu'ils chantent des cantiques ; mais les troisièmes, il n'est pas dit qu'ils continueront patiemment à être malades ; ils doivent appeler les pasteurs de l'Église, se faire oindre d'huile et.... être guéris.

La promesse que le malade sera guéri est formelle et absolue. » Cette distinction entre la souffrance et la maladie, l'auteur la relève dans tout le ministère de Jésus. Celui-ci a été un « homme de douleur » et pourtant n'a jamais été malade.
« Jamais Jésus n'a exhorté un malade à voir dans sa maladie la volonté de Dieu et à prendre patience. Il imposait la souffrance, mais il enlevait la maladie (10). » Esaïe LIII, 4, cité par Matthieu (VIII, 16. 17) prouve que la délivrance de la maladie physique fait partie de l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ.
« Comme Jésus a porté nos péchés pour que nous ne péchions plus (l Pierre II, 24), de même Il a porté nos maladies pour que nous ne soyons plus malades (11). » Dès lors nous n'avons plus le droit de renoncer à la guérison divine ; elle fait partie de notre héritage de chrétiens, nous devons être tout entiers à Christ, saints et irrépréhensibles « esprit, âme et corps ».

Mais il va sans dire qu'il sera fait au chrétien selon sa foi. « Il faut en particulier qu'il vive dans une intimité assez profonde et assez constante avec son Dieu, pour pouvoir lui dire : « Père, tu sais que tu peux, sans maladie, me dire tout ce que tu as à me dire (12). »

Après s'être confié en Christ pour être guéri, le croyant arrive à se confier en Lui pour ne pas retomber malade. La maladie est un frein dont Dieu se sert pour se faire écouter par des enfants qui ne sont pas entièrement gagnés.
Quelquefois la maladie est un véritable châtiment comme dans l'Église de Corinthe. C'est aussi une école par laquelle Dieu fait passer son enfant pour l'éduquer et le purifier. Mais cette école doit nous préparer à une école plus bénie encore, celle où l'on apprend à servir Christ « avec un corps guéri ».

On objecte l'écharde de saint Paul. Dieu s'est interposé en effet pour maintenir cette infirmité humiliante à son apôtre. Il est des cas où Dieu nous refuse « à tel moment de notre vie, telle application d'un enseignement biblique, nous n'avons qu'à nous humilier et à nous taire. » Ce qui a peut-être manqué à Paul ce sont des frères saints, simples et humbles, constituant un foyer de vie spirituelle qui l'aurait préservé. IL est des grâces de Dieu qui sont difficilement réalisées par des individus isolés, si avancés soient-ils ; il faut une collectivité pour les recueillir et les mettre en valeur. Quant à notre mort, il importe peu qu'elle vienne par maladie ou sans maladie. « Ce qui nous importe, c'est que nous ne soyons pas enlevés à la moitié de nos jours (Ps. CII, 24), c'est-à-dire avant d'avoir accompli les bonnes oeuvres pour lesquelles nous avons été créés (Ephés. II, 10) avant d'avoir porté les fruits (Jean XV, 2. 8. 16) en vue desquels nous avons été greffés sur le Christ (13). »

« Quand l'Église aura reconnu de nouveau et saisi pour elle-même tous les fruits de la mort de son divin Époux, celui-ci pourra aussi lui rendre l'exercice des dons qu'elle n'a perdus que par son incrédulité, et en particulier celui de la guérison : elle pourra glorifier Dieu par des actes de puissance. « En vérité je vous le dis celui qui croit en moi fera, lui aussi, les oeuvres que je fais et il en fera même de plus grandes, parce que je vais à mon Père. (Jean XIV, 12). »

En 1880 parut une seconde édition de cette brochure dont la préface contenait les lignes suivantes :
« Si j'ai réussi à rendre mon faible témoignage sous une forme un peu moins brusque que la première fois, d'une manière moins indigne de notre Maître, je le dois à la discipline de sa grâce, mais je dois beaucoup aussi aux objections et aux avertissements de mes frères et je les remercie de coeur. J'ai encore besoin de leur indulgence, mais je compte sur leur amour chrétien. »

Dans cette seconde édition, adoucie, M. Stockmayer reconnaît que les serviteurs les plus fidèles de Dieu ont encore besoin parfois de la maladie et que le malade peut exercer un ministère béni parmi ses frères, mais c'est l'exception. La thèse de la première édition, Esaïe LIII, 4, confirmé par Matthieu VIII, 16 et 17, reste la marche normale du chrétien.

Dès lors les vues de M. Stockmayer au sujet de la guérison n'ont pas varié. Il disait tout récemment (14) :
« D'autres préoccupations ont rempli ma vie, mais le Seigneur me donne toujours les forces pour mon service. Il y a un service du premier âge, il y en a un de l'âge avancé. Le Seigneur m'a toujours gardé dans cette ligne. N'avons-nous pas, en tant qu'Église, lâché un élément de la rédemption ? Le retour de Christ a quelque chose à faire avec le corps. Et si l'Église se prépare pour l'ascension, la sanctification partant de l'esprit, traversant l'âme, ne finit-elle pas par pénétrer le corps ? Que le Seigneur lui-même nous donne son mot d'ordre (15). »

À l'époque, cette question de la guérison, posée par M. Stockmayer, fit beaucoup de bruit.
Dans le Journal religieux de Neuchâtel, M. Ed. Rosselet, alors pasteur au Locle, entreprit la réfutation de la thèse posée. M. Jules Paroz prit la défense des intentions de M. Stockmayer, tout en affirmant que les médecins et les remèdes représentent des dons de Dieu dont chacun peut user en bonne conscience.
M. Paroz manifestait aussi la crainte que ces promesses si absolues de guérison n'éveillassent des espérances illusoires chez beaucoup de chrétiens et qu'après avoir été déçus en ne recevant pas la guérison, ils ne perdissent la foi (16).

À l'apparition de la première édition de La Maladie et l'Évangile, de vives discussions s'élevèrent dans le comité neuchâtelois dont dépendait l'auteur de la brochure. Les membres étaient partagés sur l'opportunité d'engager leur responsabilité dans la diffusion de cette nouvelle doctrine. C'était le message d'Oxford sans adjonction qu'ils avaient désiré répandre en s'adjoignant la collaboration de M. Stockmayer. D'autre part celui-ci ne se sentait plus à l'aise dans la dépendance d'un comité ; il avait besoin de sa pleine liberté ; il se sépara de son comité et accepta les offres du major Brunschweiler, industriel de la Thurgovie, qui mit à sa disposition le petit château de Hauptweil pour en faire une maison de guérison et de retraite spirituelle. Depuis lors de nombreuses personnes, principalement des gens moralement malades, ont toujours trouvé un réconfort spirituel, parfois aussi physique, auprès de cet homme qui exerçait sur eux une discipline austère, mais qui leur apportait par sa foi un renouveau de vie.
M. Stockmayer avait commencé à donner un enseignement eschatologique très sobre.

En 1875, alors qu'il était encore à l'Auberson, il fit une série de conférences sur « la Prophétie » dans l'église de Sainte-Croix. Ses auditeurs lui en demandèrent l'impression (17). Il est bon de remarquer que l'auteur consacrait seize pages de cette brochure à démontrer le bien-fondé de l'eschatologie traditionnelle : « A côté de l'Avènement de Christ, disait-il, l'Écriture nous parle de son jour, et l'on s'est demandé si ces deux termes ne désigneraient pas des époques distinctes. Il y a des frères dans diverses Églises - les Darbystes en particulier - qui affirment que ce sont deux époques séparées l'une de l'autre par l'apparition et le règne de l'Antichrist. L'avènement de Christ, jour de délivrance pour l'Église, précéderait la manifestation de l'Antichrist. Beaucoup plus tard le jour de Christ, jour de jugement sur l'Antichrist et sur le monde, mettrait fin à ce règne. Au moment de ce premier avènement, l'enlèvement des chrétiens s'accomplirait silencieusement, sans que le monde s'en aperçoive autrement que par leur disparition ; aucun événement précurseur ne l'annoncerait, aucun symptôme ne le ferait prévoir, et nous pourrions nous y attendre d'un instant à l'autre. Les événements annoncés dans les chapitres IV à XIX de l'Apocalypse ne s'accompliraient qu'après que l'Église aurait été recueillie dans le ciel. »

M. Stockmayer combattait résolument cette manière de voir. « Examinons les textes, disait-il, et nous verrons bientôt que l'Écriture emploie les termes de jour et d'avènement de Christ pour désigner une seule et même époque ; seulement elle se sert préférablement (non pas exclusivement) du terme d'avènement quand il s'agit de l'objet de l'attente des fidèles, et du mot jour, quand il s'agit du jugement sur les infidèles (18). »

« On objecte encore, continue l'auteur de la brochure, que, si des événements précurseurs quelconques (comme l'apparition de l'Antichrist) doivent précéder l'avènement de Christ, nous ne pouvons plus attendre celui-ci, mais que nous attendrions ces évènements-là. À quoi M. Stockmayer répond : Les symptômes précurseurs de l'avènement de Christ ne nous empêchent nullement d'attendre le Seigneur, nous n'apercevons, au contraire, ces symptômes qu'en nous tenant dans cette attente. Pour une âme en dehors de cette condition, les signes des temps pourront se multiplier, l'Antichrist lui-même pourra paraître, sans autre effet que de rendre plus profonds son sommeil et son insouciance (19). »

« On voit, c'est toujours l'auteur qui parle, dans la présence de l'Église sur la terre un obstacle à la manifestation de l'Antichrist ! (eschatologie darbyste). Mais c'est méconnaître les rapports organiques d'action et de réaction qui existent entre le développement du bien et du mal jusqu'à la production de leurs derniers fruits. Le froment et l'ivraie doivent croître ensemble jusqu'à la moisson.... (20)

« Ce n'est pas la disparition, c'est le renouvellement de l'Église qui amènera l'apparition de l'Antichrist. C'est le développement du bien qui appellera la dernière manifestation du mal. L'un et l'autre appelleront Christ (Apoc. XXII, 11. 12). Les angoisses et les soupirs de l'Épouse appelleront l'Époux ; la corruption qui s'achève appellera le Juge (Matth. XXIV, 28) (21). »

Ainsi dans ces Conférences sur la prophétie, M. Stockmayer s'opposait nettement aux vues des Darbystes et aux systèmes qui s'y rattachaient de près ou de loin, exposant le point de vue traditionnel avec une clarté, une spiritualité qui avaient vivement impressionné ses auditeurs de Sainte-Croix. Cette brochure fit grand bien au public chrétien en l'éclairant sobrement sur des sujets toujours controversés. La sagesse de l'auteur conquit la pleine confiance de ses lecteurs.

À cause même de l'affection profonde que nous portons à M. Stockmayer - quoique, en ces matières, il soit toujours difficile de juger la conscience d'autrui - nous regrettons que celui-ci n'ait pas continué à enseigner si clairement et si sobrement la venue de l'Antichrist, sa destruction, l'enlèvement de l'Église selon l'exposé des deux épîtres aux Thessaloniciens.
En effet dans les allocutions qu'il fit à « Betschan » et qui ont été publiées en brochure (22), dans d'autres réunions, à Blankenburg, en Suisse allemande, au Ried (23), où nous avons eu l'occasion de l'entendre nous-même, M. Stockmayer se mit à exposer sa pensée sur l'espérance chrétienne d'une manière toute différente.

Ces vues nouvelles étaient celles du milieu de « Betschan », de Mme Baxter, de Miss Murray, probablement aussi des Boardman, avec lesquels M. Stockmayer était en relations étroites. Elles avaient également pénétré dans « l'Allianz Conferenz » de Blankenburg, aux assemblées de laquelle il prit part plusieurs fois (24).

M. Stockmayer en vint ainsi à défendre le point de vue qu'il avait combattu précédemment.
À propos de Romains VIII, il disait un jour dans une réunion : « En quoi consiste l'espérance chrétienne ? Est-ce dans l'espoir que quand nous déposerons ce corps fragile nous entrerons dans le repos de Dieu où Christ nous a préparé une place ? Est-ce là l'espérance chrétienne ? Certainement ce n'est pas peu de chose que de pouvoir dire : « J'estime que les souffrances du temps présent ne sont rien en comparaison de la gloire à venir.... » Mais l'espérance chrétienne, c'est plus que le repos, c'est la gloire qui sera révélée.... Et quelle est la nature de cette gloire ?

J'ai connu le temps où je soupirais après le moment où je pourrais me reposer dans la tombe ; et si cet espoir-là avait été le dernier mot de ma foi, je ne serais plus là. C'est à Mme Octavie Junod-Roulet, cette fidèle servante du Seigneur que je dois d'être encore au milieu de mon peuple et de témoigner pour Christ. Elle avait le sentiment que ma volonté de vivre se relâchait. Luttant dans une chambre, pour moi, à Hauptweil, elle me dit : « Monsieur, si vous ne vous rendez pas, si vous ne voulez pas croire à la vie, je ne puis pas aller plus loin dans la victoire pour vous. »

« Et je me rendis, continue M. Stockmayer ; et au lieu d'espérer en la tombe, je ressaisis la véritable espérance chrétienne. Je puis mourir comme les autres, mais mon désir de mourir a fait place à la volonté de vivre. Je veux vivre pour mon Dieu, pour l'espérance du retour de Christ. Dans cette ligne de victoire, j'ai trouvé des puissances de purification et de transformation nouvelles pour arriver à la conformité avec Christ. Si j'avais hésité, la mort aurait repris son empire.... au lieu de cela le Seigneur a ouvert mon être à un nouvel épanouissement de vie que je ne connaissais pas (25). »
Peu à peu chez M. Stockmayer et chez les personnes de son entourage, se manifestait la certitude d'être enlevé sous peu et cette certitude était envisagée comme la manière seule normale de glorifier le Seigneur.

Ces dernières années, M. Stockmayer est revenu de ses affirmations trop précises et trop absolues. Dans une réunion il fit l'aveu suivant :
« Je voulais être prêt, même si personne ne l'était. Peut-être était-ce l'exemple d'Enoch qui me faisait oublier que les gloires de la Nouvelle Alliance par le sang versé, sont destinées à former à Christ un organisme et non un membre. Un membre doit être équilibré par les autres membres. Aujourd'hui je reconnais la folie, l'écart d'une telle prétention et je bénis le Seigneur - et ceux de mes frères qui ont contribué à ce résultat - de m'avoir remis à ma place. C'est le suprême secours, le salut dans tous les sens que d'être mis à notre place, à notre petite place, si petite qu'elle soit, car il n'y aura pas d'achèvement du « Corps » avant que tous soient à leur place.... (26) »

Et c'est avec joie que nous avons recueilli cette déclaration dont l'humilité et la sobriété nous touchent.
Tout en pressant les croyants de demander le Saint-Esprit, il combattit les mouvements de nature psychique auxquels on a indûment mêlé l'Esprit de Dieu ces dernières années. Dans le mouvement dit « des langues » et du « perfectionnisme » parti de Los Angeles en Californie, implanté en Norvège, puis en Allemagne, mouvement auquel certains éléments de l'« Allianz Conferenz » ne restèrent pas étrangers et que certains esprits exaltés cherchent à introduire en Suisse, à Zurich et en pays vaudois, M. Stockmayer, comme l'évangéliste Schrenk, prit résolument position contre ces excès et les qualifia de « sataniques ».

Il n'y a pas très longtemps il écrivait à quelqu'un qui avait été troublé par un mouvement de ce genre :
« La simplicité c'est le dernier mot de l'Evangile.... Livrez-vous et fiez-vous à la personne du Christ sans réserve et par une foi « toute nue » ; et l'Esprit sera au large pour habiter en vous.... »

Jamais les vues spéciales de M. Stockmayer au sujet de la guérison ou de l'espérance chrétienne ne devinrent à ce point envahissantes qu'elles lui aient voilé le centre de l'Évangile, au contraire elles l'y ramenaient toujours.
Une des affirmations de l'enseignement de M. Stockmayer sur laquelle il est revenu souvent ces dernières années avec autorité et vigueur, c'est la capacité de « l'Agneau » d'engendrer une postérité d'agneaux : « Nous sommes appelés, disait-il au Ried en automne 1911, à « être transformés à l'image du Seigneur de gloire en gloire » (2 Cor. III, 18). Nous ne possédons pas de portrait authentique du Seigneur, au temps où il vivait sur la terre, mais nous avons une image de Lui dans les Évangiles. Il y a en particulier une image magnifique qui lui est appliquée, c'est celle d'un « Agneau ». Cette image traverse la Bible entière.

C'est à l'abri du sang de l'agneau pascal et du corps de l'agneau qu'Israël est sorti d'Égypte. Jean-Baptiste a dit de Jésus : « Voici l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. » Il a détaché ses disciples de lui-même pour les donner à Jésus qui était capable d'en faire des ministres de l'Agneau, après qu'ils auraient mangé sa chair et bu son sang. Ce sont des « agneaux » qui, après avoir eu communion avec l'Agneau, porteront l'Évangile dans un monde de « lions ». Le Père a trouvé un moyen nouveau pour transformer ces natures de lion en natures d'agneaux, c'est en changeant leur sang. Il a laissé répandre le sang de l'Agneau que boivent les disciples, et ce sang spirituellement s'incorpore à leur nature et les transforme. De gloire en gloire ! Chaque trait de l'ancienne nature fait place à un trait de Jésus-Christ. Celui qui nous appelle fera ces choses ; il prendra en mains nos intérieurs, nos foyers, cet apparent désordre dans lequel nous nous débattons et Il s'en servira pour nous transformer en agneaux (27). »

Et tous ceux qui ont eu le privilège de suivre cet enseignement de M. Stockmayer, dans ses cultes de Hauptweil ou dans ses allocutions des réunions de consécration ont été profondément impressionnés par la gravité et la puissance de sa parole. Celle-ci pénétrait moins par le cerveau que par la conscience. L'exégèse de M. Stockmayer pouvait être sujette à caution, le fil de son discours se compliquer, les digressions se multiplier, l'âme était nourrie, la conscience était touchée et mise en contact avec Dieu. Dans tel de ses messages il semblait n'être plus lui-même qu'un canal et communiquer directement la pensée de Dieu à ses frères, de telle manière que ceux-ci, prosternés en esprit, étaient contraints d'établir une bonne fois, seuls avec le Seigneur, le bilan de leur vie.

Tout en affirmant ses convictions personnelles avec autorité, il admettait que la pensée de ceux auxquels il s'adressait restât maîtresse d'elle-même. Il respectait la personnalité de ses auditeurs. Il n'a jamais voulu jouer le rôle d'intermédiaire nécessaire, ni devenir le chef d'une dénomination nouvelle. Il appartenait de coeur à l'Alliance évangélique et disait à ceux qui lui demandaient conseil au point de vue ecclésiastique : « Restez dans la dénomination où vous avez trouvé le salut. » Une pléiade d'hommes, qui ont travaillé en Allemagne et en Suisse au développement du Règne de Dieu dans des proportions connues de Dieu seul, ont subi, à des degrés divers, son influence : E. Schrenk, Ch.-H. Rappard, A. Bovet, J. Gross, H. Gagnebin, A. Robert, A. Besson, pour ne citer que des morts.

Gaston Frommel, dont la famille recevait à Avenelles les visites de M. Stockmayer, avait fait au cours d'une maladie un séjour à Hauptweil et avait été, sans le dire alors, saisi par les enseignements de cet homme. Plus tard, devenu professeur à Genève, il s'approcha un jour, à la fin d'une réunion et dit à M. Stockmayer, au grand étonnement de celui-ci: « Vous savez, je suis votre enfant spirituel. (28) »

Dernièrement encore nous avons eu un entretien avec M. Stockmayer. Nous avons retrouvé en lui, sans doute adoucie par l'âge mais toujours profonde la même fermeté de foi, la même vie « en Christ » que nous lui avions connue. Et c'était dans sa manière de s'exprimer une sobriété, une simplicité, une joie contenue... ! Un coeur d'enfant transparaissait sur ce visage de vieillard. Et il nous semblait contempler un beau coucher de soleil dont les rayons, après avoir été brûlants à midi, redevenaient plus doux, comme ceux du soleil levant, à mesure qu'ils se rapprochaient de l'horizon et nous rendions grâce à Dieu pour tout le bien qu'a fait à l'Église cet homme dont l'éternité seule révélera toute la fidélité au service du Maître.


1) L'aînée de ses élèves, alors âgée de dix ans, devint l'écrivain Joseph Autier.

2) Mme Cornaz laissa dans le pays une telle réputation de bonté que, à sa mort, en 1895, quoique membre fondatrice de l'Église libre, elle fut portée en terre par les membres du Conseil municipal de Cudrefin qui avaient réclamé cet honneur.

3) La gloire de l'Agneau et sa vie, par O. Stockmayer. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1893, p. 16.

4) Les principaux membres en étaient - MM. Jules Paroz à Peseux ; de Perrot, colonel ; Bauler, pharmacien ; Monnerat et Ch. Borel, pasteurs.

5) Neuchâtel, Delachaux frères, 1878.

6) La Grâce et le Péché, p. 2, 3. 

7) Ibid, p. 6.

8) Ibid, p. 16. 

9) Neuchâtel, Delachaux frères, éditeurs, 1878.

10) La Maladie et l'Évangile, p. 4.

11) Ibid, p. 5. 

12) Ibid, p. 7.

13) Ibid, p. 13. - 1) Ibid, p. 14.

14) Réunions du Ried en Avril 1914.

15) M. Stockmayer est loin d'être aussi absolu qu'autrefois : il admet que des malades puissent glorifier le Seigneur par leur soumission dans la maladie.

16) Numéros du 7 et du 14 août 1880.

17) Conférences sur la Prophétie, par Otto Stockmayer, pasteur, Lausanne, Georges Bridel, 1875.

18) Page 23.

19) Pages 34, 35, 36. 

20) Ibid, p. 36. 

21) Ibid, p. 38. 

22) L'Épouse et l'Agneau. Neuchâtel, Delachaux & Niestlé. 

23) La propriété hospitalière et bien connue de la famille Robert, au-dessus de Bienne.

24) Voir plus loin au chapitre XIV, ce qui concerne Blankenburg.

25) Réunion de sanctification à Morges. Salle de la Concorde, le 8 juin 1904. Notes recueillies par Mlle S. C. 

26) Réunions du Ried, le 3 juin 1909.

27) Libérateur du 11 novembre 1911. 

28) Ce fait nous a été rapporté par M. Stockmayer lui-même. 
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