Sa conversion. - Oxford. - Son enseignement de la sanctification. - La maladie et l'Évangile. - Ses vues spéciales. - Sa personnalité spirituelle.
À plusieurs reprises déjà
le nom de M. O. Stockmayer est revenu sous notre
plume. Il est temps de chercher à
caractériser l'influence considérable
que cet homme de Dieu - véritable
prophète - a exercée sur le
développement du réveil d'Oxford dans
nos contrées. Fils de préfet
allemand, candidat en théologie sans
convictions évangéliques,
hanté d'idées étranges mais
doué d'une extrême sensibilité,
O. Stockmayer était entré, en
qualité de précepteur, par
l'intermédiaire du professeur de la
Faculté libre de Lausanne, R.
Clément, dans la famille Cornaz, de Montet,
au Vully (1). Il
se montrait consciencieux et ferme dans sa
tâche envers les enfants qui lui
étaient confiés. En retour il
était entouré de prévenances
et d'affection chrétienne. Renfermé,
solitaire, il ne goûtait guère la
piété réveillée de Mme
Cornaz (2) et
redoutait par-dessus tout les
tête-à-tête avec
elle.
Cependant il s'opérait un
travail spirituel en lui, les
lignes suivantes en font foi :
« Vous parlerai-je de
ma
conversion à Dieu, un soir de septembre
1862 ? L'année auparavant deux
circonstances en avaient préparé la
voie. On m'avait prêté un livre de Mme
de Gasparin : Les Horizons prochains et
célestes. J'étais inconverti, ne
croyant ni en Dieu, ni au ciel, ni à
l'éternité, mais la question se posa
devant moi : Si ceux qui croient à ces
choses ont raison et s'il y a réellement un
ciel et une éternité, alors jeune
homme, tu es perdu ! C'était un
problème qui méritait d'être
résolu.
« L'autre circonstance
fut
la présence d'un professeur de
théologie passant, ce même
été, ses vacances dans la maison
où je logeais et que j'eus ainsi l'occasion
de voir de près. Je savais qu'il
était un homme de Dieu et tout en le
méprisant pour cela, j'entendais au dedans
de moi une voix me dire : Cet homme est plus
noble que toi, avec toutes tes aspirations et ton
imagination, cet homme vit pour les autres et toi
tu ne vis que pour toi. Un rayon de la gloire de
l'Agneau immolé apparut alors à mon
horizon au travers de ce cher serviteur de
Dieu ! C'était une vie que je ne
connaissais pas, une vie plus élevée.
Je compris qu'après tout, la plus grande
gloire ici-bas pouvait être de vivre pour les
autres.
(3) »
Peu de jours avant son départ
de Montet, tout en se promenant une dernière
fois sur la terrasse avec Mme Cornaz, Stockmayer
s'ouvrit quelque peu. Soudain son interlocutrice
s'arrêta, le regarda dans les yeux et
s'écria : « Je suis en
angoisse pour vous ! » Le jeune
homme, malade moralement et préparé
par l'Esprit de Dieu, ne put s'empêcher de se
dire à part lui :
« Elle ne sait pas elle-même
à quel point son angoisse est
justifiée ! »
Dieu permit que ce coup droit
porté à sa conscience le
transperçât. Rentré dans sa
chambre, selon sa propre expression, il prit sa
vie, la brisa en trois morceaux et la jeta devant
le Seigneur : « Cette fois,
Seigneur, ce que tu veux et non plus ce que je
veux. » Et il saisit la grâce par
un acte de foi « toute
nue ».
En automne 1862, il entrait au
service de l'Église libre vaudoise ; il
fut quelque temps desservant du poste
d'évangélisation de
Tavannes-Tramelan. Un besoin impérieux de
sainteté le tourmentait. Quand il traversait
les pâturages, dans ses courses pastorales,
il enviait le bétail qui paissait -
« Au moins les bêtes ne sont
responsables de rien ! »
Il devint plus tard pasteur de
l'Auberson, aux Granges de Sainte-Croix. C'est
là qu'en 1874, un numéro du journal
de P. Smith, Pathway of Power, lui tomba
sous la main et lui communiqua le désir de
connaître de plus près le mouvement
anglais de sanctification. Peu après, il
reçut une invitation à se rendre
à Oxford. Il y allait dans le désir
de recevoir un baptême de l'Esprit bien
marqué, quelque chose qui le subjuguât
et le courbât jusqu'à terre. Dieu lui
fit comprendre qu'il lui tenait en réserve
une autre grâce. Un jour, à Oxford,
dans une des réunions pastorales, il se leva
pour rendre son témoignage « Je ne
pus, dit-il, que balbutier ces quelques mots
Seigneur, je me confie en toi ! »
Vaincu par l'émotion il tomba dans les bras
de Boardman qui l'étreignit sur son
coeur.
Il revint transformé. Il
avait appris cette leçon si simple mais si
féconde : se confier en Dieu
pour toutes choses. Et
dès lors, selon sa propre expression
« le Maître allait déplier
un à un les plis de son caractère
puis replier ce dernier dans des plis nouveaux et
conformes à la volonté
divine. »
C'est à l'Auberson qu'un
comité de Neuchâtel
(4),
constitué en alliance
évangélique, vint le chercher pour en
faire une sorte d'agent itinérant du
réveil d'Oxford. Tantôt seul,
tantôt avec d'autres frères - Bovet et
Rappard principalement - il s'en allait aussi bien
en pays allemand qu'en pays romand exposer les
doctrines du réveil et allumer de tous
côtés de nouveaux foyers de vie
profonde.
Cet enseignement sur la
sanctification, M. Stockmayer le résuma plus
tard dans une brochure intitulée :
La Grâce et le Péché
(5).
Selon l'Écriture, le
péché n'occupe aucune place, ne
conserve aucun droit dans la vie du croyant. Nulle
part la Bible ne suppose que les manifestations de
la chair doivent persister chez l'enfant de Dieu.
« Ceux qui sont à Christ ont
crucifié la chair avec ses passions et ses
convoitises »
(Gal.
V, 24). Il faut que les paroles
de l'Évangile qui promettent ou commandent
à l'enfant de Dieu la sainteté, la
pureté, la perfection, reprennent un sens.
Il y a eu décès de nous-mêmes
dans la mort de Christ, séparation d'avec le
monde et le péché, puis
résurrection à une vie nouvelle.
Notre corps en réalité n'est plus
à nous, il appartient à Christ. Nous
n'avons le droit de vivre que pour autant que nos
membres servent le
Ressuscité dans la
puissance de sa résurrection
(Rom.
VI). Celui qui est mort ne peut
plus être accusé du
péché passé, ni
maîtrisé par le péché
présent.
« D'autre part,
continue
M. Stockmayer, ce n'est pas que nous
prêchions une sainteté parfaite, une
vie chrétienne exempte de
péché dans le sens absolu du mot.
Mais autre chose est d'avoir du
péché, et autre chose d'en commettre.
L'apôtre Jean dit dans sa première
épître
(ch.
II, 1) : « Je
vous écris afin que vous ne péchiez
point. » Il ne pouvait pas dire :
afin que vous n'ayez pas du
« péché »,
puisque, au chapitre 1, 8, il avait
déclaré : « si nous
disons que nous n'avons pas de péché,
nous nous séduisons
nous-mêmes.... »
Évidemment, si l'apôtre
exige que nous ne péchions point, il n'a pas
en vue une marche ou un état du coeur dans
lequel le Saint-Esprit n'aurait plus rien à
reprendre. Au chapitre 1, 7, il dit :
« Si nous marchons dans la
lumière, comme Il est lui-même dans la
lumière, le sang de Jésus-Christ, son
Fils, nous purifie de tout
péché. »
Cela prouve qu'il reste du
péché même chez celui qui
marche dans la lumière, et laisse supposer
un domaine du péché dans lequel
l'Esprit et le sang de Christ agissent sur nous,
éclairant et purifiant de nouveaux replis de
notre être sans que notre marche dans la
lumière et notre communion avec Dieu en
soient interrompues. Ce que l'Écriture
demande, c'est que l'enfant de Dieu demeure dans
des conditions telles que cette oeuvre de
purification puisse s'opérer, lentement et
graduellement sans doute, mais d'une manière
sûre et continue.... (6) C'est ici
un des points en
litige
sur lesquels on n'a pas compris M. Stockmayer.
Quand il annonçait la
possibilité de la délivrance du
péché, on l'accusait de prêcher
une sainteté inaccessible à l'homme.
Quand, pour encourager ses frères et les
convaincre, il surmontait sa répugnance
à parler de lui et rendait témoignage
à la grâce de Dieu qui l'avait
gardé de chute depuis son entière
consécration à Dieu, on l'accusait
d'orgueil spirituel, on prétendait qu'il ne
savait pas ce que c'était que le
péché par omission, aussi coupable
que le péché par commission.
Il nous semble que M. Stockmayer
transportait la question sur le vrai terrain
biblique quand il disait : « Notre
nature reste pécheresse, nous serions
menteurs si nous disions que nous n'avons point de
péché, mais la grâce de Dieu
nous a gardés et peut nous garder de
commettre tout péché
conscient. »
C'est une étroite arête
de vérité. On peut glisser d'un
côté, sur la pente du
péché nécessaire où se
débat le gros de l'Église, tout en se
raccrochant aux branches des bonnes
résolutions et du légalisme. Ou bien
on peut tomber de l'autre côté dans
les affirmations de l'impeccabilité et de la
destruction totale du vieil homme, ce qui conduit
aux expériences décevantes du
perfectionnisme. M. Stockmayer s'est gardé
des deux dangers en disant : « Le
péché est bien encore en eux (ceux
chez qui l'Esprit de Dieu a pu déployer tous
ses effets) et reste en eux, mais ce sont eux qui
ont changé de domicile. L'Esprit de Dieu a
transporté le centre de leur vie en
Jésus-Christ en les unissant à lui
comme le sarment l'est au cep
(7). »
« Peu à peu, dit
encore M. Stockmayer, notre coeur et notre pied
s'affermissent sur ce sentier glorieux. La
grâce de Dieu devient une puissance qui nous
porte et dont l'influence nous
pénètre et nous enveloppe. L'Esprit
de Dieu pousse et fait agir ceux qui, dans un libre
abandon, se sont livrés tout entiers
à leur Dieu ; ils n'ont plus besoin de
se pousser eux-mêmes. Il ne leur faut plus ni
effort, ni tension morale, pour regarder sans cesse
à Christ ; ils ne sauraient plus faire
un pas sans s'appuyer sur Lui. Dans leur relation
filiale avec leur Dieu, la confiance, une confiance
absolue et illimitée, est devenue en eux une
seconde nature et une attitude constante. L'amour a
banni la crainte et la contrainte....
(8). »
Si A. Bovet et H. Rappard se
sont
cantonnés sur le terrain d'Oxford, celui de
la sanctification par la foi, O. Stockmayer a
ajouté à son enseignement des
éléments nouveaux, des vues
spéciales sur la guérison par la foi
et sur le retour de Christ.
Le mouvement d'Oxford, dans
l'ensemble de ses promoteurs, n'a pas relié
la sanctification à la préparation du
retour de Christ, il n'a pas non plus pris position
dans la question de la guérison par la
prière. Le mouvement d'Oxford est
resté neutre en face de ces diverses
questions, comme il était neutre au point de
vue ecclésiastique et c'est ce qui donna
confiance à une foule d'hommes que des vues
trop étroites, ou simplement trop
arrêtées sur l'un ou l'autre de ces
points, auraient tenus à
distance.
Peu à peu les vues
particulières de M. O. Stockmayer ont
diminué le cercle de ses auditeurs et
restreint son influence à certains
milieux.
Ce fut d'abord la prédication
de la guérison par la foi ou plus exactement
de « la santé par
Christ » que M. O. Stockmayer ajouta
à celle de la
sanctification.
Déjà avant Oxford il
avait remis à Dieu seul le soin de sa
santé mais sans faire ni enseigner de
théorie à ce sujet.
En 1878, par contre, il publia
une
brochure de quinze pages, sur La Maladie et
l'Évangile (9), dans laquelle il
défendait
vigoureusement sa manière devoir.
« Le disciple de
Jésus n'est pas affranchi de la souffrance,
au contraire la souffrance lui est
nécessaire, mais dans cette souffrance la
maladie n'est pas comprise. D'après Jacques
V, 13 et 14, il est des
chrétiens qui souffrent, d'autres qui sont
dans la joie, enfin il en est (en dehors de ceux
qui souffrent) qui sont malades. À chacune
de ces catégories d'affligés
correspond un traitement spécial. Les
premiers, qu'ils prient ; les seconds, qu'ils
chantent des cantiques ; mais les
troisièmes, il n'est pas dit qu'ils
continueront patiemment à être
malades ; ils doivent appeler les pasteurs de
l'Église, se faire oindre d'huile et....
être guéris.
La promesse que le malade sera
guéri est formelle et absolue. »
Cette distinction entre la souffrance et la
maladie, l'auteur la relève dans tout le
ministère de Jésus. Celui-ci a
été un « homme de
douleur » et pourtant n'a jamais
été malade.
« Jamais Jésus n'a
exhorté un malade à voir dans sa
maladie la volonté de Dieu et à
prendre patience. Il imposait la souffrance, mais
il enlevait la maladie
(10). » Esaïe
LIII, 4, cité par
Matthieu
(VIII,
16. 17) prouve que la
délivrance de la maladie physique fait
partie de l'oeuvre rédemptrice de
Jésus-Christ.
« Comme Jésus a
porté nos péchés pour que nous
ne péchions plus
(l
Pierre II, 24), de même Il a
porté nos maladies pour
que nous ne soyons plus malades
(11). »
Dès lors nous n'avons plus le droit de
renoncer à la guérison divine ;
elle fait partie de notre héritage de
chrétiens, nous devons être tout
entiers à Christ, saints et
irrépréhensibles « esprit,
âme et corps ».
Mais il va sans dire qu'il sera
fait
au chrétien selon sa foi. « Il
faut en particulier qu'il vive dans une
intimité assez profonde et assez constante
avec son Dieu, pour pouvoir lui dire :
« Père, tu sais que tu peux, sans
maladie, me dire tout ce que tu as à me dire
(12). »
Après s'être
confié en Christ pour être
guéri, le croyant arrive à se confier
en Lui pour ne pas retomber malade. La maladie est
un frein dont Dieu se sert pour se faire
écouter par des enfants qui ne sont pas
entièrement gagnés.
Quelquefois la maladie est un
véritable châtiment comme dans
l'Église de Corinthe. C'est aussi une
école par laquelle Dieu fait passer son
enfant pour l'éduquer et le purifier. Mais
cette école doit nous préparer
à une école plus bénie encore,
celle où l'on apprend à servir Christ
« avec un corps guéri ».
On objecte l'écharde de saint
Paul. Dieu s'est interposé en effet pour
maintenir cette infirmité humiliante
à son apôtre. Il est des cas où
Dieu nous refuse « à tel moment de
notre vie, telle application d'un enseignement
biblique, nous n'avons qu'à nous humilier et
à nous taire. » Ce qui a
peut-être manqué à Paul ce sont
des frères saints, simples et humbles,
constituant un foyer de vie spirituelle qui
l'aurait préservé. IL est des
grâces de Dieu qui sont difficilement
réalisées par des individus
isolés, si avancés soient-ils ;
il faut une collectivité pour les recueillir
et les mettre en valeur. Quant à notre mort, il
importe peu qu'elle
vienne
par maladie ou sans maladie. « Ce qui
nous importe, c'est que nous ne soyons pas
enlevés à la moitié de nos
jours (Ps.
CII, 24), c'est-à-dire
avant d'avoir accompli les bonnes oeuvres pour
lesquelles nous avons été
créés
(Ephés.
II, 10) avant d'avoir
porté les fruits
(Jean
XV, 2. 8.
16)
en vue desquels nous avons
été greffés sur le Christ
(13). »
« Quand l'Église
aura reconnu de nouveau et saisi pour
elle-même tous les fruits de la mort de son
divin Époux, celui-ci pourra aussi lui
rendre l'exercice des dons qu'elle n'a perdus que
par son incrédulité, et en
particulier celui de la guérison : elle
pourra glorifier Dieu par des actes de puissance.
« En vérité je vous le dis
celui qui croit en moi fera, lui aussi, les oeuvres
que je fais et il en fera même de plus
grandes, parce que je vais à mon
Père.
(Jean
XIV,
12). »
En 1880 parut une seconde
édition de cette brochure dont la
préface contenait les lignes
suivantes :
« Si j'ai réussi
à rendre mon faible témoignage sous
une forme un peu moins brusque que la
première fois, d'une manière moins
indigne de notre Maître, je le dois à
la discipline de sa grâce, mais je dois
beaucoup aussi aux objections et aux avertissements
de mes frères et je les remercie de coeur.
J'ai encore besoin de leur indulgence, mais je
compte sur leur amour chrétien. »
Dans cette seconde édition,
adoucie, M. Stockmayer reconnaît que les
serviteurs les plus fidèles de Dieu ont
encore besoin parfois de la maladie et que le
malade peut exercer un ministère béni
parmi ses frères, mais c'est l'exception. La
thèse de la première édition,
Esaïe LIII, 4, confirmé par Matthieu
VIII, 16 et 17, reste la
marche normale du
chrétien.
Dès lors les vues de M.
Stockmayer au sujet de la guérison n'ont pas
varié. Il disait tout récemment
(14) :
« D'autres
préoccupations ont rempli ma vie, mais le
Seigneur me donne toujours les forces pour mon
service. Il y a un service du premier âge, il
y en a un de l'âge avancé. Le Seigneur
m'a toujours gardé dans cette ligne.
N'avons-nous pas, en tant qu'Église,
lâché un élément de la
rédemption ? Le retour de Christ a
quelque chose à faire avec le corps. Et si
l'Église se prépare pour l'ascension,
la sanctification partant de l'esprit, traversant
l'âme, ne finit-elle pas par
pénétrer le corps ? Que le
Seigneur lui-même nous donne son mot d'ordre
(15). »
À l'époque, cette
question de la guérison, posée par M.
Stockmayer, fit beaucoup de bruit.
Dans le Journal religieux de
Neuchâtel, M. Ed. Rosselet, alors pasteur au
Locle, entreprit la réfutation de la
thèse posée. M. Jules Paroz prit la
défense des intentions de M. Stockmayer,
tout en affirmant que les médecins et les
remèdes représentent des dons de Dieu
dont chacun peut user en bonne
conscience.
M. Paroz manifestait aussi la
crainte que ces promesses si absolues de
guérison n'éveillassent des
espérances illusoires chez beaucoup de
chrétiens et qu'après avoir
été déçus en ne
recevant pas la guérison, ils ne perdissent
la foi
(16).
À l'apparition de la
première édition de La Maladie et
l'Évangile, de vives discussions
s'élevèrent dans le comité
neuchâtelois dont dépendait l'auteur
de la brochure. Les membres
étaient partagés sur
l'opportunité d'engager leur
responsabilité dans la diffusion de cette
nouvelle doctrine. C'était le message
d'Oxford sans adjonction qu'ils avaient
désiré répandre en
s'adjoignant la collaboration de M. Stockmayer.
D'autre part celui-ci ne se sentait plus à
l'aise dans la dépendance d'un
comité ; il avait besoin de sa pleine
liberté ; il se sépara de son
comité et accepta les offres du major
Brunschweiler, industriel de la Thurgovie, qui mit
à sa disposition le petit château de
Hauptweil pour en faire une maison de
guérison et de retraite spirituelle. Depuis
lors de nombreuses personnes, principalement des
gens moralement malades, ont toujours trouvé
un réconfort spirituel, parfois aussi
physique, auprès de cet homme qui
exerçait sur eux une discipline
austère, mais qui leur apportait par sa foi
un renouveau de vie.
M. Stockmayer avait commencé
à donner un enseignement eschatologique
très sobre.
En 1875, alors qu'il était
encore à l'Auberson, il fit une série
de conférences sur « la
Prophétie » dans l'église
de Sainte-Croix. Ses auditeurs lui en
demandèrent l'impression
(17). Il
est
bon de remarquer que l'auteur consacrait seize
pages de cette brochure à démontrer
le bien-fondé de l'eschatologie
traditionnelle : « A
côté de l'Avènement de Christ,
disait-il, l'Écriture nous parle de son
jour, et l'on s'est demandé si ces deux
termes ne désigneraient pas des
époques distinctes. Il y a des frères
dans diverses Églises - les Darbystes en
particulier - qui affirment que ce sont deux
époques séparées l'une
de l'autre par l'apparition et
le règne de l'Antichrist. L'avènement
de Christ, jour de délivrance pour
l'Église, précéderait la
manifestation de l'Antichrist. Beaucoup plus tard
le jour de Christ, jour de jugement sur
l'Antichrist et sur le monde, mettrait fin à
ce règne. Au moment de ce premier
avènement, l'enlèvement des
chrétiens s'accomplirait silencieusement,
sans que le monde s'en aperçoive autrement
que par leur disparition ; aucun
événement précurseur ne
l'annoncerait, aucun symptôme ne le ferait
prévoir, et nous pourrions nous y attendre
d'un instant à l'autre. Les
événements annoncés dans les
chapitres IV à XIX de l'Apocalypse ne
s'accompliraient qu'après que
l'Église aurait été recueillie
dans le ciel. »
M. Stockmayer combattait
résolument cette manière de voir.
« Examinons les textes, disait-il, et
nous verrons bientôt que l'Écriture
emploie les termes de jour et d'avènement de
Christ pour désigner une seule et même
époque ; seulement elle se sert
préférablement (non pas
exclusivement) du terme d'avènement quand il
s'agit de l'objet de l'attente des fidèles,
et du mot jour, quand il s'agit du jugement sur les
infidèles
(18). »
« On objecte encore,
continue l'auteur de la brochure, que, si des
événements précurseurs
quelconques (comme l'apparition de l'Antichrist)
doivent précéder l'avènement
de Christ, nous ne pouvons plus attendre celui-ci,
mais que nous attendrions ces
évènements-là. À quoi
M. Stockmayer répond : Les
symptômes précurseurs de
l'avènement de Christ ne nous
empêchent nullement d'attendre le Seigneur,
nous n'apercevons, au contraire, ces
symptômes qu'en nous
tenant dans cette attente. Pour une âme en
dehors de cette condition, les signes des temps
pourront se multiplier, l'Antichrist lui-même
pourra paraître, sans autre effet que de
rendre plus profonds son sommeil et son insouciance
(19). »
« On voit, c'est
toujours
l'auteur qui parle, dans la présence de
l'Église sur la terre un obstacle à
la manifestation de l'Antichrist !
(eschatologie darbyste). Mais c'est
méconnaître les rapports organiques
d'action et de réaction qui existent entre
le développement du bien et du mal
jusqu'à la production de leurs derniers
fruits. Le froment et l'ivraie doivent
croître ensemble jusqu'à la
moisson....
(20)
« Ce n'est pas la
disparition, c'est le renouvellement de
l'Église qui amènera l'apparition de
l'Antichrist. C'est le développement du bien
qui appellera la dernière manifestation du
mal. L'un et l'autre appelleront Christ
(Apoc.
XXII, 11. 12). Les angoisses
et les soupirs de l'Épouse appelleront
l'Époux ; la corruption qui
s'achève appellera le Juge
(Matth.
XXIV, 28)
(21). »
Ainsi dans ces Conférences
sur la prophétie, M. Stockmayer s'opposait
nettement aux vues des Darbystes et aux
systèmes qui s'y rattachaient de près
ou de loin, exposant le point de vue traditionnel
avec une clarté, une spiritualité qui
avaient vivement impressionné ses auditeurs
de Sainte-Croix. Cette brochure fit grand bien au
public chrétien en l'éclairant
sobrement sur des sujets toujours
controversés. La sagesse de l'auteur conquit
la pleine confiance de ses lecteurs.
À cause même de
l'affection profonde que nous portons à M.
Stockmayer -
quoique, en ces matières, il soit toujours
difficile de juger la conscience d'autrui - nous
regrettons que celui-ci n'ait pas continué
à enseigner si clairement et si sobrement la
venue de l'Antichrist, sa destruction,
l'enlèvement de l'Église selon
l'exposé des deux épîtres aux
Thessaloniciens.
En effet dans les allocutions
qu'il
fit à « Betschan » et
qui ont été publiées en
brochure (22), dans d'autres
réunions,
à Blankenburg, en Suisse allemande, au Ried
(23), où
nous avons eu l'occasion de l'entendre
nous-même, M. Stockmayer se mit à
exposer sa pensée sur l'espérance
chrétienne d'une manière toute
différente.
Ces vues nouvelles étaient
celles du milieu de
« Betschan », de Mme Baxter, de
Miss Murray, probablement aussi des Boardman, avec
lesquels M. Stockmayer était en relations
étroites. Elles avaient également
pénétré dans
« l'Allianz Conferenz » de
Blankenburg, aux assemblées de laquelle il
prit part plusieurs fois
(24).
M. Stockmayer en vint ainsi à
défendre le point de vue qu'il avait
combattu précédemment.
À propos de Romains
VIII, il disait un jour dans
une réunion : « En quoi
consiste l'espérance
chrétienne ? Est-ce dans l'espoir que
quand nous déposerons ce corps fragile nous
entrerons dans le repos de Dieu où Christ
nous a préparé une place ?
Est-ce là l'espérance
chrétienne ? Certainement ce n'est pas
peu de chose que de pouvoir dire :
« J'estime que les
souffrances du temps présent ne sont rien en
comparaison de la gloire à
venir.... » Mais l'espérance
chrétienne, c'est plus que le repos, c'est
la gloire qui sera révélée....
Et quelle est la nature de cette gloire ?
J'ai connu le temps où je
soupirais après le moment où je
pourrais me reposer dans la tombe ; et si cet
espoir-là avait été le dernier
mot de ma foi, je ne serais plus là. C'est
à Mme Octavie Junod-Roulet, cette
fidèle servante du Seigneur que je dois
d'être encore au milieu de mon peuple et de
témoigner pour Christ. Elle avait le
sentiment que ma volonté de vivre se
relâchait. Luttant dans une chambre, pour
moi, à Hauptweil, elle me dit :
« Monsieur, si vous ne vous rendez pas,
si vous ne voulez pas croire à la vie, je ne
puis pas aller plus loin dans la victoire pour
vous. »
« Et je me rendis,
continue M. Stockmayer ; et au lieu
d'espérer en la tombe, je ressaisis la
véritable espérance
chrétienne. Je puis mourir comme les autres,
mais mon désir de mourir a fait place
à la volonté de vivre. Je veux vivre
pour mon Dieu, pour l'espérance du retour de
Christ. Dans cette ligne de victoire, j'ai
trouvé des puissances de purification et de
transformation nouvelles pour arriver à la
conformité avec Christ. Si j'avais
hésité, la mort aurait repris son
empire.... au lieu de cela le Seigneur a ouvert mon
être à un nouvel épanouissement
de vie que je ne connaissais pas
(25). »
Peu à peu chez M. Stockmayer
et chez les personnes de son entourage, se
manifestait la certitude d'être enlevé
sous peu et cette certitude était
envisagée comme la manière seule
normale de glorifier le
Seigneur.
Ces dernières années,
M. Stockmayer est revenu de ses affirmations trop
précises et trop absolues. Dans une
réunion il fit l'aveu suivant :
« Je voulais être
prêt, même si personne ne
l'était. Peut-être était-ce
l'exemple d'Enoch qui me faisait oublier que les
gloires de la Nouvelle Alliance par le sang
versé, sont destinées à former
à Christ un organisme et non un membre. Un
membre doit être équilibré par
les autres membres. Aujourd'hui je reconnais la
folie, l'écart d'une telle prétention
et je bénis le Seigneur - et ceux de mes
frères qui ont contribué à ce
résultat - de m'avoir remis à ma
place. C'est le suprême secours, le salut
dans tous les sens que d'être mis à
notre place, à notre petite place, si petite
qu'elle soit, car il n'y aura pas
d'achèvement du
« Corps » avant que tous soient
à leur place....
(26) »
Et c'est avec joie que nous
avons
recueilli cette déclaration dont
l'humilité et la sobriété nous
touchent.
Tout en pressant les croyants de
demander le Saint-Esprit, il combattit les
mouvements de nature psychique auxquels on a
indûment mêlé l'Esprit de Dieu
ces dernières années. Dans le
mouvement dit « des langues »
et du « perfectionnisme » parti
de Los Angeles en Californie, implanté en
Norvège, puis en Allemagne, mouvement auquel
certains éléments de
l'« Allianz Conferenz » ne
restèrent pas étrangers et que
certains esprits exaltés cherchent à
introduire en Suisse, à Zurich et en pays
vaudois, M. Stockmayer, comme
l'évangéliste Schrenk, prit
résolument position contre ces excès
et les qualifia de
« sataniques ».
Il n'y a pas très longtemps
il écrivait à quelqu'un qui avait
été troublé par un mouvement
de ce genre :
« La simplicité
c'est le dernier mot de l'Evangile.... Livrez-vous
et fiez-vous à la personne du Christ sans
réserve et par une foi « toute
nue » ; et l'Esprit sera au large
pour habiter en vous.... »
Jamais les vues spéciales de
M. Stockmayer au sujet de la guérison ou de
l'espérance chrétienne ne devinrent
à ce point envahissantes qu'elles lui aient
voilé le centre de l'Évangile, au
contraire elles l'y ramenaient toujours.
Une des affirmations de
l'enseignement de M. Stockmayer sur laquelle il est
revenu souvent ces dernières années
avec autorité et vigueur, c'est la
capacité de « l'Agneau »
d'engendrer une postérité
d'agneaux : « Nous sommes
appelés, disait-il au Ried en automne 1911,
à « être transformés
à l'image du Seigneur de gloire en
gloire » (2 Cor. III, 18). Nous ne
possédons pas de portrait authentique du
Seigneur, au temps où il vivait sur la
terre, mais nous avons une image de Lui dans les
Évangiles. Il y a en particulier une image
magnifique qui lui est appliquée, c'est
celle d'un « Agneau ». Cette
image traverse la Bible entière.
C'est à l'abri du sang de
l'agneau pascal et du corps de l'agneau
qu'Israël est sorti d'Égypte.
Jean-Baptiste a dit de Jésus :
« Voici l'Agneau de Dieu qui ôte le
péché du monde. » Il a
détaché ses disciples de
lui-même pour les donner à
Jésus qui était capable d'en faire
des ministres de l'Agneau, après qu'ils
auraient mangé sa chair et bu son sang. Ce
sont des « agneaux » qui,
après avoir eu communion avec l'Agneau,
porteront l'Évangile dans un monde de
« lions ». Le Père a
trouvé un moyen nouveau
pour transformer ces natures de lion en natures
d'agneaux, c'est en changeant leur sang. Il a
laissé répandre le sang de l'Agneau
que boivent les disciples, et ce sang
spirituellement s'incorpore à leur nature et
les transforme. De gloire en gloire ! Chaque
trait de l'ancienne nature fait place à un
trait de Jésus-Christ. Celui qui nous
appelle fera ces choses ; il prendra en mains
nos intérieurs, nos foyers, cet apparent
désordre dans lequel nous nous
débattons et Il s'en servira pour nous
transformer en agneaux
(27). »
Et tous ceux qui ont eu le
privilège de suivre cet enseignement de M.
Stockmayer, dans ses cultes de Hauptweil ou dans
ses allocutions des réunions de
consécration ont été
profondément impressionnés par la
gravité et la puissance de sa parole.
Celle-ci pénétrait moins par le
cerveau que par la conscience.
L'exégèse de M. Stockmayer pouvait
être sujette à caution, le fil de son
discours se compliquer, les digressions se
multiplier, l'âme était nourrie, la
conscience était touchée et mise en
contact avec Dieu. Dans tel de ses messages il
semblait n'être plus lui-même qu'un
canal et communiquer directement la pensée
de Dieu à ses frères, de telle
manière que ceux-ci, prosternés en
esprit, étaient contraints d'établir
une bonne fois, seuls avec le Seigneur, le bilan de
leur vie.
Tout en affirmant ses
convictions
personnelles avec autorité, il admettait que
la pensée de ceux auxquels il s'adressait
restât maîtresse d'elle-même. Il
respectait la personnalité de ses auditeurs.
Il n'a jamais voulu jouer le rôle
d'intermédiaire nécessaire, ni
devenir le chef d'une dénomination nouvelle.
Il appartenait de coeur à
l'Alliance évangélique et disait
à ceux qui lui demandaient conseil au point
de vue ecclésiastique :
« Restez dans la dénomination
où vous avez trouvé le
salut. » Une pléiade d'hommes, qui
ont travaillé en Allemagne et en Suisse au
développement du Règne de Dieu dans
des proportions connues de Dieu seul, ont subi,
à des degrés divers, son
influence : E. Schrenk, Ch.-H. Rappard, A.
Bovet, J. Gross, H. Gagnebin, A. Robert, A. Besson,
pour ne citer que des morts.
Gaston Frommel, dont la famille
recevait à Avenelles les visites de M.
Stockmayer, avait fait au cours d'une maladie un
séjour à Hauptweil et avait
été, sans le dire alors, saisi par
les enseignements de cet homme. Plus tard, devenu
professeur à Genève, il s'approcha un
jour, à la fin d'une réunion et dit
à M. Stockmayer, au grand étonnement
de celui-ci: « Vous
savez,
je suis votre enfant spirituel.
(28) »
Dernièrement encore nous
avons eu un entretien avec M. Stockmayer. Nous
avons retrouvé en lui, sans doute adoucie
par l'âge mais toujours profonde la
même fermeté de foi, la même vie
« en Christ » que nous lui
avions connue. Et c'était dans sa
manière de s'exprimer une
sobriété, une simplicité, une
joie contenue... ! Un coeur d'enfant
transparaissait sur ce visage de vieillard. Et il
nous semblait contempler un beau coucher de soleil
dont les rayons, après avoir
été brûlants à midi,
redevenaient plus doux, comme ceux du soleil
levant, à mesure qu'ils se rapprochaient de
l'horizon et nous rendions grâce à
Dieu pour tout le bien qu'a fait à
l'Église cet homme dont
l'éternité seule
révélera toute la
fidélité au service du Maître.
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