A. Bovet. - Le 3 août à Bienne. - Th. Rivier. - 1res Réunions de Neuchâtel. - 2e Réunion de Paris. - Montmeyran. - Fleurier. - Le chroniqueur du Chrétien évangélique.
Dès le début, la vague du
mouvement d'Oxford atteignit le Jura bernois par
l'intermédiaire d'Arnold Bovet, alors
pasteur à Sonvilier.
Déjà à
Männedorf, sous l'influence de Dorothée
Trudel, Bovet avait passé par une crise
intérieure. M. Dieterlen, son biographe,
jette un coup d'oeil perspicace dans
l'intimité de ces luttes :
« La nature d'Arnold, et la mission
à laquelle Dieu le destinait, exigeaient,
semble-t-il, plus que pour d'autres, un travail
minutieux, détaillé, profond.
Lui-même nous initie, à plusieurs
reprises, aux défauts particuliers de son
caractère. Il parle souvent de son esprit
badin et léger, enclin à plaisanter
dans les moments les plus sérieux ;
ailleurs il se plaint de son manque
d'énergie et de persistance dans la
volonté ; ailleurs encore, de son
impressionnabilité incurable, et de la
facilité avec laquelle il s'adapte à
tous les milieux ; son âme, un peu molle
et malléable, risquait de ressembler
à la terre glaise, dont la forme varie,
suivant la main qui la tient, et devient
alternativement ange ou démon. Mais cette
âme était tombée entre des
mains qui surent la triturer ; cette terre
molle passa longtemps par la
fournaise. Mütterli
(1)
ne
plaisantait pas sur ces « petits
défauts », et ne ménagea ni
la légèreté, ni la faiblesse,
ni l'impressionnabilité de son malade. Il
fallut que ces choses fussent vaincues, et elles
disparurent au point que nous, qui n'avons connu
Arnold Bovet que longtemps après sa
conversion, nous avons de la peine à croire
qu'il ait jamais pu être ce que nous
dépeint son journal intime
(2). »
Quand il fut question, en 1874,
de
sanctification complète, Bovet
éprouva le besoin d'une vie
chrétienne plus pure, et plus victorieuse
encore. Aussi fut-il un des premiers en Suisse
romande à s'enquérir de Pearsall
Smith, de ses expériences, des débuts
du mouvement, à Londres, à Broadlands
et il ne manqua pas de se rendre à Oxford
d'où il revint rempli d'une nouvelle
puissance. Non seulement il fit profiter sa
paroisse de Sonvilier du miel qu'il rapportait,
mais il le distribua largement dans les nombreuses
réunions de sanctification auxquelles il
prenait part dans le pays. Du reste il avait
déjà préparé au
mouvement le coeur et la conscience de ses
compatriotes jurassiens par les lettres pleines de
sève qu'il leur avait adressées
d'Oxford par l'Union jurassienne.
L'entrée d'A. Bovet dans le
mouvement eut dans son petit pays une influence
comparable, toutes proportions gardées,
à celle que Théodore Monod
exerça dans le sien. La piété
de Bovet, vivante mais équilibrée,
était un gage de la pondération du
réveil. Il sut entraîner ses auditeurs
par sa parole chaude, par les
récits colorés de ce qu'il avait vu
et entendu. Plusieurs de ses collègues dans
le ministère prirent la peine, sous sa
direction, d'étudier de près des
doctrines qu'au premier abord ils auraient
peut-être considérées comme des
exagérations anglo-saxonnes.
C'est ainsi que les 2 et 3
août 1874, une dizaine de jours seulement
après les réunions de Broadlands, la
branche jurassienne de l'Alliance
évangélique se réunissait en
session annuelle à Bienne et portait
à son ordre du jour ce sujet introduit par
Arnold Bovet : « La sanctification
du chrétien
(3). »
Au début de son rapport, Bovet
déclare qu'il est très effrayé
à la pensée de la
responsabilité qui lui incombe mais, le
matin même, il a été grandement
fortifié en lisant dans le Texte morave les
deux passages du jour : « Il y aura
là un chemin frayé, une route qu'on
appellera la voie sainte, nul impur n'y
passera »
(Esaïe
XXXV, 8) et encore :
« Car je vous dis, si votre justice ne
surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous
n'entrerez point dans le royaume des
cieux. »
(Matth.
V, 20).
Ces deux paroles il les prend
comme
le mot d'ordre de Dieu pour le développement
du mouvement dans le pays.
Arnold Bovet révéla
à ses auditeurs la vie et l'oeuvre de P.
Smith, dont on avait à peine entendu parler.
« M. Smith, dit-il, appelle l'attention
des chrétiens sur la sanctification en leur
montrant qu'elle doit et peut s'opérer
entièrement par la foi, c'est-à-dire
par l'abandon complet et journalier de
soi-même à Christ.... Ce mouvement
rappelle celui qui eut lieu en 1760 parmi les
Méthodistes d'Angleterre
et d'Irlande qui, après vingt-cinq ans de
fidélité chrétienne, ont
été amenés par une seconde
effusion du Saint-Esprit à une vigueur
spirituelle toute nouvelle.... Cela nous rappelle
aussi un fait particulier dont nous avons suivi de
près les détails, celui de ce qu'on a
appelé « la seconde conversion de
Dorothée Trudel », à
Männedorf.
Celle-ci, après avoir
été fidèle,
dévouée, ardente au service de Christ
pendant quinze ans, reçut une lumière
nouvelle sur le Saint-Esprit. Un matin, elle priait
pour un de ses neveux qui causait beaucoup de
chagrin à sa famille. À ce moment il
vint à passer en jurant et en faisant du
bruit ; elle ne put s'empêcher de
s'écrier avec un peu d'humeur :
« Seigneur convertis donc ce jeune
homme ! » Elle entendit alors ou
crut entendre une voix qui lui disait :
« Avant de convertir les autres,
convertis-toi toi-même ! »
Depuis ce moment elle fut
entièrement transformée ; elle
vit le nom de Dieu inscrit partout. Sur chaque page
de la Bible elle lisait : C'est moi
l'Éternel qui fais tout ! De là,
par un abus de langage, elle employa le mot de
conversion pour désigner l'affranchissement
qu'elle reçut à l'âge de
trente-sept ans
(4). »
« Demeurer en Christ et
avoir Christ demeurant en soi : ces mots
expriment-ils un état dans lequel le
chrétien doit et peut vivre
habituellement ? Le principal objet de notre
discussion doit porter sur Romains VII. Tout
dépend en effet de savoir si l'on voit dans
la lutte intérieure décrite ici un
état exceptionnel et passager pour saint
Paul, état qui a disparu entièrement
plus tard, ou bien un état qui a reparu chez
lui et qui reparaîtra toujours chez nous
aussi....
« En tout cas il y a
contraste entre le langage habituel des
apôtres et le nôtre. Ce contraste peut
provenir de notre ignorance, d'une certaine
modestie chrétienne qui nous empêche
de parler des choses spirituelles autrement que
nous ne les sentons, mais surtout il provient de
notre infidélité. Ce contraste est
grave ; c'est un symptôme de chute et
d'affaiblissement qui a lieu de nous
inquiéter. Devons-nous passer cette
inquiétude, secrète sous silence, ou
bien faut-il nous l'avouer l'un à l'autre et
nous en humilier pour que Dieu nous pardonne et
nous vivifie... ?
« Le progrès de la
sanctification consiste à faire de notre vie
une vie plus habituellement faite de foi, de
confiance en Christ. Toutes nos visées
doivent tendre à faciliter en nous la foi.
Ce n'est donc pas que nous devenions
nous-mêmes plus saints, mais que nous
demeurions plus croyants, plus ouverts à
Christ. La foi devient chez nous plus habituelle
à mesure que nous la pratiquons, la
sève du Cep afflue en nous et la paix est
aussi plus complète
(5). »
Au cours de l'entretien qui
suivit
on entendit exprimer la crainte que la doctrine de
la sanctification par la foi ne laissât trop
dans l'ombre la part du travail qui revient
à l'homme ; la justification est un
acte divin accompli une fois pour toutes, tandis
que la sanctification au contraire est une guerre
qui doit se soutenir pendant toute la vie. Mais la
pensée qui revint le plus souvent sur les
lèvres des orateurs fut celle que M. Rau,
alors pasteur de l'Église libre de Bienne,
exprima sous cette forme : « Donnez
toute votre attention à la question qui vous
est présentée. Pour ma part, j'en
suis préoccupé depuis
longtemps et je prends pour moi
l'exhortation à nous humilier que nous
venons d'entendre. Moi aussi je suis frappé
et affligé du contraste immense qui existe
entre le type de sainteté, tel qu'il nous
est proposé dans l'Écriture pour la
vie humaine ici-bas, et la réalisation de ce
type dans la pratique commune des chrétiens
et dans la mienne en particulier....
Dans les chapitres VI et VII aux
Romains, Paul exprime ce que la loi
réclamait mais ne pouvait pas faire et ce
que Dieu lui-même s'est chargé de
réaliser en nous, en brisant la puissance du
péché par le sacrifice de son Fils et
en répandant son Saint-Esprit comme la suite
le montre....
(6) »
Dès ce moment la question
était posée dans le Jura bernois et
elle fera son chemin dans le coeur et la conscience
de plusieurs.
Le dimanche 13 septembre 1874,
dans
une réunion religieuse tenue en plein air
à Grandchamp, M. Th. Rivier, qui rentrait de
Broadlands et de Londres, parla du mouvement auquel
il venait d'assister et de l'esprit qui animait ses
promoteurs. « À voir la joie de
plusieurs, disait le Journal religieux, et le
sérieux de tous, nous osons espérer
que cet Esprit s'est répandu abondamment sur
l'assemblée de
Grandchamp. »
M. Th. Rivier (7) dont
nous avons parlé
déjà et dont nous parlerons encore, a
été, lui aussi,
dans notre pays, un des
initiateurs du mouvement d'Oxford.
« Depuis une vingtaine d'années
que je connaissais le Seigneur, raconte-t-il, je
n'avais jamais eu le moindre doute au sujet de mon
salut, le sachant fondé sur l'oeuvre
parfaite de Jésus-Christ. Le coeur au large
à cet égard, je jouissais beaucoup de
mon adoption et je désirais
sincèrement glorifier mon Dieu. Toutefois sa
Parole qui intéressait vivement mon
intelligence, ne faisait point les délices
de mon coeur ; elle n'était pas ma
nourriture de prédilection. Je priais par
devoir ou par nécessité, plutôt
que par choix, et je demandais beaucoup de
grâces diverses plutôt que je ne
recherchais l'Auteur même de toutes.
Jésus était mon Sauveur et mon
Maître, mais non le Bien-aimé de mon
âme. Je m'affligeais parfois de ce peu de
goût pour la prière et la
méditation secrète, mais en somme
l'intermittence de la grâce de Dieu en moi
m'alarmait peu.
Je pensais que pour croître
dans la vie de Christ, il suffisait de se nourrir
de la grâce reçue, la reconnaissance
produisant alors ses fruits, avec le secours du
Saint-Esprit. Dans la pratique je me
replaçais plus ou moins sous la loi ;
la vie chrétienne m'apparaissait
plutôt comme un ensemble de devoirs à
remplir que comme une succession de grâces
à recevoir. C'est sur ce point que la
lumière devait se faire d'abord. Un ouvrage
de P. Smith : La Sanctification par la foi,
fit tomber les écailles de mes yeux. Je
compris que la sanctification, à tous ses
degrés, est un don comme le pardon, et un
don renfermé en Christ, qui s'est
livré pour nous précisément
dans le but de nous racheter de toute
iniquité. Il ne nous reste qu'à nous
emparer de ce don par la foi ; et,
renonçant à ne
plus rien attendre de nos forces propres, demander
et recevoir comme autant de grâces toutes les
dispositions qui nous manquent. Si nous nous
livrons au divin médecin, il nous
guérira lui-même ; en nous
abandonnant à sa garde, nous serons
sûrement gardés.
Dès lors, le dirai-je ?
j'ai pu toucher du doigt d'une manière
habituelle que la foi est un préservatif
contre le péché. Il est
littéralement vrai qu'en Christ nous pouvons
remporter toutes les victoires, éteindre
tous les traits enflammés du Malin, à
la condition toutefois de vouloir toujours
obéir, toujours avancer. La vie
chrétienne consiste donc à regarder
constamment à Jésus, à
demeurer en lui, à recevoir sa vie et
à en vivre. Alors, à la lettre,
toutes choses sont à nous
(8).
Tôt après les
réunions d'Oxford, dont le compte-rendu
paraissait dans la presse religieuse du pays, M.
Gustave Rosselet, pasteur à Cortaillod,
demanda par l'organe du Journal religieux que tous
les chrétiens du canton fussent
convoqués à Neuchâtel, le mardi
3 novembre, dès huit heures du matin, dans
un des temples de la ville pour s'occuper de cette
oeuvre de Dieu. Le Comité neuchâtelois
de l'Alliance évangélique
répondit favorablement à cette
demande et les réunions furent fixées
au jour dit.
Trois hommes qui avaient
assisté aux réunions d'Oxford
apportaient leur témoignage : MM. A.
Bovet, 0. Stockmayer et Rau. Le même jour
commençaient des réunions du
même genre à Paris et « ceux
de Paris » firent savoir à
« ceux de Neuchâtel »
combien ils étaient en pensée avec
eux. Les diaconesses de Strasbourg
annonçaient de leur côté
qu'elles se souviendraient de cette journée
devant Dieu. Un pasteur
neuchâtelois à l'étranger
écrivait pour demander que
l'assemblée intercédât
auprès de Dieu afin que lui-même et
son Église reçussent l'Esprit
d'affranchissement.
On peut résumer ainsi la
pensée des allocutions : Il y a assez
longtemps que, tout en croyant à la
puissance du sang de Jésus qui nous
réconcilie avec Dieu, les chrétiens
gémissent encore sous l'esclavage du
péché ; ils soupirent
après le moment où ils ne seront plus
obligés de faire le mal et pourront jouir de
la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Or
le Sauveur est un Sauveur de tous les instants, qui
délivre les siens de toute tentation, qui
les rend plus que vainqueurs de tout
péché et qui peut dès
maintenant, aujourd'hui même, changer leurs
gémissements et leurs plaintes en hymnes de
joie, de victoire et d'actions de grâce.
M. Rau, cependant, ne fut pas
aussi
affirmatif que ses deux collègues : MM.
A. Bovet et Stockmayer, écrit-il, avaient
parlé dès le matin avec une grande
assurance sur le mouvement et sur la victoire
facile à remporter sur le
péché. (P. Smith disait : Faire
facilement les choses difficiles.) J'étais
venu à Neuchâtel avec quelques amis de
Bienne. Je fus obligé de dire :
« Il faut être vrai
avant tout ; je n'ose pas dire que le
péché soit mort en moi ; je sais
trop bien qu'il y a des choses qui ne sont pas
vaincues ; mais ce que je puis dire c'est que
je suis revenu d'Oxford encouragé. Une chose
avait été difficile à accepter
par moi au commencement mais en définitive
c'est elle qui m'a fait le plus de bien ; et
cette chose ce furent les témoignages rendus
par une quantité de personnes....
(9) »
Le correspondant du Journal
évangélique du Canton de Vaud
terminait le compte-rendu de ces réunions en
disant :
« Quant à
l'impression que nous a laissée cette
journée nous n'en dirons que ceci : Il
y a décidément dans ces entretiens,
dans ces prières en commun des
chrétiens, une puissance dont on ne peut se
faire une idée que quand on l'a
goûtée....
(10) »
C'est à la suite de ces
réunions de Neuchâtel que parut dans
le journal L'École normale de Peseux la
première rédaction du cantique qui,
retouché plus tard, devint le n° 226
des Chants évangéliques. Il est le
témoignage brûlant de la
transformation qui venait de s'opérer dans
le coeur de son auteur, Mme S. Thomas née
Delachaux, la femme du pasteur Samuel Thomas, alors
retiré à Peseux :
- O jour béni, jour de victoire
- Que je ne saurais oublier ;
- J'ai vu, j'ai vu le Roi de gloire
- Apparaissant sur mon sentier !
- Sa beauté, sa gloire infinie
- De tous les côtés m'entourait ;
- Son regard, qui porte la vie,
- Sur ma pauvre âme s'abaissait.
- Son manteau couvrait ma misère,
- Ses bras me serraient sur son coeur ;
- Il me portait dans sa lumière,
- Loin du péché, de la douleur.
- De sa main essuyant mes larmes,
- Il me parlait de son amour :
- Viens, mon enfant, sois sans alarmes ;
- Je te prends à moi sans retour.
- Et je suis dans cette retraite,
- Dont je ne sortirai jamais ;
- Et je goûte une paix parfaite,
- Où ma foi s'abreuve à longs traits.
- Non, tout ceci n'est point un rêve,
- Mais la grande réalité ;
- C'est un jour nouveau qui se lève,
- Qui doit durer l'éternité.
- En avant donc avec courage,
- Avec espoir, avec bonheur ;
- Je me consacre sans partage,
- À mon Dieu, mon Roi. mon Sauveur.
- Il dit à mon Âme ravie :
- Ne t'occupe plus que de moi,
- Et je dirigerai ta vie
- Et je m'occuperai de toi.
- Il a saisi mes mains tremblantes ;
- J'ai dit amen à ce contrat !
- Il étend ses mains bénissantes,
- C'est en effet lui qui combat.
- Et, les yeux fermés, je m'avance,
- Tranquille, sur le droit chemin.
- J'entonne un chant de délivrance ;
- Il peut tout, car je ne suis rien.
Plusieurs chrétiens de Paris qui avaient
reçu de grandes bénédictions
spirituelles en juin 1874, lors du passage de P.
Smith, désiraient les raviver, les
compléter dans une nouvelle série de
réunions de consécration. De leur
côté les pasteurs parisiens qui
avaient eu le privilège d'assister aux
réunions de Broadlands et d'Oxford
regardaient comme un devoir de rendre
témoignage devant leurs frères moins
privilégiés de ce qu'ils avaient
entendu et reçu :
Des réunions de
consécration furent donc fixées
à Paris du 3 au 6 novembre 1874.
L'invitation, publiée par la presse
religieuse, se terminait ainsi :
« Préparons-nous à la
prière par la prière et à
l'humiliation par l'humiliation ; apportons au
Seigneur des coeurs qui aient faim et soif de la
justice et nous serons
rassasiés », et elle était
signée des noms suivants : Decoppet, de
l'Église réformée,
Devismes, id., G. Good, id.,
Lorriaux, id., G. Appia de la Confession
d'Augsbourg ; Rosseuw St-Hilaire, de
l'Église indépendante, Aug. Fisch,
id., Th. Rivier, id., Th. Monod, id., J.-P. Cook de
l'Église méthodiste, Lepoids de
l'Église baptiste.
De nombreux pasteurs vinrent du
nord
et même du midi de la France et d'Alsace pour
se retremper dans la communion fraternelle et dans
la recherche de la présence de Dieu. Ils
n'ont pas regretté leur
déplacement ; l'un de ceux qui avaient
le plus souffert de découragement et de
tristesse dans leur ministère pouvait
déclarer, en prenant le chemin du retour,
que jamais il n'avait été aussi
heureux. Un autre écrivait après
être rentré dans sa paroisse que son
alliance avec Dieu avait été
renouvelée, son étude de la Bible
transformée.
De l'avis général,
l'intérêt et le nombre des auditeurs
allèrent croissant. Le dernier culte fut le
plus solennel et le plus suivi. C'était le
vendredi soir et il s'agissait d'un service de
communion :
« Je n'en avais jamais
vu
de semblable à Paris, dit M. J.-P. Cook, la
chapelle méthodiste était aussi
pleine que possible, la présence du Seigneur
se faisait sentir d'une manière toute
spéciale et lorsque, à la fin,
l'assemblée a entonné, sans y avoir
été invitée,
« Agneau de Dieu, par tes
langueurs.... » nous croyons que plus
d'une âme, encore indécise, s'est
enfin consacrée au Seigneur pour faire sa
volonté. »
Après trois jours de
réunions et une quinzaine
d'assemblées diverses, on aurait pu croire
cet auditoire parisien fatigué et
pressé de retourner à sa vie
habituelle. Non pas ; on annonça une
réunion supplémentaire pour le
lendemain matin et l'on prit ses
mesures pour que les divers
quartiers de la ville eussent aussi leurs
assemblées semblables. Et puis les pasteurs
de Paris décidèrent d'instituer entre
eux une réunion de prière
hebdomadaire.
L'âme des réunions fut
M. Théodore Monod ; il disait dans la
première : « Nous ne
demandons ni émotions, ni nouvelles
théories, mais le réveil de nos
âmes, de nos Églises et de notre
France.... »
Le pasteur Decoppet résuma
l'enseignement de Broadlands en disant :
« Il faut tout donner et tout perdre pour
être rendu à Jésus ; alors
il y a victoire continuelle en comptant sur
lui. »
Le pasteur Fisch rappela qu'il
était allé à Oxford sans
enthousiasme ; il craignait des
émotions factices. Au contraire les
témoignages étaient simples, sans
excitation. P. Smith disait souvent :
« Défiez-vous de vos impressions,
c'est un effort de volonté et non de
sentiment qu'il vous faut
faire. »
M. Fisch ajouta :
« Que personne n'objecte : Cela
vient d'Angleterre ! Les Macédoniens
n'ont pas dit de la doctrine de Paul Cela vient de
Judée ! et les Anglais ne disent pas
c'est de la piété yankee !
Sachons pratiquer le libre-échange
spirituel. »
M. Devismes :
« Nous
parlons, méditons, discutons trop et ne
vivons pas assez. Tout se résume en
ceci : Se donner et croire. Il est difficile
de consentir à tout recevoir de Dieu.
Accepter Dieu pourtant, c'est accepter le bonheur,
c'est avoir le coeur mis au large. Nous ne pouvons
nous donner sans croire, ni croire sans nous
donner. Rien n'est plus facile que de se donner
lorsque l'on croit et de croire quand on se
donne. »
M. Th. Monod ne cessait
d'affirmer : « La
volonté de Dieu c'est
notre sanctification. Quelle bonne, quelle
encourageante parole ! Quittons nos
éternelles tristesses. S'il y a des
tendresses en Dieu, elles sont toutes pour le coeur
qui s'est donné à
Lui. »
M. Sautter remarque que notre
état peut se comparer à celui des
apôtres avant la Pentecôte. Ils se
réunissaient entre eux mais ne rendaient pas
témoignage et ne convertissaient personne.
Mais dès que le Saint-Esprit eut
été répandu sur eux, ils
produisirent du fruit.
M. Armand-Delille
(11) édifia ses auditeurs
à deux reprises ; une première
fois en disant :
« Jésus ne se
contente pas de rester sur le seuil du temple, il
ne se détourne pas avec dégoût
quand il y voit des voleurs et des bêtes
féroces, il les chasse. Quand il occupe le
coeur, la vie est simple et facile.
- Et les efforts ? me
disait un
pasteur,
Je lui montrai la lampe.
- Fait-elle des efforts pour
briller ? La seule condition est que le
courant de gaz soit continu par une communication
constante avec le réservoir. Il faut veiller
à ce que rien ne l'interrompe.
Le Seigneur fait son oeuvre et
remplit le coeur au delà de toute
idée ; on est tenté de
dire : c'est trop ! Mais n'ayez point
peur, le trop-plein déborde, c'est une
source jaillissante qui doit couler en fleuves
d'eau vive. »
Avant le culte de Cène le
même orateur prit encore la
parole :
« Jésus-Christ nous
invite à demeurer dans
son amour, sous l'action et dans
le rayonnement de cet amour.
Une jeune malade reçut un
prix pour avoir présenté la plus
belle plante dans une exposition horticole. On lui
demanda comment elle avait réussi à
faire croître cette plante dans sa chambre
froide et sombre. Elle répondit qu'elle
l'avait toujours tenue dans le rayon de soleil qui
arrivait à sa chambre, la changeant de place
pour suivre le rayon partout. Voilà le
secret ; tenons-nous sous le rayon de l'amour
de Jésus. »
Bien d'autres paroles, comme des
« pommes d'or dans un panier
d'argent » furent prononcées au
cours de ces réunions.
« Dieu n'est pas au
milieu
de nous pour chercher à nous prendre en
faute, mais il veut savoir s'il y a ici des coeurs
disposés à le
chercher. »
« Il ne faut pas
dire : je suis triste, donc je ne suis pas un
enfant de Dieu. Il faut dire : Je suis un
enfant de Dieu, donc je ne dois pas être
triste. »
« Le pardon des
péchés mène à n'en plus
commettre. »
« Une promesse de Dieu
est
l'expression de ce qu'il y a dans son coeur pour
nous. Que les promesses de Dieu soient donc la
règle de nos
demandes. »
« On se demande
quelquefois comment nous pouvons être en
Dieu, à Dieu, et comment Dieu est en nous
tout à la fois. Mais ne voit-on pas ce qui
se passe quand une éponge est jetée
dans un bassin d'eau : l'eau est dans
l'éponge et l'éponge est dans
l'eau ; et l'eau est dans l'éponge
justement parce que l'éponge est dans l'eau.
Si vous dites : Mais l'éponge est
pleine d'air, il faut que j'ôte cet air pour
que l'eau puisse y entrer, vous ne pouvez réussir.
Non, mettez-la
dans l'eau, et l'eau chassera l'air. »
À propos des réunions
de Paris, J. P. Cook fait ces deux remarques :
« On a beaucoup lu et
médité l'Ancien Testament. Nos
frères anglais aiment l'Ancien Testament et
s'en servent plus peut-être que nous ne
l'avons fait jusqu'ici. N'était-ce pas de
l'Ancien Testament que les Béréens
s'enquéraient diligemment ?
N'était-ce pas de l'Ancien Testament que
Jésus disait aux deux disciples allant
à Emmaüs : « O gens
tardifs à croire toutes les paroles que les
prophètes ont dites » ? Enfin
n'est-ce pas par des citations de l'Ancien
Testament que Jésus a repoussé par
trois fois la tentation ? » Et la
seconde remarque c'est que la prière qui a
occupé une si grande place dans ces
assemblées a transformé la
manière des réunions de
prières parisiennes : « Au
lieu de ces assemblées solennelles de Paris
que tout le monde se rappelle, où il y avait
autant et plus de discours que de prières,
où personne ne prenait la parole que
d'après un programme préparé
d'avance, où l'heure se passait avant que
deux ou trois personnes eussent prié,
où les chants languissaient autant que les
prières, nous avons eu des prières
comme nous les aimons, où tous les auditeurs
ont pris part de quelque manière. On s'est
mis à genoux, on a chanté
debout ; les prières ont
été nombreuses et on a chanté
avec vivacité et entrain
(12). »
Terminons par la citation de ces
lignes de M. le pasteur Babut, de Nîmes, dans
le Bulletin de la Mission intérieure :
« Nous croyons que les
réunions de Paris resteront dans la
mémoire d'un grand nombre de ceux qui y ont
pris part comme une date
bénie de leur vie spirituelle, et qu'elles
seront pour plusieurs le point de départ
d'un véritable renouvellement.
« Broadlands a traversé la
Manche », disait un de ceux qui avait
assisté à la première des
assemblées tenues en Angleterre. Par la
bonté de Dieu les encouragements visibles
n'ont pas manqué. Des âmes
angoissées ont trouvé la paix, des
chrétiens depuis longtemps abattus et
attristés ont été pleinement
affranchis.... »
Quelque temps plus tard
c'était Montmeyran qui donnait
l'hospitalité à une foule de
frères pour une série de
réunions.
Montmeyran, village de la
Drôme à 13 km. de Valence,
était bien choisi pour une sorte de retraite
religieuse comme celle-là. C'était un
des centres les plus vivants du protestantisme du
Midi. Cette Église avait eu le
privilège de voir se succéder chez
elle des pasteurs pieux et
zélés ; les chrétiens
décidés et actifs y étaient
nombreux ; un mouvement de réveil s'y
manifestait.
« Des réunions de
réveil, raconte M. D. Benoît
(13), tenues
chez l'humble veuve d'un tisserand et
présidées par le
vénéré M. Eugène Arnoux
aujourd'hui nonagénaire, mais toujours
rempli de zèle pour le service de Dieu,
avaient amené plus d'une conversion. Elles
se tenaient le dimanche soir, à la fin d'une
journée chargée de cultes. Elles
fortifiaient les impressions reçues et
provoquaient les décisions. Je me rappelle
la joie profonde de M. Charles Bois, l'ancien
professeur bien connu de Montauban, qui avait
été en 1853 l'instrument d'un beau
mouvement dans cette paroisse, lorsqu'il prit part
à l'une de ces réunions. Il compta
dix-sept prières, dont quelques-unes d'enfants et
ce
fut le coeur rempli de reconnaissance et les larmes
aux yeux qu'il implora la bénédiction
divine sur cette Église au milieu de
laquelle, il le disait lui-même, il avait
passé les sept plus belles années de
sa vie. Montmeyran était donc un lieu bien
choisi pour recevoir les amis chrétiens qui
désiraient unir leurs supplications en vue
d'un réveil de la foi et de la vie
chrétienne
(14). »
On assista nombreux de
l'Ardèche et de la Drôme aux
réunions de Montmeyran. Le temple qui peut
contenir huit cents personnes n'a cessé de
se remplir pendant les quatre jours qu'ont
duré les réunions. Des jeunes gens
firent jusqu'à quarante kilomètres
à pied pour s'y rendre. On cite ce trait
touchant : Un jeune homme de l'Ardèche
fut si remué par les réunions du
premier jour qu'il se sentit pressé de faire
participer les autres membres de sa famille
à l'édification qu'il avait
trouvée ; il partit donc après
la réunion du soir et employa une partie de
la nuit à se rendre à pied
auprès de ses parents, et l'autre partie
à les amener à Montmeyran.
Environ cinquante pasteurs de la
région se rencontrèrent avec une
foule de leurs ouailles qui arrivaient par longues
files, qui en char, qui à cheval, ou
à pied. Les habitants du village firent des
prodiges pour loger leurs visiteurs. - L'esprit de
prière régna d'une façon
extraordinaire ; les supplications, racontent
les témoins oculaires, se suivaient courtes,
vivantes, émues ; elles
débordaient de coeurs qui sentaient leurs
misères, mais qui avaient foi aux promesses
de Dieu. Il était parfois difficile de
mettre un terme aux réunions, si nombreuses
étaient les voix qui
s'élevaient pour la supplication et
l'intercession. Que de larmes ont coulé aux
pieds de Jésus-Christ ! Que de
chrétiens ont confessé publiquement
leurs péchés ! Que de pasteurs
sont venus reconnaître devant leurs
frères les infidélités de leur
ministère (15) :
« Nous avons vu des
scènes, raconte M. Matth. Lelièvre,
comme dut en voir la chambre haute au jour de la
première Pentecôte ; un vent de
réveil passait sur les âmes et les
vivifiait.... Nous le déclarons ici sans
exagération, nous n'avons rien vu, nous
n'avons rien éprouvé dans toute notre
vie précédente de comparable à
ce que Dieu nous a fait voir et éprouver
dans ces assemblées.... Il nous semble que
nous avons passé ces jours sur le Thabor, et
nous éprouvons, en revenant sur ces
souvenirs, la joie qu'éprouvait l'un des
témoins de la Transfiguration lorsqu'il
écrivait : « Nous avons comme
vu sa majesté de nos propres yeux.... et
nous avons nous-mêmes entendu la voix venue
du ciel quand nous étions avec lui sur la
sainte montagne. »
(2
Pierre I, 16. 18.)
Le vendredi soir la série se
termina par une scène touchante, la
consécration de M. Th. Monod qui, ce
jour-là, revêtait la fonction d'agent
itinérant de la mission intérieure.
Il avait tenu à être entouré de
prières spéciales et à
recevoir l'imposition des mains de ses
collègues. Cette cérémonie,
avec la Cène qui suivit, a clos d'une
manière émouvante la série de
ces réunions trop tôt finie au
gré des assistants.
M. A. Bovet qui y participa,
écrivait à
l'Union jurassienne.
« J'ai retrouvé
à Montmeyran l'atmosphère
d'Oxford.... Une lettre d'un pasteur, reçue
hier, m'annonce qu'il a obtenu en rentrant chez lui
la pleine paix dans la pleine confiance. Dieu nous
a fait non seulement selon notre foi mais au
delà. C'est Dieu qui travaille partout,
prenons seulement garde de ne pas entraver son
oeuvre. »
« L'âme de ces
réunions, continue M. le pasteur
Benoît, fut M. Théodore Monod. Je le
vois encore s'agenouillant derrière la table
de communion, quand commença dans le temple
bondé la première réunion. Il
était comme transfiguré. Son
âme se répandait dans sa
prière. Il parlait à Dieu comme un
ami à son intime ami. Pas de phrases, pas de
rhétorique, il voyait l'invisible. Il
était vraiment rempli du Saint-Esprit.
Chacune de ses paroles portait. Elle avait une
onction pénétrante qui s'insinuait
doucement et puissamment dans le coeur....
Nous venons ici, nous disait-il,
encouragés par l'extrémité
même de notre misère qui fait appel au
Dieu des miséricordes, par les promesses de
Dieu et aussi par les marques qu'il nous a
déjà données de sa
bonté. On l'a senti en Écosse et en
Angleterre, où il agit non seulement pour
convertir, mais pour ramener à la
simplicité évangélique,
à la foi complète, ceux qui ne
savaient plus vivre uniquement de la grâce de
Dieu. Il y a eu des âmes ramenées au
pied de la Croix qui y veulent rester et qui ont
senti que les plus grandes promesses de Dieu sont
aussi les plus vraies.... »
Dans le pays les réunions de
Montmeyran eurent un retentissement
considérable. La nouvelle d'un plein salut
par une pleine foi se propagea sur bien des points
- « Nous connaissons, disait encore M. Lelièvre,
plus d'un
ministère pastoral qui est sorti
renouvelé de ces réunions et qui en a
rapporté le secret de la force et de la
joie ; nous savons tel pasteur qui a obtenu en
quelques jours plus de résultats spirituels
de ses travaux qu'il n'en obtenait autrefois en
plusieurs années.... On entend le bruit
d'une grande pluie. »
Les 29 et 30 novembre de la
même année avaient lieu à
Fleurier (Val-de-Travers) des réunions du
même genre, présidées par M. 0.
Stockmayer. « Mon désir n'est pas,
disait ce dernier, de vous apporter un récit
détaillé mais un souffle de l'esprit
des assemblées d'Oxford. »
L'exaucement de ce voeu M. le
pasteur Henriod le communiquait quelques jours plus
tard au Journal religieux :
« Plusieurs reconnaissent, à la
gloire de Dieu, avoir ressenti un souffle plus
puissant que celui d'un homme ou d'une
assemblée d'hommes, le souffle de Celui qui
envoie son Esprit où il veut.... C'est avec
une indicible émotion, lisons-nous dans le
même article, que, le soir même du
dimanche et pendant les réunions qui eurent
lieu encore le lendemain, nous avons entendu
plusieurs de nos frères confesser le grand
nom de leur Sauveur et affirmer la confiance
entière qu'il leur était donné
dès ce moment de mettre en lui....
Le lundi soir eut lieu une
assemblée d'une solennité telle que
nous n'en avons jamais encore vu de semblable dans
notre Église, et dans laquelle nous avons
reconnu avec saisissement l'exaucement des
prières par lesquelles nous avions
demandé à Dieu le réveil de la
foi au milieu de nous. Les uns ployaient sous le
poids de la joie, dans le sentiment que leurs
craintes, ces craintes qu'ils avaient si longtemps
traînées après eux comme les
chaînes de la captivité,
leur étaient
enlevées. D'autres en plus grand nombre,
auxquels cette joie débordante
n'était pas accordée se sentaient
plutôt humiliés et jugés par le
regard de Celui en qui ils avaient si peu su se
confier ; et cependant ceux-ci, comme les
précédents, se sachant maintenant
tout entourés de la présence de
Christ, éprouvaient le grand repos, le
calme, la paix que l'on ne peut éprouver
qu'en Lui....
(16). »
Notons au passage
l'évolution, ou plutôt le changement
de face complet qui s'opéra à ce
moment-là chez le chroniqueur du Chrétien
évangélique.
Dans le numéro de novembre
1874, il écrit un article peu sympathique au
réveil : « Les
conférences religieuses, dit-il, tenues
à Oxford sous la direction de
l'Américain Pearsall Smith ont attiré
l'attention des théologiens anglais. On fait
généralement des objections à
l'expression de « higher Christian
life » (degré supérieur de
vie chrétienne) dont M. Smith se sert pour
désigner sa doctrine. Cette distinction
entre un degré inférieur et un
degré supérieur de vie
chrétienne ne paraît pas conforme aux
données scripturaires ; elle a
d'ailleurs l'inconvénient de créer
une caste à part, une sorte d'aristocratie
spirituelle, composée de tous les
chrétiens « entièrement
consacrés à Dieu », et qui,
selon leur propre expression, « en ont
pour toujours fini avec le monde, la chair et le
péché ».
Qu'une consécration absolue
soit l'idéal auquel il faille tendre, on est
d'accord sur ce point. Mais qu'on puisse y arriver
de plein saut, en un jour, pour demeurer dès
lors dans un état de perfection relative,
cela paraît contraire à l'enseignement
apostolique et à l'expérience.
Celle-ci montre que le coeur
humain, après s'être donné en
gros dans un moment de ferveur, est habile à
se reprendre dans le détail. Ces
chrétiens à existence
supérieure, qui s'imaginent vivre et marcher
dans ce monde comme Christ y a vécu et
marché, ayant atteint par un seul effort
à « l'annihilation de leur
volonté propre et au repos du
Christ » sont peut-être sous
l'empire d'une illusion, généreuse
à coup sûr, mais non sans danger.
C'est un acheminement à
l'illuminisme.... »
Dans le numéro suivant, le
même chroniqueur se livrait à une
rétractation en règle et touchante de
son précédent article.
« Dans ma dernière chronique,
disait-il, j'ai parlé d'une manière
désavantageuse des opinions de Pearsall
Smith. Ayant fait dès lors
l'expérience de leur justesse, au moins sur
un point, je tiens à rectifier ce qu'il y
avait d'erroné dans mes assertions. Rien
n'est plus opposé à l'esprit de caste
que le désir de voir tous les
chrétiens passer d'un état de
faiblesse et de tiédeur à une
position de force en Christ et de ferveur
spirituelle.
« Je me suis mépris
sur le fond même de la doctrine : Il ne
s'agit nullement de passer en un moment de
l'imperfection à la perfection, de
l'égoïsme au parfait renoncement ;
mais de se soumettre à Christ, de
s'abandonner à lui pour lui permettre
d'accomplir l'oeuvre parfaite de sa grâce,
c'est-à-dire la sanctification. Il y a
près de vingt ans que je fais profession de
le suivre.... mais je prenais des
résolutions, je cherchais à me
sanctifier moi-même ; et la
conséquence c'est que ma vie n'a
été qu'une longue suite de chutes,
suivies, il est vrai, de relèvements.... en
un mot je me traînais.... Je me suis
donné sans rien retenir, sans rien garder
par devers moi dans le sentiment
de mon indignité et de mon impuissance, en
demandant à Dieu d'accomplir en moi tout le
bon plaisir de sa volonté. Le
résultat, c'est qu'il me garde, qu'il
triomphe et règne en moi d'une façon
si merveilleuse que j'en suis dans la stupeur....
Ainsi je suis allé à lui, et j'ai
trouvé le repos de mon âme, une paix
qui remplit mon coeur et mon esprit. Je suis libre,
heureux ; ce n'est plus moi qui vis mais Lui
qui vit en moi ; et je fais
l'expérience journalière que je puis tout en Christ qui me
fortifie ; tout ce qu'il me montre au jour le jour
comme devant être fait....
« Rétracterai-je ce
que j'ai écrit sur les dangers de la
doctrine Smith ? Non ; je crois qu'il y a
dans la doctrine de la sanctification par la foi
les mêmes dangers, déjà
signalés par saint Paul, que dans celle de
la justification par la foi. L'ennemi cherchera
à mêler l'ivraie au bon grain ;
il l'a déjà fait, à ce qu'il
me semble. Mais ce n'est pas une raison pour
rejeter le pur froment de
Dieu. »
Une telle rétractation
à un mois de distance et accompagnée
d'un semblable témoignage, fit du bruit dans
la presse religieuse ; elle vainquit les
hésitations de plusieurs et gagna de
nouvelles adhésions au mouvement.
L'année 1874 se termina par un grand nombre
de réunions de consécration soit aux
États-Unis où P. Smith était
retourné passer l'hiver, soit en France,
à Sainte-Foy, à Montcornet, comme en
Suisse romande.
Partout c'était l'intense
besoin de réaliser les promesses divines. Et
les « réveillés »
ne devenaient pas semblables l'un à l'autre
comme une série de pièces de monnaie
frappées à la même effigie.
Chacun gardait sa mentalité, son
caractère, mais chez beaucoup de ces
personnalités on percevait quelque chose de
nouveau : l'image du Christ qui peu à
peu transparaissait.
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