Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

Débuts de P. Smith en Angleterre.

-------

Santé de P. Smith. - Sa vie de famille. - Déjeuner de pasteurs. - Réunions diverses. - P. Smith à Paris. - Assemblées de Broadlands.


Au commencement de 1873, les médecins étaient inquiets de P. Smith. Il avait eu une nouvelle crise et sa santé cérébrale était compromise. Il fit un séjour dans une maison de santé chez un médecin chrétien sur la thérapeutique duquel nous aurons à revenir. Encore très faible, n'osant prendre part à aucune réunion - à peine s'il lui était permis de prononcer la prière à table - il vint en Europe par ordre médical pour se reposer et se distraire. Les maux de tête étaient si violents parfois « qu'il se serait bien jeté sous une locomotive en marche » et pourtant sa sérénité intérieure restait complète.

Il fit de Londres un voyage sur le continent. Il vint en particulier à Männedorf chez Dorothée Trudel où il se fit beaucoup de bien. De retour en Angleterre, il était assez rétabli pour commencer peu à peu un travail qui devait grandir dans des proportions qu'il n'aurait pu soupçonner.

C'est par Mlle de Niebuhr qui fit à cette époque un séjour dans la famille de P. Smith, que nous connaissons les premiers temps du séjour des Smith à Londres (1).
« .... Le jour de mon arrivée M. P. Smith s'est avancé vers moi avec une affection toute paternelle. Pas trace de froideur dans son abord. Il va mieux, ses maux de tête ont diminué malgré une activité incessante. On n'éprouve pas auprès de lui cette timidité qu'inspire souvent la présence des hommes de Dieu, car il sait se mettre à la portée des plus ignorants et gagne ainsi complètement les coeurs. Tout en insistant sur l'abandon de soi-même à Dieu, sur la sanctification de l'âme, il exhorte les chrétiens à mettre de côté tout scrupule exagéré pour être aussi heureux et joyeux dans la glorieuse liberté des enfants de Dieu que Dieu le commande.

« .... Mme Smith est partie avec sa fille aînée pour Birmingham. Nous avons vu les trois plus jeunes enfants ; ils sont tous consciemment convertis et vivent à leur manière enfantine une vie de confiance au Seigneur. Ils sont la joie de leur père. Celui-ci me déclare que je n'apprendrai rien de lui, mais beaucoup de ses enfants. Comme ils sont heureux ! Du matin au soir ils se confient en l'amour de leur père avec une si bonne conscience !

« M. Smith écrit les articles les plus profonds pour le Pathway of Power dont il est le principal rédacteur, au milieu des jeux de ses enfants. Il ne se laisse pas déranger, même s'ils grimpent sur son dos. Il est tout joyeux, s'ils couvrent de leurs essais d'écriture enfantine le revers de ses manuscrits.

« .... Cette après-midi Mme Smith est revenue avec Mary. Elle est autre que je ne me l'étais représentée. Pendant que Monsieur est très tendre, très accueillant, chaud de sentiments, Madame est d'une intelligence lumineuse, d'une éloquence frappante. Rapide dans ses mouvements et ses attitudes, on remarque qu'elle est cependant complètement libérée intérieurement. Elle n'est en aucune manière rongée de scrupules ; elle marche à pas sûrs et fermes, fondée sur son Rocher, Jésus-Christ....

« .... Après le déjeuner du matin M. Smith préside un petit culte de famille tout simple. Un enfant sur les genoux, il lit un demi-chapitre de l'Écriture, ajoute quelques réflexions à la portée des petits, leur adresse quelques questions puis tout le monde se met à genoux et il prie brièvement. Point de discours à un Dieu lointain, mais la simple demande d'être aujourd'hui gardé du péché avec la pleine confiance d'être tout le jour sous la fidèle direction du Père céleste.

« Quand P. Smith arriva à Londres toutes les portes se fermaient devant lui. Partout, dans le monde religieux, se manifestaient de grandes préventions contre lui et contre la doctrine qu'il prêchait. À peine osait-il élever la voix dans les réunions de prières. On craignait qu'il n'apportât une sorte de spiritualité malsaine.

« En partant pour la Suisse, après son premier séjour en Angleterre, il disait dans ses prières : « Seigneur donne-nous Londres ! »

« À son retour, quelques mois plus tard, il avait l'intention de ne plus parler aux chrétiens de leurs privilèges mais de se vouer à l'évangélisation des inconvertis. Mais voilà qu'à Douvres, une série de réunions qu'il tint fut extraordinairement bénie, principalement pour les chrétiens; il ne pouvait s'empêcher de parler de ce qu'il avait reçu. On apprit à Londres ce qui s'était passé à Douvres, les oppositions tombèrent, les chapelles et les salles de culte s'ouvrirent les unes après les autres.

« Il est d'usage, à Londres, parmi les pasteurs qui désirent se voir, de s'inviter à déjeuner et de passer la matinée ensemble. P. Smith profita de cette coutume pour recevoir chez lui un grand nombre de prédicateurs dont beaucoup furent amenés, au cours des entretiens qui s'engageaient, à connaître d'abord, à partager ensuite, ses convictions nouvelles.... »

Mlle de Niebuhr assista chez M. P. Smith à l'un de ces déjeuners pastoraux et voici comment elle le décrit :
« À neuf heures une nombreuse assistance de pasteurs appartenant à diverses Églises se réunit au salon. On descendit à la salle à manger. Après la prière chacun servit ses voisins, selon la coutume anglaise. À ce moment arriva, accompagné de sa fille, l'hôte principal, M. Jukes, respectable vieillard, tel qu'on peut se représenter un « Père de l'Église ». Il a été, jadis officier, mais il a consacré dès longtemps sa vie à l'évangélisation et à la publication de ses expériences chrétiennes (2). M. Smith l'avait invité à parler sur Romains VI.

« C'était beau de voir les pasteurs présents écouter cet homme comme s'ils eussent tout à apprendre de lui. L'un d'entre eux, M. Sawday, est arrivé, sous l'influence de M. Smith, à posséder le secret de la victoire. Il a vu dès lors un mouvement spirituel se produire dans sa paroisse ; les conversions ont afflué.

« La conversation n'a cessé de nous captiver jusqu'à midi. À ce moment on chanta en commun, puis M. Jukes pria. Pendant que nous étions encore à genoux, M. Mayers, un ami de M. Sankey, chanta un solo saisissant. On sentait la présence de l'Esprit de Dieu, c'était une vraie communion des saints....

« P. Smith était appelé à participer avec le rév. Boardman à de nombreuses conférences au cours desquelles revenait souvent cette question : « La perfection peut-elle vraiment s'acquérir sur la terre ? Le chrétien peut-il être entièrement délivré du péché ?

« Ce n'est pas une sainteté parfaite, répondaient-ils, semblable à celle de Dieu que nous prêchons et cherchons à obtenir, mais le chrétien qui se remet entièrement à la volonté de Dieu peut se confier à la puissance de Jésus-Christ pour être gardé de la tentation et vaincre le péché et cela, sans que cette confiance, sincèrement pratiquée, rende jamais de tels chrétiens ni paresseux, ni tièdes, comme quelques-uns de ceux qui n'osent pas s'abandonner à leur Sauveur paraissent le craindre....
« Un soir P. Smith parla sur Josué III, le passage du Jourdain :

« Souvent, dit-il, on compare la vie chrétienne au séjour des Israélites dans le désert et le ciel au pays de Canaan ; mais remarquez que ce n'est pas un péché pour nous de ne pas entrer dans le ciel aussitôt après notre conversion - tandis que les Israélites péchaient gravement lorsque après leur sortie d'Égypte, ils ne s'emparèrent pas de Canaan immédiatement mais errèrent par suite de leur incrédulité quarante ans dans le désert. Canaan n'est pas le ciel, mais chaque chrétien devrait entrer de plein droit ici-bas en Canaan, dans ce pays où coulent le lait et le miel, puisque le Seigneur a détruit devant nous tous les peuples ennemis et les a livrés entre nos mains ; mais il y en a beaucoup qui restent des années si ce n'est toute leur vie, dans le désert. Maintenant il est temps de traverser le Jourdain et de nous approprier par la foi la promesse de Jésus... »

« P. Smith s'entretient avec les cercles les plus variés : Un jour il est invité dans la plus haute société de Londres et Mme Smith fait une sorte de conférence sur l'éducation chrétienne et sur le devoir des parents de mettre immédiatement leurs enfants en contact avec l'Évangile :
« Il n'est pas mauvais, disait en sortant P. Smith, de parler un peu de la loi dans ces milieux de mondanité. »

Une autre fois il reçoit chez lui toute une société de jeunes gens et de jeunes filles et la soirée se termine, après que P. Smith a parlé de délivrance du péché à toute cette jeunesse attentive, par une réunion de prières et de témoignages. Disons à ce propos que M. Smith avait un don tout particulier pour amener les natures les plus fermées, les plus timides à s'ouvrir et à rendre témoignage ; ce fut du reste aussi une des grandes causes de son succès; il créait des témoins par le moyen de l'Esprit de Dieu. Ou bien encore il expose ses principes dans des dîners d'officiers, chez l'amiral Fishbourne, par exemple.

Un autre jour il a un long entretien avec un prédicateur méthodiste. Il voudrait réveiller chez les Wesleyens une sainte ambition. Ceux-ci se laissent distancer par l'Église établie et par d'autres Églises. Ne devraient-ils pas tenir haut élevé l'étendard de Wesley : la sanctification par la foi ?

Tantôt il remplace un prédicateur en renom et prêche devant un auditoire choisi de chrétiens réveillés, tantôt - plus souvent - il s'en va évangéliser dans les quartiers excentriques ou mal famés de la grande ville. Partout sa parole trouve un écho extraordinaire, et vraiment, à ce moment-là, on a pu dire, sans exagération, que Londres tout entier est remué par le message des deux Américains.
Pendant tout l'hiver 1873 à 1874 ces deux hommes travaillèrent joyeusement ensemble. Deux très remarquables séries de réunions furent organisées : celle de la Salle de conférences dans le parc de Mildmay, au nord de Londres, et celle des Queen's Rooms du Hanover Square dans le West-End avec deux réunions par jour.

Les évêques de Londres et de Ripon convoquèrent tout le clergé anglican dans la cathédrale de Saint-Paul et organisèrent une semaine de réunions dans toutes les églises, dans le but de poursuivre une consécration plus complète au Seigneur en donnant en exemple les réunions de Smith et de Boardman.

De Londres P. Smith se rendit en Irlande, puis en Cornouailles. Partout les foules accoururent et ce fut le même succès. À Bristol, P. Smith et Boardman travaillèrent ensemble. Georges Muller, d'abord hésitant, se rattacha au mouvement. Il n'avait pu suivre la série de réunions, sa femme étant gravement malade à ce moment-là.
À Cambridge, Smith s'adressa aux étudiants et plusieurs d'entre eux furent réveillés dans leur conscience.

Le 15 février 1873, à Paris, trois personnes, après avoir lu dans 2 Tim. Il ce qui concerne « les vaisseaux honorables » dont l'usage glorifie le Maître parce qu'ils sont purifiés de toute incrédulité et de toute mondanité, se dirent : Voilà ce qu'il nous faut être ! Puis elles s'agenouillèrent et prièrent : « Seigneur nous désirons que tes chers enfants se réveillent et que Paris soit béni. » Au mois de juin 1874 leurs prières étaient exaucées ; P. Smith arrivait à Paris pour y tenir une série de réunions. La plupart de celles-ci eurent lieu dans la chapelle méthodiste de la rue Roquépine. D'autres assemblées se tinrent à la chapelle Malesherbes, à l'église américaine de la rue de Berny, à Versailles, etc. Quelques-unes et non des moins vivantes, furent convoquées chez des amis chrétiens qui reçurent cordialement les pasteurs et les personnalités religieuses qui désiraient s'entretenir avec P. Smith. Dans une de ces rencontres, chez M. Alfred André, P. Smith disait :

« J'ai à vous parler de ce flot merveilleux, immense qui parcourt en ce moment le monde. L'Amérique, l'Angleterre, l'Inde ressentent les effets du souffle puissant de Dieu comme jamais ce ne fut le cas depuis le siècle apostolique. Ce souffle ne change pas chez les hommes l'expression dogmatique de leur foi, ni leurs vues ecclésiastiques, ni leurs formes de culte... le mouvement actuel est destiné à produire, chez les enfants de Dieu une telle exubérance de vie qu'ils puissent rendre un témoignage puissant....

Plusieurs chers enfants de Dieu donneraient leur vie sur le bûcher et l'échafaud pour leur Sauveur et pourtant dans les profondeurs de leur coeur se cache un interdit qui aurait dû disparaître depuis longtemps ! À Mobile (aux États-Unis) un pasteur fondit en larmes au moment de donner la bénédiction après son sermon. - Pourquoi ? - Parce que, dit-il quelques instants après être descendu de chaire, je vois dans la Bible et chez certains enfants de Dieu une vie de communion non interrompue avec le Seigneur et que je ne l'ai point !
- Cher frère, c'est qu'il y a un péché dans quelque repli de votre vie ; si vous le désirez sincèrement, Dieu vous le montrera.
- Oui, je le désire ! On s'agenouilla et l'on demanda au Seigneur de le lui révéler.
- Maintenant, je la connais la cause de ma vie crépusculaire, ce sont mes sermons ! (Il possédait un don brillant de prédication et, sans peut-être s'en douter, il s'était laissé glisser sur la pente de satisfaction du moi.)
- Consentez-vous désormais à prêcher simplement, par le Saint-Esprit ? Les riches et les grands et ceux qui ont des oreilles délicates vous abandonneront, vous perdrez votre piédestal, votre prestige, votre Église ne voudra plus de vous peut-être. Le voulez-vous ?
- Oui, je le veux. Il déposa ainsi le dernier fardeau qui le retenait dans son élan spirituel.
« Jusqu'à présent, ajoutait-il, j'ai toujours dit Misérable que je suis ! Maintenant je dis et dirai Bienheureux que je suis !... »

« En Angleterre, en Irlande, continua P. Smith, j'ai été en contact avec des centaines de pasteurs qui, après avoir compris et saisi ces vérités, ont vu grandir leur puissance sur les âmes dans des proportions toutes nouvelles. Depuis les sommités ecclésiastiques jusqu'aux plus humbles ouvriers, cette grâce d'une vie puissante a été obtenue aussitôt que la consécration de l'âme a été entière. Et - conséquence bénie - des milliers de pécheurs ont été amenés à la croix de Christ par ces chrétiens heureux en Jésus.

« En France et à Paris, plus encore que partout ailleurs, la plénitude d'une telle vie est indispensable, car si l'on peut dire que M. Moody marche en quelque sorte par la vue, au milieu de populations si bien disposées à écouter, vous, chers frères français, qui travaillez au milieu de l'incrédulité et du matérialisme, vous marchez par la foi. Combien votre oeuvre est donc plus difficile et plus glorieuse, et combien plus d'honneur en rejaillira sur la puissance de l'Évangile, à la louange du Sauveur, si le flot du réveil s'étend sur ce noble pays, dont le nom fait vibrer nos coeurs en nous rappelant le souvenir de ces héros chrétiens du passé dont les noms sont si familiers.... (3)

Plusieurs pasteurs de Paris furent gagnés à la vie de sanctification et parmi eux M. Théodore Monod dont nous aurons à parler plus tard.

Broadlands est un beau domaine, non loin de Southampton, qui avait appartenu à la famille de lord Palmerston et dans lequel ont eu lieu du 18 au 23 juillet 1874 des assemblées religieuses présidées par P. Smith.
Les amis de celui-ci éprouvaient le besoin de se réunir, de mettre en commun leurs expériences, comme aussi de procurer à quelques jeunes gens de l'université de Cambridge l'occasion de s'affermir dans la foi nouvelle que leur avait prêchée P. Smith.

Comme on parlait de cela devant le propriétaire de Broadlands, Hon. W. Cowper Temple, membre du Parlement et chrétien vivant de l'Église anglicane, celui-ci offrit sa magnifique propriété pour y tenir les réunions projetées. Il fut décidé d'étendre le cercle des invitations à une centaine de chrétiens des deux sexes et l'aimable famille de M. Temple se dépensa sans compter pendant cinq à six jours pour bien recevoir ses hôtes.

En priant M. Théodore Monod de Paris d'inviter en son nom quelques chrétiens de France, M. Temple avait dit : « Je désire très particulièrement que nous nous élevions au-dessus de toutes les différences ecclésiastiques, pour appliquer nos esprits et nos coeurs à recevoir une aussi grande mesure de la vie d'En-Haut que nous sommes capables d'en posséder. » Ce voeu a été réalisé. Anglicans et indépendants, presbytériens, congrégationalistes, baptistes, wesleyens, quakers, réformés et chrétiens de l'Église libre de France ont répondu à l'appel.

Le temps était splendide, le plus souvent les hôtes se réunissaient en plein air sous de magnifiques hêtres dont la brise agitait doucement le feuillage. Dès que la température l'exigeait la réunion se continuait à l'Orangerie. L'étendue de la propriété dont les pelouses étaient traversées par une rivière et parsemées de bosquets, permettait de se disperser en tous sens pendant les intervalles des réunions tout en s'entretenant de ce qui avait été entendu. Les sept participants venus de France : MM. Rosseuw-Saint-Hilaire, Decoppet, Lorriaux, Meyer fils, Th. Monod, de Vismes, Théophile Rivier, alors pasteur de l'Église libre à Mazamet, avaient chaque jour entre eux de bienfaisants entretiens.

C'est avec un souvenir ému que M. Rivier parle de ces réunions : « Dès les premières paroles que P. Smith nous adressa, le samedi matin 18 juillet, la sonde fut portée jusqu'au fond des consciences : Étions-nous entièrement droits devant Dieu ? Étions-nous prêts à renoncer à l'instant même à tout ce qui dans nos coeurs pouvait faire obstacle à sa pleine communion ? Étions-nous décidés à rejeter, non seulement tout péché connu, mais toute oeuvre douteuse et toute secrète réserve ? Sans cette condition le Saint-Esprit ne pouvait descendre.

« On nous conduisit d'abord au sang qui purifie de tout péché et, dans un cantique qui fit sur nous une impression profonde, nous nous écriâmes avec le Psalmiste (Ps. LI, 9) : « Lave-moi et je serai blanc comme la neige ! » Puis on nous montra la vie qui résulte de cette purification constamment entretenue, vie de la maison paternelle, où tout est fait dans la communion du Père, où toutes nos minutes sont passées avec lui et où nous n'avons aucun intérêt séparé du sien, vie d'amour et par conséquent de glorieuse, d'ineffable liberté (4). »

Parmi les participants se trouvaient les pasteurs Boardman d'Amérique, Douglas, Wilberforce, Hopkings, Thomton, W. Arthur Fox, d'Angleterre, le comte de Chichester, Samuel Morley, le membre du Parlement Hon. S. A. Blackwood.
Si grand était l'intérêt que l'on pouvait sans difficulté rassembler les hôtes déjà à sept heures dans la fraîcheur du matin et à peine parvenait-on à se séparer à neuf heures, au moment du souper. Pour beaucoup - cela a été déclaré plus tard - les moments réservés à la prière silencieuse ont été les plus solennels de leur vie spirituelle.

« Pendant que nous étions à genoux, raconte un des assistants, silencieux sous les arbres, il semblait que s'établissait ce saint dialogue entre notre âme et le Seigneur. Celui-ci demandait :
- Quelle mesure d'amour veux-tu me donner ?

Et le coeur répondait :
- Toute celle, Seigneur, dont je suis capable !
- Que veux-tu faire maintenant pour mon service ?
- Tout ce que Tu me demanderas.
- Jusqu'où veux-tu me suivre ?
- Jusqu'où Tu voudras.

« C'est une pleine mesure de grâces, pressée, secouée que nous recevions. Un fleuve d'eau vive coulait dans notre coeur. »

« Je ne saurais décrire, dit encore M. Th. Rivier, l'émotion avec laquelle, à la fin d'une de ces réunions, l'assemblée entière, à genoux, se consacra tout de nouveau : « Tout mon être, Seigneur, est sur ton autel, l'esprit, l'âme et le corps, offrande vivante, attendant le feu d'En-Haut. »

Cette émotion intérieure était de nature saine, car aussitôt le besoin d'évangéliser se fit sentir. Le dimanche de pressants appels furent adressés du haut des chaires dans les diverses églises de Ramsey par les pasteurs présents à Broadlands. Puis dans le parc même, largement ouvert au public, des réunions eurent lieu. Un service pour les enfants fut particulièrement intéressant. Il fut démontré plus tard que dans cette journée de dimanche des âmes avaient été converties et de nombreux chrétiens sérieusement réveillés.

Durant les trois derniers jours la bénédiction alla croissant. De sept à dix heures du matin, c'étaient des entretiens intimes sur la vie chrétienne ; les autres réunions de onze et de quatre heures étaient plus générales. Mais toujours régnait une entière liberté.

Un sentiment de repos indéfinissable pénétrait tous les coeurs, ils se sentaient « possédés de Dieu ». Le mercredi, le sujet de l'amour fut repris et développé ; l'amour de Dieu répandu dans le coeur par le Saint-Esprit. La vie de l'amour, par l'union de l'âme à son divin époux, fut dépeinte dans toute sa beauté, dans sa liberté, son abandon sans réserve, sa joie inépuisable. « Cette vie, dit M. Smith, peut être vécue pleinement ou partiellement. Choisissons la pleine portion et elle nous sera donnée ! »

Les forces reçues jour après jour aux réunions de Broadlands étaient si grandes, qu'il n'y eut qu'un cri : « Nous devons répéter cette réunion pour un plus grand cercle afin que tous ceux qui le désirent puissent y prendre part ! »
Un des hôtes offrit aussitôt cinq cents livres sterling pour couvrir les frais qu'entraînerait cette nouvelle conférence. On n'eut dans la suite pas besoin de faire usage de cette offre. Mais où convoquer cette seconde assemblée ? Beaucoup de lieux furent proposés mais aucun ne paraissait s'imposer. « Enfin comme nous étions au bord du joli petit fleuve qui traverse le parc, raconte l'un des participants, M. Stevenson Blackwood s'écria tout à coup, mû par une heureuse inspiration :
- Pourquoi n'irions-nous pas à Oxford ?
- Oui, c'est cela ! À Oxford ! fut le cri général.

« Et en effet une ville universitaire comme Oxford conviendrait parfaitement pour une semblable réunion. Les hôtes seraient reçus dans les pensions et les locaux laissés vacants par les étudiants en congé. Et l'on se sépara en se disant : « Au revoir à Oxford ! »

Dans une lettre, Théodore Monod résumant ses impressions de Broadlands écrivait :
« La différence entre de telles réunions et beaucoup d'autres auxquelles j'ai assisté, c'est la même différence qu'il y a entre la fleur elle-même et le nom de la fleur. Les chrétiens s'assemblent souvent pour s'entretenir de bonnes et précieuses choses, de la paix, de la joie, de l'amour, mais là nous recevions la réalité, la chose elle-même. Je ne puis pas assez rendre grâce à Dieu de ce qu'il m'a conduit à un tel Christ qui affranchit l'âme et qui se glorifie en nous. J'ai reçu infiniment plus que je n'attendais, comme aussi mes compagnons de langue française.... »

« En quittant ces frères, ces soeurs, dit encore Th. Rivier, que nous ne connaissions pas quelques jours auparavant, il nous semblait quitter des membres de notre famille. En repassant la Manche, nous sentions que nous avions été comblés, et qu'une responsabilité bien grande et bien douce pesait sur nous, celle de faire part autour de nous, en tous lieux, de ce que Dieu nous avait donné. »

Rentrés à Paris, les pasteurs qui avaient assisté aux réunions de Broadlands racontèrent leurs impressions dans une assemblée tenue le 25 juillet à la chapelle Malesherbes.

Laissons d'abord la parole à M. Théodore Monod :
« Je n'avais jamais eu l'idée d'une réunion de ce genre. Cinq jours entiers ont été passés sous une influence divine inexprimable.... C'est Jésus-Christ qui a complètement dominé. Tout le reste était insignifiant à côté de ce que Dieu nous donnait. Il nous semblait mieux comprendre saint Paul quand il dit que toutes choses lui paraissent une perte en comparaison de la connaissance de Jésus-Christ.

« Cette série de réunions a été conduite pas à pas sous la direction de l'Esprit de Dieu. Des réunions préparées avec le soin le plus minutieux j'en ai vu souvent, mais on y sentait toujours la main de l'homme. Celles-ci étaient comme un fleuve qui coule de source et prend tantôt une forme, tantôt une autre, toujours naturelle, toujours facile....

La Bible avait la place d'honneur ; je voudrais voir ici de telles Bibles ! Chacun avait la sienne, pleine de marques, de barres, de notes, les pages en étaient devenues noires ! On sent que c'est le Livre de tous les instants. La Parole de Dieu pénètre tout avec une grande indépendance.... On était fondu en un même corps et un même esprit. On comprenait le sens profond des mots : La vie est la lumière des hommes. C'est seulement dans la vie qu'on se connaît soi-même, les autres et Dieu ! La vie de Dieu est amour.... Il semblait que l'Esprit de Dieu allait de l'un à l'autre, donnant à chacun la pensée qui devait harmoniser tous les orateurs ; lorsqu'on se réunissait il n'y avait rien à faire, tout était préparé d'En Haut.
Au lieu de dire : Que faut-il que je dise ou fasse, moi ? on avait à prendre garde de ne dire que ce que le Seigneur voulait.... (5) »

M. B. Hart, pasteur anglais à Paris, rendant compte, lui aussi, de ces réunions de Broadlands, faisait cette remarque presque prophétique :
« Cette suite de journées passées devant le Seigneur comme un avant-goût du ciel aura des résultats spirituels aussi vastes pour le moins que les assemblées politiques que lord Palmerston réunissait naguère, sous ces mêmes arbres, et qui changèrent plus d'une fois la destinée des nations. »

On rappela encore un incident caractéristique qui avait marqué le dernier jour des réunions de Broadlands.

Pendant une des séances tenues en plein air on vit tout à coup passer à travers le parc les moissonneurs de la ferme : « Parlons-leur avant qu'ils ne se rendent à leur travail », s'écria-t-on. Et les moissonneurs écoutèrent avec les invités l'étude de Deutéronome XXVI qui parle des « premiers fruits » et la comparaison qui en fut faite avec la vie consacrée du chrétien. Puis le maître de la maison, saisissant une faucille, coupa une première brassée d'épis et, la présentant à l'Éternel, il Lui consacra Broadlands et tous ses revenus, sa personne et tout ce qui lui appartenait. Tous les coeurs battaient à l'unisson du sien dans une émotion profonde.

Et ces premiers épis de Broadlands c'étaient en effet les prémices de la magnifique moisson qu'allait faire mûrir à la gloire du grand Semeur le réveil d'Oxford.


1) Seize jours en Angleterre chez M. Pearsall Smith. Neuchâtel. Librairie générale Jules Sandoz, 1875. 

2) On possède en français de lui : Le Nouvel homme. Fontaines, Ed. Sack, 1873.

3) L'Évangéliste, 1874, p. 207, 208. 

4) Un Printemps spirituel. Paris, J. Bonhoure & CIO, p. 11, 12.

5) L'Évangéliste, 1874, p. 263, 264.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant