Santé de P. Smith. - Sa vie de famille. - Déjeuner de pasteurs. - Réunions diverses. - P. Smith à Paris. - Assemblées de Broadlands.
Au commencement de 1873, les médecins
étaient inquiets de P. Smith. Il avait eu
une nouvelle crise et sa santé
cérébrale était compromise. Il
fit un séjour dans une maison de
santé chez un médecin chrétien
sur la thérapeutique duquel nous aurons
à revenir. Encore très faible,
n'osant prendre part à aucune réunion
- à peine s'il lui était permis de
prononcer la prière à table - il vint
en Europe par ordre médical pour se reposer
et se distraire. Les maux de tête
étaient si violents parfois
« qu'il se serait bien jeté sous
une locomotive en marche » et pourtant sa
sérénité intérieure
restait complète.
Il fit de Londres un voyage sur
le
continent. Il vint en particulier à
Männedorf chez Dorothée Trudel
où il se fit beaucoup de bien. De retour en
Angleterre, il était assez rétabli
pour commencer peu à peu un travail qui
devait grandir dans des proportions qu'il n'aurait
pu soupçonner.
C'est par Mlle de Niebuhr qui
fit
à cette époque un séjour dans
la famille de P. Smith, que nous connaissons les
premiers temps du séjour des Smith à
Londres
(1).
« .... Le jour de mon
arrivée M. P. Smith s'est avancé vers
moi avec une affection toute paternelle. Pas trace
de froideur dans son abord. Il va mieux, ses maux
de tête ont diminué malgré une
activité incessante. On n'éprouve pas
auprès de lui cette timidité
qu'inspire souvent la présence des hommes de
Dieu, car il sait se mettre à la
portée des plus ignorants et gagne ainsi
complètement les coeurs. Tout en insistant
sur l'abandon de soi-même à Dieu, sur
la sanctification de l'âme, il exhorte les
chrétiens à mettre de
côté tout scrupule
exagéré pour être aussi heureux
et joyeux dans la glorieuse liberté des
enfants de Dieu que Dieu le commande.
« .... Mme Smith est
partie avec sa fille aînée pour
Birmingham. Nous avons vu les trois plus jeunes
enfants ; ils sont tous consciemment convertis
et vivent à leur manière enfantine
une vie de confiance au Seigneur. Ils sont la joie
de leur père. Celui-ci me déclare que
je n'apprendrai rien de lui, mais beaucoup de ses
enfants. Comme ils sont heureux ! Du matin au
soir ils se confient en l'amour de leur père
avec une si bonne conscience !
« M. Smith écrit
les articles les plus profonds pour le Pathway
of Power dont il est le principal
rédacteur, au milieu des jeux de ses
enfants. Il ne se laisse pas déranger,
même s'ils grimpent sur son dos. Il est tout
joyeux, s'ils couvrent de leurs essais
d'écriture enfantine le revers de ses
manuscrits.
« .... Cette
après-midi Mme Smith est revenue avec Mary.
Elle est autre que je ne me l'étais
représentée. Pendant que Monsieur est
très tendre, très accueillant, chaud
de sentiments, Madame est d'une intelligence
lumineuse, d'une éloquence frappante. Rapide dans
ses mouvements et ses
attitudes, on remarque qu'elle est cependant
complètement libérée
intérieurement. Elle n'est en aucune
manière rongée de scrupules ;
elle marche à pas sûrs et fermes,
fondée sur son Rocher,
Jésus-Christ....
« .... Après le
déjeuner du matin M. Smith préside un
petit culte de famille tout simple. Un enfant sur
les genoux, il lit un demi-chapitre de
l'Écriture, ajoute quelques
réflexions à la portée des
petits, leur adresse quelques questions puis tout
le monde se met à genoux et il prie
brièvement. Point de discours à un
Dieu lointain, mais la simple demande d'être aujourd'hui gardé
du
péché avec la pleine confiance
d'être tout le jour sous la fidèle
direction du Père céleste.
« Quand P. Smith arriva
à Londres toutes les portes se fermaient
devant lui. Partout, dans le monde religieux, se
manifestaient de grandes préventions contre
lui et contre la doctrine qu'il prêchait.
À peine osait-il élever la voix dans
les réunions de prières. On craignait
qu'il n'apportât une sorte de
spiritualité malsaine.
« En partant pour la
Suisse, après son premier séjour en
Angleterre, il disait dans ses
prières : « Seigneur
donne-nous Londres ! »
« À son retour, quelques
mois plus tard, il avait l'intention de ne plus
parler aux chrétiens de leurs
privilèges mais de se vouer à
l'évangélisation des inconvertis.
Mais voilà qu'à Douvres, une
série de réunions qu'il tint fut
extraordinairement bénie, principalement
pour les chrétiens; il ne pouvait
s'empêcher de parler de ce qu'il avait
reçu. On apprit à Londres ce qui
s'était passé à Douvres, les oppositions tombèrent,
les
chapelles et les salles de culte s'ouvrirent les
unes après les autres.
« Il est d'usage, à
Londres, parmi les pasteurs qui désirent se
voir, de s'inviter à déjeuner et de
passer la matinée ensemble. P. Smith profita
de cette coutume pour recevoir chez lui un grand
nombre de prédicateurs dont beaucoup furent
amenés, au cours des entretiens qui
s'engageaient, à connaître d'abord,
à partager ensuite, ses convictions
nouvelles.... »
Mlle de Niebuhr assista chez M.
P.
Smith à l'un de ces déjeuners
pastoraux et voici comment elle le
décrit :
« À neuf heures une
nombreuse assistance de pasteurs appartenant
à diverses Églises se réunit
au salon. On descendit à la salle à
manger. Après la prière chacun servit
ses voisins, selon la coutume anglaise. À ce
moment arriva, accompagné de sa fille,
l'hôte principal, M. Jukes, respectable
vieillard, tel qu'on peut se représenter un
« Père de
l'Église ». Il a
été, jadis officier, mais il a
consacré dès longtemps sa vie
à l'évangélisation et à
la publication de ses expériences
chrétiennes
(2).
M. Smith
l'avait invité à parler sur Romains
VI.
« C'était beau de
voir les pasteurs présents écouter
cet homme comme s'ils eussent tout à
apprendre de lui. L'un d'entre eux, M. Sawday, est
arrivé, sous l'influence de M. Smith,
à posséder le secret de la victoire.
Il a vu dès lors un mouvement spirituel se
produire dans sa paroisse ; les conversions
ont afflué.
« La conversation n'a
cessé de nous captiver jusqu'à midi.
À ce moment on chanta en commun, puis M.
Jukes pria. Pendant que nous étions encore
à genoux, M. Mayers, un
ami de M. Sankey, chanta un solo saisissant. On
sentait la présence de l'Esprit de Dieu,
c'était une vraie communion des
saints....
« P. Smith était
appelé à participer avec le
rév. Boardman à de nombreuses
conférences au cours desquelles revenait
souvent cette question : « La
perfection peut-elle vraiment s'acquérir sur
la terre ? Le chrétien peut-il
être entièrement délivré
du péché ?
« Ce n'est pas une
sainteté parfaite, répondaient-ils,
semblable à celle de Dieu que nous
prêchons et cherchons à obtenir, mais
le chrétien qui se remet entièrement
à la volonté de Dieu peut se confier
à la puissance de Jésus-Christ pour
être gardé de la tentation et vaincre
le péché et cela, sans que cette
confiance, sincèrement pratiquée,
rende jamais de tels chrétiens ni paresseux,
ni tièdes, comme quelques-uns de ceux qui
n'osent pas s'abandonner à leur Sauveur
paraissent le craindre....
« Un soir P. Smith
parla
sur Josué
III, le passage du
Jourdain :
« Souvent, dit-il, on
compare la vie chrétienne au séjour
des Israélites dans le désert et le
ciel au pays de Canaan ; mais remarquez que ce
n'est pas un péché pour nous de ne
pas entrer dans le ciel aussitôt après
notre conversion - tandis que les Israélites
péchaient gravement lorsque après
leur sortie d'Égypte, ils ne
s'emparèrent pas de Canaan
immédiatement mais errèrent par suite
de leur incrédulité quarante ans dans
le désert. Canaan n'est pas le ciel, mais
chaque chrétien devrait entrer de plein
droit ici-bas en Canaan, dans ce pays où
coulent le lait et le miel, puisque le Seigneur a
détruit devant nous tous les peuples ennemis
et les a livrés entre nos mains ; mais
il y en a beaucoup qui restent des
années si ce n'est toute
leur vie, dans le désert. Maintenant il est
temps de traverser le Jourdain et de nous
approprier par la foi la promesse de
Jésus... »
« P. Smith s'entretient
avec les cercles les plus variés : Un jour
il est invité dans la plus haute
société de Londres et Mme Smith fait
une sorte de conférence sur
l'éducation chrétienne et sur le
devoir des parents de mettre immédiatement
leurs enfants en contact avec
l'Évangile :
« Il n'est pas mauvais,
disait en sortant P. Smith, de parler un peu de la
loi dans ces milieux de
mondanité. »
Une autre fois il reçoit chez
lui toute une société de jeunes gens
et de jeunes filles et la soirée se termine,
après que P. Smith a parlé de
délivrance du péché à
toute cette jeunesse attentive, par une
réunion de prières et de
témoignages. Disons à ce propos que
M. Smith avait un don tout particulier pour amener
les natures les plus fermées, les plus
timides à s'ouvrir et à rendre
témoignage ; ce fut du reste aussi une
des grandes causes de son succès; il
créait des témoins par le moyen de
l'Esprit de Dieu. Ou bien encore il expose ses
principes dans des dîners d'officiers, chez
l'amiral Fishbourne, par exemple.
Un autre jour il a un long
entretien
avec un prédicateur méthodiste. Il
voudrait réveiller chez les Wesleyens une
sainte ambition. Ceux-ci se laissent distancer par
l'Église établie et par d'autres
Églises. Ne devraient-ils pas tenir haut
élevé l'étendard de
Wesley : la sanctification par la
foi ?
Tantôt il remplace un
prédicateur en renom et prêche devant
un auditoire choisi de chrétiens
réveillés, tantôt - plus
souvent - il s'en va évangéliser dans
les quartiers excentriques ou mal famés de
la grande ville. Partout sa
parole trouve un écho extraordinaire, et
vraiment, à ce moment-là, on a pu
dire, sans exagération, que Londres tout
entier est remué par le message des deux
Américains.
Pendant tout l'hiver 1873 à
1874 ces deux hommes travaillèrent
joyeusement ensemble. Deux très remarquables
séries de réunions furent
organisées : celle de la Salle de
conférences dans le parc de Mildmay, au nord
de Londres, et celle des Queen's Rooms du Hanover
Square dans le West-End avec deux réunions
par jour.
Les évêques de Londres
et de Ripon convoquèrent tout le
clergé anglican dans la cathédrale de
Saint-Paul et organisèrent une semaine de
réunions dans toutes les églises,
dans le but de poursuivre une consécration
plus complète au Seigneur en donnant en
exemple les réunions de Smith et de
Boardman.
De Londres P. Smith se rendit en
Irlande, puis en Cornouailles. Partout les foules
accoururent et ce fut le même succès.
À Bristol, P. Smith et Boardman
travaillèrent ensemble. Georges Muller,
d'abord hésitant, se rattacha au mouvement.
Il n'avait pu suivre la série de
réunions, sa femme étant gravement
malade à ce moment-là.
À Cambridge, Smith s'adressa
aux étudiants et plusieurs d'entre eux
furent réveillés dans leur
conscience.
Le 15 février 1873, à
Paris, trois personnes, après avoir lu dans
2 Tim. Il ce qui concerne « les vaisseaux
honorables » dont l'usage glorifie le
Maître parce qu'ils sont purifiés de
toute incrédulité et de toute
mondanité, se dirent : Voilà ce
qu'il nous faut être ! Puis elles
s'agenouillèrent et prièrent :
« Seigneur nous désirons que tes
chers enfants se réveillent
et que Paris soit
béni. » Au mois de juin 1874 leurs
prières étaient
exaucées ; P. Smith arrivait à
Paris pour y tenir une série de
réunions. La plupart de celles-ci eurent
lieu dans la chapelle méthodiste de la rue
Roquépine. D'autres assemblées se
tinrent à la chapelle Malesherbes, à
l'église américaine de la rue de
Berny, à Versailles, etc. Quelques-unes et
non des moins vivantes, furent convoquées
chez des amis chrétiens qui reçurent
cordialement les pasteurs et les
personnalités religieuses qui
désiraient s'entretenir avec P. Smith. Dans
une de ces rencontres, chez M. Alfred André,
P. Smith disait :
« J'ai à vous
parler de ce flot merveilleux, immense qui parcourt
en ce moment le monde. L'Amérique,
l'Angleterre, l'Inde ressentent les effets du
souffle puissant de Dieu comme jamais ce ne fut le
cas depuis le siècle apostolique. Ce souffle
ne change pas chez les hommes l'expression
dogmatique de leur foi, ni leurs vues
ecclésiastiques, ni leurs formes de culte...
le mouvement actuel est destiné à
produire, chez les enfants de Dieu une telle
exubérance de vie qu'ils puissent rendre un
témoignage puissant....
Plusieurs chers enfants de Dieu
donneraient leur vie sur le bûcher et
l'échafaud pour leur Sauveur et pourtant
dans les profondeurs de leur coeur se cache un
interdit qui aurait dû disparaître
depuis longtemps ! À Mobile (aux
États-Unis) un pasteur fondit en larmes au
moment de donner la bénédiction
après son sermon. - Pourquoi ? - Parce
que, dit-il quelques instants après
être descendu de chaire, je vois dans la
Bible et chez certains enfants de Dieu une vie de
communion non interrompue avec le Seigneur et que
je ne l'ai
point !
- Cher frère, c'est qu'il y a
un péché dans quelque repli de votre
vie ; si vous le désirez
sincèrement, Dieu vous le
montrera.
- Oui, je le désire !
On
s'agenouilla et l'on demanda au Seigneur de le lui
révéler.
- Maintenant, je la connais la
cause
de ma vie crépusculaire, ce sont mes
sermons ! (Il possédait un don brillant
de prédication et, sans peut-être s'en
douter, il s'était laissé glisser sur
la pente de satisfaction du moi.)
- Consentez-vous désormais
à prêcher simplement, par le
Saint-Esprit ? Les riches et les grands et
ceux qui ont des oreilles délicates vous
abandonneront, vous perdrez votre piédestal,
votre prestige, votre Église ne voudra plus
de vous peut-être. Le
voulez-vous ?
- Oui, je le veux. Il déposa
ainsi le dernier fardeau qui le retenait dans son
élan spirituel.
« Jusqu'à
présent, ajoutait-il, j'ai toujours dit
Misérable que je suis ! Maintenant je
dis et dirai Bienheureux que je
suis !... »
« En Angleterre, en
Irlande, continua P. Smith, j'ai été
en contact avec des centaines de pasteurs qui,
après avoir compris et saisi ces
vérités, ont vu grandir leur
puissance sur les âmes dans des proportions
toutes nouvelles. Depuis les sommités
ecclésiastiques jusqu'aux plus humbles
ouvriers, cette grâce d'une vie puissante a
été obtenue aussitôt que la
consécration de l'âme a
été entière. Et -
conséquence bénie - des milliers de
pécheurs ont été amenés
à la croix de Christ par ces
chrétiens heureux en
Jésus.
« En France et à
Paris, plus encore que partout ailleurs, la
plénitude d'une telle vie est indispensable, car si
l'on
peut
dire que M. Moody marche en quelque sorte par la
vue, au milieu de populations si bien
disposées à écouter, vous,
chers frères français, qui travaillez
au milieu de l'incrédulité et du
matérialisme, vous marchez par la foi.
Combien votre oeuvre est donc plus difficile et
plus glorieuse, et combien plus d'honneur en
rejaillira sur la puissance de l'Évangile,
à la louange du Sauveur, si le flot du
réveil s'étend sur ce noble pays,
dont le nom fait vibrer nos coeurs en nous
rappelant le souvenir de ces héros
chrétiens du passé dont les noms sont
si familiers....
(3)
Plusieurs pasteurs de Paris
furent
gagnés à la vie de sanctification et
parmi eux M. Théodore Monod dont nous aurons
à parler plus tard.
Broadlands est un beau domaine, non loin de
Southampton, qui avait appartenu à la
famille de lord Palmerston et dans lequel ont eu
lieu du 18 au 23 juillet 1874 des assemblées
religieuses présidées par P.
Smith.
Les amis de celui-ci
éprouvaient le besoin de se réunir,
de mettre en commun leurs expériences, comme
aussi de procurer à quelques jeunes gens de
l'université de Cambridge l'occasion de
s'affermir dans la foi nouvelle que leur avait
prêchée P. Smith.
Comme on parlait de cela devant
le
propriétaire de Broadlands, Hon. W. Cowper
Temple, membre du Parlement et chrétien
vivant de l'Église anglicane, celui-ci
offrit sa magnifique propriété pour y
tenir les réunions projetées. Il fut
décidé d'étendre le cercle des
invitations à une centaine de
chrétiens des deux sexes et l'aimable
famille de M. Temple se
dépensa sans compter pendant cinq à
six jours pour bien recevoir ses
hôtes.
En priant M. Théodore Monod
de Paris d'inviter en son nom quelques
chrétiens de France, M. Temple avait
dit : « Je désire très
particulièrement que nous nous
élevions au-dessus de toutes les
différences ecclésiastiques, pour
appliquer nos esprits et nos coeurs à
recevoir une aussi grande mesure de la vie
d'En-Haut que nous sommes capables d'en
posséder. » Ce voeu a
été réalisé. Anglicans
et indépendants, presbytériens,
congrégationalistes, baptistes, wesleyens,
quakers, réformés et chrétiens
de l'Église libre de France ont
répondu à l'appel.
Le temps était splendide, le
plus souvent les hôtes se réunissaient
en plein air sous de magnifiques hêtres dont
la brise agitait doucement le feuillage. Dès
que la température l'exigeait la
réunion se continuait à l'Orangerie.
L'étendue de la propriété dont
les pelouses étaient traversées par
une rivière et parsemées de bosquets,
permettait de se disperser en tous sens pendant les
intervalles des réunions tout en
s'entretenant de ce qui avait été
entendu. Les sept participants venus de
France : MM. Rosseuw-Saint-Hilaire, Decoppet,
Lorriaux, Meyer fils, Th. Monod, de Vismes,
Théophile Rivier, alors pasteur de
l'Église libre à Mazamet, avaient
chaque jour entre eux de bienfaisants
entretiens.
C'est avec un souvenir ému
que M. Rivier parle de ces réunions :
« Dès les premières paroles
que P. Smith nous adressa, le samedi matin 18
juillet, la sonde fut portée jusqu'au fond
des consciences : Étions-nous
entièrement droits devant Dieu ?
Étions-nous prêts à renoncer
à l'instant même à tout
ce qui dans nos coeurs pouvait
faire obstacle à sa pleine communion ?
Étions-nous décidés à
rejeter, non seulement tout péché
connu, mais toute oeuvre douteuse et toute
secrète réserve ? Sans cette
condition le Saint-Esprit ne pouvait
descendre.
« On nous conduisit
d'abord au sang qui purifie de tout
péché et, dans un cantique qui fit
sur nous une impression profonde, nous nous
écriâmes avec le Psalmiste
(Ps.
LI, 9) :
« Lave-moi et je serai blanc comme la
neige ! » Puis on nous montra la vie
qui résulte de cette purification
constamment entretenue, vie de la maison
paternelle, où tout est fait dans la
communion du Père, où toutes nos
minutes sont passées avec lui et où
nous n'avons aucun intérêt
séparé du sien, vie d'amour et par
conséquent de glorieuse, d'ineffable
liberté
(4). »
Parmi les participants se
trouvaient
les pasteurs Boardman d'Amérique, Douglas,
Wilberforce, Hopkings, Thomton, W. Arthur Fox,
d'Angleterre, le comte de Chichester, Samuel
Morley, le membre du Parlement Hon. S. A.
Blackwood.
Si grand était
l'intérêt que l'on pouvait sans
difficulté rassembler les hôtes
déjà à sept heures dans la
fraîcheur du matin et à peine
parvenait-on à se séparer à
neuf heures, au moment du souper. Pour beaucoup -
cela a été déclaré plus
tard - les moments réservés à
la prière silencieuse ont été
les plus solennels de leur vie
spirituelle.
« Pendant que nous
étions à genoux, raconte un des
assistants, silencieux sous les arbres, il semblait
que s'établissait ce saint dialogue entre
notre âme et le Seigneur. Celui-ci
demandait :
- Quelle mesure d'amour veux-tu
me
donner ?
Et le coeur
répondait :
- Toute celle, Seigneur, dont je
suis capable !
- Que veux-tu faire maintenant
pour
mon service ?
- Tout ce que Tu me
demanderas.
- Jusqu'où veux-tu me
suivre ?
- Jusqu'où Tu
voudras.
« C'est
une pleine
mesure
de grâces, pressée, secouée que
nous recevions. Un fleuve d'eau vive coulait dans
notre coeur. »
« Je ne saurais
décrire, dit encore M. Th. Rivier,
l'émotion avec laquelle, à la fin
d'une de ces réunions, l'assemblée
entière, à genoux, se consacra tout
de nouveau : « Tout mon être,
Seigneur, est sur ton autel, l'esprit, l'âme
et le corps, offrande vivante, attendant le feu
d'En-Haut. »
Cette émotion
intérieure était de nature saine, car
aussitôt le besoin
d'évangéliser se fit sentir. Le
dimanche de pressants appels furent adressés
du haut des chaires dans les diverses
églises de Ramsey par les pasteurs
présents à Broadlands. Puis dans le
parc même, largement ouvert au public, des
réunions eurent lieu. Un service pour les
enfants fut particulièrement
intéressant. Il fut démontré
plus tard que dans cette journée de dimanche
des âmes avaient été converties
et de nombreux chrétiens sérieusement
réveillés.
Durant les trois derniers jours
la
bénédiction alla croissant. De sept
à dix heures du matin, c'étaient des
entretiens intimes sur la vie
chrétienne ; les autres réunions
de onze et de quatre heures étaient plus
générales. Mais toujours
régnait une entière
liberté.
Un sentiment de repos
indéfinissable pénétrait tous
les coeurs, ils se sentaient
« possédés de
Dieu ». Le mercredi, le sujet de l'amour
fut repris et développé ;
l'amour de Dieu répandu dans le coeur par le
Saint-Esprit. La vie de l'amour, par l'union de
l'âme à son divin époux, fut
dépeinte dans toute sa beauté, dans
sa liberté, son abandon sans réserve,
sa joie inépuisable. « Cette vie,
dit M. Smith, peut être vécue
pleinement ou partiellement. Choisissons la pleine
portion et elle nous sera
donnée ! »
Les forces reçues jour
après jour aux réunions de Broadlands
étaient si grandes, qu'il n'y eut qu'un
cri : « Nous devons
répéter cette réunion pour un
plus grand cercle afin que tous ceux qui le
désirent puissent y prendre
part ! »
Un des hôtes offrit
aussitôt cinq cents livres sterling pour
couvrir les frais qu'entraînerait cette
nouvelle conférence. On n'eut dans la suite
pas besoin de faire usage de cette offre. Mais
où convoquer cette seconde
assemblée ? Beaucoup de lieux furent
proposés mais aucun ne paraissait s'imposer.
« Enfin comme nous étions au bord
du joli petit fleuve qui traverse le parc, raconte
l'un des participants, M. Stevenson Blackwood
s'écria tout à coup, mû par une
heureuse inspiration :
- Pourquoi n'irions-nous pas
à Oxford ?
- Oui, c'est cela ! À
Oxford ! fut le cri
général.
« Et en effet une ville
universitaire comme Oxford conviendrait
parfaitement pour une semblable réunion. Les
hôtes seraient reçus dans les pensions
et les locaux laissés vacants par les
étudiants en congé. Et l'on se
sépara en se disant : « Au
revoir à
Oxford ! »
Dans une lettre, Théodore
Monod résumant ses impressions de Broadlands
écrivait :
« La
différence entre de telles
réunions et beaucoup d'autres auxquelles
j'ai assisté, c'est la même
différence qu'il y a entre la fleur
elle-même et le nom de la fleur. Les
chrétiens s'assemblent souvent pour
s'entretenir de bonnes et précieuses choses,
de la paix, de la joie, de l'amour, mais là
nous recevions la réalité, la chose
elle-même. Je ne puis pas assez rendre
grâce à Dieu de ce qu'il m'a conduit
à un tel Christ qui affranchit l'âme
et qui se glorifie en nous. J'ai reçu
infiniment plus que je n'attendais, comme aussi mes
compagnons de langue
française.... »
« En quittant ces
frères, ces soeurs, dit encore Th. Rivier,
que nous ne connaissions pas quelques jours
auparavant, il nous semblait quitter des membres de
notre famille. En repassant la Manche, nous
sentions que nous avions été
comblés, et qu'une responsabilité
bien grande et bien douce pesait sur nous, celle de
faire part autour de nous, en tous lieux, de ce que
Dieu nous avait
donné. »
Rentrés à Paris, les
pasteurs qui avaient assisté aux
réunions de Broadlands racontèrent
leurs impressions dans une assemblée tenue
le 25 juillet à la chapelle
Malesherbes.
Laissons d'abord la parole à
M. Théodore Monod :
« Je n'avais jamais eu
l'idée d'une réunion de ce genre.
Cinq jours entiers ont été
passés sous une influence divine
inexprimable.... C'est Jésus-Christ qui a
complètement dominé. Tout le reste
était insignifiant à
côté de ce que Dieu nous donnait. Il
nous semblait mieux comprendre saint Paul quand il
dit que toutes choses lui paraissent une perte en
comparaison de la connaissance de
Jésus-Christ.
« Cette série de
réunions a été conduite pas
à pas sous la direction de
l'Esprit de Dieu. Des réunions
préparées avec le soin le plus
minutieux j'en ai vu souvent, mais on y sentait
toujours la main de l'homme. Celles-ci
étaient comme un fleuve qui coule de source
et prend tantôt une forme, tantôt une
autre, toujours naturelle, toujours facile....
La Bible avait la place
d'honneur ; je voudrais voir ici de telles
Bibles ! Chacun avait la sienne, pleine de
marques, de barres, de notes, les pages en
étaient devenues noires ! On sent que
c'est le Livre de tous les instants. La Parole de
Dieu pénètre tout avec une grande
indépendance.... On était fondu en un
même corps et un même esprit. On
comprenait le sens profond des mots : La vie
est la lumière des hommes. C'est seulement
dans la vie qu'on se connaît soi-même,
les autres et Dieu ! La vie de Dieu est
amour.... Il semblait que l'Esprit de Dieu allait
de l'un à l'autre, donnant à chacun
la pensée qui devait harmoniser tous les
orateurs ; lorsqu'on se réunissait il
n'y avait rien à faire, tout était
préparé d'En Haut.
Au lieu de dire : Que
faut-il
que je dise ou fasse, moi ? on avait à
prendre garde de ne dire que ce que le Seigneur
voulait.... (5) »
M. B. Hart, pasteur anglais à
Paris, rendant compte, lui aussi, de ces
réunions de Broadlands, faisait cette
remarque presque prophétique :
« Cette suite de
journées passées devant le Seigneur
comme un avant-goût du ciel aura des
résultats spirituels aussi vastes pour le
moins que les assemblées politiques que lord
Palmerston réunissait naguère, sous
ces mêmes arbres, et qui changèrent
plus d'une fois la destinée des
nations. »
On rappela encore un incident
caractéristique qui avait
marqué le dernier jour des réunions
de Broadlands.
Pendant une des séances
tenues en plein air on vit tout à coup
passer à travers le parc les moissonneurs de
la ferme : « Parlons-leur
avant
qu'ils ne se rendent à leur
travail », s'écria-t-on. Et les
moissonneurs écoutèrent avec les
invités l'étude de Deutéronome
XXVI qui parle des « premiers
fruits » et la comparaison qui en fut
faite avec la vie consacrée du
chrétien. Puis le maître de la maison,
saisissant une faucille, coupa une première
brassée d'épis et, la
présentant à l'Éternel, il Lui
consacra Broadlands et tous ses revenus, sa
personne et tout ce qui lui appartenait. Tous les
coeurs battaient à l'unisson du sien dans
une émotion profonde.
Et ces premiers épis de
Broadlands c'étaient en effet les
prémices de la magnifique moisson qu'allait
faire mûrir à la gloire du grand
Semeur le réveil d'Oxford.
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