Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

Lea Pearsall Smith.

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R. P. Smith. - Mme Smith. - Les « Amis ». - Conversion. - Expériences de sanctification. - Frank Smith. - Le Secret d'une vie heureuse. - Impression faite par les P. Smith.


Robert Pearsall Smith naquit le 1er février 1825 à Philadelphie dans les États-Unis. Son père, John Lay Smith, appartenait à une famille presbytérienne de commerçants pieux. Le jeune homme ne connut pas les duretés de l'existence. De son enfance et de sa jeunesse on ne sait pas grand'chose si ce n'est qu'elles furent tout enveloppées de la douceur d'un foyer chaud et opulent. Affiné, élégant, débordant d'enthousiasme et de cordialité naturelle, le jeune Smith ne comptait que des amis dans la joyeuse mais sérieuse société qu'il fréquentait. C'était, selon l'impression de Warneck, un « Sonntagskind ».

En 1851 il épousait Hannah Whitall, une jeune fille de sept ans plus jeune que lui, vive, distinguée, de la même classe sociale et d'une intelligence remarquable.
Mme Smith a beaucoup écrit. Elle s'est même abondamment dépeinte dans une sorte d'autobiographie spirituelle, au titre étrange - Le Non-Égoïsme de Dieu (1), de sorte que nous n'ignorons rien, ou à peu près, de son éducation première ni de son développement religieux.
La famille d'Annah Whitall était « Quaker » (2)

Mme Smith donne d'intéressants détails sur les « Amis » et leur mode de vivre. Ils portaient un costume spécial, les dames un chapeau sucrier, qui était pour plusieurs d'entre elles une véritable crucifixion, les hommes un couvre-chef de mode antique qui passait pour une confession de foi. La règle interdisait de lever ce chapeau devant qui que ce soit comme aussi d'employer les termes polis de « Monsieur », de « Madame ». Il fallait tutoyer chacun. Tout ce qui n'était pas la simplicité quaker était regardé comme mondain.

La lecture des livres d'imagination, les visites aux collections d'art étaient rigoureusement prohibées. Même la musique était interdite. Et quand plus tard les Pearsall Smith donneront un petit harmonium à leur fils aîné Frank, il faudra reléguer l'instrument dans une mansarde pour ne pas heurter les principes des grands-parents Whitall.

« Mais en dépit de ces restrictions, écrira Mme Smith, je ne pense pas qu'aucun enfant ait jamais mené une vie aussi parfaitement heureuse que la mienne. Mon père et ma mère étaient pour nous, enfants, le soleil perpétuel. » D'autre part chez ces Quakers les enfants jouissaient d'une très large liberté. Le grand-papa Whitall tenait à réunir pendant les vacances dans son cottage des « Grands-Cèdres » ses enfants mariés, avec leur famille, et c'étaient des parties sans fin de cricket sous les beaux ombrages, de canotage, des courses à cheval et en voiture, des excursions aventureuses, des chasses.

« Les Quakers de ce temps-là, raconte encore Mme Smith, prenaient à la lettre cette déclaration de Jean : « Il est la lumière qui éclaire tout homme venant au monde », aussi se gardaient-ils de s'interposer entre Dieu et l'âme du prochain. Toute lumière doit venir de Dieu, le reste, même une prière apprise, est qualifié d'humain, de chose mondaine et vaine. De sorte qu'on instruit fort peu les enfants ; point d'école du dimanche ou d'instruction religieuse. Les Amis considèrent que les enfants font partie de droit et de fait du troupeau du bon Berger ; jamais on ne nous a parlé de conversion ou de nouvelle naissance, et pourtant les Amis pratiquent personnellement une piété vraie et profonde. »

Les Quakers ne faisaient aucune différence entre l'homme et la femme au point de vue du ministère et du gouvernement de la société et Mme Smith a soin de relever cette parfaite égalité des deux sexes comme « une très grande avance des Amis sur leur temps. » C'est ainsi que plus tard elle acceptera avec une aisance parfaite de jouer un rôle en vue à côté de son mari et qu'elle ne marchandera pas son appui aux sociétés de revendications féminines.

La première découverte spirituelle que fit personnellement la jeune fille fut celle du « non-égoïsme de Dieu ». Jusqu'alors elle avait envisagé Dieu comme une sorte de « géant cruel » qui enregistrait toutes ses fautes pour en tirer vengeance. La vue de la foi confiante et authentique de ses parents, les quelques enseignements que ceux-ci lui donnaient et aussi lesconfidences d'une petite amie croyante, instruite par sa mère, lui révélèrent le Dieu miséricordieux, le « Dieu non égoïste » (3) comme elle l'appelle.
C'est plus tard, pendant l'été 1858, après leur mariage, ensuite de la perte d'une petite fille chérie et par l'influence de « frères plymouthistes (4) », que les Pearsall Smith se convertirent.

Mme Smith s'était mise avec ardeur à l'étude de l'épître aux Romains et, guidée par des amis darbystes, elle arrivera à la justification par la foi « après avoir beaucoup cherché la vérité », dira-t-elle.

Son mari, plus tard, ajoutera ces détails précis : « C'est en lisant la Parole de Dieu, en particulier 1 Jean II. 7 et des écrits du théologien allemand Tholuck, que je fus converti, en chemin de fer, le même jour et de la même manière que ma femme bien-aimée. Je commençai dès le lendemain à annoncer la bonne nouvelle, au cours de mon voyage, et depuis lors je n'ai cessé de prêcher joyeusement l'Évangile, tout en restant simple laïque (5). » Et c'est là en effet un trait caractéristique de la piété de M. et Mme P. Smith : le besoin d'évangéliser. Après avoir reçu l'assurance de son salut, Mme Smith se sentira pressée de faire part de sa découverte à tout son entourage avec un zèle et une lucidité de pensée remarquables.

En 1861, P. Smith fit une chute de cheval et se fractura la base du crâne. On le crut perdu. Il se rétablit à force de soins mais le cerveau avait été lésé ; on craignit un moment pour sa raison. Malheureusement il ne se remit jamais entièrement ; de nouvelles et violentes crises se reproduisirent par la suite.

Vers 1864 il fut nommé directeur d'une manufacture de glaces, située près de Melville à la Nouvelle-Jersey, et qui appartenait à une société dont il faisait partie. Cette sorte d'exil loin de Philadelphie fut d'abord très dur à sa femme, mais bientôt tout le loisir que laissaient à l'un son industrie, à l'autre les soins de son intérieur, fut employé à évangéliser. Parfois P. Smith faisait dresser une tente près du village voisin, s'y installait et prêchait l'Évangile à ceux qui ne vont jamais à l'église.

Le nouveau directeur et sa femme se préoccupaient avec affection du bien physique et moral de leurs ouvriers. Ils avaient ouvert une maison de refuge pour les orphelins et les enfants abandonnés. Souvent ils organisaient dans leur propre habitation des réunions spéciales pour leur personnel. Mme Smith raconte à ce propos un joli trait : « Je venais d'acheter un beau tapis de Bruxelles pour notre salon quand mon mari arrangea chez nous une réunion d'ouvriers, le dimanche matin. J'en conçus de l'humeur, à cause du tapis, mais je sentis que comme chrétienne cela ne devait pas être. Je tirai un passage pour savoir ce que je devais faire et tombai sur cette parole de Pharaon à Jacob et à ses enfants : Ne regrettez pas vos meubles (Gen. XLV, 20). Naturellement la réunion eut lieu au salon et le beau tapis fut défraîchi. » Les Smith ne négligeaient pas l'éducation de leurs enfants. Au point de vue de leur développement physique, sportif, ils leur laissaient une grande liberté : « Nous n'avons jamais pensé que le résultat nécessaire de la religion dût être de dénaturer le caractère d'un enfant ou de le vieillir avant l'âge, nous encouragions donc leurs plaisirs aussi volontiers que leurs sentiments religieux. » Ils trouvèrent chez Frank, l'aîné des garçons, une âme réceptive qui fera dans le domaine de la sanctification, avant même d'avoir vingt ans, les mêmes expériences que ses parents (6).

À cette époque Mme Smith passa par une nouvelle crise religieuse. Graduellement elle s'était éloignée des « Plymouthistes », ne pouvant admettre leur doctrine de la prédestination et elle se jeta avec impétuosité dans l'Universalisme (7) qu'elle professa jusqu'à la fin de sa vie. Cette théorie qui cherche à blanchir Dieu des responsabilités qu'il prend dans sa Parole et qui veut à tout prix pénétrer au delà de la part de révélation qui nous est accordée dans cette économie, jeta par la suite un certain discrédit sur la piété de Mme Smith. Il fut même question à cause de ces vues de ne pas l'admettre à la tribune de la convention de Brighton (8). Quant à P. Smith il ne semble pas qu'il ait adopté la manière de voir de sa femme ; en tous cas il ne l'a jamais prêchée.

C'est entre les années 1865 et 1870 que P. Smith et sa femme firent tous les deux, mais différemment, selon leur caractère, leur tempérament propre, les expériences spirituelles qui orientèrent leur vie dans une voie nouvelle.

« Ainsi que je l'ai dit plus haut, raconte Mme Smith, nous avions parfaitement compris la doctrine de la justification par la foi, nous l'avions acceptée avec joie, mais nous nous étions arrêtés là et nous sentions pourtant qu'il nous restait quelque chose de plus à apprendre. Nous désirions vivement posséder le secret de la victoire sur la tentation, afin de triompher là où nous n'avions éprouvé que des défaites.

Ce jour arriva enfin : Vers le milieu de l'année 1866 nous eûmes comme précepteur de Frank, un jeune étudiant en théologie de l'Église baptiste. Nous découvrîmes bientôt qu'il possédait le secret de cette victoire continuelle que nous ignorions. L'ayant observé pendant plusieurs mois, nous étions de plus en plus étonnés de son zèle et de la pureté de sa vie ; nous l'interrogeâmes, et il nous dit que la foi était son seul secret. Heure après heure il déposait au pied du Seigneur les difficultés de sa vie, et heure après heure aussi le Seigneur les aplanissait. Ainsi transformée par son Maître, sa vie s'élevait à ce degré de perfection auquel Dieu appelle ses enfants et qu'il n'est donné à aucun homme d'atteindre par ses propres forces. Cette révélation fut déjà pour nous un trait de lumière. Un livre que j'aimais beaucoup et qui me venait de mon père : Les Progrès spirituels de Mme Guyon (9), me faisait pressentir une vie de délivrance que je ne connaissais pas....

Une jeune couturière que j'aimais à visiter contribua aussi à me diriger vers la voie nouvelle. Elle me dit que les Méthodistes enseignaient ce qu'ils appelaient la « doctrine de la sainteté », qu'il y avait une expérience nommée « seconde bénédiction » qui nous plaçait dans la victoire. C'est alors que j'appris que quelques-uns de nos ouvriers faisaient partie de ce groupe méthodiste. Désireux de nous faire part de leur bonne nouvelle, ils nous invitèrent à l'une de leurs assemblées. « Si je vais à cette réunion, pensai-je, j'aurai sûrement plus à instruire ces braves gens qu'à en recevoir quelque chose. »

Un soir je leur fis, à ce qu'il me semblait, la faveur de ma présence, toute remplie que j'étais de mon importance et de ma supériorité. Au moment où j'entrai dans la salle, une ouvrière, la tête couverte d'un châle, disait justement :
« Tout mon horizon était rempli d'un grand Je, Moi, mais quand j'eus la vision de Christ, devenu mon Sauveur parfait, ce grand « moi » fut réduit en poussière. Ces paroles furent pour moi une révélation. Je compris que je ne savais rien d'une pareille expérience. Mon « moi » était très gros et plein d'assurance, comment pouvait-il disparaître ? Je commençai à suivre ces réunions pour m'instruire de ce que j'ignorais. Je compris que je devrais cesser de vivre ma vie propre, laissant la puissance de Dieu accomplir en moi « le vouloir et le faire selon son bon plaisir. »

Plus tard, après avoir fait elle-même l'expérience qu'elle entrevoyait, Mme Smith écrira dans son journal : « Quand la tentation vient, je crie. « Seigneur, sauve-moi ! » et jamais il ne m'a fait défaut ; ou il change mes sentiments à ce moment-là, ou il me fait tout oublier. Je m'étais toujours confiée en mes efforts propres, mes résolutions, ma vigilance, ma ferveur. C'était l'esprit légal, aussi légal que si je m'étais confiée en ces choses pour sauver mon âme. J'annulais la grâce de Dieu et rendais la mort de Christ sans effet par mes efforts légaux vers la sanctification. Même le « nouvel homme » en moi ne peut rien faire et si le Seigneur ne fait pas tout, ce ne sera pas fait. Mais, glorieuse vérité, Il le fait quand je me confie en Lui (10), il me délivre de la puissance du péché aussi bien que de sa culpabilité. Quel repos qu'une vie pareille ! »

Mme Smith ajoute encore : « C'est une doctrine méthodiste, je le sais bien, et j'ai été habituée à entendre toutes sortes d'objections contre ces vues des Méthodistes, mais elles me paraissent être les seules qui répondent à mes besoins et je suis poussée à en faire l'essai. »

Et plus tard elle jette cette sorte de cri de joie en se rendant compte qu'il ne s'agit pas seulement d'une « expression pieuse » mais de la possession d'une réalité : « Il faudrait la plume d'un ange pour dire tout ce que cette découverte fut dans ma vie. Où la défaite avait régné auparavant c'était la victoire et le triomphe, chaque fois que je choisissais de la saisir par la foi. Je n'étais plus « l'esclave du péché », j'étais entrée dans la « liberté par laquelle Christ nous a rendus libres ». C'était le ciel sur la terre. Mais ma joie était dans le Seigneur, pas en moi-même, ni en aucune acquisition que j'eusse faite, car je n'en possédais aucune. J'apprenais à connaître le Seigneur en qui je pouvais me glorifier de tout mon coeur. « Où est le sujet de se glorifier ? Il est exclu. Par quelle loi ? Par la loi de la foi.... (11) »

.... P. Smith qui obtenait de sérieux succès dans l'évangélisation fut effrayé en voyant sa femme adopter ce qui lui paraissait une hérésie. Il ne cessait de lui dire que le « vieil homme » ne pouvait être entièrement vaincu en cette vie et qu'il fallait accepter de rester toujours plus ou moins dans l'esclavage du péché. Cependant certains passages de l'Écriture le troublaient, en particulier Romains VI, 6 ; la vue de la réalité de la vie nouvelle chez sa femme l'impressionnait aussi. « Un de mes domestiques, raconte-t-il, me dit un jour : M. Smith, lorsque, le matin, je prie Dieu de me garder du péché pendant la journée, dois-je m'attendre à pécher encore ? » Que pouvais-je répondre, moi, qui avais toujours imposé silence à ma conscience, en me répétant que le péché était une nécessité ? Je ne pus qu'engager celui qui me questionnait ainsi à se confier au Seigneur. Mais, me retirant aussitôt dans mon cabinet, je m'agenouillai et je m'écriai : Seigneur, enseigne-moi quelle est la vérité à ce sujet ! .... Quelque temps après ma conversion, j'avais exprimé devant un ami tous mes découragements : « Jamais, disais-je, je ne serai un chrétien tel que X., par exemple ; une pareille vie n'est pas faite pour moi. » - Eh ! pourquoi pas ? s'écria mon ami. Votre coeur n'est qu'un vase d'argile, un vase bien étroit peut-être, mais pouvez-vous dire qu'il soit rempli ? Cette parole m'était toujours restée (12). »

Un travail intérieur de l'Esprit s'accomplissait chez Smith, si bien qu'un jour toutes ses objections tombèrent et ce fut pour lui comme une lumière nouvelle. « J'étais aveugle, put-il s'écrier, et maintenant je vois ! Jamais la chair ne m'avait paru si clairement, si absolument souillée et perdue ; jamais Christ n'avait été si près de moi, si précieux à mon âme ! Et maintenant, quoique je ne sois nullement à l'abri des tentations, que même j'y succombe parfois, je puis, par le bouclier de la foi, chaque fois que je m'en sers, « éteindre tous les traits enflammés du malin ».

Si je sens encore en moi la présence de la chair, ce n'est plus qu'un ennemi vaincu et enchaîné, soumis non par mes propres efforts, mais par le pouvoir de Christ. Appelé, comme Pierre, à marcher sur les eaux par la foi, le regard fixé sur Jésus, je ne craindrai pas les vagues, car tant que je me confierai en lui, il ne permettra pas que j'enfonce (13). »

Parlant de cette expérience à Oxford, dans une réunion de témoignages, P. Smith ajoutait : « Cette révélation devait transformer ma vie, je me rendis à mes occupations ordinaires, me répétant tout bas : Jésus me sauve, je veux me confier à lui sans cesse. Dès lors à chaque tentation nouvelle je plaçai Christ entre elle et moi, j'obtins ainsi la victoire sur le péché ; mais aussitôt que, par une négligence ou par présomption, je cessais de recourir à mon bouclier, je succombais de nouveau.

Avec le temps j'ai pris de plus en plus l'habitude de chercher en Christ mon refuge contre le péché, et toujours j'ai trouvé auprès de lui la force de résister aux sollicitations du mal. » Ce n'est pas pourtant que les luttes lui fussent épargnées :
« J'ai passé une fois, raconte-t-il, dix jours de suite aux prises avec Satan : c'était un tel combat qu'il me rappelait la description que Luther donne du sien à la Wartbourg. Il ne s'agissait pas pour moi de résister à des tentations charnelles, mais de conserver la possession de mon héritage, l'assurance de ma victoire sur le péché ; en un mot c'était mon repos en Christ que je voyais m'échapper.... (14) »

Ce développement spirituel fut scellé par un don spécial de l'Esprit, que P. Smith a raconté dans les pages suivantes :
« Profondément reconnaissant pour les privilèges de la sanctification par la foi que j'avais réalisée au delà de mon attente quelques mois auparavant, je me réunis un jour, dans les bois, à quelques chrétiens qui s'étaient assemblés, pour demander à Dieu et attendre de Lui le baptême de l'Esprit (15). À part quelques cantiques chantés à demi-voix et quelques courtes prières, une demi-heure se passa dans un silence solennel. Enfin « il vint du ciel comme le bruit d'un vent qui souffle avec impétuosité, et il remplit tout le lieu où ils étaient ».

Aucune parole non inspirée ne saurait aussi bien rendre l'impression que je ressentis alors. Et cependant pas une feuille au-dessus de nos têtes, pas un brin d'herbe à nos pieds n'était en mouvement. La nature était immobile. C'était à nos âmes et non pas à nos sens que le Seigneur se révélait par l'Esprit. Il semblait que mon être tout entier fût comme pénétré et comblé par le Dieu auquel depuis longtemps j'avais cru. Pour la première fois je comprenais ce qu'avaient pu être les visions d'Esaïe, d'Ezéchiel et de Paul. Aucun être créé n'était à ce moment aussi réel pour moi que le Créateur lui-même. C'était une impression solennelle, redoutable, et pourtant sans effroi.

Je conservais l'usage de toutes mes facultés et pourtant elles étaient comme anéanties dans ce sentiment unique, inexprimable, la présence de Dieu en moi, sa créature. À une question qui me fut adressée, je répondis aussi brièvement que possible, afin de ne rien perdre de la présence céleste qui avait envahi tout mon être et le ravissait. Je ne communiquai rien à personne de ce que j'avais éprouvé ; mais lorsque, bien des jours plus tard, je rejoignis ma femme, celle-ci, dès le premier abord, lut sur mon visage un tel changement qu'elle fondit en larmes, avant que nous eussions échangé une seule parole.

Depuis lors, chaque matin, dès mon réveil, mon coeur était rempli d'actions de grâces qui, semblables à des eaux vives, en sortaient avec abondance. Un sentiment de crainte doux et salutaire pénétrait mon esprit, à mesure que j'étais rempli de la présence de Dieu, et ce sentiment ne m'abandonnait pas même au milieu des plus absorbantes préoccupations. La vie était devenue pour moi un cantique de louanges.

La vivacité de ces impressions s'affaiblit nécessairement après quelque temps, mais je continuai à posséder le sentiment de la présence divine et à éprouver ce qui est exprimé par ces mots : « Je demeurerai avec eux et je marcherai avec eux.... Nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure chez lui (16). »

Dans l'entourage de P. Smith, on s'aperçut du changement qui s'était opéré en lui. Avec un nouveau zèle, le directeur des manufactures de Melville, demandait à Dieu que les usines fussent menées de manière à le glorifier. P. Smith s'efforça aussi d'amener au plein salut les mille ouvriers qui habitaient maintenant le village. Beaucoup se convertirent ; la prédication du directeur était accompagnée de succès véritables.

Quoique gêné d'abord par son éducation, par sa position en vue, P. Smith sentit qu'il devait rendre son témoignage courageusement et il se mit à raconter, même devant ses ouvriers, ce que Dieu avait fait pour lui. Le bruit de ces réunions et de ce témoignage se répandit dans le pays. De tous côtés on venait s'informer de ce qu'était cette nouvelle doctrine qu'enseignaient les Pearsall Smith à Melville. On organisa des réunions, des conférences, généralement connues sous le nom de « Réunions d'affermissement de la vie spirituelle ». Il venait des gens de toutes les dénominations, des Méthodistes, des Quakers, même des catholiques.

C'est en 1870 que P. Smith publia son petit livre "La sainteté par la foi "(17), qui eut quatorze éditions et qui fit connaître Smith au grand public.
Nous détachons de la préface de la dernière édition les lignes suivantes :
« Permettez, mon frère, à l'un des plus petits parmi les disciples du Seigneur, de vous indiquer un chemin sur lequel les chutes font place à la foi victorieuse, l'agonie d'un coeur partagé à la simplicité du regard, l'impureté à la chasteté des pensées, l'inquiétude de l'âme au divin repos. Et puisque ce chemin n'est rien moins que Jésus-Christ, reçu par la foi dans la plénitude de ses fonctions sacerdotales et dans l'intimité de ses relations avec nous, ne voulez-vous pas vous remettre immédiatement et sans réserve entre ses mains, afin qu'il vous préserve de toute chute et qu'il rende votre coeur irréprochable en sainteté devant Dieu ?
Qui oserait borner, qui peut mesurer le flot intarissable des bénédictions dont est abreuvée l'âme qui se consacre entièrement à Dieu et qui se confie sans réserve à Jésus-Christ ? »

Dès lors P. Smith est appelé dans divers lieux à parler de ses expériences, à Philadelphie, à Dakington. En 1871, malgré le retour de ses maux de tête, il prend part à une série de réunions à San-Francisco avec les évangélistes Inskip et Mac Donald. En 1872, comme nous le verrons plus loin, il évangélise l'université de Princeton. La même année en juillet, il assiste à un grand meeting de sanctification à Sea-Cliff-Grave où il fait une nouvelle et mystérieuse expérience religieuse.

« Pendant cinq années, raconte-t-il, je jouis d'une manière à peu près continuelle du sentiment de la présence de Dieu, et sauf de rares exceptions, avec une conscience pure ; mais pendant ce temps la lumière divine avait grandi en moi, j'en vins à découvrir des restes d'égoïsme, d'orgueil, de confiance en moi-même que je n'avais pas soupçonnés jusque là. J'étais comme l'Israélite qui, balayant sa maison avant l'aurore, n'a pas aperçu dans le demi-jour du crépuscule les ordures que Dieu condamne, mais que sa conscience ne lui a pas reprochées jusqu'alors. Vienne l'heure où le soleil remplit de ses rayons la demeure souillée et l'élément impur apparaît dans toute sa laideur et doit être immédiatement expulsé. « Purifie-moi de cela aussi, ô mon Sauveur ! » m'écriai-je aussitôt que j'eus constaté en mon âme les souillures dont j'ai parlé ; et en prononçant cette prière de la foi, je possédais déjà l'assurance qu'elle serait exaucée.

Peu de temps après, tandis que je m'agenouillais au milieu d'une grande assemblée de chrétiens qui faisait monter vers Dieu leurs prières silencieuses, il me sembla voir assis non loin de moi, le Seigneur Jésus lui-même ayant l'apparence d'un « raffineur », qui purifie par le feu. Alors passa au travers de mon être comme une flamme qui consuma ces mêmes restes de péchés dont j'avais demandé à Dieu de me délivrer. Pour décrire cette scène je ne puis trouver de paroles mieux appropriées que celles de l'Écriture : « Il sera assis comme celui qui affine et qui purifie l'argent. Il nettoiera les fils de Lévi ; il les purifiera comme on purifie l'or et l'argent et ils apporteront à l'Éternel des oblations dans la justice ».

Je ne reculai pas devant cette flamme, bien au contraire, tant j'étais absorbé par la contemplation de la douce et compatissante figure de mon Sauveur. Je compris alors mieux que jamais la profondeur de ces paroles : « Sanctifiez-vous complètement », car de tout ce que j'avais pu voir en moi d'impur, il me semblait qu'il ne restait rien qui ne fût consumé. Il y avait dans tout cela une réalité profonde et peu d'émotion.... (18) »

À lire de semblables expériences on pourrait craindre que P. Smith n'en vînt à se proclamer impeccable. Mais non ; il se sépare nettement des perfectionnistes méthodistes.
« Les traits du perfectionnisme, déclare-t-il, sont en opposition directe avec les grâces inséparables d'une véritable sanctification par la foi. Ici l'assurance des Pharisiens, là une humble défiance de soi-même ; ici une conscience émoussée, là toutes les délicatesses d'une conscience aiguisée ; ici l'impeccabilité, là l'humiliation constante du serviteur qui se sait inutile ; ici l'abaissement de la règle, là une idée de la sainteté toujours plus haute ; ici l'insistance méticuleuse sur les détails de la doctrine, là tout l'intérêt sur un unique objet : l'affermissement des âmes dans la foi, et leur consécration à Dieu sans réserve (19). »

Au cours d'une de ses allocutions, il reconnut très simplement qu'il n'était pas sans « péché » et raconta le fait suivant :
« Un jour un ouvrier, en ne se conformant point à mes indications, dérangea tous mes plans, et me jeta dans une grande difficulté. Mon caractère naturellement vif prit feu comme de la poudre et, au lieu de regarder tout de suite à Christ, je repris cet homme avec emportement. Tout à coup ma conscience m'avertit que j'avais péché. Il me restait deux alternatives : demeurer dans le sentiment de ma faute, triste et découragé, éloigné de Jésus, privé de sa présence radieuse, de sa paix et de sa communion, exposé par conséquent à de nouvelles chutes ; ou bien, aller immédiatement à lui et lui confesser tout mon péché. C'est ce que je fis, et la paix rentra aussitôt dans mon âme. Cette circonstance, au lieu de m'éloigner de Jésus, me rendit plus humble et me plaça dans une dépendance plus étroite vis-à-vis de lui....

Je pourrais ajouter que la confession immédiate de ma faute produisit sur cet ouvrier alors inconverti, une impression salutaire. Il vit quelle influence le Seigneur exerçait sur mon âme. Peu de temps après, j'eus la joie de l'amener à confesser publiquement sa foi en Jésus (20).

P. Smith s'occupait paternellement de l'éducation de ses enfants. Au cours de ses voyages il correspondait avec son fils Frank. Il lui écrira, par exemple, de la Nouvelle-Orléans cette gentille lettre pour lui faire part d'une expérience :
« J'ai toujours trouvé que le plus facile est d'obéir tout de suite au Saint-Esprit, lorsque par la voix de notre conscience, il nous montre un devoir à accomplir ; plus nous différons, plus le devoir nous paraît difficile. Adopte donc mon axiome : Obéis sans hésiter et tu trouveras l'obéissance facile....
Il y a pour toi dans mon coeur, cher enfant, une tendresse plus profonde que tu ne pourras jamais l'imaginer. Mais quelque cher que tu puisses m'être, le désir de voir resplendir en toi la gloire de Dieu m'est autrement cher.... (21) »

Frank était entré au collège d'Haverford. À Hestonville, tout près de Haverford, vivaient l'oncle et la tante de Frank, Horace et Margaret Smith. Ils invitaient le jeune homme à venir passer les jours de congé chez eux avec quelques camarades. De son côté Mme Smith s'y rendait avec des cousins et des cousines et c'étaient des jeux, des chants, des sports. Tous étaient de joyeux chrétiens ; à la fin de la soirée on se retirait dans la bibliothèque de l'oncle Horace ; là on lisait l'Écriture, on chantait des cantiques et l'on terminait la soirée par une petite réunion de prières.

Un soir, P. Smith, qui participait à la réunion, demanda à chacun de ces jeunes gens et jeunes filles de révéler l'état de son âme. Il y eut des explications franches qui firent du bien à plusieurs. On se mit à prier pour Haverford. Deux jeunes gens de ce collège se convertirent. Dès lors, P. Smith se rendit de temps en temps au collège où, dans une salle particulière mise à sa disposition, se réunissaient pour l'écouter quelques-uns des camarades de Frank. À ceux de ses auditeurs qui n'étaient pas encore convertis, il parlait du salut de leur âme et avec les autres il abordait la question de la sanctification complète. Plusieurs de ces jeunes gens arrivèrent à faire profession de leur foi devant leurs camarades.

En 1871, Frank est étudiant en théologie à l'université de Princeton. P. Smith qui apprécie la science lui écrit pour l'encourager à profiter largement de son temps d'études et de ses cours : « Quoique tu pèses maintenant cent cinquante livres et que tu sois plus grand et plus fort que ton père, tu n'en demeures pas moins comme dans les jours d'enfance, mon garçon chéri.
« Je viens de lire la vie de John Wesley, et j'ai été frappé en voyant ce qu'un homme peut accomplir quand il donne à ses projets un caractère défini et les poursuit avec persévérance. Du matin au soir Wesley était au travail, infatigable, et sa vie est devenue pour tous un glorieux exemple de ce que la race humaine peut accomplir avec le secours de Dieu...

N'as-tu pas remarqué que les plus grands instruments dont Dieu se soit servi, Moïse, Daniel, Paul, saint Augustin, Luther, Mélanchthon, Calvin, Penn, Wesley ont été des hommes instruits ? Et parmi nos contemporains un grand nombre de ceux qui exercent une influence spirituelle puissante, ne sont-ils pas également des hommes qui ont reçu une haute éducation ? Que cette pensée, cher fils, t'encourage donc à profiter des privilèges qui te sont offerts pour ton instruction ; et, tandis que tu es appelé à faire pour jamais le sacrifice de toute ambition égoïste, la gloire de Dieu doit être pour toi un mobile plus puissant que tous ceux dont les incrédules s'inspirent. Il est vrai que pour un seul chrétien instruit, on en rencontre cent ignorants, mais cela veut-il dire que la vie chrétienne soit la conséquence naturelle de l'ignorance ? J'affirmerais volontiers, au contraire, que le plus grand nombre des chrétiens indifférents ou stériles se trouvent dans les rangs de l'ignorance. Mon fils aura donc un jour à rendre compte de l'usage qu'il aura fait de ses facultés naturelles. Son devoir aujourd'hui est de les cultiver, de les porter au plus haut degré possible de leur développement, afin de les employer plus tard, non pour sa propre gloire, mais pour la gloire de Dieu.... (22) »

À l'université de Princeton aussi, Pearsall Smith tint des réunions pour les jeunes gens, et leur parla de sanctification ; plusieurs des camarades de Frank sortirent fort impressionnés de ces entretiens.

Mme Smith qui stimulait son fils vers une consécration toujours plus complète, le faisait cependant avec sagesse, discernement et compréhension des besoins de la jeunesse. « .... Un mot de plus. Ne te tourmente pas en t'accusant chaque jour d'une manière générale de n'avoir pas rempli tous tes devoirs, mais seulement quand tu te rappelles quelque acte défini de désobéissance, alors, par exemple, que le Seigneur t'appelait et que tu as refusé d'obéir. Satan gagne du terrain quand il réussit à nous troubler par des accusations vagues. Le Saint-Esprit est toujours précis et ne nous condamne que pour des fautes conscientes. Et si la voix divine ne t'a rien suggéré de spécial pendant la journée, ne t'afflige point quand vient la nuit de n'avoir rien fait. Quand Dieu voudra que tu agisses pour Lui, Il te le fera entendre clairement.... (23) »

Frank Smith mourut le 8 août 1872. À lire les lettres, les luttes, l'activité de ce jeune homme de dix-huit ans, on a l'impression de quelqu'un de presque trop avancé spirituellement pour son âge. C'était une âme de saint, mais sanctifiée de la vraie manière. On trouva après sa mort, dans sa poche, cette profession de foi.

Je prends Dieu le Père pour mon Dieu (1 Thes. I, 1) ; je prends Dieu le Fils pour mon Sauveur (Actes V, 31) ; je prends Dieu le Saint-Esprit pour celui qui me sanctifie (l Pierre I, 2) ; je prends la Parole de Dieu pour ma règle (2 Tim. III, 16. 17). Je me consacre donc entièrement au Seigneur (Rom. XIV, 7. 8) ; et ceci je le fais après de sérieuses réflexions (Josué XXIV, 24) ; sincèrement (2 Cor. I, 12) ; librement (Ps. CX, 3) et pour toujours (Rom. VIII, 35-39).

Mme Smith, avons-nous dit, avait fait de saintes expériences qui l'avaient amenée à la possession d'une paix et d'une victoire semblables à celles de son mari. Elle souhaitait ardemment néanmoins de recevoir comme lui une effusion d'Esprit bien caractérisée. Elle lutta, pria, jeûna et, comme elle le reconnut plus tard, perdit du temps et des forces. Elle arriva à la conviction claire qu'elle possédait réellement le Saint-Esprit par le fait qu'elle avait cru à Jésus-Christ et que chez elle ce don de l'Esprit avait pris la forme d'une intensité de foi.

Au lieu de marcher par le sentiment, elle résolut de vivre par la foi seule.... « J'ai mis mes sentiments dans une boîte, a-t-elle raconté, j'ai fermé à clé et jeté la clé. Dès lors quand l'inquiétude me prend, je ne cesse de répéter : Je veux croire. »
En même temps que la biographie de son fils Frank, Mme Smith écrivait à cette époque un autre ouvrage qui eut un grand retentissement, Le Secret d'une vie heureuse (24). Cet ouvrage fourmille de pensées fortes. Nous en reproduisons quelques-unes. Celle-ci d'abord, de psychologie :
« La volonté doit être, relativement aux sentiments, comme une mère sage au milieu d'enfants indisciplinés. La mère prend une décision qu'elle croit bonne. Les enfants se rebellent et résistent ; mais elle, sachant qu'elle a l'autorité, tient bon en dépit de leurs clameurs ; les enfants finissent par obéir et l'harmonie s'établit dans la maison. Si la mère au contraire cédait un instant, la confusion s'établirait sans remède. Que d'âmes où il n'y a que confusion, parce que les sentiments sont autorisés à y régner ! »

Cette autre d'expérience chrétienne :
« De fait, les tentations grandissent généralement plutôt qu'elles ne diminuent après que nous nous sommes engagés dans la vie de sanctification et leur nombre ou leur intensité ne doit jamais nous faire supposer que nous n'avons pas trouvé le vrai repos. Les grandes tentations sont souvent le signe d'une grande grâce....

Les Israélites n'auraient jamais eu à combattre les Cananéens, les Hétiens, les Amorhéens s'ils étaient restés en dehors du pays où ces nations se trouvaient. La force même de vos tentations peut donc être la meilleure preuve que vous êtes entré dans le pays de la promesse, parce que ces tentations ne se rencontrent précisément que là. »

Enfin relevons l'extraordinaire justesse avec laquelle Mme Smith parle de la foi :
« On s'imagine souvent que la foi est quelque chose en soi, un exercice religieux de l'âme ou une disposition intérieure du coeur, une chose en quelque sorte tangible, qu'on peut contempler et dont ou doit se servir comme d'une monnaie pour se procurer les dons de Dieu. Ne recevant rien de pareil, nous en concluons que nous n'avons pas la foi. Mais la foi, comme la vue, n'existe que dans son rapport avec son objet. Vous pourriez aussi bien fermer les yeux et essayer de regarder sous vos paupières si vous avez la vue que de regarder au dedans de vous pour examiner si vous avez la foi. Vous voyez quelque chose et vous connaissez par là que vous avez la vue ; vous croyez quelque chose et vous savez que vous avez la foi. Car comme la vue c'est simplement voir, la foi c'est simplement croire. De même que le seul caractère indispensable d'une bonne vue c'est qu'elle vous montre les objets tels qu'ils sont, de même le seul caractère indispensable de la foi, c'est qu'elle vous fasse croire les choses telles qu'elles sont. L'efficace n'est pas dans votre foi, mais dans son objet. Si vous croyez la vérité, vous êtes sauvé ; si vous croyez le mensonge, vous êtes perdu ; l'acte de croire, dans les deux cas est le même, mais les objets de la foi sont opposés, et c'est là ce qui fait la différence. Votre salut vient donc non de votre foi, mais du Sauveur auquel votre foi vous unit, et celle-ci n'est en réalité qu'un lien. »

Tous ceux qui ont connu les deux époux s'accordent à dire que M. Smith possédait une âme délicate, émotive, enthousiaste, optimiste et heureuse de faire des heureux mais un peu faible, féminine, tandis que sa femme, cerclée de logique, plus froide, parfois altière, marchait droit son chemin d'un pied assuré, la foi planant au-dessus des émotions ; ce qui ne l'empêchait pas du reste d'être une épouse aimante et une mère tendre pour ses enfants.

Il n'y a qu'une voix parmi les hommes de Dieu d'Allemagne, de Suisse, de France qui ont entendu P. Smith dans les occasions les plus diverses, pour louer son tact et sa manière d'être. Arnold Bovet écrira : « P. Smith est un manufacturier de quarante-cinq ans, à la tournure distinguée, au regard sympathique. Doué d'une grande énergie et d'une présence d'esprit remarquable, il n'est jamais pédant, Il met tout le monde à l'aise et, chaque fois qu'il s'avance sur l'estrade pour prendre la parole, on peut s'attendre à recevoir quelque chose d'excellent. »

L'inspecteur Rappard qui se connaissait en hommes, sans être toujours d'accord avec toutes les expressions doctrinales de Smith, n'est pas moins élogieux : « P. Smith fait l'effet d'un homme qui a reçu le royaume de Dieu comme un enfant. Sa manière dénote le commerçant pratique et avisé, son regard brille d'amour pour son prochain et si on a l'occasion de l'observer dans diverses circonstances on acquiert la conviction qu'une paix profonde habite dans son coeur et donne la force à ce serviteur de Dieu de rester calme dans le tourbillon de la vie et parfaitement doux dans ses relations avec le prochain. »

Le Français, M. Lelièvre, rédacteur de l'Évangéliste, dit de lui : « Il possède une puissance spirituelle comme durent en posséder les premiers disciples formés à l'école de la Pentecôte. On sent en l'écoutant qu'on a à faire à un homme qui aime notre âme, comme une mère peut aimer son enfant.... »

L'Allemand Warneck de son côté ne le nomme que « le cher Pearsall Smith ». Par contre les avis sont partagés à l'égard de Mme Smith. M. Bovet a été frappé, comme chacun du reste, de son caractère énergique et de son intelligence. « Elle se présente en public dans un costume qui ressemble à celui des Quakers, en chapeau et en gants. L'assurance, la précision, l'entrain et le sérieux avec lesquels elle expose les grands sujets de la vie chrétienne rappellent la manière de prêcher de Dorothée Trudel de Männedorf. »

Warneck lui, n'a pas été conquis. Il écrit à son ami : « Tu sais, l'apôtre veut que la femme se taise dans l'assemblée ; je ne suis nullement persuadé que Mme Smith doive faire exception à la règle. » Et il ajoute malicieusement : « Les discours qu'elle a prononcés ici comptent parmi les plus importants, mais je me figure qu'elle doit faire valoir son influence encore bien davantage derrière la coulisse.... Avec une dame anglaise on peut dire : « Si son mari est la tête, elle en est le diadème. »

Toujours est-il que ces deux époux si « un » en Christ, si richement doués, se compléteront et s'entr'aideront admirablement dans leur tâche et ce sera un jour le pauvre mari plus faible qui devra s'appuyer sur le bras robuste de sa femme.


1) The unselfishness of God and how I discovered it. James Nisbet and C°, London 1903.

2) Les Quakers qu'on appelle aussi « les Amis » sont les membres de la communauté religieuse fondée par Georges Fox et William Penn. Ils vinrent en 1681 s'établir dans la colonie de Pensylvanie aux États-Unis pour y vivre selon ce qu'ils estimaient être la stricte pratique de la Parole de Dieu.

3) Il y a dans cette expression et dans d'autres dont Mme Smith se sert en parlant de Dieu quelque chose qui nous choque. C'est comme si elle avait rejeté, avec la fausse conception du Dieu vengeur, un peu du respect dû au Dieu saint.

4) Les « frères de Plymouth » n'admettent aucune organisation ecclésiastique, proclament le sacerdoce universel, enseignent certaines vues spéciales sur l'enlèvement des élus. Un groupe d'entre eux, appelé « les Frères larges », évangélise avec vigueur et succès dans notre pays.

5) Les Presbytériens en Angleterre, Écosse, aux États-Unis repoussent l'épiscopat (les évêques) comme tout ce qui rappelle le catholicisme. Ils sont calvinistes et se rapprochent beaucoup des réformés du continent.

6) Après la mort de ce jeune homme, Mme Smith en écrivit la biographie sous ce titre : Frank, souvenirs d'une vie heureuse. Trad. par Mlle Marie Tabarié. Paris, J. Bonhoure.

7) Doctrine qui admet le salut final de toute l'humanité après des souffrances plus ou moins longues. Elle a été professée par le théologien Schleiermacher, par Farrar, l'auteur de la Vie de Jésus, par Oberlin ; aujourd'hui elle est défendue par M. Ströter.

8) C'est lady Coower Temple, de Broadlands, qui prit Mme Smith sous sa protection devant la société religieuse de Londres.

9) Célèbre mystique du temps de Fénelon dont la doctrine très belle par certains côtés - du pur amour, rendait indifférent à la vie terrestre et frôlait le quiétisme, dont nous aurons à parler plus loin.

10) La sanctification légale du légaliste fait porter l'effort de l'homme sur le dur combat qu'il soutient tout seul contre le péché, tandis que la sanctification par la foi fait porter l'effort sur le maintien du contact avec Christ qui combat pour nous.

11) Cette vie nouvelle, dit Mme, Smith, les Méthodistes l'appellent « Seconde bénédiction » ou « Bénédiction de la Sanctification » ; les Presbytériens « La vie plus haute » ou « La vie de la foi, » les « Amis » qui la connaissent aussi, l'appellent « La vie cachée avec Christ en Dieu ». Mais de quelque nom qu'on la nomme, elle peut être décrite en quatre mots : Pas moi, mais Christ ! 

12) Marcher dans la Lumière. Paris, J. Bonhoure, p. 60. C'est dans ce petit volume, destiné à compléter celui de la Sainteté par la foi que P. Smith décrit ses expériences spirituelles de la manière la plus détaillée.

13) La Vie Sainte. Trois récits. Traduit de l'anglais. Paris, J. Bonhoure.

14) Marcher dans la Lumière, p. 47.

15) Il s'agissait d'un camp-meeting convoqué par les Méthodistes dits « Méthodistes de la sainteté ».

16). Marcher dans la Lumière, p. 123-125.

17) Traduit d'après l'édition de 1875, refondue par l'auteur. J. Bonhoure, Paris. 

18) Marcher dans la Lumière, p. 125-127. 

19) La Sainteté par la foi, p. 181. 

20) Marcher dans la Lumière, p. 88. 

21) Frank. Souvenirs d'une vie heureuse, p. 54. 55. 

22) Frank. Souvenirs d'une vie heureuse, p. 192, 193. 

23) Frank. Souvenirs d'une vie heureuse, p. 159. 

24) Traduit librement de l'anglais. J.-H. Jeheber, Genève, 4e édit. 
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