Les prophètes. - Le Christ. - Les apôtres. - Les Réformateurs. - Les Moraves. - Le Méthodisme. - Le Réveil de 1810. - Adolphe Monod. - Vinet. - Mouvements divers en 1874. - Faim et soif de sanctification.
La foi au Dieu de la Bible est
inséparable de la pratique du bien. Le
thème de la prédication des
prophètes, ces promoteurs de réveil
en Israël, c'est la parole de Samuel à
Saül : « Voici,
l'obéissance est meilleure que les
sacrifices et l'observation de la Parole de Dieu
vaut mieux que la graisse des béliers
(1
Sam. XV,
22). »
Nulle part dans l'Écriture
l'élan religieux n'autorise la
médiocrité morale. Au contraire,
à plus de révélation doit
correspondre plus de fidélité
pratique dans les relations avec Dieu et le
prochain.
Le Christ ne sépare pas le
pardon des péchés de la
guérison du coeur : « Va et
ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive
quelque chose de pire ». Lui-même
il est le rayon qui descend dans la boue sans se
salir et sans permettre à ceux qui
s'éclairent à sa lumière de
continuer à se souiller. Le sermon sur la
montagne tout entier tend à une
réalisation pratique de la justice dans ce
qu'elle a de plus élevé :
« Si votre justice ne surpasse celle des
scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point
dans le royaume des cieux
(Matth.
V,
20). »
La valeur de l'arbre est mise en
lumière sans équivoque possible par
son fruit : « Tout bon arbre porte
de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de
mauvais fruits
(Matth.
VII, 17). » Et de
dire : Seigneur ! Seigneur ! n'a
point de valeur, si cette prière ne contient
la ferme résolution de « faire la
volonté du Père qui est dans les
Cieux
(Matth.
VII, 21). » Et cet
idéal, à la fois moral et religieux,
dans lequel la foi et l'obéissance se
pénètrent, Jésus le dresse
comme une cime de neige devant ses auditeurs :
« Soyez parfaits comme votre Père
céleste est parfait
(Matth.
V, 48). » En fait
c'est Dieu même que Jésus est venu
proposer à l'humanité comme
modèle.
Et les apôtres, après
le grand réveil de la Pentecôte, n'ont
en aucune manière abaissé cet
idéal : « Soyez mes
imitateurs, comme je le suis moi-même de
Christ
(1
Cor. XI, 1) » pourra
dire l'apôtre Paul. Pierre est tout aussi
explicite : « Mais puisque celui qui
nous a appelés est saint, vous aussi soyez
saints dans toute votre conduite, selon qu'il est
écrit : Vous serez saints, car je suis
saint
(1
Pierre 1, 15). » Toute
la crainte de Jacques c'est que des
chrétiens « se trompant
eux-mêmes par un faux
raisonnement », ces raisonnements dont le
coeur naturel se paie si volontiers, ne se bornent
à écouter la parole, au lieu de la
« mettre en pratique
(Jacques
1,
22) ».
La première
épître de Jean tout entière
déclare aux croyants que la vie normale,
authentique de celui qui « est né
de Dieu », c'est la victoire sur le
monde, la victoire sur le Malin, la victoire sur le
péché. « Quiconque est
né de Dieu ne pèche pas parce que la
semence de Dieu demeure en lui ; et il ne
peut pécher parce qu'il
est né de Dieu
(1
Jean III, 9). » Et si
l'apôtre que Jésus aimait admet la
possibilité de tomber encore en faute, s'il
parle d'un « avocat qui intercède
auprès du Père pour celui qui a
péché », ce n'est pas qu'il
accorde une sorte de prime à la
médiocrité spirituelle, c'est afin de
ne pas décourager le pécheur
tombé, humilié de sa chute et qui
désire ardemment se relever.
À la Réformation,
c'est la justification par la foi seule qui a
été mise tout naturellement à
la première place par ceux qui combattaient
la doctrine catholique des oeuvres mortes.
Peut-être cette note joyeuse et
perçante du clairon réformateur
a-t-elle un peu couvert celle de la sanctification
et favorisé ainsi la tendance à
l'abus de la grâce. C'est possible. Et
pourtant l'Évangile est tellement
« un », la justification
appelle si énergiquement la sanctification
que presque fatalement - si l'on ose employer ce
terme - les réformateurs, quand ils sont
revenus à la personne vivante et agissante
du Seigneur Jésus, ont gravi les
degrés de cette merveilleuse échelle
dont Paul parle aux Corinthiens
(1
Cor. I, 30), Jésus-Christ
leur est devenu « sagesse, justice, sanctification et
rédemption ». Il n'est pas
difficile de relever de nombreuses preuves de cette
affirmation dans les écrits des Luther et
des Calvin. Bornons-nous à ces deux
citations du catéchisme de Calvin :
« C'est qu'étant par lui mis en
liberté de conscience, et remplis de ses
richesses spirituelles, pour vivre en justice et
sainteté, nous avons aussi la puissance pour
vaincre le diable, le péché, la chair
et le monde, qui sont les ennemis de nos
âmes. » Et ailleurs, dans ce
même recueil, à la
question : Pouvons-nous croire pour être
justifiés sans faire de bonnes
oeuvres ? il répond :
« Il est impossible : car croire en
Jésus-Christ, c'est le recevoir tel qu'il se
donne à nous. Or il nous permet non
seulement de nous délivrer de la mort, et de
nous remettre en la grâce de Dieu son
Père, par le mérite de son innocence,
mais aussi de nous régénérer
par son Esprit, pour nous faire vivre
saintement. »
Chez les Moraves ou distingue un
double courant dans l'enseignement de la
sanctification. Beaucoup d'entre eux, et Zinzendorf
lui-même, tenant la propre justice pour leur
pire ennemi, craignaient par-dessus tout que
l'âme croyante ne se détournât
du sentiment de sa misère naturelle et n'en
vînt à oublier la grâce du
pardon qui lui a été accordée
eu Jésus-Christ. Une strophe d'un de leurs
cantiques traduit presque naïvement cette
appréhension :
- Jaloux du titre de pécheur
- Dont je fais mes délices,
- Je ne crains rien tant pour mon coeur
- Que la propre justice (1).
Ils combattaient, par ailleurs, une notion
excessive et dangereuse de la sanctification qui se
faisait jour dans certains cercles
méthodistes. Ces motifs expliquent pourquoi
ils n'insistaient pas autant qu'on s'y serait
attendu sur la nécessité de la
sanctification.
Ce qui n'empêchera pas
Zinzendorf - tant la sanctification scripturaire
s'impose - de prêcher la pleine suffisance du
sang de Christ pour sanctifier les pécheurs
qui croient, ni de déclarer hautement que
« l'union avec le Sauveur produit la
sainteté la plus
sérieuse unie à un état de
félicité parfaite et au complet
repos ».
Le réveil religieux du
XVIIIme siècle en Angleterre et aux
États-Unis qui se rattachent aux noms de
Wesley et de Whitefield fut un
événement capital. Il porte dans
l'histoire le nom de
« Méthodisme ». En
vérité il en mériterait un
plus beau ; n'a-t-il pas sauvé
l'Angleterre de la déchéance
spirituelle, vivifié les États-Unis
et contribué pour une bonne part à
allumer le réveil de Genève, dont
nous sommes les enfants spirituels ? S'il a
introduit dans la piété moderne,
comme tout mouvement humain, quelques germes
d'erreur, il n'en mérite pas moins un grand
respect et une vive reconnaissance pour la
puissance de vie dont il a été le
canal. Après le réveil en surface,
s'est produit dans son sein le réveil en
profondeur ; après la
prédication du salut, celle de la vie
nouvelle.
La tentative de John Wesley et
de
ses amis de fixer la marche du chrétien dans
la sanctification selon une
« méthode » clairement
exposée était hérissée
de difficultés. Comment définir
d'abord tous les termes scripturaires qui parlent
de sanctification, les accorder les uns avec les
autres, formuler la doctrine et surtout confirmer
celle-ci par des expériences permanentes et
identiques parmi tous les membres de
l'assemblée ? Les Wesleyens se sont mis
courageusement à la besogne. Ils ont voulu
préciser le rôle de l'homme et celui
de l'Esprit. Dans leur zèle à
éviter la médiocrité, ils sont
allés à l'extrême. Qui leur
jettera la pierre ? Un petit livre de
Wesley : « Une courte explication de
la perfection chrétienne »,
rapporte le témoignage de plusieurs
« méthodistes » qui
se déclarent absolument et
radicalement affranchis du péché. De
son côté le prédicateur La
Fléchère dira : « Je
rends maintenant témoignage à la
gloire de la grâce de Dieu : je suis
réellement mort au péché et
vivant à Dieu par Jésus-Christ qui
est mon Seigneur et qui règne sur chaque
mouvement de mon âme
(2). »
Wesley emploie parfois
l'expression
de « péché
détruit ». « Le
chrétien complètement
sanctifié, dit-il, est affranchi non pas
seulement de la condamnation et de la puissance du
péché mais aussi de sa présence, de son existence »
(being).
Et l'on reste
perplexe ; c'est
de l'impeccabilité, une doctrine très
proche de la sanctification par la foi mais
dangereuse. Elle enseigne que l'être humain
parvient à une perfection de fait sur
laquelle il peut se reposer, les risques du
péché sont
dépassés ; il n'est plus
nécessaire de veiller de très
près, ce n'est plus le chrétien qui
vit mais Christ qui vit en lui ; ce qu'il
fait, ce qu'il dit est revêtu d'une sorte
d'infaillibilité.
Mais il faut être juste
à l'égard de Wesley lui-même.
En dépit de certaines de ses affirmations et
expressions hasardées il est resté
personnellement en plein équilibre moral. Il
n'a cessé, de répéter que le
chrétien a besoin à chaque instant de
l'intervention du sang de Christ. En parlant de
lui, il dira fréquemment jusqu'à sa
mort : « Je suis le plus grand
pécheur, cependant Christ est mort pour
moi ». Dans ses sermons il osait, avec
l'Écriture, parler de perfection accessible
à l'homme et, avec la Bible aussi, sous les
apparences d'une contradiction, il a parlé
de vigilance toujours nécessaire,
d'humilité, de prière. Dans son
sermon : « Le péché
chez les croyants » il
s'écriait :
« Mais le croyant
n'est-il
donc pas exempt de tout péché en
sorte qu'il n'y ait plus de péché en
lui ? Je n'ose pas dire cela ; je ne peux
point le croire, parce que saint Paul dit le
contraire
(3). »
En définitive Wesley a
cherché à montrer que le
racheté de Jésus-Christ peut
être si bien rempli de l'amour de son Dieu
que le mal n'a plus d'attrait pour lui et par
conséquent n'exerce plus d'empire sur
lui.
S'il faut faire un triage dans
les
affirmations des Méthodistes, s'il s'est
produit, greffés sur certaines de leurs
erreurs, des mouvements douteux, nous ne leur
sommes pas moins redevables d'une grande
clarté et d'une singulière
fidélité de conscience dans la
manière dont ils ont cherché à
réaliser la sanctification scripturaire.
« Nous sommes sur les épaules les
uns des autres », a-t-on pu dire. Une
nouvelle génération voit plus loin
que celle qui l'a précédée et
profite de ses expériences.
C'est aux États-Unis que le
courant de perfectionnisme dangereux s'est le plus
répandu après Wesley. Au temps de
Finney, en 1835, la question de
l'impeccabilité était agitée
dans divers milieux et la recherche de la
sanctification discréditée. Finney
ira jusqu'à dire : « Ces
dernières années on a tant
parlé de perfection chrétienne et
plusieurs de ceux qui professaient cette doctrine
sont tombés dans tant d'aberrations, que le
diable semble avoir anticipé sur le
mouvement de l'Église pour le compromettre.
Il en est résulté un tel état
des esprits que dès que la doctrine biblique
de la sanctification est présentée,
on s'écrie aussitôt :
« Mais c'est du
perfectionnisme !
(4) »
Ce qui n'empêchera pas Finney de
prêcher et de poursuivre la vie spirituelle
intégrale : « Malgré
les erreurs dans lesquelles quelques-uns de ceux
qu'on appelle les perfectionnistes sont
tombés, dit-il encore, je n'hésite
pas à affirmer que la doctrine de la
perfection chrétienne est dans la Bible....
Depuis quelques mois je suis plus convaincu que
jamais, et pour diverses raisons, qu'elle est
réalisable ici-bas
(5). »
La prédication de Finney, les
réveils dont il fut l'instrument, son
influence personnelle contribuèrent beaucoup
à répandre aux États-Unis le
besoin de poursuivre sur le vrai terrain biblique
une vie spirituelle plus haute. Devenu professeur
à l'École de théologie
d'Oberlin, dans l'Ohio, il exerça une
influence considérable sur de nombreux
pasteurs, sur Boardman en particulier, Asa Mahan et
sur le professeur de philosophie Uphan. Il fera en
1841 d'Oberlin un véritable centre à
la fois d'enseignement et de réalisation de
vie sanctifiée. Et c'est ainsi qu'en dehors
du Méthodisme - Finney était
presbytérien - et par des hommes qui
répudiaient les erreurs du perfectionnisme,
Dieu préparait un nouveau mouvement de
sanctification qui réveilla la
chrétienté et les Wesleyens
eux-mêmes.
En 1810, à Genève,
c'est au contact des Moraves, puis des
Méthodistes que le réveil s'alluma et
se développa. Les Empaytaz, les Ami Bost,
les Malan, les Gonthier, les Pyt insistaient sur
l'acceptation immédiate de la
réconciliation avec Dieu par le moyen de la
foi, sur l'oeuvre expiatoire de Jésus, sur
le pardon complètement gratuit, sur la paix
dont jouit l'âme
justifiée. C'était une tâche de
géants pour ces jeunes gens que de lutter
contre toutes les oppositions théologiques,
ecclésiastiques qui leur étaient
faites. Ils sont allés au plus
pressé, à la lutte contre un
moralisme desséchant. Plus tard d'autres
questions se posèrent, en particulier celle
de la sainteté, à mesure que tous les
éléments de la vérité
évangélique qui remplissent les
épîtres de Paul redevinrent la
préoccupation de l'Église. C'est en
plus faible ce qui s'est passé lors de la
Réformation. Au point de vue de la
sainteté cependant, diverses tendances se
faisaient jour.
D'après Haldane, Drumond, la
sainteté devait prendre naissance dans la
reconnaissance envers Dieu, sans qu'elle soit
liée d'une façon intime et morale
avec la justification elle-même.
C'était comme une sorte d'appendice du salut
gratuit. « En appuyant sur la
reconnaissance dans le réveil de 1810, dit
F. Godet, on faisait appel chez le chrétien
à ses bonnes résolutions, à sa
force propre. On lui disait bien qu'il ne pourrait
rien par lui-même, on lui parlait de la
nécessité de la prière et de
l'oeuvre du Saint-Esprit. Mais la notion du plein
établissement de la sainteté par
l'habitation permanente de Jésus-Christ, le
Saint de Dieu glorifié, dans l'âme
croyante, en vertu de l'opération de
l'Esprit, - cette notion-là restait dans
l'ombre
(6). »
Il y avait aussi parmi les
« réveillés » des
coeurs légers qui se contentaient d'un
état de médiocrité
spirituelle, qui pratiquaient le
« péchons parce que la grâce
abonde » et qui discréditaient le
Réveil. D'autres, sur le point
spécial de la sanctification avouaient
douloureusement leur impuissance,
tel Ami Bost :
« Depuis lors, et n'ayant jamais pu
atteindre pratiquement à cette
« renonciation totale et
douce » à laquelle je rêvais
déjà à vingt ans, avant
d'avoir lu ces mots dans Pascal, il a fallu me
rendre, de guerre lasse, et comprendre par
moi-même ce que c'est qu'un chrétien
médiocre, un chrétien encore plus ou
moins attaché à ce monde, quoique
sincère dans son aspiration à plus de
fidélité ; il a fallu convenir
qu'on pouvait être sauvé et pleinement
accepté de Dieu en disant encore
souvent : Je fais le mal que je ne voudrais
pas, et je ne fais pas le bien que je
voudrais !
Mais je ne puis être joyeux
dans cet état ; et je n'envie pas non
plus la joie de ceux qui savent s'y trouver
heureux. J'appelais le renoncement complet, un
renoncement méthodiste, parce que mon
âme qui haletait après l'idéal,
avait besoin de voir cet idéal
réalisé quelque part ; je ne
connaissais alors dans la communion protestante que
le « Méthodisme » soit
d'un Whitefield, soit d'un Wesley qui me
parût répondre pleinement à
cette soif de mon coeur....
Le réveil n'a pas voulu
entrer dans cette voie de renoncement au
monde : cette dernière expression y est
peu usitée ou presque rejetée ;
et la chose l'est encore plus. L'esprit humain
oscillant toujours entre la loi et la grâce,
ou s'est jeté de préférence du
côté de la grâce : c'est
plus commode ; mais je n'ai jamais
cessé de protester contre ce défaut
d'équilibre
(7). »
Il nous paraît, avec le recul
d'aujourd'hui, qu'Ami Bost est trop
sévère pour le Réveil et que
ce qu'il reproche à l'ensemble,
n'était la tendance que de
quelques-uns.
D'autres encore, parmi les
promoteurs du mouvement, affirmaient la
possibilité d'une vie chrétienne
conséquente. Du reste cette soif
d'idéal dans la conscience d'Ami Bost
elle-même, n'était-elle pas
déjà la preuve d'une oeuvre profonde
de l'Esprit ?
Telle strophe de cantique de
Clottu
parle de victoire sur le péché :
- Pour nous, misérables pécheurs,
- Il comparaît lui-même :
- Nous sommes donc plus que vainqueurs
- En Celui qui nous aime.
Malan est plus affirmatif encore :
« On nous représente, dit-il,
comme des marchands d'indulgence, comme s'il
suffisait d'amener une âme à
Jésus pour qu'elle reste dans la corruption.
D'où vient cette erreur ? N'est-ce pas
de ce qu'on prend l'orthodoxie pour la foi, de ce
qu'on se borne à une spéculation
intellectuelle des vérités objet de
foi, de ce qu'on n'a pas encore appliqué
à l'âme le sang du Fils de Dieu et dit
de coeur au Sauveur : c'est pour moi, pour
moi-même que tu l'as répandu, par lui
j'ai été lavé.
Prétendre être à
Christ et conserver ses vieilles idées, ses
vieilles habitudes, ses vieux penchants, ses
vieilles espérances, en un mot son vieux
coeur, c'est donner un démenti à la
parole de Dieu, c'est prétendre
posséder un secret inconnu à Dieu
même : celui d'unir la lumière
avec les ténèbres, le
péché avec la grâce
(8). »
Merle d'Aubigné lui aussi
avait fait une expérience profonde de la vie
nouvelle. À Kiel, il s'était
rencontré chez le professeur de
théologie biblique Klenker avec les pasteurs
F. Monod de Paris et C. Riell du
Jutland. Dans un entretien sur les Écritures
le vieux professeur refusa de répondre aux
difficultés que soulevaient les jeunes gens
en leur disant que la première chose qu'ils
avaient à faire était de
s'établir fortement dans la grâce de
Jésus-Christ et que la lumière qui
procède du Sauveur dissiperait toutes leurs
obscurités.
« Nous poursuivions
alors
l'étude de l'épître aux
Éphésiens, raconte Merle
d'Aubigné, et quand nous fûmes aux
deux derniers versets du troisième
chapitre : À celui qui peut faire, par
la puissance qui agit en nous, infiniment au
delà de tout ce que nous demandons ou
pensons.... ces paroles tombèrent dans mon
âme comme une révélation de
Dieu. Il peut faire en moi, me dis-je, au
delà de tout ce que je demande, au
delà de tout ce que je pense, et même
infiniment au delà. Je fus alors rempli
d'une pleine confiance en Jésus-Christ pour
l'oeuvre qu'il y avait à faire dans mon
pauvre coeur. »
Tous se jetèrent à
genoux et prièrent ensemble.
« Quand je me relevai, continue Merle
d'Aubigné, je sentis comme si
« les ailes m'avaient été
renouvelées comme aux
aigles » ; tous mes doutes
étaient partis ; mon angoisse
était dissipée ; le Seigneur
répandait sa paix en moi comme un fleuve. Je
pouvais comprendre avec tous les saints, quelle est
la largeur, la longueur, la profondeur et la
hauteur de l'amour de Christ qui surpasse toute
connaissance. Et je pus dire : « Mon
âme, entre dans ton repos, car
l'Éternel t'a fait du
bien. »
De son côté Gaussen,
comme Merle d'Aubigné du reste, enseignait
dans son cours de dogmatique à la
faculté de l'Oratoire qui venait de se
fonder, les principes bibliques de la
sanctification : « Elle est,
disait-il, le renouvellement de
l'âme à l'image de Dieu,
renouvellement qui suit la justification et qui
commence ici-bas par la
régénération, pour se
poursuivre journellement dans l'exercice de
l'obéissance et pour ne se consommer que
dans la gloire. »
Avec Adolphe Monod et le
rayonnement
de ce ministère extraordinaire un pas en
avant s'accomplit ; cet homme de Dieu a comme
entrevu dans l'avenir l'apparition d'un
réveil de sanctification et il en a
posé les pierres d'attente, principalement
dans les discours intitulés : La
sanctification par la vérité, La
sanctification par le salut gratuit, La Parole
vivante :
« Nous nous sommes trop
inquiétés, dit-il, de ce qu'un homme
croit, de ce qu'il pense, pas assez de ce qu'il
fait, de ce qu'il est....
La sainteté ne peut
croître que sur la
vérité ; mais (après
avoir établi le terrain : la
vérité) l'arbre peut ne pas donner
son fruit....
Sans contredit l'esprit de
renoncement, de charité, d'amour fraternel,
n'a pas marché de pair avec la pureté
de la doctrine et la ferveur du zèle....
Le trait saillant du réveil
de Jérusalem c'est la vie, le trait saillant
de notre réveil, c'est la doctrine....
Chacun le sent aujourd'hui, il
se
prépare comme un second réveil qui
s'applique à être plus spirituel que
le premier, soit dans ses vues, soit dans son
action : dans ses vues, en dépassant la
région du dogme pur pour parvenir à
la contemplation, disons mieux, à la
possession vivante de Jésus-Christ vivant
par le Saint-Esprit ; dans son action, en
prenant réellement, décidément
Jésus-Christ pour exemple et sa parole pour
règle, dans toute la conduite de la
vie. »
Vinet aussi, tout en combattant
les
affirmations dangereuses du perfectionnisme, a
été un des
précurseurs du réveil de
sanctification. Dans les « Nouveaux
discours » il remet en lumière les
saintes exigences de la vie chrétienne, il
montre comment la justification implique la
sanctification « Il faut à
l'Église un nouvel âge
héroïque ; et si, comme à
d'autres époques, elle n'en trouve pas les
éléments tout préparés
dans la haine ardente et frénétique
des rois et des nations, si cette arme lui manque,
il faut qu'elle en trouve une autre ; elle,
à qui l'Esprit de Dieu apprend, quand il le
faut, à trouver la paix dans la guerre, il
faut, à cette heure, qu'elle sache trouver
la guerre au sein de la paix.
Mais quelle guerre, sinon celle
de
l'esprit contre la chair, et de la volonté
de l'amour contre l'égoïsme ?
Cette guerre seule, cette lutte du chrétien
contre lui-même, ce travail de perfection
signalera au milieu du monde sa présence et
son vrai caractère....
Sommes-nous des témoins ou
des accusateurs de l'Évangile ? des
exemplaires altérés ou
sincères du christianisme. Sentons-nous en
nous un instinct d'héroïsme ou de
lâcheté ?
Sommes-nous de simples amateurs
de
la sagesse évangélique, ou
sommes-nous des champions et des soldats de
Jésus-Christ ?
Regardons-nous la terre comme un
champ de bataille, la vie comme une campagne
sanglante et glorieuse, Jésus-Christ comme
une victime divine que nous avons à venger,
oui, à venger sur nous-mêmes ?
S'il en est ainsi nous sommes
chrétiens. S'il n'en est pas ainsi, nous ne
le sommes pas ; s'il n'en est pas ainsi nous
n'avons rien à donner à nos
contemporains, rien à transmettre à
l'avenir ; mais si nous répondons au
texte sacré, nous serons un anneau de la
chaîne vivante par laquelle les derniers
âges se rejoindront aux premiers, et
la consommation des temps
à la consommation du Calvaire
(9).
Et ailleurs « ....
Après avoir gémi durant des
années sous le poids d'inclinations que l'on
déteste et d'habitudes que l'on
déplore, après s'être dit mille
fois : je ne fais point ce que je veux ;
je fais au contraire ce que je hais, quelle
impression éprouve-t-on, mes frères,
quand ou se sent peu à peu ou tout à
coup transportés dans une sphère
toute nouvelle, où, pour parler avec saint
Paul : « On fait ce que l'on
veut », quelle impression, je vous le
demande, si ce n'est celle de la
liberté ? Ne sent-on pas qu'on se
retrouve soi-même, qu'on a brisé pour
jamais ses fers ? Eh bien ! voilà
ce que l'Esprit de Dieu nous offre la
liberté ! la liberté, glorieuse
des enfants de Dieu la liberté par
l'obéissance ! la liberté dans
l'amour ! »
En 1873 et au commencement de
1874
des vagues de diverse nature agitaient la
chrétienté.
Après le concile du Vatican,
en 1870, qui proclamait l'infaillibilité du
pape, une minorité d'adversaires de
l'ultramontanisme avait constitué
l'Église vieille catholique qui prit pied
principalement en Allemagne et en Suisse, Les
gouvernements allemand, bernois, genevois prirent
fait et cause pour cette minorité et
entreprirent une vive persécution contre les
évêques et les prêtres
ultramontains qui
bénéficièrent ainsi de
l'auréole du martyre ; ce fut le
Kulturkampf. Mais l'esprit caché qui
présidait à cette persécution
provenait en réalité d'une
véritable hostilité qui se faisait
jour contre toute religion et bientôt les
protestants évangéliques, aussi bien
que les catholiques romains, furent en butte au
mauvais vouloir des cercles dirigeants. Un peu partout
la Bible était
attaquée au nom de la raison. Partout aussi
où les éléments non religieux
se trouvaient en nombre ils provoquaient des
conflits, ils protestaient contre ce qu'ils
appelaient la tyrannie des
évangéliques. Ils remplissaient la
presse de leurs doléances contre
l'obscurantisme dogmatique des croyants, les
confessions de foi, les liturgies obligatoires. Ils
travaillaient à obtenir des
législations ecclésiastiques plus
ouvertes pour mieux faire pénétrer
leurs idées dans l'Église. De leur
côté les évangéliques
relevaient le gant, défendaient
l'Évangile par la voix de professeurs
autorisés tels que F. Godet à
Neuchâtel, Beek en Allemagne, d'Orelli
à Bâle, Ed. de Pressensé en
France.
À la même époque
aussi des lois nouvelles réglèrent
les rapports de l'Église et de
l'État. Dans les synodes, pasteurs et
laïques polémisaient. Dans le canton de
Neuchâtel même, une Église
nouvelle sortit du creuset.
Toute cette opposition du parti
rationaliste ne servit en fin de compte qu'à
déterminer par réaction un
réveil de la foi. D'autre part les
discussions et les polémiques laissaient
dans le coeur de beaucoup de croyants un besoin
profond de vie intérieure, de pures
réalités spirituelles, de silence et
surtout de sainteté qui glorifiât le
chef de l'Église.
L'Église anglicane se
réveillait ; des pasteurs anglicans
tenaient des réunions
« revivalistes » et se
faisaient qualifier de
« Méthodistes », tandis
que les Méthodistes eux-mêmes
étaient soulevés par un besoin
nouveau d'évangélisation.
Moody, qui secouait l'Angleterre
par
sa prédication, après avoir
prêché aux États-Unis avec un succès qui rappelait
celui
de Whitefield et de Finney, avait passé lui
aussi par une expérience de
consécration qui doublait sa puissance.
Voici ce qu'il
raconte :
« Un certain jour à New-York -
oh ! comme je m'en souviens ! - je ne
puis décrire la chose, et même je n'y
fais pas souvent allusion, car ce fut une
expérience presque trop sacrée pour
en parler (saint Paul eut aussi une
expérience dont il ne fit mention qu'au bout
de quatorze ans), je puis seulement dire que Dieu
lui-même se révéla à
moi ; j'eus une telle manifestation de son
amour, que je dus lui demander d'arrêter sa
main. Après cela je repris mes
prédications ; en apparence mes sermons
ne furent pas différents ; je ne
présentai aucune vérité
nouvelle, et pourtant des centaines de personnes
furent converties. Pour rien au monde, je ne
voudrais revenir au point où j'en
étais avant cette expérience
bénie....
(10) »
Mais surtout le besoin de
réveil intérieur, chez les
chrétiens, se manifestait dans des cercles
de prières qui demandaient instamment une
vie chrétienne conséquente. Un soupir
qui allait jusqu'au malaise, en présence de
l'impuissance de l'Église et de ses
divisions, montait vers Dieu.
Un Rappard écrira plus
tard : « Moi aussi je soupirais
après la délivrance, après la
communion avec Christ et j'ai souffert en
prêchant aux autres ce que je ne
possédais pas moi-même. »
Les croyants gémissaient d'offrir tant de
prise dans leur vie aux critiques justifiées
des non-croyants. Le pasteur Pank de Berlin
traduisait cette souffrance en disant :
« Quand les
incrédules voient les croyants dans le
même état qu'eux,
esclaves du péché comme eux, avec
cette seule différence que les croyants sont
encore plus malheureux parce que les chaînes
frottent sur des remords de conscience, sont-ils
attirés à la croix de
Jésus ? La bible du monde c'est la
conduite des chrétiens ; l'autre Bible
le monde ne la lit plus
guère. »
Le pasteur méthodiste de
Nîmes, M. Matthieu Lelièvre,
écrivait dans
l'Évangéliste : « Nous
souffrons et, si nous n'y prenons garde, nous
mourrons d'une sorte d'anémie religieuse. Le
monde reproche au christianisme, non pas de ne plus
produire des orthodoxes, non pas d'être
stérile en fait d'oeuvres
extérieures ; il lui reproche
d'être pauvre de saints. Le monde, en effet,
a beau être « plongé dans le
mal », rien ne le subjugue et rien ne lui
ferme la bouche comme la sainteté. C'est
justement parce qu'il la déclare impossible
qu'il s'arrête confondu quand il lui arrive
de la rencontrer. C'est avec ses saints bien plus
qu'avec ses docteurs que le christianisme a vaincu
le paganisme. »
Dans la lettre d'invitation
adressée au public religieux par les
organisateurs des réunions d'Oxford on
pouvait lire ces lignes :
« Les chrétiens
constatent avec tristesse l'abîme qui se
creuse entre ce qu'ils savent de la
vérité scripturaire et ce qu'ils en
vivent. L'augmentation de lumière que Dieu
leur a accordée leur a dévoilé
la faiblesse de leur foi et l'absence des fruits de
l'Esprit dans leur vie. lis se sentent
pressés par l'Esprit de Dieu de
réaliser en fait et en vérité
l'Évangile qu'ils connaissent et même
qu'ils prêchent. »
« Ce soupir qui
s'échappait de plus d'un coeur, dira M.
Théophile Rivier, est devenu un cri qui est
monté jusqu'à
Dieu. Et Dieu a fait attention à notre
état, Il nous a regardés dans ses
compassions. » « Quand les
chambres hautes prient, a-t-on pu dire encore, les
cieux se rouvrent », et ce fut le cas en
1874.
Dieu avait préparé,
des hommes, des vases de terre, avec leurs
infirmités et leurs fissures, sans doute,
mais cependant remplis de l'Esprit saint et qui
devinrent les propagateurs d'un mouvement qui fut
comme un « réveil dans le
Réveil ».
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