Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

Réveils et Sanctification.

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Les prophètes. - Le Christ. - Les apôtres. - Les Réformateurs. - Les Moraves. - Le Méthodisme. - Le Réveil de 1810. - Adolphe Monod. - Vinet. - Mouvements divers en 1874. - Faim et soif de sanctification.


La foi au Dieu de la Bible est inséparable de la pratique du bien. Le thème de la prédication des prophètes, ces promoteurs de réveil en Israël, c'est la parole de Samuel à Saül : « Voici, l'obéissance est meilleure que les sacrifices et l'observation de la Parole de Dieu vaut mieux que la graisse des béliers (1 Sam. XV, 22). »

Nulle part dans l'Écriture l'élan religieux n'autorise la médiocrité morale. Au contraire, à plus de révélation doit correspondre plus de fidélité pratique dans les relations avec Dieu et le prochain.

Le Christ ne sépare pas le pardon des péchés de la guérison du coeur : « Va et ne pèche plus, de peur qu'il ne t'arrive quelque chose de pire ». Lui-même il est le rayon qui descend dans la boue sans se salir et sans permettre à ceux qui s'éclairent à sa lumière de continuer à se souiller. Le sermon sur la montagne tout entier tend à une réalisation pratique de la justice dans ce qu'elle a de plus élevé : « Si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux (Matth. V, 20). »

La valeur de l'arbre est mise en lumière sans équivoque possible par son fruit : « Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits (Matth. VII, 17). » Et de dire : Seigneur ! Seigneur ! n'a point de valeur, si cette prière ne contient la ferme résolution de « faire la volonté du Père qui est dans les Cieux (Matth. VII, 21). » Et cet idéal, à la fois moral et religieux, dans lequel la foi et l'obéissance se pénètrent, Jésus le dresse comme une cime de neige devant ses auditeurs : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait (Matth. V, 48). » En fait c'est Dieu même que Jésus est venu proposer à l'humanité comme modèle.

Et les apôtres, après le grand réveil de la Pentecôte, n'ont en aucune manière abaissé cet idéal : « Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ (1 Cor. XI, 1) » pourra dire l'apôtre Paul. Pierre est tout aussi explicite : « Mais puisque celui qui nous a appelés est saint, vous aussi soyez saints dans toute votre conduite, selon qu'il est écrit : Vous serez saints, car je suis saint (1 Pierre 1, 15). » Toute la crainte de Jacques c'est que des chrétiens « se trompant eux-mêmes par un faux raisonnement », ces raisonnements dont le coeur naturel se paie si volontiers, ne se bornent à écouter la parole, au lieu de la « mettre en pratique (Jacques 1, 22) ».

La première épître de Jean tout entière déclare aux croyants que la vie normale, authentique de celui qui « est né de Dieu », c'est la victoire sur le monde, la victoire sur le Malin, la victoire sur le péché. « Quiconque est né de Dieu ne pèche pas parce que la semence de Dieu demeure en lui ; et il ne peut pécher parce qu'il est né de Dieu (1 Jean III, 9). » Et si l'apôtre que Jésus aimait admet la possibilité de tomber encore en faute, s'il parle d'un « avocat qui intercède auprès du Père pour celui qui a péché », ce n'est pas qu'il accorde une sorte de prime à la médiocrité spirituelle, c'est afin de ne pas décourager le pécheur tombé, humilié de sa chute et qui désire ardemment se relever.

À la Réformation, c'est la justification par la foi seule qui a été mise tout naturellement à la première place par ceux qui combattaient la doctrine catholique des oeuvres mortes. Peut-être cette note joyeuse et perçante du clairon réformateur a-t-elle un peu couvert celle de la sanctification et favorisé ainsi la tendance à l'abus de la grâce. C'est possible. Et pourtant l'Évangile est tellement « un », la justification appelle si énergiquement la sanctification que presque fatalement - si l'on ose employer ce terme - les réformateurs, quand ils sont revenus à la personne vivante et agissante du Seigneur Jésus, ont gravi les degrés de cette merveilleuse échelle dont Paul parle aux Corinthiens (1 Cor. I, 30), Jésus-Christ leur est devenu « sagesse, justice, sanctification et rédemption ». Il n'est pas difficile de relever de nombreuses preuves de cette affirmation dans les écrits des Luther et des Calvin. Bornons-nous à ces deux citations du catéchisme de Calvin : « C'est qu'étant par lui mis en liberté de conscience, et remplis de ses richesses spirituelles, pour vivre en justice et sainteté, nous avons aussi la puissance pour vaincre le diable, le péché, la chair et le monde, qui sont les ennemis de nos âmes. » Et ailleurs, dans ce même recueil, à la question : Pouvons-nous croire pour être justifiés sans faire de bonnes oeuvres ? il répond : « Il est impossible : car croire en Jésus-Christ, c'est le recevoir tel qu'il se donne à nous. Or il nous permet non seulement de nous délivrer de la mort, et de nous remettre en la grâce de Dieu son Père, par le mérite de son innocence, mais aussi de nous régénérer par son Esprit, pour nous faire vivre saintement. »

Chez les Moraves ou distingue un double courant dans l'enseignement de la sanctification. Beaucoup d'entre eux, et Zinzendorf lui-même, tenant la propre justice pour leur pire ennemi, craignaient par-dessus tout que l'âme croyante ne se détournât du sentiment de sa misère naturelle et n'en vînt à oublier la grâce du pardon qui lui a été accordée eu Jésus-Christ. Une strophe d'un de leurs cantiques traduit presque naïvement cette appréhension :

Jaloux du titre de pécheur
Dont je fais mes délices,
Je ne crains rien tant pour mon coeur
Que la propre justice (1).

Ils combattaient, par ailleurs, une notion excessive et dangereuse de la sanctification qui se faisait jour dans certains cercles méthodistes. Ces motifs expliquent pourquoi ils n'insistaient pas autant qu'on s'y serait attendu sur la nécessité de la sanctification.

Ce qui n'empêchera pas Zinzendorf - tant la sanctification scripturaire s'impose - de prêcher la pleine suffisance du sang de Christ pour sanctifier les pécheurs qui croient, ni de déclarer hautement que « l'union avec le Sauveur produit la sainteté la plus sérieuse unie à un état de félicité parfaite et au complet repos ».

Le réveil religieux du XVIIIme siècle en Angleterre et aux États-Unis qui se rattachent aux noms de Wesley et de Whitefield fut un événement capital. Il porte dans l'histoire le nom de « Méthodisme ». En vérité il en mériterait un plus beau ; n'a-t-il pas sauvé l'Angleterre de la déchéance spirituelle, vivifié les États-Unis et contribué pour une bonne part à allumer le réveil de Genève, dont nous sommes les enfants spirituels ? S'il a introduit dans la piété moderne, comme tout mouvement humain, quelques germes d'erreur, il n'en mérite pas moins un grand respect et une vive reconnaissance pour la puissance de vie dont il a été le canal. Après le réveil en surface, s'est produit dans son sein le réveil en profondeur ; après la prédication du salut, celle de la vie nouvelle.

La tentative de John Wesley et de ses amis de fixer la marche du chrétien dans la sanctification selon une « méthode » clairement exposée était hérissée de difficultés. Comment définir d'abord tous les termes scripturaires qui parlent de sanctification, les accorder les uns avec les autres, formuler la doctrine et surtout confirmer celle-ci par des expériences permanentes et identiques parmi tous les membres de l'assemblée ? Les Wesleyens se sont mis courageusement à la besogne. Ils ont voulu préciser le rôle de l'homme et celui de l'Esprit. Dans leur zèle à éviter la médiocrité, ils sont allés à l'extrême. Qui leur jettera la pierre ? Un petit livre de Wesley : « Une courte explication de la perfection chrétienne », rapporte le témoignage de plusieurs « méthodistes » qui se déclarent absolument et radicalement affranchis du péché. De son côté le prédicateur La Fléchère dira : « Je rends maintenant témoignage à la gloire de la grâce de Dieu : je suis réellement mort au péché et vivant à Dieu par Jésus-Christ qui est mon Seigneur et qui règne sur chaque mouvement de mon âme (2). »

Wesley emploie parfois l'expression de « péché détruit ». « Le chrétien complètement sanctifié, dit-il, est affranchi non pas seulement de la condamnation et de la puissance du péché mais aussi de sa présence, de son existence » (being).
Et l'on reste perplexe ; c'est de l'impeccabilité, une doctrine très proche de la sanctification par la foi mais dangereuse. Elle enseigne que l'être humain parvient à une perfection de fait sur laquelle il peut se reposer, les risques du péché sont dépassés ; il n'est plus nécessaire de veiller de très près, ce n'est plus le chrétien qui vit mais Christ qui vit en lui ; ce qu'il fait, ce qu'il dit est revêtu d'une sorte d'infaillibilité.

Mais il faut être juste à l'égard de Wesley lui-même. En dépit de certaines de ses affirmations et expressions hasardées il est resté personnellement en plein équilibre moral. Il n'a cessé, de répéter que le chrétien a besoin à chaque instant de l'intervention du sang de Christ. En parlant de lui, il dira fréquemment jusqu'à sa mort : « Je suis le plus grand pécheur, cependant Christ est mort pour moi ». Dans ses sermons il osait, avec l'Écriture, parler de perfection accessible à l'homme et, avec la Bible aussi, sous les apparences d'une contradiction, il a parlé de vigilance toujours nécessaire, d'humilité, de prière. Dans son sermon : « Le péché chez les croyants » il s'écriait :
« Mais le croyant n'est-il donc pas exempt de tout péché en sorte qu'il n'y ait plus de péché en lui ? Je n'ose pas dire cela ; je ne peux point le croire, parce que saint Paul dit le contraire (3). »

En définitive Wesley a cherché à montrer que le racheté de Jésus-Christ peut être si bien rempli de l'amour de son Dieu que le mal n'a plus d'attrait pour lui et par conséquent n'exerce plus d'empire sur lui.

S'il faut faire un triage dans les affirmations des Méthodistes, s'il s'est produit, greffés sur certaines de leurs erreurs, des mouvements douteux, nous ne leur sommes pas moins redevables d'une grande clarté et d'une singulière fidélité de conscience dans la manière dont ils ont cherché à réaliser la sanctification scripturaire. « Nous sommes sur les épaules les uns des autres », a-t-on pu dire. Une nouvelle génération voit plus loin que celle qui l'a précédée et profite de ses expériences.

C'est aux États-Unis que le courant de perfectionnisme dangereux s'est le plus répandu après Wesley. Au temps de Finney, en 1835, la question de l'impeccabilité était agitée dans divers milieux et la recherche de la sanctification discréditée. Finney ira jusqu'à dire : « Ces dernières années on a tant parlé de perfection chrétienne et plusieurs de ceux qui professaient cette doctrine sont tombés dans tant d'aberrations, que le diable semble avoir anticipé sur le mouvement de l'Église pour le compromettre. Il en est résulté un tel état des esprits que dès que la doctrine biblique de la sanctification est présentée, on s'écrie aussitôt : « Mais c'est du perfectionnisme ! (4) » Ce qui n'empêchera pas Finney de prêcher et de poursuivre la vie spirituelle intégrale : « Malgré les erreurs dans lesquelles quelques-uns de ceux qu'on appelle les perfectionnistes sont tombés, dit-il encore, je n'hésite pas à affirmer que la doctrine de la perfection chrétienne est dans la Bible.... Depuis quelques mois je suis plus convaincu que jamais, et pour diverses raisons, qu'elle est réalisable ici-bas (5). »

La prédication de Finney, les réveils dont il fut l'instrument, son influence personnelle contribuèrent beaucoup à répandre aux États-Unis le besoin de poursuivre sur le vrai terrain biblique une vie spirituelle plus haute. Devenu professeur à l'École de théologie d'Oberlin, dans l'Ohio, il exerça une influence considérable sur de nombreux pasteurs, sur Boardman en particulier, Asa Mahan et sur le professeur de philosophie Uphan. Il fera en 1841 d'Oberlin un véritable centre à la fois d'enseignement et de réalisation de vie sanctifiée. Et c'est ainsi qu'en dehors du Méthodisme - Finney était presbytérien - et par des hommes qui répudiaient les erreurs du perfectionnisme, Dieu préparait un nouveau mouvement de sanctification qui réveilla la chrétienté et les Wesleyens eux-mêmes.

En 1810, à Genève, c'est au contact des Moraves, puis des Méthodistes que le réveil s'alluma et se développa. Les Empaytaz, les Ami Bost, les Malan, les Gonthier, les Pyt insistaient sur l'acceptation immédiate de la réconciliation avec Dieu par le moyen de la foi, sur l'oeuvre expiatoire de Jésus, sur le pardon complètement gratuit, sur la paix dont jouit l'âme justifiée. C'était une tâche de géants pour ces jeunes gens que de lutter contre toutes les oppositions théologiques, ecclésiastiques qui leur étaient faites. Ils sont allés au plus pressé, à la lutte contre un moralisme desséchant. Plus tard d'autres questions se posèrent, en particulier celle de la sainteté, à mesure que tous les éléments de la vérité évangélique qui remplissent les épîtres de Paul redevinrent la préoccupation de l'Église. C'est en plus faible ce qui s'est passé lors de la Réformation. Au point de vue de la sainteté cependant, diverses tendances se faisaient jour.

D'après Haldane, Drumond, la sainteté devait prendre naissance dans la reconnaissance envers Dieu, sans qu'elle soit liée d'une façon intime et morale avec la justification elle-même. C'était comme une sorte d'appendice du salut gratuit. « En appuyant sur la reconnaissance dans le réveil de 1810, dit F. Godet, on faisait appel chez le chrétien à ses bonnes résolutions, à sa force propre. On lui disait bien qu'il ne pourrait rien par lui-même, on lui parlait de la nécessité de la prière et de l'oeuvre du Saint-Esprit. Mais la notion du plein établissement de la sainteté par l'habitation permanente de Jésus-Christ, le Saint de Dieu glorifié, dans l'âme croyante, en vertu de l'opération de l'Esprit, - cette notion-là restait dans l'ombre (6). »

Il y avait aussi parmi les « réveillés » des coeurs légers qui se contentaient d'un état de médiocrité spirituelle, qui pratiquaient le « péchons parce que la grâce abonde » et qui discréditaient le Réveil. D'autres, sur le point spécial de la sanctification avouaient douloureusement leur impuissance, tel Ami Bost : « Depuis lors, et n'ayant jamais pu atteindre pratiquement à cette « renonciation totale et douce » à laquelle je rêvais déjà à vingt ans, avant d'avoir lu ces mots dans Pascal, il a fallu me rendre, de guerre lasse, et comprendre par moi-même ce que c'est qu'un chrétien médiocre, un chrétien encore plus ou moins attaché à ce monde, quoique sincère dans son aspiration à plus de fidélité ; il a fallu convenir qu'on pouvait être sauvé et pleinement accepté de Dieu en disant encore souvent : Je fais le mal que je ne voudrais pas, et je ne fais pas le bien que je voudrais !

Mais je ne puis être joyeux dans cet état ; et je n'envie pas non plus la joie de ceux qui savent s'y trouver heureux. J'appelais le renoncement complet, un renoncement méthodiste, parce que mon âme qui haletait après l'idéal, avait besoin de voir cet idéal réalisé quelque part ; je ne connaissais alors dans la communion protestante que le « Méthodisme » soit d'un Whitefield, soit d'un Wesley qui me parût répondre pleinement à cette soif de mon coeur....

Le réveil n'a pas voulu entrer dans cette voie de renoncement au monde : cette dernière expression y est peu usitée ou presque rejetée ; et la chose l'est encore plus. L'esprit humain oscillant toujours entre la loi et la grâce, ou s'est jeté de préférence du côté de la grâce : c'est plus commode ; mais je n'ai jamais cessé de protester contre ce défaut d'équilibre (7). »

Il nous paraît, avec le recul d'aujourd'hui, qu'Ami Bost est trop sévère pour le Réveil et que ce qu'il reproche à l'ensemble, n'était la tendance que de quelques-uns.
D'autres encore, parmi les promoteurs du mouvement, affirmaient la possibilité d'une vie chrétienne conséquente. Du reste cette soif d'idéal dans la conscience d'Ami Bost elle-même, n'était-elle pas déjà la preuve d'une oeuvre profonde de l'Esprit ?
Telle strophe de cantique de Clottu parle de victoire sur le péché :

Pour nous, misérables pécheurs,
Il comparaît lui-même :
Nous sommes donc plus que vainqueurs
En Celui qui nous aime.

Malan est plus affirmatif encore : « On nous représente, dit-il, comme des marchands d'indulgence, comme s'il suffisait d'amener une âme à Jésus pour qu'elle reste dans la corruption. D'où vient cette erreur ? N'est-ce pas de ce qu'on prend l'orthodoxie pour la foi, de ce qu'on se borne à une spéculation intellectuelle des vérités objet de foi, de ce qu'on n'a pas encore appliqué à l'âme le sang du Fils de Dieu et dit de coeur au Sauveur : c'est pour moi, pour moi-même que tu l'as répandu, par lui j'ai été lavé.

Prétendre être à Christ et conserver ses vieilles idées, ses vieilles habitudes, ses vieux penchants, ses vieilles espérances, en un mot son vieux coeur, c'est donner un démenti à la parole de Dieu, c'est prétendre posséder un secret inconnu à Dieu même : celui d'unir la lumière avec les ténèbres, le péché avec la grâce (8). »

Merle d'Aubigné lui aussi avait fait une expérience profonde de la vie nouvelle. À Kiel, il s'était rencontré chez le professeur de théologie biblique Klenker avec les pasteurs F. Monod de Paris et C. Riell du Jutland. Dans un entretien sur les Écritures le vieux professeur refusa de répondre aux difficultés que soulevaient les jeunes gens en leur disant que la première chose qu'ils avaient à faire était de s'établir fortement dans la grâce de Jésus-Christ et que la lumière qui procède du Sauveur dissiperait toutes leurs obscurités.

« Nous poursuivions alors l'étude de l'épître aux Éphésiens, raconte Merle d'Aubigné, et quand nous fûmes aux deux derniers versets du troisième chapitre : À celui qui peut faire, par la puissance qui agit en nous, infiniment au delà de tout ce que nous demandons ou pensons.... ces paroles tombèrent dans mon âme comme une révélation de Dieu. Il peut faire en moi, me dis-je, au delà de tout ce que je demande, au delà de tout ce que je pense, et même infiniment au delà. Je fus alors rempli d'une pleine confiance en Jésus-Christ pour l'oeuvre qu'il y avait à faire dans mon pauvre coeur. »

Tous se jetèrent à genoux et prièrent ensemble. « Quand je me relevai, continue Merle d'Aubigné, je sentis comme si « les ailes m'avaient été renouvelées comme aux aigles » ; tous mes doutes étaient partis ; mon angoisse était dissipée ; le Seigneur répandait sa paix en moi comme un fleuve. Je pouvais comprendre avec tous les saints, quelle est la largeur, la longueur, la profondeur et la hauteur de l'amour de Christ qui surpasse toute connaissance. Et je pus dire : « Mon âme, entre dans ton repos, car l'Éternel t'a fait du bien. »

De son côté Gaussen, comme Merle d'Aubigné du reste, enseignait dans son cours de dogmatique à la faculté de l'Oratoire qui venait de se fonder, les principes bibliques de la sanctification : « Elle est, disait-il, le renouvellement de l'âme à l'image de Dieu, renouvellement qui suit la justification et qui commence ici-bas par la régénération, pour se poursuivre journellement dans l'exercice de l'obéissance et pour ne se consommer que dans la gloire. »

Avec Adolphe Monod et le rayonnement de ce ministère extraordinaire un pas en avant s'accomplit ; cet homme de Dieu a comme entrevu dans l'avenir l'apparition d'un réveil de sanctification et il en a posé les pierres d'attente, principalement dans les discours intitulés : La sanctification par la vérité, La sanctification par le salut gratuit, La Parole vivante :
« Nous nous sommes trop inquiétés, dit-il, de ce qu'un homme croit, de ce qu'il pense, pas assez de ce qu'il fait, de ce qu'il est....
La sainteté ne peut croître que sur la vérité ; mais (après avoir établi le terrain : la vérité) l'arbre peut ne pas donner son fruit....
Sans contredit l'esprit de renoncement, de charité, d'amour fraternel, n'a pas marché de pair avec la pureté de la doctrine et la ferveur du zèle....
Le trait saillant du réveil de Jérusalem c'est la vie, le trait saillant de notre réveil, c'est la doctrine....

Chacun le sent aujourd'hui, il se prépare comme un second réveil qui s'applique à être plus spirituel que le premier, soit dans ses vues, soit dans son action : dans ses vues, en dépassant la région du dogme pur pour parvenir à la contemplation, disons mieux, à la possession vivante de Jésus-Christ vivant par le Saint-Esprit ; dans son action, en prenant réellement, décidément Jésus-Christ pour exemple et sa parole pour règle, dans toute la conduite de la vie. »

Vinet aussi, tout en combattant les affirmations dangereuses du perfectionnisme, a été un des précurseurs du réveil de sanctification. Dans les « Nouveaux discours » il remet en lumière les saintes exigences de la vie chrétienne, il montre comment la justification implique la sanctification « Il faut à l'Église un nouvel âge héroïque ; et si, comme à d'autres époques, elle n'en trouve pas les éléments tout préparés dans la haine ardente et frénétique des rois et des nations, si cette arme lui manque, il faut qu'elle en trouve une autre ; elle, à qui l'Esprit de Dieu apprend, quand il le faut, à trouver la paix dans la guerre, il faut, à cette heure, qu'elle sache trouver la guerre au sein de la paix.

Mais quelle guerre, sinon celle de l'esprit contre la chair, et de la volonté de l'amour contre l'égoïsme ? Cette guerre seule, cette lutte du chrétien contre lui-même, ce travail de perfection signalera au milieu du monde sa présence et son vrai caractère....
Sommes-nous des témoins ou des accusateurs de l'Évangile ? des exemplaires altérés ou sincères du christianisme. Sentons-nous en nous un instinct d'héroïsme ou de lâcheté ?
Sommes-nous de simples amateurs de la sagesse évangélique, ou sommes-nous des champions et des soldats de Jésus-Christ ?
Regardons-nous la terre comme un champ de bataille, la vie comme une campagne sanglante et glorieuse, Jésus-Christ comme une victime divine que nous avons à venger, oui, à venger sur nous-mêmes ?

S'il en est ainsi nous sommes chrétiens. S'il n'en est pas ainsi, nous ne le sommes pas ; s'il n'en est pas ainsi nous n'avons rien à donner à nos contemporains, rien à transmettre à l'avenir ; mais si nous répondons au texte sacré, nous serons un anneau de la chaîne vivante par laquelle les derniers âges se rejoindront aux premiers, et la consommation des temps à la consommation du Calvaire (9).

Et ailleurs « .... Après avoir gémi durant des années sous le poids d'inclinations que l'on déteste et d'habitudes que l'on déplore, après s'être dit mille fois : je ne fais point ce que je veux ; je fais au contraire ce que je hais, quelle impression éprouve-t-on, mes frères, quand ou se sent peu à peu ou tout à coup transportés dans une sphère toute nouvelle, où, pour parler avec saint Paul : « On fait ce que l'on veut », quelle impression, je vous le demande, si ce n'est celle de la liberté ? Ne sent-on pas qu'on se retrouve soi-même, qu'on a brisé pour jamais ses fers ? Eh bien ! voilà ce que l'Esprit de Dieu nous offre la liberté ! la liberté, glorieuse des enfants de Dieu la liberté par l'obéissance ! la liberté dans l'amour ! »

En 1873 et au commencement de 1874 des vagues de diverse nature agitaient la chrétienté.

Après le concile du Vatican, en 1870, qui proclamait l'infaillibilité du pape, une minorité d'adversaires de l'ultramontanisme avait constitué l'Église vieille catholique qui prit pied principalement en Allemagne et en Suisse, Les gouvernements allemand, bernois, genevois prirent fait et cause pour cette minorité et entreprirent une vive persécution contre les évêques et les prêtres ultramontains qui bénéficièrent ainsi de l'auréole du martyre ; ce fut le Kulturkampf. Mais l'esprit caché qui présidait à cette persécution provenait en réalité d'une véritable hostilité qui se faisait jour contre toute religion et bientôt les protestants évangéliques, aussi bien que les catholiques romains, furent en butte au mauvais vouloir des cercles dirigeants. Un peu partout la Bible était attaquée au nom de la raison. Partout aussi où les éléments non religieux se trouvaient en nombre ils provoquaient des conflits, ils protestaient contre ce qu'ils appelaient la tyrannie des évangéliques. Ils remplissaient la presse de leurs doléances contre l'obscurantisme dogmatique des croyants, les confessions de foi, les liturgies obligatoires. Ils travaillaient à obtenir des législations ecclésiastiques plus ouvertes pour mieux faire pénétrer leurs idées dans l'Église. De leur côté les évangéliques relevaient le gant, défendaient l'Évangile par la voix de professeurs autorisés tels que F. Godet à Neuchâtel, Beek en Allemagne, d'Orelli à Bâle, Ed. de Pressensé en France.

À la même époque aussi des lois nouvelles réglèrent les rapports de l'Église et de l'État. Dans les synodes, pasteurs et laïques polémisaient. Dans le canton de Neuchâtel même, une Église nouvelle sortit du creuset.
Toute cette opposition du parti rationaliste ne servit en fin de compte qu'à déterminer par réaction un réveil de la foi. D'autre part les discussions et les polémiques laissaient dans le coeur de beaucoup de croyants un besoin profond de vie intérieure, de pures réalités spirituelles, de silence et surtout de sainteté qui glorifiât le chef de l'Église.

L'Église anglicane se réveillait ; des pasteurs anglicans tenaient des réunions « revivalistes » et se faisaient qualifier de « Méthodistes », tandis que les Méthodistes eux-mêmes étaient soulevés par un besoin nouveau d'évangélisation.
Moody, qui secouait l'Angleterre par sa prédication, après avoir prêché aux États-Unis avec un succès qui rappelait celui de Whitefield et de Finney, avait passé lui aussi par une expérience de consécration qui doublait sa puissance.

Voici ce qu'il raconte : « Un certain jour à New-York - oh ! comme je m'en souviens ! - je ne puis décrire la chose, et même je n'y fais pas souvent allusion, car ce fut une expérience presque trop sacrée pour en parler (saint Paul eut aussi une expérience dont il ne fit mention qu'au bout de quatorze ans), je puis seulement dire que Dieu lui-même se révéla à moi ; j'eus une telle manifestation de son amour, que je dus lui demander d'arrêter sa main. Après cela je repris mes prédications ; en apparence mes sermons ne furent pas différents ; je ne présentai aucune vérité nouvelle, et pourtant des centaines de personnes furent converties. Pour rien au monde, je ne voudrais revenir au point où j'en étais avant cette expérience bénie.... (10) »

Mais surtout le besoin de réveil intérieur, chez les chrétiens, se manifestait dans des cercles de prières qui demandaient instamment une vie chrétienne conséquente. Un soupir qui allait jusqu'au malaise, en présence de l'impuissance de l'Église et de ses divisions, montait vers Dieu.

Un Rappard écrira plus tard : « Moi aussi je soupirais après la délivrance, après la communion avec Christ et j'ai souffert en prêchant aux autres ce que je ne possédais pas moi-même. » Les croyants gémissaient d'offrir tant de prise dans leur vie aux critiques justifiées des non-croyants. Le pasteur Pank de Berlin traduisait cette souffrance en disant :
« Quand les incrédules voient les croyants dans le même état qu'eux, esclaves du péché comme eux, avec cette seule différence que les croyants sont encore plus malheureux parce que les chaînes frottent sur des remords de conscience, sont-ils attirés à la croix de Jésus ? La bible du monde c'est la conduite des chrétiens ; l'autre Bible le monde ne la lit plus guère. »

Le pasteur méthodiste de Nîmes, M. Matthieu Lelièvre, écrivait dans l'Évangéliste : « Nous souffrons et, si nous n'y prenons garde, nous mourrons d'une sorte d'anémie religieuse. Le monde reproche au christianisme, non pas de ne plus produire des orthodoxes, non pas d'être stérile en fait d'oeuvres extérieures ; il lui reproche d'être pauvre de saints. Le monde, en effet, a beau être « plongé dans le mal », rien ne le subjugue et rien ne lui ferme la bouche comme la sainteté. C'est justement parce qu'il la déclare impossible qu'il s'arrête confondu quand il lui arrive de la rencontrer. C'est avec ses saints bien plus qu'avec ses docteurs que le christianisme a vaincu le paganisme. »

Dans la lettre d'invitation adressée au public religieux par les organisateurs des réunions d'Oxford on pouvait lire ces lignes :
« Les chrétiens constatent avec tristesse l'abîme qui se creuse entre ce qu'ils savent de la vérité scripturaire et ce qu'ils en vivent. L'augmentation de lumière que Dieu leur a accordée leur a dévoilé la faiblesse de leur foi et l'absence des fruits de l'Esprit dans leur vie. lis se sentent pressés par l'Esprit de Dieu de réaliser en fait et en vérité l'Évangile qu'ils connaissent et même qu'ils prêchent. »

« Ce soupir qui s'échappait de plus d'un coeur, dira M. Théophile Rivier, est devenu un cri qui est monté jusqu'à Dieu. Et Dieu a fait attention à notre état, Il nous a regardés dans ses compassions. » « Quand les chambres hautes prient, a-t-on pu dire encore, les cieux se rouvrent », et ce fut le cas en 1874.

Dieu avait préparé, des hommes, des vases de terre, avec leurs infirmités et leurs fissures, sans doute, mais cependant remplis de l'Esprit saint et qui devinrent les propagateurs d'un mouvement qui fut comme un « réveil dans le Réveil ».


1) Bost. « Histoire de l'Église des Frères », t. Il, p. 298.

2) Journal de Mme Rogers, p. 195. 

3) « Sermons choisis » de J. Wesley, t. II, p. 208. 

4) Nouveaux discours de Finney. La Perfection chrétienne I. Genève., E. Beroud 1889, p. 331. 

5) Ibid, p. 332. 

6) Revue de Montauban 1876, p. 342 et sq.

7) Mémoires d'Ami Bost, t. 1, p. 235-236. 

8) Le Conventicule de Rolle, 1821.

9) Discours sur l'Extraordinaire, p. 157-158.

10) D. L. Moody par Mme W. Soltau-Monod, p. 98. H. Robert, Genève.
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