Comme la nature, la Bible est une
inépuisable mine où chaque
génération, chaque époque en
tout cas, est appelée à faire de
nouvelles découvertes ; car notre
esprit est incapable de saisir et notre âme
de réaliser à la fois tous les
éléments de la vérité.
Quelque riche qu'il soit tout mouvement religieux
présente, par conséquent, des lacunes
que l'avenir devra combler. C'est là ce
qu'Adolphe Monod a dit admirablement dans son
célèbre discours :
« La Parole vivante » qui a
fait de lui un prophète.
Tout en exprimant la
plus vive
reconnaissance pour les bienfaits du Réveil
qui a inauguré le dix-neuvième
siècle, il a annoncé qu'un jour
viendrait où l'Église
compléterait son oeuvre en découvrant
en Christ de nouveaux trésors.
« Le temps, disait-il, n'est pas encore
où cette lacune du Réveil doit
être nettement discernée et
décidément
abandonnée. » Vingt-cinq ans
après, en 1874, les faits devaient donner
raison à l'illustre orateur, et faire de lui
un précurseur de ce que l'on a
appelé : le mouvement
d'Oxford.
Sans avoir la
célébrité d'Adolphe Monod,
d'autres chrétiens ont aussi
préparé le printemps spirituel qui
s'est produit à ce moment-là. Pour
s'en convaincre il n'y a
qu'à relire l'ouvrage posthume d'Armand
Delille intitulé « La Source de la
vie » et qui date de 1871. Quels
pressentiments et déjà quelles
révélations et quelles
délivrances ! Ce livre est le cri
d'Archimède : « J'ai
trouvé, j'ai trouvé », dont
l'écho devait, trois ou quatre ans
après, retentir dans le cantique bien connu
de Théodore Monod :
- J'ai trouvé, j'ai trouvé la voie
- Qui conduit au repos du coeur ;
- J'ai trouvé la paix et la joie
- En Jésus, mon Libérateur !
D'autres hommes ont, à leur
manière, contribué à faire
éclore ce printemps spirituel. Par leur
théologie, déjà toute
concentrée en la personne de Christ,
Frédéric Godet à
Neuchâtel, et Beck à Tubingue ont
ouvert des horizons nouveaux et un riche filon plus
ou moins inexploré jusque là dans la
connaissance de la personne de Christ, alors
même qu'au point de vue des méthodes
employées pour la propagation des
vérités retrouvées, l'illustre
professeur allemand devait être un adversaire
redoutable du mouvement d'Oxford.
Et, parmi les chrétiens
anonymes, que d'âmes soupiraient après
une délivrance ! Que de pasteurs, en
particulier, qui, sans savoir bien ce qui leur
manquait, avaient conscience qu'un
élément essentiel de vie et de
puissance leur faisait défaut. On
était triste, déçu à
certains égards, et bien près de
perdre courage. C'est dans le domaine moral, dans
celui de la sanctification que l'on était
déçu. On avait attendu de la
possession du salut une délivrance
décisive quant au péché ;
et voilà que sur ce point la victoire se
changeait trop souvent en défaite. Le plus
grave c'est qu'on concluait que le chapitre
septième de l'Épître aux
Romains devait, la vie durant,
décrire l'état normal de l'enfant de
Dieu. Volontiers on aurait dit comme une brave
femme à son pasteur : « Mais,
Monsieur le pasteur, ne sommes-nous pas
appelés à toujours
pécher ? » ou comme une autre
paroissienne au sien : « N'est-ce
pas, Monsieur, nous conserverons nos défauts
jusqu'au bout ? »
Oui, de guerre lasse on
donnait
au péché un permis
d'établissement sinon le droit de
bourgeoisie, au lieu de l'envisager et de le
traiter toujours comme un heimatlose que l'on
mène à la frontière. À
la force du poignet on travaillait bien à se
sanctifier soi-même, sans s'apercevoir que
l'on s'y prenait très mal. Tel que ce
vigoureux Hébreu d'une célèbre
fresque qui, armé d'un gourdin, attaque
directement l'un des « serpents
brûlants » du désert, au
lieu de regarder avec foi à celui de
Moïse, on essayait de terrasser et
d'étouffer le monstre, le moi surtout, dans
une étreinte qui devenait infailliblement un
cercle vicieux et de désespoir. Que de
luttes vaines nous avons soutenues, grand
Dieu !
- Que de larmes et que de chutes
- Dans la sombre nuit !
On peut se représenter ce que furent
l'espoir et la joie de beaucoup de chrétiens
en apprenant que des frères
annonçaient le secret de grandes
délivrances après l'avoir
expérimenté eux-mêmes. Ce fut
une bonne nouvelle qui se répandit en peu de
temps jusqu'aux extrémités de la
terre. M. Coillard en a donné une preuve
bien intéressante en racontant, dans la
préface de son grand ouvrage sur le
Zambèze, ce qui lui est arrivé
à lui et à son ami Mabille au sud de
l'Afrique.
En sa compagnie il se
rendit
à des réunions de consécration
(ce mot en dit déjà l'origine et le
sujet) « poussés
l'un et l'autre par des besoins
communs ». Il fallait faire à
cheval 140 lieues ! « Nous
n'eûmes pas à le regretter,
ajoute-t-il.... Ce fut plus qu'un banquet
spirituel, c'était surtout pour nous une
révélation. Là nous avions
approché les sommités
ensoleillées du Tabor de la vie
chrétienne qu'on nous avait
représentées comme
inaccessibles ; nous avions eu comme une
vision du Seigneur. Il nous semblait que nous
n'avions jamais encore compris l'A. B. C. du
renoncement, et cette pensée nous
obsédait.... C'était là le
thème de nos entretiens tout en chevauchant
au retour avec notre digne ami (le major Malan,
organisateur de ces réunions). Un jour, nous
traversions la rivière Key. Cédant
spontanément à un besoin
irrésistible de nos coeurs, nous mîmes
pied à terre, et là, à genoux
sous les arbrisseaux que je vois encore, tous les
trois, nous prenant mutuellement à
témoin, nous nous consacrâmes tout
à nouveau à notre Maître, et
nous jurâmes fidélité dans la
vérité.... Moment solennel et
inoubliable ! »
Combien il y a eu alors
de ces
moments-là parmi les chrétiens
réveillés d'un grand nombre de
pays ! Combien de reconversions et de
conversions, combien de ministères
transformés, combien de nouvelles
Pentecôtes individuelles et collectives. Des
oeuvres magnifiques sont nées alors ou peu
après, issues directement ou indirectement
de ce renouveau spirituel pour attester la
réalité et la fécondité
de ce mouvement.
C'est là ce que va nous
raconter l'ouvrage de M. le pasteur H. Besson. Sans
avoir été l'un des témoins
directs de ce réveil, - il était trop
jeune pour cela - il en a eu le bienfait et le
récit par son excellent père, pasteur
à Tavannes, qui, après en avoir
grandement profité pour
lui-même et son ministère, a
travaillé à le propager avec toute
l'ardeur et les dons que le Seigneur lui avait
accordés.
Laissons-lui maintenant
la parole
en le remerciant du travail considérable
auquel il s'est livré pour donner, avec une
grande impartialité, l'histoire d'un
réveil que nous voudrions bien voir se
reproduire, non pas tel quel, car Dieu ne se
répète jamais, mais plus grand
encore, plus général et pur des
erreurs et des fautes qui ont compromis quelque peu
le mouvement d'Oxford, Nos Églises n'en
ont-elles pas un urgent besoin ?
G. T.
P. S. - Lorsque, à la demande de notre frère M. H. Besson, nous avons écrit la préface de son livre, nous étions, certes, bien éloigné de penser que deux événements très graves, la guerre et la mort tragique de l'auteur allaient empêcher de le publier pour la fin de l'année 1911. Son ouvrage devient donc comme un monument funèbre au pied duquel nous déposons l'hommage de notre reconnaissance. Sans lui il est bien probable que jamais nous n'aurions eu l'histoire du mouvement religieux de 1875 qui, en dépit de ses imperfections, n'en a pas moins renouvelé à un haut degré la vie de nos Églises. Remercions donc la famille et les éditeurs de notre frère qui, malgré les circonstances peu favorables que nous traversons, n'ont pas voulu que son travail fût perdu pour nous.
17 Décembre 1914.
G. T.
C'est la piété filiale et la
reconnaissance personnelle qui nous engagent en
premier lieu à essayer de décrire le
réveil de sanctification des années
1874-1875 (1). Notre cher père
célébrait chaque année la date
de telle des réunions de consécration
de 1875 comme un anniversaire spirituel. Tout
enfant déjà, plus tard ensuite, nous
avons été impressionné
nous-mêmes par le témoignage des
représentants de ce mouvement. Rappeler leur
souvenir et les grandes choses que Dieu a faites
par leur moyen c'est une façon de leur dire
merci.
Et puis, en apprenant à
connaître les expériences de nos
devanciers dans leur fidèle poursuite de la
sanctification, ne serons-nous pas ramenés
aux promesses merveilleuses et aux sources
profondes de l'Évangile, stimulés
à vivre la vie de Dieu sur la terre et
orientés parmi les courants divers et
complexes qui traversent notre
époque ?
Nous avons compilé des
publications anciennes, parcouru des liasses de
journaux poussiéreux, lu des notes intimes,
mais surtout nous avons interrogé
quelques-uns des témoins oculaires de ce
mouvement que nous avons le privilège de
posséder encore au milieu de nous. Avec une
bienveillance et un empressement auquel nous ne
pouvons assez rendre hommage, ils ont
rassemblé leurs souvenirs et décrit
leurs impressions. Par leurs récits vivants
et colorés, ils ont fait revivre devant nos
yeux certaines de ces assemblées
extraordinaires. Et en nous permettant de
surprendre dans leur vie la crise d'âme
qu'ils ont traversée alors, ils nous ont
donné la clef de leur vie de
consécration et d'action féconde.
Leur enthousiasme de bon aloi ne les a pas
empêchés cependant de faire sur tel
point de doctrine, sur telle méthode ou sur
telle personnalité les réserves
nécessaires.
Nous ne saurions marquer non
plus
trop de gratitude à tous les collaborateurs
qui nous ont prêté des publications
introuvables en librairie, qui nous ont
favorisé de leurs conseils, qui nous ont
aidé dans nos travaux de traduction et
soutenu de leurs prières.
Enfin et par-dessus tout nous
voulons rendre grâce à Dieu qui a
incliné vers nous les coeurs, qui nous a
éclairé dans nos recherches et
toujours fidèlement exaucé dans nos
perplexités.
Puisse ce récit de
réveil
« réveiller » des
âmes à salut et communiquer à
ses lecteurs quelque chose de ce que les hommes
d'Oxford appelaient « la
bénédiction ».
Court, juin 1914.
H. B.
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