Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

TROISIÈME PARTIE.

LE CULTE DE MARIE EST DÉCRÉTÉ DANS L'ÉGLISE.

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CHAPITRE PREMIER.

Depuis le 8e siècle jusqu'à la fin du 10e.

Cette période fut encore plus favorable à la Vierge que les précédentes ; à mesure que les lumières et la connaissance du pur christianisme se perdaient sous une foule de cérémonies et de superstitions, à mesure que l'on abandonnait l'autorité des Saintes Écritures pour s'égarer dans de honteuses disputes et de vains enseignements, le culte du vrai Dieu pâlissant devant celui des créatures, des saints, des martyrs et des anges, on ne dut pas oublier Marie, dès que l'Église s'écarta du principe de n'adorer et de ne servir que l'Éternel seulement.

Malgré quelques oppositions, depuis le huitième siècle il est certain que l'on vit le culte d'invocation à la Mère du Sauveur ouvertement approuvé, soutenu, non plus par quelques théologiens simplement, mais par la pluralité des docteurs, et par l'Église elle-même représentée par ses conciles. En même temps aussi l'on s'occupa beaucoup à propager certaines croyances qui tendaient à exalter singulièrement la personne de la Vierge, en égalant ses prérogatives à quelques-unes de celles qui n'avaient été jusqu'alors accordées qu'au seul Rédempteur des hommes.
Pour exposer la doctrine de l'Église à ces divers égards, j'indiquerai donc en premier lieu ce que l'on prétendait alors relativement à l'excellence présumée de Marie ; je dirai quelques mots ensuite sur la manière dont on voulait qu'elle eût quitté ce monde ; puis enfin je rapporterai en quels termes les théologiens, pendant ces trois siècles, engageaient les fidèles à la prendre pour médiatrice.

Pour ce qui regarde les perfections de la sainte Vierge, André de Crète est dans ces temps un de ceux « qui voient moins de difficulté à peser les vents, compter les gouttes de pluie, qu'à concevoir le mystère de Marie ; » aussi l'appelait-il : « Divine réconciliation des hommes, domicile du soleil glorieux, trésor de la vie immortelle, ciel plus élevé que les cieux, ciseau séraphique, » et lui prodiguait-il, dans son enthousiasme, mille autres noms d'un aussi mauvais goût et plus incompréhensibles encore (1; il n'est pas nécessaire de dire que, comme Térasius (2) et Théodore de Jérusalem, qui plus tard accordaient à Marie les titres d'intemerata, d'irreprehensibilis, d'immaculata, André de Crète faisait lui-même de la Mère du Sauveur un être parfait et sans tache.
Idiota parle aussi clairement de la prérogative qu'il accordait à la Vierge d'être demeurée exempte de tout mal : « Jamais rien de honteux ne souilla l'âme de Marie, » nous dit-il ; et, comme pour nous donner une idée de la grandeur, de la majesté de cette sainte Femme, il ajoute : « Qu'à son nom tout doit fléchir les genoux ici-bas, aux enfers et dans les cieux (3). »
Enfin l'exagération à l'égard des prérogatives de Marie fut portée si loin, que, au mépris de toutes convenances humaines et religieuses, deux moines d'Allemagne, Paschase Radbert et Bertram ou Ratram de Corbie, se disputèrent publiquement au sujet de sa virginité. Il s'agissait de savoir si cette sainte Femme était restée vierge ou non en mettant au monde le Sauveur des hommes. Les deux partis se permirent autant d'animosité que d'immodestie dans cette scandaleuse discussion (4) ; ce qui est plus essentiel à remarquer, c'est qu'on regardait alors comme hérétiques tous ceux qui niaient cette virginité, laquelle, selon le vénérable Bède lui-même, « avait été perpétuelle avant, pendant et après la naissance du Christ (5). »

D'autres opinions non moins étranges qui s'accréditèrent beaucoup à cette époque, montrent également le mauvais goût du siècle et la disposition profondément superstitieuse des esprits. Je veux parler ici de la naissance et de la présentation au temple, deux circonstances de la vie de Marie, où auraient éclaté de prétendus prodiges en sa faveur.

Deux apocryphes peu estimés jusqu'alors, le Proteuangelion et le livre de la naissance de Marie, rapportent, que « Joachim (plus tard père de la sainte Vierge), privé d'enfants, honteux de se voir sans postérité, s'enfuit au désert ; mais tandis qu'il s'y tenait caché, continue la légende, Anne, son épouse, quoique stérile, demanda à Dieu la grâce d'être mère, et lui promet son premier-né. Miraculeusement exaucée, un ange alors vient tirer Joachim de sa retraite, et bientôt après, pour accomplir son voeu, Anne présente le jeune enfant au souverain Sacrificateur. Dès lors, miraculeusement nourrie dans le lieu très saint, Marie n'en sortit que pour épouser Joseph, sous la condition qu'il lui « permettrait de rester toujours vierge (6). »

Telle est la bizarre histoire qu'André de Crète n'hésitait pas d'adopter et de répandre ; il en faisait le fond de ses prédications (7). Germain, patriarche de Constantinople, n'était pas plus scrupuleux, car, ayant entendu parler de ces récits merveilleux, il en fut si frappé qu'aussitôt il institua, dans les églises de sa dépendance, une fête solennelle en mémoire de cette célèbre présentation, ainsi que des miracles qui la suivirent (8).

Pour parler, en second lieu, des opinions de ces temps, relatives à la manière dont Marie quitta ce monde, on peut dire qu'en Orient on crut en général alors à la résurrection de cette sainte Femme et à son ascension dans les cieux.
André de Crète encore, l'un des premiers, enseigna nettement ces deux dogmes (9) sur l'autorité d'un écrit faussement attribué à Denys l'aréopagiste (10).
Germain de Constantinople, saint Villibald, Damascène, Cosme de Jérusalem, Methodius, George de Nicomédie, Léon le Sage marchèrent sur ses traces, et cette opinion entra dans le domaine de la théologie professée alors. Seulement les docteurs de ces temps n'ayant aucune preuve de ce qu'ils avançaient, ne s'accordaient pas sur la manière dont ces événements avaient eu lieu.

André de Crète prétend que la mort s'approchant de la Vierge, ne fit que lui envoyer une extase, un sommeil semblable à celui dans lequel Adam fut plongé en Héden, lorsque Dieu voulut créer la femme ; en conséquence, il applique à Marie ces paroles prophétiques ; « Tu ne permettras point que ton Saint sente la corruption (11) ; » et, pour expliquer le mystère, il introduit Marie, qui nous apprend « qu'elle n'a point voulu changer l'ordre de la nature, mais que son corps fût transformé et prit la forme de la Divinité en grâce (12). »
Germain, de son côté, soutenait que Marie était morte, mais qu'il était impossible que son corps eût été réduit en poudre, vu « qu'il était juste qu'elle eût vécu et qu'elle fût ressuscitée comme son Fils ; » aussi, selon lui, le corps de la Vierge avait-il été enlevé d'entre les mains des apôtres sans que personne eût pu voir le ravisseur (13).
Saint Willibald, plus précis, assurait que, comme les apôtres rendaient à Marie les derniers devoirs avant qu'elle eût été mise dans le sépulcre, des anges descendirent du ciel et ravirent clandestinement son corps (14).
Mais Damascène soutenait, au contraire, que le corps de Marie avait été mis dans le tombeau, et que Dieu le retira au ciel avant que saint Thomas, qui n'avait point été de l'ensevelissement, pût arriver au sépulcre. L'opinion de Damascène prévalut sans doute, car dans un des horologes reçu de l'église grecque, on lit: « Que les apôtres étant assemblés, la Vierge, entourée d'un choeur d'anges, vint les saluer quelque temps après sa mort; que, pleins d étonnement, ils se rendirent à son tombeau, mais qu'ils le trouvèrent vide, parce que Marie était comme son Fils, ressuscitée le troisième jour (15). »

Au huitième siècle cependant, les théologiens occidentaux étaient contraires à ceux d'Orient dans les opinions qui nous occupent. Malgré ce qu'avait avancé Grégoire de Tours d'après les écrits supposés d'un certain Méliton (16), on ajoutait nullement foi à l'histoire de l'Assomption de Marie.
Béde la rejetait nettement, vu qu'elle se trouvait en opposition avec les récits des Actes (17).

À la fin du huitième siècle, Charlemagne, encore incertain à cet égard, ordonna de plus amples informations (18). Selon les apparences, les renseignements se trouvèrent favorables à la Vierge, puisque dans une assemblée de moines et d'abbés tenue à Aix-la-Chapelle, au neuvième siècle, on regarda l'Assomption de Marie comme prouvée, et l'on en compta la fêle entre les principales de l'année (19).
Alors seulement, au milieu du neuvième siècle, cette nouvelle opinion, contraire à nos Saints Livres, sans autorité que celle de certains apocryphes longtemps méprisés, se trouva décidément en faveur dans l'Église.

Si nous passons enfin à ce qui regarde le culte d'invocation que l'on rendit à Marie pendant la période qui nous occupe, nous verrons que, quoique l'on poussât fort loin alors cet abus, ce n'est pas qu'il n'y eût encore à cet égard d'assez redoutables oppositions. L'on peut dire que les princes qui s'élevèrent avec tant de force contre le culte des images furent en général peu favorables au culte de ceux qu'elles représentaient. En effet, les historiens de ces temps n'hésitent pas à déclarer que Léon l'Isaurien, l'un d'entre eux, n'errait pas seulement sur le culte des images qu'il condamnait, mais encore sur l'intercession de la très chaste Mère de Dieu (20).
Constantin Copronyme marcha sur les traces de Léon son père ; il ne voulait pas qu'on invoquât la Vierge, parce qu'elle ne pouvait rien accorder aux hommes (21) ; il alla même, dit-on, jusqu'à demander au patriarche si l'on ne pouvait pas lui ôter le titre de Mère de Dieu (22).
Léon, fils de Copronyme, il est vrai, feignit d'abord, au commencement de son règne de ne point partager de telles opinions, mais bientôt il marcha sur les traces de son père (23).
Les empereurs Léon l'Arminien, Michel-le-Bègue et Théophile, qui gouvernèrent une partie du monde chrétien pendant le neuvième siècle, étaient loin d'être favorables à Marie ; aussi Baronius, grand défenseur du culte de cette sainte Femme, les appelle-t-il pères des novateurs (24).
Enfin, les docteurs Euthérius et Beatus qui refusaient toute adoration à la créature (25; Agobard, archevêque de Lyon, Claude de Turin auxquels on peut donner le titre de conservateurs des saines doctrines, ne tendaient pas moins à ramener l'Église à des croyances plus pures, et à proscrire les prières adressées à la Mère du Sauveur (26).

Mais que pouvait alors la volonté de quelques princes, de quelques théologiens éclairés pour résister au torrent de la superstition toujours croissante des peuples, et pour changer les opinions de la grande généralité des docteurs les plus influents dans l'Église ? Pour quelques hommes sages qui gémissaient de voir tant d'honneurs rendus à la simple créature, que de gens au contraire fondaient sur elle leur unique espoir !

Il est presque superflu de dire que Germain de Constantinople et André de Crète, que nous avons vus si zélés pour tout ce qui tenait aux prérogatives extraordinaires de Marie, lui adressaient leurs ferventes prières.
On peut mettre au même rang Damascène et Cosme de Jérusalem, qui, dans ses vers, ne demandait pas moins à la Vierge que « d'élever son âme dans les cieux et de la sauver (27). »
Idiota prétendait « que la Vierge intercède pour nous auprès de Dieu, et que personne ne peut venir au Fils, si Marie ne l'aide et ne le secoure (28). »
Haimo, Jonas au neuvième siècle, Giselbert au dixième, faisaient de même dépendre de cette sainte Femme le salut de tous les fidèles ; il n'y a pas jusqu'au vénérable Béde, un des hommes les plus marquants de son siècle, qui ne s'écrie dans ses homélies : « Soyons toujours soumis à Marie, qui n'abandonne pas ceux qui espèrent en elle ; puisque Christ exauce les prières des saints, à plus forte raison écoutera-t-il sa Mère priant pour les pécheurs. Recourons donc de toute notre âme à Marie, afin qu'elle nous procure, par son intercession, la félicité dont elle jouit elle-même avec son Fils, dès à présent et à toujours (29). »
À de telles citations et à une multitude d'autres que nous omettons à dessein, ajoutez encore qu'on vit alors, pour la première fois, des conciles généraux approuver, ordonner le culte d'invocation à la Vierge, et faire une obligation de ce qui, jusqu'à cette époque, avait dépendu de la volonté de chaque chrétien. Les pères du concile de Nicée faisaient profession « d'agir en toute chose dans la crainte de l'Éternel, tout en demandant l'intercession de la très sainte Mère de Dieu, toujours Vierge et Maîtresse (30). »
Ceux du concile de Constantinople s'expliquèrent plus catégoriquement encore, en lançant anathème « et contre ceux qui n'invoqueraient pas Marie avec foi, et contre ceux qui ne la regarderaient pas comme supérieure à toute créature visible et invisible, toujours sainte et vierge, proprement et vraiment Mère de « Dieu (31). »


(1) Andr. Cret. in Nat. persanct. V. M, or. 2e ap. Combef. auct. B. P. t. I ; Id in annunt. S. M.

(2) Terasi. Const. ep. ad Episc. Antioc. et Alexand.

(3) Idiot, contempl. de M. ch. 4 et 5.

(4) Walch. hist. controv. Saec noni de part. B. V.

(5) Beda hom. in fest. Purif. B. V. ; id hom. de Nativ. Dom.

(6) The apocry. New Test. 2me edit. London, 1821, in-8.

(7) Andr. Cret. in Nativ. S. M. or. 2e apud Combef. auct. B. P. t. 1er.

(8) Metapbr. in vit. palrum.
Les récits surprenants qui servaient de base à la nouvelle solennité, se répandirent assez rapidement avec elle. Mais quoiqu'au 12e siècle les orientaux en fussent imbus (Balsanu coment, in-nomocan. t. 7, ch. 1 ), la fête de la Présentation, ainsi que la légende sur laquelle on la basait, ne furent publiquement connues qu'au 14e siècle en Occident ( Laun. hist. coll. Navar. part 1re, p. 78 ).
Les Romains et les Grecs célèbrent encore aujourd'hui la Présentation ; mais Rome, sans prétendre rien décider sur ce qu'il peut y avoir d'extraordinaire dans le fait dont elle solennise la mémoire, professe actuellement, en célébrant la Présentation de Marie au temple, n'avoir d'autre but que d'honorer la vie sans tache de cette sainte Femme, depuis sa première enfance jusqu'à l'époque de son Annonciation. (Dévot, à la sainte Vierge, part. 2e, ch. 50.)

(9) Andr. Cret. in dormit. S. M. orat. Ire.

(10) Dyonys. areopag. de Div. nom. ch. 3. Cet écrit, apocryphe du 6e siècle, le premier qui fasse mention de ces deux dogmes, était, avant André, si peu connu ou si méprisé, que le nouveau mystère qu'enseignait André pouvait passer, au 8e siècle, pour une invention nouvelle (Basnag. hist. I. 21, ch. 7.)

(11) Ps. XVI 10.

(12) Andr. Cret. in dormit, or. 1er, 3e apud Combef. auct.

(13) German. in dormit. S. M. ap. Combef. auct.

(14) Willib. apud sur. 7. Julii.

(15) Horolog. graec. ap. Goar. not. in Euchol.

(16) Melit. de transit. V. M. B. P. t. 7.

(17) Bed. retract, in Act. apost. ch. 8, t. 6.

(18) Capitul. Car. magn. I. 1, ch. 158.

(19) Capit. Aquis. gran. ch, 46, inter cap. reg. Franc, t. 1er.

(20) Theoph. chron. Paul. Diacon. List. L 20, B. M. P. t. 13.

(21) Cedren. hist. comp. p. 378.

(22) Paul. Diac. hist. I. 22.

(23) Theoph. chron. Paul. Diacon. hist. I. 23.

(24) Baron, t. 9, n. 12.

(25) Euther. et Beat, contra Elipand. I. 2, B. M. P. t. 13.

(26) Agob. cont. insuis. vul. opin. B. P. t. 9, Claud. in epist. ad Gal.

(27) Cosm. hymn. in Theog. hym. 6, B. M. P. t. 12, p. 741.

(28) Idiot, prol. contemp. de Maria.

(29) Beda. hom. de S. M.

(30) Concil. Nicae. II, act. 6, an 787, t. 2, concil.

(31) Sept. Constant, an 755, XVe can.
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