Ce n'est qu'au septième siècle que
l'on trouve réellement des traces
évidentes d'invocation à
Marie ; mais si nous voyons alors
quelques théologiens lui adresser leurs
prières, il ne faut pas croire cependant que
ce fut là l'opinion de l'Église
universelle ; en ces temps encore, suivant
leur caractère et les lieux où ils
vivaient, les docteurs avaient librement des
manières de voir bien
différentes.
Isidore de Séville, Julien de Tolède,
n'adoraient que Dieu seul, et lui
adressaient toutes leurs prières ;
quoiqu'ils crussent la Vierge et les saints
capables d'intercéder pour eux, cependant
ils ne leur rendaient qu'un culte d'amour et de
charité
(1).
L'on ne peut douter de l'opinion de l'abbé
Esaïe, qui veut que ce soit à Dieu
seulement que l'on adresse ses requêtes comme
au seul être digne de fixer toutes nos
pensées
(2).
Diverses homélies de saint Éloi,
entre autres celle sur la Purification de la sainte
Vierge, ne présentent aucune trace
d'invocation à Marie
(3).
Thalassius, qui a laissé quatre cents
préceptes sur les devoirs de la
piété, n'en présente aucun qui
ait rapport à la Mère du
Sauveur ; il prescrit des prières, mais
toutes à Dieu seulement
(4).
Enfin, dans le temps où Jérusalem fut
prise par Cosroès, roi des Perses, et
où la terre sainte fut ravagée par
les Sarrasins, le moine de Palestine, Antiochus,
qui nous a laissé plusieurs sermons dans
lesquels il déplore le sort de sa
malheureuse patrie, n'indique qu'un seul
médiateur, Jésus-Christ, et c'est en
Dieu qu'il place toute sa confiance :
« O notre Créateur !
s'écrie-t-il, ô notre salut ! un
cheveu ne tombe « pas de notre tête
sans ta permission ; notre
force vient de toi ;
c'est
en toi que nous vivons et que nous espérons,
etc. ; » mais aucune trace
d'invocation à Marie
(5).
Au milieu de ces idées assez raisonnables,
un grand nombre de théologiens en
professaient d'autres bien différentes.
L'abbé Théofride, mettant la Vierge
avec les saints qu'il invoquait, en faisait une
médiatrice entre Dieu et les hommes
(6).
Saint Colomban et bien d'autres disaient nettement
qu'il fallait prier Dieu par l'intervention et les
mérites de la Vierge et des saints
(7).
Je pourrais multiplier les citations sans peine,
mais j'en ai dit assez, ce me semble, pour prouver
qu'alors effectivement les docteurs et les
évêques étaient partagés
d'avis sur les honneurs et le pouvoir qu'on devait
accorder à Marie. Ce que l'on peut affirmer,
en outre, et ce qui n'est pas sans importance,
c'est qu'aucune loi, aucun concile, soit
général, soit particulier, n'avait
auparavant établi et n'établit encore
dans ce siècle le culte d'invocation
adressé aux créatures.
Cependant, de jour en jour les peuples accordaient
plus de confiance à la sainte Vierge ;
de jour en jour ils lui croyaient un plus grand
pouvoir, une plus grande influence sur leurs
destinées.
Les moines, les prêtres en
général, par le récit de
prétendus prodiges, travaillaient à
fortifier ces opinions dans le vulgaire
superstitieux et crédule. Voulait-on engager
les chrétiens à invoquer Marie dans
leurs maux ici-bas, on la montrait
intercédant auprès de Dieu pour
l'abbesse Salaberga, une de ses plus ferventes
dévotes, et rendant cette femme à la
vie contre tout espoir ; voulait-on engager
les fidèles à la prendre pour
protectrice dans leurs projets ou leurs dangers, on
la faisait voir protégeant Constantinople
qui s'était mise sous sa sauvegarde, et
repoussant par un miracle, loin des murs de cette
ville, Zarbazana, général de
Cosroès, qui allait s'en emparer.
Ensuite, comme on accorda bientôt aux images
de cette bienheureuse Femme une partie de la
puissance qu'on lui déférait, on
inventa pour elles aussi de nouvelles
délivrances miraculeuses. Dès lors
les temples ne furent plus les seuls lieux
où l'on rencontra ces images
tutélaires, mais partout où l'on
pouvait courir quelque danger, là
commençait à paraître une
sainte Vierge avec l'enfant Jésus dans ses
bras ; les particuliers eux-mêmes
aimèrent à placer les simulacres de
Marie comme dieux pénates dans leurs
maisons, comme amulettes sur leur personne
(8) ;
et
dans le siècle suivant
enfin, les pères du second concile de
Nicée sanctionnèrent toutes ces
pratiques, en ordonnant « d'honorer les images de Marie,
de leur offrir de l'encens, des parfums et des
cierges, et de les placer non seulement dans les
édifices sacrés, mais encore sur les
grandes routes, dans les maisons et jusque sur
soi-même
(9). »
Les papes aussi firent éclater leur
zèle pour la nouvelle divinité. L'on
vit Boniface IV, en 610, demander et obtenir de
Phocas le Panthéon des païens, temple
magnifique bâti par Agrippa quelques
années avant Jésus-Christ, et
dédié à tous les dieux du
paganisme. Il le purifia, en fit une église
chrétienne, mais au lieu de la consacrer au
seul Dieu spirituel et d'en faire la
dédicace en son nom, il la consacra et la
dédia à la sainte Vierge, protectrice
des saints, sous le nom de Notre Dame des
Martyrs.
Cette consécration eut beaucoup
d'éclat en Occident, où l'on
établit une fête publique pour en
éterniser la mémoire
(10). De
plus,
jusqu'alors, on avait eu pour principe dans
l'Église de ne fêter publiquement que
la naissance du Sauveur. Serge 1er crut sans doute
que ce qu'on avait fait pour le Fils, on pouvait
bien aussi le faire pour la Mère ; en
conséquence, il ordonna de
célébrer le jour de la naissance de
Marie par des prières et
par des processions solennelles. Cette nouvelle
fête fut insérée dans le rituel
romain dès le huitième siècle
sous le nom de Nativité de la sainte Vierge
(11). Les
Grecs
et les Orientaux la reçurent tard, mais ils
réparèrent largement leur
négligence par la solennité du culte
dont ils l'accompagnèrent.
Au milieu du douzième siècle,
l'empereur Manuel Comnène la mit au rang des
principales fêtes de l'Église
(12).
On
prétend même que dans toute
l'Abyssinie la fête nommée Semence de
Jacob, qui dure trente-trois jours, est
principalement consacrée à la
Nativité de la sainte Vierge
(13).
Mais je me hâte d'arriver aux temps où
le culte de Marie, généralement
préconisé, devint effectivement dans
l'Église une des parties les plus
importantes de la dévotion des
fidèles.
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