Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III.

Septième siècle.

Ce n'est qu'au septième siècle que l'on trouve réellement des traces évidentes d'invocation à Marie ; mais si nous voyons alors quelques théologiens lui adresser leurs prières, il ne faut pas croire cependant que ce fut là l'opinion de l'Église universelle ; en ces temps encore, suivant leur caractère et les lieux où ils vivaient, les docteurs avaient librement des manières de voir bien différentes.

Isidore de Séville, Julien de Tolède, n'adoraient que Dieu seul, et lui adressaient toutes leurs prières ; quoiqu'ils crussent la Vierge et les saints capables d'intercéder pour eux, cependant ils ne leur rendaient qu'un culte d'amour et de charité (1).
L'on ne peut douter de l'opinion de l'abbé Esaïe, qui veut que ce soit à Dieu seulement que l'on adresse ses requêtes comme au seul être digne de fixer toutes nos pensées (2).
Diverses homélies de saint Éloi, entre autres celle sur la Purification de la sainte Vierge, ne présentent aucune trace d'invocation à Marie (3).
Thalassius, qui a laissé quatre cents préceptes sur les devoirs de la piété, n'en présente aucun qui ait rapport à la Mère du Sauveur ; il prescrit des prières, mais toutes à Dieu seulement (4).
Enfin, dans le temps où Jérusalem fut prise par Cosroès, roi des Perses, et où la terre sainte fut ravagée par les Sarrasins, le moine de Palestine, Antiochus, qui nous a laissé plusieurs sermons dans lesquels il déplore le sort de sa malheureuse patrie, n'indique qu'un seul médiateur, Jésus-Christ, et c'est en Dieu qu'il place toute sa confiance : « O notre Créateur ! s'écrie-t-il, ô notre salut ! un cheveu ne tombe « pas de notre tête sans ta permission ; notre force vient de toi ; c'est en toi que nous vivons et que nous espérons, etc. ; » mais aucune trace d'invocation à Marie (5).

Au milieu de ces idées assez raisonnables, un grand nombre de théologiens en professaient d'autres bien différentes.
L'abbé Théofride, mettant la Vierge avec les saints qu'il invoquait, en faisait une médiatrice entre Dieu et les hommes (6).
Saint Colomban et bien d'autres disaient nettement qu'il fallait prier Dieu par l'intervention et les mérites de la Vierge et des saints (7).
Je pourrais multiplier les citations sans peine, mais j'en ai dit assez, ce me semble, pour prouver qu'alors effectivement les docteurs et les évêques étaient partagés d'avis sur les honneurs et le pouvoir qu'on devait accorder à Marie. Ce que l'on peut affirmer, en outre, et ce qui n'est pas sans importance, c'est qu'aucune loi, aucun concile, soit général, soit particulier, n'avait auparavant établi et n'établit encore dans ce siècle le culte d'invocation adressé aux créatures.

Cependant, de jour en jour les peuples accordaient plus de confiance à la sainte Vierge ; de jour en jour ils lui croyaient un plus grand pouvoir, une plus grande influence sur leurs destinées.

Les moines, les prêtres en général, par le récit de prétendus prodiges, travaillaient à fortifier ces opinions dans le vulgaire superstitieux et crédule. Voulait-on engager les chrétiens à invoquer Marie dans leurs maux ici-bas, on la montrait intercédant auprès de Dieu pour l'abbesse Salaberga, une de ses plus ferventes dévotes, et rendant cette femme à la vie contre tout espoir ; voulait-on engager les fidèles à la prendre pour protectrice dans leurs projets ou leurs dangers, on la faisait voir protégeant Constantinople qui s'était mise sous sa sauvegarde, et repoussant par un miracle, loin des murs de cette ville, Zarbazana, général de Cosroès, qui allait s'en emparer.

Ensuite, comme on accorda bientôt aux images de cette bienheureuse Femme une partie de la puissance qu'on lui déférait, on inventa pour elles aussi de nouvelles délivrances miraculeuses. Dès lors les temples ne furent plus les seuls lieux où l'on rencontra ces images tutélaires, mais partout où l'on pouvait courir quelque danger, là commençait à paraître une sainte Vierge avec l'enfant Jésus dans ses bras ; les particuliers eux-mêmes aimèrent à placer les simulacres de Marie comme dieux pénates dans leurs maisons, comme amulettes sur leur personne (8; et dans le siècle suivant enfin, les pères du second concile de Nicée sanctionnèrent toutes ces pratiques, en ordonnant « d'honorer les images de Marie, de leur offrir de l'encens, des parfums et des cierges, et de les placer non seulement dans les édifices sacrés, mais encore sur les grandes routes, dans les maisons et jusque sur soi-même (9). »

Les papes aussi firent éclater leur zèle pour la nouvelle divinité. L'on vit Boniface IV, en 610, demander et obtenir de Phocas le Panthéon des païens, temple magnifique bâti par Agrippa quelques années avant Jésus-Christ, et dédié à tous les dieux du paganisme. Il le purifia, en fit une église chrétienne, mais au lieu de la consacrer au seul Dieu spirituel et d'en faire la dédicace en son nom, il la consacra et la dédia à la sainte Vierge, protectrice des saints, sous le nom de Notre Dame des Martyrs.
Cette consécration eut beaucoup d'éclat en Occident, où l'on établit une fête publique pour en éterniser la mémoire (10). De plus, jusqu'alors, on avait eu pour principe dans l'Église de ne fêter publiquement que la naissance du Sauveur. Serge 1er crut sans doute que ce qu'on avait fait pour le Fils, on pouvait bien aussi le faire pour la Mère ; en conséquence, il ordonna de célébrer le jour de la naissance de Marie par des prières et par des processions solennelles. Cette nouvelle fête fut insérée dans le rituel romain dès le huitième siècle sous le nom de Nativité de la sainte Vierge (11). Les Grecs et les Orientaux la reçurent tard, mais ils réparèrent largement leur négligence par la solennité du culte dont ils l'accompagnèrent.
Au milieu du douzième siècle, l'empereur Manuel Comnène la mit au rang des principales fêtes de l'Église (12). On prétend même que dans toute l'Abyssinie la fête nommée Semence de Jacob, qui dure trente-trois jours, est principalement consacrée à la Nativité de la sainte Vierge (13).
Mais je me hâte d'arriver aux temps où le culte de Marie, généralement préconisé, devint effectivement dans l'Église une des parties les plus importantes de la dévotion des fidèles.


(1) Isidor. de offic. I. 1, ch. 34 ; Julian. prognost. ch. 2, 26, 27, 28.

(2) Abb. Esai. orat. 2, 5 B. M. P. t. 12.

(3) Elig. boni. i,2B. M. P. t. 12.

(4) Thalass. Hecatontad 4 B. m. P. t. 12.

(5) Antioch. hom. 106 B. m. P. ; Exomolog. hom. 27, 19, 100.

(6) Theofrid. abb. serm. de vener. sanct. B. P. t. 2.

(7) St.-Columb. instruct. 1re B. m. P. t. 12.

(8) Paul. diac. hist. 1. 8, 21 B. m. t. 13 ; Theoph. chron. p. 352.

(9) Nicae, conc. II, act. 7.

(10) Anast. vit. Bonif. IV concil. t. 5.

(11) Mabil.de lit. gall. I. 2. p. 104 ; Thomas, sest. p. 409, 410, 411; Front, kal. 129.

(12) Balsam. Const. man. imper.

(13) Thiers de sest. p. 148.

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