Le culte de Marie, en ces temps, grandissait de jour en jour. En 440,
déjà Sixte III avait achevé la basilique élevée à Rome par Libère, et
l'avait consacrée à la Vierge sous le nom de Sainte-Marie (1) ;
déjà Pulchérie, épouse de Marcien, avait fait élever à Constantinople,
en l'honneur de la Mère de Dieu, la fameuse Hodogétrie, où fut
solennellement déposée l'image de la Vierge, peinte, disait-on, par
saint Luc (2).
Au sixième siècle, les empereurs Justinien, Justin le jeune, Maurice
imitèrent un tel zèle et firent élever à la Mère du Sauveur des
temples magnifiques et nombreux. À Constantinople, à Antioche, à
Théodosiopolis, à Jérusalem, à Carthage, à Gades,
etc., on voyait s'élever ces monuments, qui, d'après le langage d'un
prince du siècle, devaient servir de boulevards inexpugnables aux
villes qui les possédaient (3).
En même temps que de toutes parts on élevait des temples à la Vierge,
en même temps qu'on plaçait, dans ces édifices, des autels décorés de
portraits et de reliques de cette sainte Femme, des cierges, de
l'encens brûlaient devant ces restes vénérés par les peuples, et l'on
répandait adroitement le bruit de miracles opérés par celle qui était
l'objet de tant de distinctions.
Tantôt la sainte Vierge elle-même paraissait dans le temple
d'Anastasie, à Constantinople, pour y faire des prodiges ; tantôt
elle convertissait une Marie impudique au moyen d'un seul regard que
cette femme avait jeté sur une de ses images ; tantôt, à Rome,
elle apaisait une peste furieuse, satisfaite sans doute d'une
procession dans laquelle l'évêque de cette ville portait une de ses
statues dans ses bras.
Prétendrais-je raconter toutes les merveilles opérées alors par la
Mère du Sauveur, quand les contemporains avouent eux-mêmes que
vainement, dans le siècle, plusieurs l'avaient essayé (4) !
L'on peut comprendre l'admiration des ignorants et du peuple pour
celle qui leur était représentée comme exerçant une telle influence
sur les destinées humaines ; on peut comprendre, dans ces temps
de ténèbres et de malheurs pour la chrétienté victime de hordes
sauvages, tout ce que le simple fidèle devait accorder d'honneurs et
de confiance à celle qui lui était représentée comme possédant tant de
pouvoirs.
Néanmoins, si l'on parcourt les ouvrages qui contiennent des règles de
dévotion et de piété, on voit que leurs auteurs, dans les oraisons
qu'ils offrirent alors aux chrétiens pour modèle, ne les engageaient
point encore à invoquer Marie et ne l'invoquaient point eux-mêmes. Le
diacre Ferrand, par exemple, dans son abrégé des canons des conciles,
ne manque point d'insérer celui qui défendait d'adresser ses prières à
d'autres qu'à Dieu le Père (5) ;
Fulgence, l'oracle de son temps, sans avoir égard à la timidité de
Proba, femme dévote qui lui demandait des conseils sur la prière, et à
laquelle la médiation de Marie eût plu sans doute, conseillait à cette
femme pieuse de s'adresser uniquement à Dieu (6) ;
et saint Jean Climaque, dans son échelle de trente degrés pour monter
au paradis, c'est-à-dire dans son explication des moyens et devoirs
pour obtenir le salut, ne parle nullement de la Vierge comme pouvant
le procurer (7). Les épîtres de ce
père, ainsi que les ouvrages de saint Benoît et de Laurent, évêque
de Novare, présentent la même doctrine (8).
Toutefois, Chrysippe, prêtre de Jérusalem, Esychius,
qu'on dit avoir été évêque de la même ville, dans les éloges qu'ils
prodiguent à Marie ; Grégoire-le-Grand et d'autres, dans leurs
écrits, ne montrèrent pas la même sagesse (9).
Ils croyaient évidemment que Marie avait le pouvoir d'intercéder au
Ciel en faveur des hommes, sans prétendre cependant encore que ceux-ci
dussent l'adorer ou l'invoquer. Ainsi Grégoire, quoique persuadé de
l'efficace des prières de Marie et des saints auprès de la Divinité,
déclare cependant que l'homme doit se prosterner devant le Créateur
seul et non point devant la créature (10) ; et
Justinien lui-même, après la conquête de l'Afrique, au milieu des
actions de grâce solennelles qu'il rend à Dieu, ne fait que
reconnaître qu'il a été aidé par les prières de la Vierge. Ses
expressions font voir qu'il ne prie que Dieu, ne
rend grâce qu'à Dieu, seulement d'après une opinion, une coutume qui
s'introduisait dans l'Église alors ; il reconnaît une influence
aux prières de Marie auprès de la Divinité, et prie Dieu par ces
prières (11). C'était, certes, un
pas pour arriver à l'invocation directe ; cependant il y a loin
encore de l'intercession possible de la Vierge en faveur des fidèles,
à l'acte même de s'adresser positivement à elle pour obtenir sa
médiation ou quelque autre grâce.
En conséquence de ces opinions de l'Église, les princes, comme pour se
rendre Marie favorable, lui prodiguaient leurs hommages. Nous les
avons vus, en ce siècle, lui élever partout des temples, mais non
contents de cette marque de leur vénération, ils en donnèrent encore
une autre à cette sainte Femme par les fêtes qu'ils commencèrent à
instituer en son honneur.
L'an 542, une grande mortalité dépeuplant Constantinople, Justinien,
sans doute pour la faire cesser, fit célébrer dans tout son empire, en
l'honneur de Marie, la fête de la Purification, et la nomma Hypante ou
Hypapante
(
ou
)
par allusion à la rencontre de Siméon et d'Anne la Prophétesse au
temple de Jérusalem (12). Rome
s'attribue cette institution et la rapporte trente
ans plus tôt, au temps où Gélase détruisit en Italie les restes des
honteuses Lupercales (13). Nous
laisserons les Grecs et les Romains se disputer cet honneur ;
quoiqu'il en soit, il paraît qu'on ne dédaigna pas, dans cette
solennité, d'emprunter quelques cérémonies aux idolâtres. Les fidèles,
en ce jour, faisaient des processions répétées autour de leurs temples
ou dans divers quartiers, portant en main des cierges allumés et
chantant des hymnes en l'honneur de Marie, comme cela s'était pratiqué
jusqu'alors pour le dieu Pan (14).
Enfin, environ trente années après Justinien, Maurice, imitant son
exemple, fit célébrer une seconde fête en mémoire de Marie. Sous le
pontificat de Grégoire le Grand, il ordonna, dit-on, que la solennité,
plus tard appelée dans l'Église Assomption de la sainte Vierge, fût
célébrée le 15 août dans tout son empire sous le nom de Sommeil (15).
Tout ce que nous dirons ici de cette fête célèbre, qui prit divers
noms, tels que ceux de depositio, pausatio, transitus, assumptio,
suivant que dans les divers âges ou pays on avait
l'intention de fêter en ce jour la mort, la glorification ou
l'enlèvement au ciel de la bienheureuse Marie, c'est que malgré les
soins de Maurice et de ses successeurs pour l'introduire généralement
dans leurs états, elle ne s'y établit qu'avec grande difficulté ;
car les Grecs ne la célébrèrent généralement qu'au douzième siècle,
après un édit de l'empereur Manuel Comnène (16), et
les Romains ne le firent qu'au seizième, lorsque Louis XIII, par un
vœu solennel, mit son royaume sous la protection de la sainte Vierge.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |