Telle était la disposition des esprits, quand, au cinquième siècle,
les opinions de Nestorius, sur l'incarnation du Fils de Dieu, vinrent
donner une vie toute nouvelle à la vénération exagérée que les femmes
et le peuple en général n'étaient déjà que trop portés à accorder à
Marie.
Depuis les conciles de Nicée et de Constantinople, tous avaient appris
à confesser que Jésus était Dieu, ne voulant point qu'on séparât ce
qu'il y avait d'humain et de divin en Christ, à cause de ses
souffrances (1).
Nestorius, évêque de Constantinople, au contraire, séparait la nature
divine de la nature humaine du Sauveur, disant ne pouvoir adorer un
Dieu né, mort, enseveli (2). Cet
évêque, prêchant à Constantinople, soutint, en conséquence de ses
opinions, que l'on ne devait point donner à Marie le titre de Mère de
Dieu, vu qu'elle n'avait conçu et enfanté que la
nature humaine de Jésus (3).
Les esprits une fois échauffés sur cette matière, Proclus, évêque de
Cyzique, fit à Constantinople un sermon où il affecta d'exalter la
Vierge comme ayant mis au monde un Dieu (4).
Nestorius, selon le droit qu'il avait comme évêque de la ville, monta
de suite en chaire pour la réfuter. De là, des disputes, des troubles
dans lesquels Cyrille d'Alexandrie prit ouvertement le parti de
Proclus, fit condamner Nestorius à Rome, et finalement provoqua le
concile d'Éphèse où Nestorius devait, en, définitive, être absous ou
séparé de l'Église.
Le concile s'assembla, en 431, dans la cathédrale nommée Marianne (5) ;
Nestorius y fut déposé, le titre de Mère de Dieu
()
fut assuré à la Vierge, et, au milieu des acclamations et de
la joie du peuple, on prononça l'anathème contre ceux qui refuseraient
de le lui accorder (6). C'est ainsi
qu'une dispute, roulant sur la nature de Jésus-Christ et n'intéressant
que d'une manière indirecte l'honneur de Marie, vint donner un nouveau
relief à cette sainte Femme, et devint, en quelque sorte, l'occasion
du culte qui lui fut ensuite rendu, comme nous allons le voir.
Le lendemain du jour où la sentence fut prononcée contre Nestorius,
Cyrille d'Alexandrie, auteur de la condamnation de son rival, donna
carrière à son éloquence et combla d'éloges pompeux la bienheureuse
Marie (7).
« Je vous salue Marie, mère de Dieu, lui disait-il, nous vous
bénissons, trésor vénérable de tout l'univers, lampe qui ne s'éteint
point, couronne de la virginité, sceptre de la bonne doctrine, temple
durable, demeure de celui que nulle demeure ne peut contenir ;
Mère et Vierge, nous vous bénissons, vous qui, dans votre sein, avez
compris l'immense et l'incompréhensible ; vous par qui la
Trinité sainte est glorifiée, adorée, par qui la précieuse croix du
Sauveur est exaltée, révérée ; par qui le ciel triomphe, les
anges se réjouissent, les démons sont chassés, le tentateur est
vaincu, la nature fragile élevée jusqu'au ciel ; vous par qui
toutes les églises du monde ont été fondées et toutes les nations
amenées à la pénitence.
Que dirai-je de plus ? Vous par qui la lumière du monde, le Fils
unique de Dieu éclaire ceux qui étaient dans les ténèbres, assis dans
l'ombre de la mort, par qui les prophètes ont prédit
l'avenir, les apôtres annoncé le salut aux nations ; vous par qui
les morts sont ressuscités ; vous par qui les rois
règnent !... Quel homme peut louer dignement la très louable
Vierge Marie ? »
De tels éloges étaient nouveaux, cependant ces traits d'éloquence
répétés, copiés, amplifiés par les moines et par les prêtres au milieu
d'un public disposé à les goûter, durent facilement accroître la
vénération des peuples pour Marie ; probablement alors autorisés
par de telles prédications, les particuliers se firent assez
généralement des idées extraordinaires sur l'excellence de cette
sainte Femme.
Ils s'habituèrent à voir, dans ses prérogatives, ses perfections, sa
nature, quelque chose de plus qu'humain. C'était sans doute un
acheminement au culte qu'on lui rendit ensuite, mais il restait encore
beaucoup à faire avant d'y arriver ; car il est important de le
dire, Cyrille et ses adhérents, malgré leurs déclamations oratoires,
en chaire ou dans leurs écrits, n'établirent jamais le culte de celle
qu'ils semblaient néanmoins ne pouvoir assez exalter.
Cyrille, on le sait, fut toujours constant à rejeter tout hommage
religieux rendu à la créature : « Dieu seul en est
digne, » disait-il (8). Proclus,
après lui le plus chaud partisan de Marie, dans les sermons où il lui
prodigue le plus d'épithètes, ne dit jamais un mot,
ne fait jamais une allusion au moindre culte à lui rendre (9).
Telle était alors l'opinion et la conduite des docteurs à l'égard de
la Vierge, et quoique certaines personnes aient cru voir l'ordre
d'invoquer la Mère du Sauveur dans un acte de Pierre Foulon, évêque
d'Antioche, qui recommandait aux églises de son ressort d'insérer
le nom de Mère de Dieu dans chaque prière (10) ;
quoique l'on prétende faussement que le pape
Célestin profila de l'occasion que lui donnait la condamnation de
Nestorius pour faire insérer cette formule dans le service
public : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous (11),
on
peut assurer avec certitude qu'au cinquième siècle rien encore de
pareil ne se fit dans l'Église en faveur de celle qui néanmoins
s'élevait toujours de plus en plus dans l'opinion.
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