Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II.

Depuis la fin des temps apostoliques jusqu'au Concile d'Éphèse, 431.

Si nous jetons un coup d'oeil rapide sur l'opinion des chrétiens à l'égard de la Vierge, depuis le milieu du second siècle jusqu'au commencement du cinquième, rien encore pendant cette période qui ne s'accorde avec la manière dont Jésus-Christ, les apôtres et leurs disciples immédiats considéraient cette sainte Femme. Bien loin d'en parler alors comme étant l'objet de prérogatives extraordinaires, l'ayant douée sur la terre d'une perfection idéale, et lui donnant aux cieux un rôle dans l'oeuvre du salut, les docteurs la plaçaient toujours au rang des autres fidèles.

S'agissait-il de s'énoncer simplement sur les êtres impeccables ; avec saint Ambroise, ils enseignaient que Christ seul à juste titre pouvait être considéré comme tel (1). Devaient-ils donner plus particulièrement leur opinion sur Marie en interprétant certains passages ; les uns avec Origène voulaient qu'elle eût été scandalisée, ébranlée dans sa foi par la mort du Sauveur (2; les autres avec Tertullien, comparant son zèle à celui de Marthe et Marie sa soeur qui suivaient toujours Jésus, la prétendaient inférieure à ces dernières en dévouement et en foi (3) ; d'autres enfin, avec Chrysostôme, expliquant sa conduite aux noces de Cana, s'accordaient à y voir un mouvement d'amour-propre insupportable qui lui mérita la réprimande sévère du Seigneur (4).
Infidélité, défiance, orgueil, tels sont les péchés que les pères de ces temps n'hésitèrent point à imputer directement à Marie. Aussi l'Église, dans les supplications qu'elle adressait au ciel en faveur des morts, faisait-elle prier pour la Mère de Jésus, ce qui aurait été absurde, on le comprend, si Marie eût alors passé pour impeccable (5).

En même temps qu'on regardait Marie comme pécheresse, on peut affirmer qu'on ne lui adressait aucune prière. Comment en effet presque tous les théologiens d'alors, qui croyaient que les âmes des saints n'entreraient dans le ciel qu'au jour de la résurrection, ne faisant aucune exception pour Marie, auraient-ils pu concevoir l'idée de la prendre pour médiatrice (6) ?
Pourquoi ceux qui, avec Origène, ignoraient si les âmes en état de grâce avaient connaissance des actions humaines ici-bas, pourquoi de tels docteurs, qui, ne distinguant point Marie, doutaient par conséquent qu'elle pût entendre leurs prières, les lui auraient-ils adressées (7) ?
Au reste, si l'Église d'alors eût attribué à la sainte Vierge quelque pouvoir d'intercession auprès de son Fils ou de l'Être Suprême, elle aurait certainement ordonné, conseillé qu'on la priât, elle l'aurait priée elle-même ; or, quoique l'on parcoure les ouvrages de Clément d'Alexandrie dans les endroits où il explique les devoirs du véritable chrétien (8), quoique Tertullien ait pris soin d'apprendre aux hommes, aux filles, aux soldats, à tous, ce qu'ils avaient à faire pour le salut, quoique l'on ait les cathéchèses de Cyrille de Jérusalem et bien d'autres écrits que les évêques donnaient alors pour l'instruction des fidèles, on ne trouve pas, dans aucun de ces anciens ouvrages jusqu'au concile d'Ephèse, le plus petit indice de recommandation à quelque pratique, quelque culte, ou quelque dévotion en l'honneur de la sainte Vierge ; dans les liturgies, les histoires, les théologiens, les prédicateurs de ces temps, aucune trace encore de prières, cérémonies (9), recours à la Mère du Sauveur, rien qui puisse autoriser quelque chose de semblable.
Mais si dans la chrétienté l'on ne remarque, pendant toute l'époque dont je viens de parler, aucun vestige d'un culte quelconque rendu à Marie, il est évident néanmoins que, sur la fin de cette période, deux causes facilitèrent la voie qui put y conduire ensuite.
Et d'abord, la décision des conciles de Nicée (10) et de Constantinople (11) qui, sans faire mention spécialement de Marie, déclarèrent la nature du Fils consubstantielle avec celle du Père, représentant ainsi la Vierge comme ayant porté dans son sein une substance semblable à celle du Très-Haut, durent sans doute augmenter la vénération que déjà les peuples pouvaient avoir pour elle ; d'un autre côté, si l'on jette un coup d'oeil sur le changement qui s'opéra dans les opinions des docteurs et des peuples relativement aux êtres dignes de quelque culte ou quelque hommage religieux ; on comprendra que les louanges, les honneurs exagérés, les traces même d'invocations adressées aux martyrs et aux saints dès le 5e siècle, durent habituer les esprits à croire adorables d'autres êtres que Dieu lui-même, et à concevoir au ciel d'autre médiation que celle de Jésus-Christ.


(1) Ambros. in ps. CXVIII, §6, v. 3; Augustin, de Gènes, ad Litt., ch. 18 et 20.

(2) Origin. in Luc. Hom. 17 ; Basil, epist. 317 ; Cyrill. Alex, in Joh., 1. 12.

(3) Tertul. de carne Christ., chap. 7.

(4) Iren., 1. 3, ch. 18 ; Chryso. in Joh. hom., 20, t. 2 ; Epiphan. Hoer., 42, 79.

(5) Jacob., lit. B. P., p. 171, Marc, lit., p. 34 ; Cyrill. Hieroso., lit. B. P., t. 6, p. 95. Ces liturgies prouvent beaucoup, parce que ne datant, selon toute probabilité, que du 5e ou 6e siècle, malgré leur antiquité supposée, elles nous assurent que l'opinion de l'Église, pour ce qui regarde la peccabilité de Marie, fut bien telle que je la prétends jusqu'à cette époque.

(6) Iren. Cont. haer., 1. 5, ch. 25 ; Just. martyr., dial. cum Tripho. ; Tert. de an., ch. 55, orig. in Levit. 7 ; Lactan. inst., 1. 7, ch. 21 ; Victorin. in Apocaly. B. P., t. I. etc., etc. 
Justin martyr ne regardait que comme quelques particuliers ceux qui, de son temps, ne partageaient pas cette opinion. (Justin martyr, Quaest., 75.) Cependant, elle ne se conserva dominante dans l'Église que jusqu'au milieu du 4e siècle.

(7) Orig. in hom., I. 2 ; Cypris. epist. 56, 57 ; Athanas., author Quaest., t. 2, quaest. 33.

(8) Clem. Alex, paedag., I. 3, I. 2, ch. 4-8 ; Const. apost., I ; 2, ch. 59, 1. 7 ; ch. 35, 36, 37, 38 ; Strom., I.2, I. 7.

(9) Il faut excepter de mon assertion une secte de femmes arabes qui s'éleva sur la fin du 4e siècle ; mais la manière dont elle fut considérée et combattue dans l'Église fournit une nouvelle preuve à ma thèse.
Certain jour de l'année, les nouvelles adoratrices couvraient de draperies blanches un char sur lequel étaient placés des gâteaux consacrés à Marie. Elles possédaient, de plus, une image de la sainte Vierge, qu'elles adoraient en lui offrant ce
 
ce qui les fit nommer Collidiriennes. Épiphane, qui s'éleva contre cette secte, nous apprend qu'elle fut méprisée comme une invention de femme, s'appuyant sur des fables absurdes. Les expressions dont il se sert pour réfuter les erreurs de ces idolâtres, donnent une idée fort juste de la manière dont on considérait Marie.
« Dieu, dit-il, prit chair mortelle dans le sein d'une vierge, non pour qu'on adorât Marie. non pour qu'on en fît une divinité ou qu'on lui présentât quelque offrande. Loin de là, Jésus ne permit pas même à celte sainte femme de conférer le baptême ; il ne lui permit pas de bénir ses apôtres, de commander sur la terre ; mais seulement il la sanctifia et la rendit plus digne de son royaume.
Que l'on honore donc Marie, et que le Père, le Fils et le St. Esprit soient adorés ; mais pour la Vierge, que personne ne l'adore : un homme n'étant pas digne de cet hommage, à plus forte raison une femme ne saurait l'être. » ( Epiphan. haer. 79.)

(10) An 325.

(11) An 381. 
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