Parmi les personnes en vénération
clans l'Église romaine, il en est une que
cette communion place à juste titre
au-dessus des autres, c'est la Mère du
Sauveur ; mais, au lieu de n'accorder à
cette bienheureuse Femme que les sentiments qui lui
sont dus par tout chrétien, à cause
des grâces signalées dont elle fut
l'objet ; au lieu de ne la considérer
que comme un être béni
spécialement par le ciel, on lui prodigue
les noms les plus pompeux, les titres les plus
propres à exalter son excellence :
« Maîtresse du ciel et de la terre,
elle est reine des anges, épouse du Dieu
vivant, mère de miséricorde, porte
des cieux, consolation de l'infortune, refuge des
pécheurs. »
Rome semble n'avoir aucune expression trop
relevée pour exprimer la puissance infinie
aussi bien que la gloire de la Sainte Vierge.
Après de telles dénominations qui ne
sauraient évidemment convenir à la
simple créature, et qui représentent
Marie comme exerçant une puissante influence
sur le sort présent des hommes aussi bien
que sur leurs éternelles destinées,
on comprend la vénération des peuples
pour celle que l'on exalte ainsi, aussi bien que le
culte religieux qu'ils doivent être
disposés à lui rendre.
S'il dépend de la Vierge de donner la
grâce, d'inspirer une vie simple, de procurer une mort heureuse, de
conduire les voyageurs au port, de recevoir les
âmes au ciel, et d'intercéder d'une
manière infaillible auprès du
Seigneur ; si son titre de Mère lui
donne tant de pouvoirs et sur la terre, et dans les
cieux, il n'est pas étonnant que les
fidèles l'adorent et la prient dans leurs
nécessités et dans leurs
peines ; il est difficile qu'à la vue
de tant de perfections et de privilèges les
âmes ne se remplissent pas d'admiration et
d'espérances, ne s'humilient pas aux pieds
de tant de grandeur, et n'accordent à celle
qui en est douée une bonne part dans leur
dévotion.
Aussi, de nos jours encore, le culte de Marie est
poussé si loin ; dans certaines
contrées même, la Vierge est tellement
le principal objet de la confiance des
fidèles, qu'il ne me semble pas sans
intérêt, pour un protestant, de
rechercher dans l'histoire l'origine d'un tel
culte, d'en suivre les progrès au travers
des siècles, et d'acquérir de la
sorte une forte preuve de son institution toute
humaine.
« Comment Marie fut-elle donc
considérée ou servie dans
l'Église, depuis les temps apostoliques
jusqu'au Concile de Trente, époque à
laquelle la doctrine de la communion romaine fut
arrêtée ? »
Tel est le tableau que je vais esquisser
brièvement. Puissé-je, dans cet
important sujet, ne rien dire qui ne soit
approuvé des consciences les plus
religieuses.
En exposant la croyance des temps apostoliques
sur la personne de la sainte Vierge, il est
indispensable de dire quelques mots relatifs aux
divins enseignements, base de cette croyance
elle-même.
J'ouvre donc nos Évangiles, je les parcours
en cherchant ce qui m'est
révélé sur Marie, et, dans cet
examen, un passage me frappe d'abord. À
l'ordre du Très-Haut, un ange quitte les
cieux, apparaît à la Mère du
Sauveur, et lui expose la faveur signalée
dont elle va devenir l'objet
(Luc,
I, 26-38). « Je te
salue, ô pleine de grâce ! lui dit
l'Envoyé céleste, le Seigneur est
avec toi ; ne crains point,
car tu as trouvé grâce devant
l'Éternel : c'est pourquoi tu concevras
et enfanteras un fils auquel tu donneras le nom de
Jésus. »
Mais après ces expressions de l'Ange, qui
peignent tout ce qu'avait d'honorable pour la
sainte Vierge la prérogative que Dieu lui
accordait, en confiant à son sein le
Béni des nations ; après ces
paroles qui doivent relever Marie aux yeux des
Chrétiens, comme un être que
l'Éternel choisit pour le dépôt
momentané du Messie, si je cherche quelque
autre instruction sur la personne de celle que je
vénère et que j'aime dès lors
comme la mère de mon Rédempteur et de
mon Maître, il semble que Christ ensuite
veuille m'instruire à modérer les
sentiments d'humilité religieuse qui
pourraient me saisir à la pensée de
celle qui lui donna le jour.
Et d'abord, dès l'âge de douze ans
(Luc,
II, 43-49), je le vois quitter
Joseph et Marie sans les en avertir pour s'occuper
des choses relatives à sa mission
céleste, et, lorsque le retrouvant
après trois jours au milieu des docteurs
qu'il étonnait par la sagesse de ses
paroles, sa Mère lui adresse quelques
observations sur sa conduite, loin de s'en
excuser : « Pourquoi me
cherchiez-vous, répond-il ? Ne
saviez-vous pas que je dois m'occuper des affaires
de mon Père ? »
Plus tard
(Luc
XI, 27), il reprend une
femme de la foule qui,
frappée de ses sublimes leçons, vante
la prérogative de lui avoir donné le
jour : « Heureux,
s'était-elle écriée dans son
enthousiasme, les flancs qui vous ont porté,
les mamelles qui vous ont nourri !
Plutôt heureux, répond Jésus,
ceux qui entendent la parole de Dieu et la mettent
en pratique. »
Ailleurs
(Matthieu,
XII, 46-50), hors de
l'enceinte où il se trouvait à
enseigner le peuple, sa mère et ses
frères demandent à lui parler :
que répond-il, quand on le lui
apprend ?
« Qui est ma mère, et qui sont mes
frères ? Puis, étendant sa main
sur ses disciples : Voici, dit-il, ma
mère et mes frères ; car
quiconque fera la volonté de mon Père
céleste, celui-là sera mon
frère et ma soeur et ma
mère. »
Dans toutes ces expressions, on le voit,
Jésus ne distingue nullement Marie de la
foule des croyants, mais il est un passage surtout
qui m'a toujours paru singulièrement propre
à modifier chez les Chrétiens les
opinions exagérées qu'ils pourraient
concevoir de la sainte Vierge ; c'est celui
relatif aux noces de Cana
(Jean,
II, 1-11).
En présence des apôtres du Sauveur et
d'une grande foule de conviés, Marie semble
demander un miracle : « Ils n'ont
point de vin, dit-elle à son
Fils ! » mais Jésus, au
début de son ministère, tient
à faire comprendre que
relativement à sa mission,
il n'y avait rien de commun entre ses parents
charnels et lui-même ; aussi, comme
quelqu'un qui ne se soucie point qu'on se
mêle de ce qui le regarde, répond-il
à Marie : « Femme, qu'y
a-t-il entre vous et moi ? mon heure n'est pas
encore venue. »
Enfin
(Jean,
XIX, 25-27), sur la croix,
près d'expirer, comme pour nous donner une
dernière instruction, Jésus ayant vu
Marie, et auprès d'elle le disciple qu'il
aimait, cède aux sentiments d'un fils qui va
quitter celle qui lui donna le jour ; il s'intéresse au
sort de sa mère
et la recommande à saint Jean, mais dans
quels termes : « Femme, dit-il simplement à Marie,
voilà
ton fils ; puis au disciple :
voilà ta mère. »
Tels sont les divers endroits de nos
Évangiles où Jésus parle de
Marie ; or, on ne peut de bonne foi
s'empêcher de reconnaître que le
Sauveur des hommes ne vit point dans cette sainte
Femme, et ne voulut point nous faire voir en elle
un être supérieur à l'un
quelconque des fidèles ; puisque, loin
de nous donner quelque instruction sur sa nature ou
sur son pouvoir plus qu'humain, jamais il n'en fit
mention que pour arrêter ses disciples dans
les idées extraordinaires que son titre de Mère pourrait
faire naître en
eux.
Après l'exemple du Maître, on comprend
le silence des disciples sur la personne de la
sainte Vierge. Depuis le premier
chapitre des Actes
(Actes,
I, 13-14), où l'on
nous dit qu'avec les autres femmes elle
persévérait à prier, l'on
n'entend plus parler d'elle. Si des Actes nous
passons aux Épîtres, où les
écrivains sacrés traitent au long des
dogmes et des devoirs du chrétien, dans ces
Épîtres où nous voyons mille
conseils, exhortations, règles de
dévotion et de conduite ; dans ces
Épîtres qui traitent de toutes les
matières utiles au salut, pas un mot sur le
recours des âmes à Marie, pas un mot
sur ses rapports avec Dieu, pas un mot sur toute la
théologie que l'on inventa depuis à
son égard, pas une syllabe même, pas
l'ombre d'une allusion quelconque relative à
ce qu'elle devint ensuite.
Voilà toute la doctrine de nos Saints Livres
sur la Mère du Sauveur ; et, si vous
ajoutez à cela que les pères
apostoliques gardèrent le même silence
pour ce qui aurait rapport à quelques
prérogatives surhumaines de perfections ou
de pouvoirs accordés à cette sainte
Femme ; si vous ajoutez à cela, chose
bien remarquable, qu'ils ne donnèrent pas
même un renseignement positif sur les
circonstances postérieures de sa vie, sur
l'époque, le genre de sa mort, vous aurez
une preuve évidente que, dans le premier
siècle, on n'accorda nulle distinction
à Marie, qu'on ne la sépara point du
reste des croyants qui vivaient et mouraient, sans
qu'on prît soin de
consigner les actions de leur vie ou les
particularités de leur mort
(1).
- | Table des matières | Chapitre suivant |