Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

INTRODUCTION

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Parmi les personnes en vénération clans l'Église romaine, il en est une que cette communion place à juste titre au-dessus des autres, c'est la Mère du Sauveur ; mais, au lieu de n'accorder à cette bienheureuse Femme que les sentiments qui lui sont dus par tout chrétien, à cause des grâces signalées dont elle fut l'objet ; au lieu de ne la considérer que comme un être béni spécialement par le ciel, on lui prodigue les noms les plus pompeux, les titres les plus propres à exalter son excellence : « Maîtresse du ciel et de la terre, elle est reine des anges, épouse du Dieu vivant, mère de miséricorde, porte des cieux, consolation de l'infortune, refuge des pécheurs. »
Rome semble n'avoir aucune expression trop relevée pour exprimer la puissance infinie aussi bien que la gloire de la Sainte Vierge.

Après de telles dénominations qui ne sauraient évidemment convenir à la simple créature, et qui représentent Marie comme exerçant une puissante influence sur le sort présent des hommes aussi bien que sur leurs éternelles destinées, on comprend la vénération des peuples pour celle que l'on exalte ainsi, aussi bien que le culte religieux qu'ils doivent être disposés à lui rendre.

S'il dépend de la Vierge de donner la grâce, d'inspirer une vie simple, de procurer une mort heureuse, de conduire les voyageurs au port, de recevoir les âmes au ciel, et d'intercéder d'une manière infaillible auprès du Seigneur ; si son titre de Mère lui donne tant de pouvoirs et sur la terre, et dans les cieux, il n'est pas étonnant que les fidèles l'adorent et la prient dans leurs nécessités et dans leurs peines ; il est difficile qu'à la vue de tant de perfections et de privilèges les âmes ne se remplissent pas d'admiration et d'espérances, ne s'humilient pas aux pieds de tant de grandeur, et n'accordent à celle qui en est douée une bonne part dans leur dévotion.
Aussi, de nos jours encore, le culte de Marie est poussé si loin ; dans certaines contrées même, la Vierge est tellement le principal objet de la confiance des fidèles, qu'il ne me semble pas sans intérêt, pour un protestant, de rechercher dans l'histoire l'origine d'un tel culte, d'en suivre les progrès au travers des siècles, et d'acquérir de la sorte une forte preuve de son institution toute humaine.

« Comment Marie fut-elle donc considérée ou servie dans l'Église, depuis les temps apostoliques jusqu'au Concile de Trente, époque à laquelle la doctrine de la communion romaine fut arrêtée ? »
Tel est le tableau que je vais esquisser brièvement. Puissé-je, dans cet important sujet, ne rien dire qui ne soit approuvé des consciences les plus religieuses.



PREMIÈRE PARTIE.

ABSENCE DE TRADITION.




CHAPITRE PREMIER.

Temps apostoliques (1)


En exposant la croyance des temps apostoliques sur la personne de la sainte Vierge, il est indispensable de dire quelques mots relatifs aux divins enseignements, base de cette croyance elle-même.
J'ouvre donc nos Évangiles, je les parcours en cherchant ce qui m'est révélé sur Marie, et, dans cet examen, un passage me frappe d'abord. À l'ordre du Très-Haut, un ange quitte les cieux, apparaît à la Mère du Sauveur, et lui expose la faveur signalée dont elle va devenir l'objet (Luc, I, 26-38). « Je te salue, ô pleine de grâce ! lui dit l'Envoyé céleste, le Seigneur est avec toi ; ne crains point, car tu as trouvé grâce devant l'Éternel : c'est pourquoi tu concevras et enfanteras un fils auquel tu donneras le nom de Jésus. »

Mais après ces expressions de l'Ange, qui peignent tout ce qu'avait d'honorable pour la sainte Vierge la prérogative que Dieu lui accordait, en confiant à son sein le Béni des nations ; après ces paroles qui doivent relever Marie aux yeux des Chrétiens, comme un être que l'Éternel choisit pour le dépôt momentané du Messie, si je cherche quelque autre instruction sur la personne de celle que je vénère et que j'aime dès lors comme la mère de mon Rédempteur et de mon Maître, il semble que Christ ensuite veuille m'instruire à modérer les sentiments d'humilité religieuse qui pourraient me saisir à la pensée de celle qui lui donna le jour.

Et d'abord, dès l'âge de douze ans (Luc, II, 43-49), je le vois quitter Joseph et Marie sans les en avertir pour s'occuper des choses relatives à sa mission céleste, et, lorsque le retrouvant après trois jours au milieu des docteurs qu'il étonnait par la sagesse de ses paroles, sa Mère lui adresse quelques observations sur sa conduite, loin de s'en excuser : « Pourquoi me cherchiez-vous, répond-il ? Ne saviez-vous pas que je dois m'occuper des affaires de mon Père ? »

Plus tard (Luc XI, 27), il reprend une femme de la foule qui, frappée de ses sublimes leçons, vante la prérogative de lui avoir donné le jour : « Heureux, s'était-elle écriée dans son enthousiasme, les flancs qui vous ont porté, les mamelles qui vous ont nourri !
Plutôt heureux, répond Jésus, ceux qui entendent la parole de Dieu et la mettent en pratique. »

Ailleurs (Matthieu, XII, 46-50), hors de l'enceinte où il se trouvait à enseigner le peuple, sa mère et ses frères demandent à lui parler : que répond-il, quand on le lui apprend ?
« Qui est ma mère, et qui sont mes frères ? Puis, étendant sa main sur ses disciples : Voici, dit-il, ma mère et mes frères ; car quiconque fera la volonté de mon Père céleste, celui-là sera mon frère et ma soeur et ma mère. »

Dans toutes ces expressions, on le voit, Jésus ne distingue nullement Marie de la foule des croyants, mais il est un passage surtout qui m'a toujours paru singulièrement propre à modifier chez les Chrétiens les opinions exagérées qu'ils pourraient concevoir de la sainte Vierge ; c'est celui relatif aux noces de Cana (Jean, II, 1-11).
En présence des apôtres du Sauveur et d'une grande foule de conviés, Marie semble demander un miracle : « Ils n'ont point de vin, dit-elle à son Fils ! » mais Jésus, au début de son ministère, tient à faire comprendre que relativement à sa mission, il n'y avait rien de commun entre ses parents charnels et lui-même ; aussi, comme quelqu'un qui ne se soucie point qu'on se mêle de ce qui le regarde, répond-il à Marie : « Femme, qu'y a-t-il entre vous et moi ? mon heure n'est pas encore venue. »

Enfin (Jean, XIX, 25-27), sur la croix, près d'expirer, comme pour nous donner une dernière instruction, Jésus ayant vu Marie, et auprès d'elle le disciple qu'il aimait, cède aux sentiments d'un fils qui va quitter celle qui lui donna le jour ; il s'intéresse au sort de sa mère et la recommande à saint Jean, mais dans quels termes : « Femme, dit-il simplement à Marie, voilà ton fils ; puis au disciple : voilà ta mère. »

Tels sont les divers endroits de nos Évangiles où Jésus parle de Marie ; or, on ne peut de bonne foi s'empêcher de reconnaître que le Sauveur des hommes ne vit point dans cette sainte Femme, et ne voulut point nous faire voir en elle un être supérieur à l'un quelconque des fidèles ; puisque, loin de nous donner quelque instruction sur sa nature ou sur son pouvoir plus qu'humain, jamais il n'en fit mention que pour arrêter ses disciples dans les idées extraordinaires que son titre de Mère pourrait faire naître en eux.

Après l'exemple du Maître, on comprend le silence des disciples sur la personne de la sainte Vierge. Depuis le premier chapitre des Actes (Actes, I, 13-14), où l'on nous dit qu'avec les autres femmes elle persévérait à prier, l'on n'entend plus parler d'elle. Si des Actes nous passons aux Épîtres, où les écrivains sacrés traitent au long des dogmes et des devoirs du chrétien, dans ces Épîtres où nous voyons mille conseils, exhortations, règles de dévotion et de conduite ; dans ces Épîtres qui traitent de toutes les matières utiles au salut, pas un mot sur le recours des âmes à Marie, pas un mot sur ses rapports avec Dieu, pas un mot sur toute la théologie que l'on inventa depuis à son égard, pas une syllabe même, pas l'ombre d'une allusion quelconque relative à ce qu'elle devint ensuite.

Voilà toute la doctrine de nos Saints Livres sur la Mère du Sauveur ; et, si vous ajoutez à cela que les pères apostoliques gardèrent le même silence pour ce qui aurait rapport à quelques prérogatives surhumaines de perfections ou de pouvoirs accordés à cette sainte Femme ; si vous ajoutez à cela, chose bien remarquable, qu'ils ne donnèrent pas même un renseignement positif sur les circonstances postérieures de sa vie, sur l'époque, le genre de sa mort, vous aurez une preuve évidente que, dans le premier siècle, on n'accorda nulle distinction à Marie, qu'on ne la sépara point du reste des croyants qui vivaient et mouraient, sans qu'on prît soin de consigner les actions de leur vie ou les particularités de leur mort (1).


(1) Temps que vécurent les apôtres et leurs disciples immédiats.

(2) Ici, j'aurais pu rapporter quelques fables apocryphes attribuées faussement à Denys l'aréopagiste et à Méliton. Les pièces sont curieuses ; j'y renvoie mes lecteurs (Melito, de Transitu, V. M. B. P., t. 7. Dyonys. areopag. de div. nom., ch. 3. )
Les critiques renvoient la fabrication de ces ouvrages au 6e siècle, lorsque l'on voulut établir l'assomption de Marie. Épiphane, qui mourut avant cette époque, dit positivement que de son temps on ne savait rien sur la mort de Marie (Eniph, Haeres, -8.)
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