Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XI

Les combats perdus.

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I Cor., IX, 26.

 Je cours, non à l'aventure ; je frappe, mais non pas en l'air.



Dans le morceau d'où nous avons tiré ce passage, la vie chrétienne est représentée sous la double image d'une course et d'une lutte. Saint Paul a en vue les jeux isthmiques qui se célébraient à Corinthe et où il s'agissait, tantôt de devancer un adversaire à la course, tantôt de le vaincre dans la lutte du ceste.
Dans le premier genre de combat, le grand point était de ne point perdre des yeux le but ; dans le second, de ne point détourner les yeux de l'adversaire.

Ce sont ces deux genres de combats qui paraissent aussi dans la vie chrétienne. Le chrétien est un homme qui court et un homme qui lutte. La première comparaison se retrouve dans des paroles comme celles-ci : Je cours vers le but ; poursuivons constamment la course qui nous est proposée ; la seconde dans des passages comme ceux-ci : Combats le bon combat de la foi ; ne regardez ni à droite ni à gauche ; prenez toutes les armes de Dieu.
Mais de même que quand on court dans la lice, tous courent, tous luttent, mais qu'il n'y en a qu'un qui remporte le prix, il y a dans la vie chrétienne bien des combats perdus. C'est de ceux-là que nous allons parler.

Ce qui prive de la couronne de justice, que le Seigneur, juste juge, donne, c'est le tort des uns de courir à l'aventure ou des autres de frapper en l'air. Ce sont ces deux expressions que nous allons développer. Nous nous sommes demandé dans la méditation précédente : Comment portons-nous nos croix ? Demandons-nous dans celle-ci : Comment combattons-nous ? Ne courons-nous pas à l'aventure ? ne frappons-nous pas en l'air ?

1. - Qu'est-ce que courir à l'aventure ?
C'est courir, disions-nous, sans avoir les yeux fixés sur le but. Le but du chrétien, c'est la couronne de vie ou cet héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir, et qui est réservé dans les cieux pour nous qui sommes gardés par la puissance de Dieu, par la foi. Mais ce n'est pas à ce but que regardent bon nombre de ceux qui combattent. Leurs yeux s'égarent en route ; au lieu de courir vers le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ, ils courent à l'aventure.
C'est une vie qui se précipite au-devant d'un avenir qui n'a rien d'assuré. Et dans un tel état spirituel nous aurons des combats dont nous ne sortirons point vainqueurs.

Vers quoi, en effet, se précipite la vie d'une foule de soi-disant chrétiens ? C'est vers ce clair-obscur que nous appelons le vague. Ils ne se sont jamais demandé : Quel est mon but ici-bas ? Pourquoi aurai-je vécu et pour qui ? Leur vie s'écoule comme une ravine d'eau, et ils ne voient pas ce gouffre dans lequel ils vont tomber et que nous appelons l'éternité.

Or, il y a trois sortes de vague pour ceux qui courent à l'aventure. Il y a d'abord le vague sur nous-mêmes. Vous voyez des hommes dont l'âme est un vrai chaos. Ce sont ceux qui ne se sont jamais examinés eux-mêmes et qui n'ont jamais sondé leurs voies en retournant jusqu'à l'Éternel. Ils se jettent dans la vie du dehors sans savoir que leur âme a aussi une vie et que c'est de celle-ci que dépend leur éternité. Ils courent d'une pensée à l'autre et d'une année à l'autre ; mais toujours à l'aventure, dans le même vague sur eux-mêmes. Ils ne savent point si le fond de leur existence est un fond de bonheur ou de malheur, ni si leurs rapports avec Dieu sont des rapports de paix ou de séparation. Toute cette vie n'est qu'une fièvre ; on passe à côté de la vie, on n'a point vécu.
Ce premier vague fait entrer dans un autre.

Le même homme, en vivant ainsi, sera aussi dans le vague sur le pardon de ses péchés. Il court, sans savoir si c'est dans les bras de Dieu ou si c'est vers un état de condamnation. Il n'a jamais été au clair sur l'article de ses péchés ni sur celui de son pardon. Ses péchés se perdent dans le vague ; cela fait qu'il ne les connaît pas et qu'il n'en connaît pas les conséquences.
Demandez-lui s'il est sûr de son pardon, vous verrez comme tantôt il espère, tantôt il craint ; souvent même il ne sait pas si ce qu'il y a en lui est de la crainte ou de l'espérance. On dirait qu'il est impossible de vivre tranquille quand on n'a rien de positif sur ce point capital. Aussi, un tel homme n'est point tranquille ; l'agitation dans laquelle il vit le prouve. C'est comme s'il craignait que sa conscience enfin ne parlât ; et c'est ce qu'il veut éviter. Le meilleur moyen d'y parvenir, c'est de continuer à courir à l'aventure. On aime mieux le vague que la vérité, quand la vérité nous condamne.
Ce second vague est cause d'un troisième.

C'est le vague sur la volonté de Dieu. Un homme qui ne se connaît pas lui-même, et qui ne sait pas s'il a reçu le pardon de ses péchés, ne saura pas non plus quelle est la volonté de Dieu à son égard. Il prendra une foule de déterminations qui lui viennent de lui-même et qui sont contraires à la volonté de Dieu. On le verra tranquille sur bien des choses que Dieu condamne, et cette tranquillité lui vient uniquement du vague qui lui voile les intentions de Dieu à son égard. Il suivra tout une autre marche pour arriver au salut que la marche tracée par Dieu dans sa Parole. Il s'appliquera aux oeuvres avant de s'être appliqué à la foi. Ou il s'appliquera à la foi avant d'avoir eu la conscience réveillée par la repentance. Aujourd'hui il entre dans telle route, demain dans telle autre. // court, mais à l'aventure.

Soyons sûrs que cette vie, comme toute autre, a ses combats. Quels qu'ils soient, ce seront des combats perdus. Comment sortir vainqueur de la lice avec un tel état spirituel ? Je ne veux nommer que trois causes qui rendent la victoire impossible.

Un homme qui court à l'aventure n'a aucun esprit de discernement. Comment fera-t-il pour distinguer la vérité de l'erreur ? Dans les combats de la vie, il n'y a que les vérités religieuses qui soutiennent ; ces vérités sont plus que des théories, ce sont des puissances du siècle à venir. Mais comment s'appuyer sur ces vérités, quand on n'a point reçu d'abord l'intelligence spirituelle qui met ces vérités à notre portée ? Comment surmonter les combats de la vie, quand on est flottant et emporté par toutes sortes de doctrines, et quand on est le jouet des circonstances, des hommes ou des humeurs changeantes du coeur ? Ce qu'on prend pour une force ne paraîtra bientôt qu'une faiblesse ; il faut d'autres secours que ceux qu'on cherche en autrui ou qu'on cherche en soi-même pour arriver à la victoire.

Et quand on n'a point l'esprit du discernement, aura-t-on des armes contre le péché ? Les combats contre le péché sont plus forts encore que les combats contre l'adversité. Comment surmonter le péché quand on court au-devant de lui à l'aventure ? Est-ce en s'armant de principes, de bonnes résolutions ou de précautions naturelles ? Pauvres ressources pour les heures où les convoitises se remuent, où les occasions entraînent et où les passions s'enflamment ! Et ce n'est pas contre la chair et le sang seulement que nous avons à combattre, c'est contre les principautés, contre les puissances, contre les princes des ténèbres de ce siècle, contre les esprits malins qui sont dans les airs. Que dire d'un soldat qui, ainsi menacé, ne regarde après ses armes que lorsqu'il est déjà au pouvoir de l'ennemi ?

Et il y a un ennemi auquel nous ne pensons pas : ce sont les remords. Quand ce terrible ennemi se réveille dans la conscience, avec quoi le combattrons-nous, si habituellement nous courons à l'aventure ? Ce qui rend la victoire impossible, c'est, outre le manque de discernement, outre le manque des armes de Dieu, la faiblesse contre les jugements de la conscience. Tôt ou tard, nous verrons notre vie dans la lumière de Dieu. Le vague tombera et la vérité paraîtra, et si la vérité ne nous justifie, elle nous écrase.

Combattez comme vous voulez, ce sont d'autres préparatifs qu'il faut pour sortir vainqueur des combats de la vie, des courses contre le péché et du pouvoir des remords.

2. - Nous venons de voir ce que saint Paul appelle courir à l'aventure. Qu'appelle-t-il frapper en l'air ? C'est la seconde image dont il se sert pour désigner des combats perdus. La première image est prise de la course, la seconde, de la lutte.

On frappe en l'air quand on manque le vrai coup et qu'on frappe ce qu'on n'aurait pas eu besoin de frapper.
Il nous arrive souvent dans la vie chrétienne de nous tromper sur nos vrais adversaires. Nous frappons où il est inutile de frapper, et ce que nous devrions frapper, nous ne le voyons pas.

Il y a quatre sortes de coups qu'on peut appeler des coups en l'air.
Ce sont d'abord les luttes contre la force des circonstances.
Contre quoi s'acharnent une foule d'hommes ?

C'est contre un état qui est plus fort qu'eux et qu'ils ne peuvent pas changer. C'est la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Tantôt c'est un état politique. Il y a des hommes qui frappent autour d'eux en paroles, en écrits, en résistances, pour faire triompher leur propre opinion, et ce sont autant de coups frappés en l'air.
Si ces hommes se tenaient en paix et en repos, ils seraient délivrés ; leur force serait de se tenir en repos et en assurance ; mais ils ne l'ont point eu à gré.
Tantôt c'est un revers d'affaires : c'est une combinaison qui échoue, une fortune qui s'écoule entre les mains, et tous les efforts pour refaire un tel état de choses sont perdus.
Tantôt c'est une perte domestique : la mort enlève de nos côtés ce que nous avons de plus cher, et quel pouvoir avons-nous contre ce roi des épouvantements ?
Tantôt c'est une position qu'on occupe et de laquelle on voudrait sortir à tout prix : on se remue pour secouer un joug qui pèse, mais il n'y a ni sagesse, ni intelligence, ni conseil pour résister à l'Éternel ; ce sont des coups frappés en l'air.

Il y a un autre genre de lutte : c'est la lutte contre les nécessités de la vie ; c'est même la seule espèce de lutte d'un grand nombre d'hommes. Ils sont aux prises avec la gêne, et leur souverain bonheur serait d'être à l'aise ; le reste, à leurs yeux, est peu de chose. Pourquoi Dieu les laisse-t-il dans ce souci ? C'est qu'ils ne font point ce qu'il leur demande. L'Évangile dit : Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes les autres choses vous seront données par-dessus. J'ai été jeune, dit David, et j'ai aussi atteint la vieillesse, mais je n'ai point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendiant son pain.
Si ces hommes commençaient par le spirituel, le matériel irait bientôt mieux ; mais c'est ce qu'ils ne veulent pas. Ils ne prient pas et ils renversent l'ordre de Dieu. Ils cherchent d'abord toutes les autres choses ; le royaume de Dieu, selon eux, leur sera donné par-dessus. C'est de nouveau frapper en l'air.

Voici un troisième genre de lutte : c'est la lutte contre des caractères opposés. Nous avons tous affaire à des caractères qui ne nous conviennent pas et avec qui nous avons des rapports forcés. Nous croyons que si ces caractères changeaient où si nous étions délivrés d'eux, notre victoire serait gagnée. On se met dans l'esprit que tant que cette opposition dure, le but de la vie est manqué. Et que fait-on pour s'en délivrer ? On se roidit, on s'escrime en paroles et en actions, puis l'on s'abat en perdant courage. On ne considère point celui qui a souffert une si grande contradiction des pêcheurs.
Au lieu de montrer une sagesse pleine de douceur, on est rempli de zèle amer et d'un esprit de contention ; on ne sent point que partout où il y a cette amertume, il y a du trouble et toutes sortes de mauvaises actions. On frappe, mais on ne voit pas le véritable adversaire. C'est encore frapper en l'air.

Enfin il y a une manière de frapper le vieil homme qui ne produit pas non plus de résultat. C'est quand on ne combat qu'un péché isolé, mais qu'on ne veut pas sortir de l'esprit général. On veut se corriger d'un défaut, mais on ne veut pas se convertir à Jésus-Christ. C'est ce que Jésus-Christ appelle mettre une pièce de drap neuf à un vieil habit, ou verser du vin nouveau dans de vieux vaisseaux. Qu'arrivera-t-il ? La déchirure en sera pire, et les vaisseaux se rompent, le vin se répand.
On n'avance pas en luttant, aujourd'hui contre l'impatience, demain contre l'amour-propre, après-demain contre la paresse, aussi longtemps qu'on ne sent point le besoin d'un changement général.
Tous les défauts viennent de la même source, et si la source de la vie n'est point changée, les défauts ne seront point changés. L'ennemi à combattre, c'est l'esprit général. Sentez votre état de chute et humiliez-vous sous la main toute-puissante de Dieu. Faites votre paix avec lui et donnez votre coeur à Jésus-Christ. Alors toutes les vertus pousseront ensemble. Combattre autrement, c'est frapper en l'air et s'épuiser inutilement.

Hélas ! il y a des vies qui sont tout entières des vies de combats ; le plus beau de ces jours n'est que travail et que tourment, et aucun de ces combats ne profite. On s'attaque aux circonstances ; on lutte contre les besoins ; on veut réformer des caractères ; on combat contre soi-même, et l'on tombe enfin sur l'arène, meurtri et toujours vaincu. Qu'ont fait ceux qui ont remporté la victoire ? car toujours il y en aura quelques-uns.

Voici deux conseils que nous donne la sagesse d'en haut. Vous qui courez, regardez au but ; vous qui luttez, connaissez d'abord votre adversaire.
Le but du chrétien, c'est Jésus. Tournez vers lui vos pensées et vos désirs ; priez-le de vous ouvrir les yeux sur vous-même et de faire aboutir à lui toute votre vie terrestre.
Et vous qui luttez, frappez votre premier adversaire, c'est-à-dire, ce foyer de convoitises qui font la guerre à l'âme. Que personne ne dise, lorsqu'il est tenté : C'est Dieu, c'est quelque autre chose qui me tente ; chacun est tenté, quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise.
Attaquez au coeur le vieil homme, et tous les autres ennemis se rendront. Demandez un coeur nouveau et un esprit nouveau ; quand le besoin de cette réforme générale sera mûr, vous ne frapperez plus en l'air et vos armes ne seront plus charnelles. Votre force, ce ne sera plus la vôtre, ce sera un plus puissant que vous. Jésus unira sa cause à la vôtre, et avec lui vous renverserez les forteresses. Vous saurez quel est le pouvoir de la foi et la puissance de cet amour nouveau. Je puis tout, dit saint Paul, par Christ qui me fortifie. Et comment nous fortifie-t-il ? Il commence par nous montrer sa propre victoire et par nous l'appliquer comme la nôtre. Il nous montre tous nos ennemis dépouillés ; il a triomphé de tous sur la croix.
Croyez-le et entrez dans ce triomphe ; cette foi sera aussi votre invincible armure.
Quand vous croirez de coeur que Jésus a vaincu pour vous, il vaincra aussi en vous ce qui n'est pas encore soumis à son empire. Celui qui justifie est aussi celui qui sanctifie et qui rend conforme à sa propre image. Et une fois unis à lui, nous verrons nos luttes se changer en bénédictions. Dans la force des circonstances, nous adorerons la volonté du Seigneur ; dans les privations qu'il nous impose, nous verrons le germe de notre future grandeur ; dans les résistances d'une volonté étrangère, nous reconnaîtrons un appel du maître à être doux et humbles de coeur, pour que nous trouvions le repos de notre âme ; dans les combats contre nous-mêmes, nous lui remettrons nos armes ; c'est lui qui combattra pour nous, et nous demeurerons dans le silence. Ainsi nous ne perdrons point courage ; nous combattrons le bon combat de la foi, l'âme joyeuse et les yeux fixés sur notre chef et notre consommateur.

Ceux que nous prenions d'abord pour des adversaires ne nous apparaîtront plus que comme des messagers de Christ. En multipliant nos luttes, il ne veut que multiplier son amour et nous rapprocher de la victoire. Nous supporterons les travaux comme de bons soldats de Jésus-Christ et sans nous embarrasser des affaires de la vie, afin que nous puissions plaire à celui qui nous a enrôlés pour la guerre. Tout sera peu de chose quand nous serons au terme, à ce repos qui reste encore pour le peuple de Dieu.
Transportez-vous à ce terme dès aujourd'hui par vos pensées, et quand l'heure sera arrivée, quelle joie profonde de pouvoir dire : J'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi ; je vois briller la couronne de justice que le Seigneur, juste juge, va me donner, et non seulement à moi, mais aussi à tous ceux qui auront aimé son avènement !


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