Je cours, non à l'aventure ; je frappe, mais non pas en l'air.
Dans le morceau d'où nous avons tiré
ce passage, la vie chrétienne est
représentée sous la double image
d'une course et d'une lutte. Saint Paul a en vue
les jeux isthmiques qui se
célébraient à Corinthe et
où il s'agissait, tantôt de devancer
un adversaire à la course, tantôt de
le vaincre dans la lutte du ceste.
Dans le premier genre de combat, le grand point
était de ne point perdre des yeux le
but ; dans le second, de ne point
détourner les yeux de l'adversaire.
Ce sont ces deux genres de combats qui paraissent
aussi dans la vie chrétienne.
Le chrétien est un homme
qui court et un homme qui lutte. La première
comparaison se retrouve dans des paroles comme
celles-ci : Je cours vers le but ;
poursuivons constamment la course qui nous est
proposée ; la seconde dans des
passages comme ceux-ci : Combats le bon
combat de la foi ; ne regardez ni à
droite ni à gauche ; prenez toutes les
armes de Dieu.
Mais de même que quand on court dans
la lice, tous courent, tous luttent, mais qu'il n'y en a
qu'un qui remporte le prix, il y a dans la vie chrétienne bien
des
combats perdus. C'est de ceux-là que nous
allons parler.
Ce qui prive de la couronne de justice, que le
Seigneur, juste juge, donne, c'est le tort des
uns de courir à l'aventure ou des
autres de frapper en l'air. Ce sont ces deux
expressions que nous allons développer. Nous
nous sommes demandé dans la
méditation précédente :
Comment portons-nous nos croix ?
Demandons-nous dans celle-ci : Comment
combattons-nous ? Ne courons-nous pas
à l'aventure ? ne frappons-nous pas en
l'air ?
1. - Qu'est-ce que courir
à
l'aventure ?
C'est courir, disions-nous, sans avoir les yeux
fixés sur le but. Le but du chrétien,
c'est la couronne de vie ou cet héritage qui ne se peut
corrompre, ni
souiller, ni flétrir, et qui est
réservé dans les cieux pour nous qui
sommes gardés par la puissance de Dieu, par
la foi. Mais ce n'est pas à ce but que
regardent bon nombre de ceux qui combattent. Leurs
yeux s'égarent en route ; au lieu de courir vers le prix de
la vocation
céleste de Dieu en Jésus-Christ,
ils courent à l'aventure.
C'est une vie qui se précipite au-devant
d'un avenir qui n'a rien d'assuré. Et dans
un tel état spirituel nous aurons des
combats dont nous ne sortirons point
vainqueurs.
Vers quoi, en effet, se précipite la vie
d'une foule de soi-disant chrétiens ?
C'est vers ce clair-obscur que nous appelons le
vague. Ils ne se sont jamais
demandé : Quel est mon but
ici-bas ? Pourquoi aurai-je vécu et
pour qui ? Leur vie s'écoule comme une ravine d'eau,
et ils ne
voient
pas ce gouffre dans lequel ils vont tomber et que
nous appelons
l'éternité.
Or, il y a trois sortes de vague pour ceux qui courent à
l'aventure. Il y a d'abord
le vague sur nous-mêmes. Vous voyez des
hommes dont l'âme est un vrai chaos. Ce sont
ceux qui ne se sont jamais examinés
eux-mêmes et qui n'ont jamais sondé leurs voies en
retournant
jusqu'à l'Éternel. Ils se jettent
dans la vie du dehors sans savoir que leur
âme a aussi une vie et que c'est de celle-ci
que dépend leur éternité. Ils
courent d'une pensée à l'autre et
d'une année à l'autre ; mais
toujours à l'aventure, dans le
même vague sur eux-mêmes. Ils ne savent
point si le fond de leur existence est un fond de
bonheur ou de malheur, ni si leurs rapports avec
Dieu sont des rapports de paix ou de
séparation. Toute cette vie n'est qu'une
fièvre ; on passe à
côté de la vie, on n'a point
vécu.
Ce premier vague fait entrer dans un autre.
Le même homme, en vivant ainsi, sera aussi
dans le vague sur le pardon de ses
péchés. Il court, sans savoir si
c'est dans les bras de Dieu ou
si c'est vers un état de condamnation. Il
n'a jamais été au clair sur l'article
de ses péchés ni sur celui de son
pardon. Ses péchés se perdent dans le
vague ; cela fait qu'il ne les connaît
pas et qu'il n'en connaît pas les
conséquences.
Demandez-lui s'il est sûr de son pardon, vous
verrez comme tantôt il espère,
tantôt il craint ; souvent même il
ne sait pas si ce qu'il y a en lui est de la
crainte ou de l'espérance. On dirait qu'il
est impossible de vivre tranquille quand on n'a
rien de positif sur ce point capital. Aussi, un tel
homme n'est point tranquille ; l'agitation
dans laquelle il vit le prouve. C'est comme s'il
craignait que sa conscience enfin ne
parlât ; et c'est ce qu'il veut
éviter. Le meilleur moyen d'y parvenir,
c'est de continuer à courir à
l'aventure. On aime mieux le vague que la
vérité, quand la vérité
nous condamne.
Ce second vague est cause d'un
troisième.
C'est le vague sur la volonté de Dieu. Un
homme qui ne se connaît pas lui-même,
et qui ne sait pas s'il a reçu le pardon de
ses péchés, ne
saura pas non plus quelle est la volonté de
Dieu à son égard. Il prendra une
foule de déterminations qui lui viennent de
lui-même et qui sont contraires à la
volonté de Dieu. On le verra tranquille sur
bien des choses que Dieu condamne, et cette
tranquillité lui vient uniquement du vague
qui lui voile les intentions de Dieu à son
égard. Il suivra tout une autre marche pour
arriver au salut que la marche tracée par
Dieu dans sa Parole. Il s'appliquera aux oeuvres
avant de s'être appliqué à la
foi. Ou il s'appliquera à la foi avant
d'avoir eu la conscience réveillée
par la repentance. Aujourd'hui il entre dans telle
route, demain dans telle autre. // court, mais à l'aventure.
Soyons sûrs que cette vie, comme toute autre,
a ses combats. Quels qu'ils soient, ce seront des
combats perdus. Comment sortir vainqueur de la lice
avec un tel état spirituel ? Je
ne veux nommer que trois causes qui rendent la
victoire impossible.
Un homme qui court à l'aventure n'a aucun
esprit de discernement. Comment
fera-t-il pour distinguer la
vérité de l'erreur ? Dans
les combats de la vie, il n'y a que les
vérités religieuses qui
soutiennent ; ces vérités sont
plus que des théories, ce sont des puissances du siècle à venir. Mais
comment s'appuyer sur ces
vérités, quand on n'a point
reçu d'abord l'intelligence spirituelle qui met ces vérités à
notre portée ? Comment surmonter
les combats de la vie, quand on est flottant et
emporté par toutes sortes de doctrines, et quand on est le
jouet des circonstances, des
hommes ou des humeurs changeantes du coeur ?
Ce qu'on prend pour une force ne paraîtra
bientôt qu'une faiblesse ; il faut
d'autres secours que ceux qu'on cherche en autrui
ou qu'on cherche en soi-même pour arriver
à la victoire.
Et quand on n'a point l'esprit du discernement,
aura-t-on des armes contre le
péché ? Les combats contre le
péché sont plus forts encore que les
combats contre l'adversité. Comment
surmonter le péché quand on court
au-devant de lui à l'aventure ? Est-ce en s'armant de
principes, de bonnes
résolutions ou de
précautions naturelles ? Pauvres
ressources pour les heures où les
convoitises se remuent, où les occasions
entraînent et où les passions
s'enflamment ! Et ce n'est pas contre la
chair et le sang seulement que nous avons à
combattre, c'est contre les principautés,
contre les puissances, contre les princes des
ténèbres de ce siècle, contre
les esprits malins qui sont dans les airs. Que
dire d'un soldat qui, ainsi menacé, ne
regarde après ses armes que lorsqu'il est
déjà au pouvoir de
l'ennemi ?
Et il y a un ennemi auquel nous ne pensons
pas : ce sont les remords. Quand ce terrible
ennemi se réveille dans la conscience, avec
quoi le combattrons-nous, si habituellement nous courons à
l'aventure ? Ce qui
rend la victoire impossible, c'est, outre le manque
de discernement, outre le manque des armes de Dieu,
la faiblesse contre les jugements de la conscience.
Tôt ou tard, nous verrons notre vie dans la
lumière de Dieu. Le vague tombera et la
vérité paraîtra, et si la
vérité ne nous justifie, elle nous
écrase.
Combattez comme vous voulez, ce sont d'autres
préparatifs qu'il faut pour sortir vainqueur
des combats de la vie, des courses contre le
péché et du pouvoir des remords.
2. - Nous venons de voir ce que saint Paul
appelle courir à l'aventure. Qu'appelle-t-il frapper en
l'air ? C'est la seconde image dont il se sert pour
désigner des combats perdus. La
première image est prise de la course, la
seconde, de la lutte.
On frappe en l'air quand on manque le vrai
coup et qu'on frappe ce qu'on n'aurait pas eu
besoin de frapper.
Il nous arrive souvent dans la vie
chrétienne de nous tromper sur nos vrais
adversaires. Nous frappons où il est inutile
de frapper, et ce que nous devrions frapper, nous
ne le voyons pas.
Il y a quatre sortes de coups qu'on peut appeler des coups en
l'air.
Ce sont d'abord les luttes contre la force des
circonstances.
Contre quoi s'acharnent une foule
d'hommes ?
C'est contre un état qui est plus fort
qu'eux et qu'ils ne peuvent pas changer. C'est la
lutte du pot de terre contre le pot de fer.
Tantôt c'est un état politique. Il y a
des hommes qui frappent autour d'eux en paroles, en
écrits, en résistances, pour faire
triompher leur propre opinion, et ce sont autant de coups frappés
en l'air.
Si ces hommes se tenaient en paix et en
repos, ils seraient délivrés ;
leur force serait de se tenir en repos et en
assurance ; mais ils ne l'ont point eu
à gré.
Tantôt c'est un revers d'affaires :
c'est une combinaison qui échoue, une
fortune qui s'écoule entre les mains, et
tous les efforts pour refaire un tel état de
choses sont perdus.
Tantôt c'est une perte domestique : la
mort enlève de nos côtés ce que
nous avons de plus cher, et quel pouvoir avons-nous
contre ce roi des
épouvantements ?
Tantôt c'est une position qu'on occupe et
de laquelle on voudrait sortir à tout
prix : on se remue pour secouer un joug qui
pèse, mais il n'y a ni sagesse, ni
intelligence, ni conseil pour résister
à l'Éternel ; ce sont des
coups frappés en
l'air.
Il y a un autre genre de lutte : c'est la
lutte contre les nécessités de la
vie ; c'est même la seule espèce
de lutte d'un grand nombre d'hommes. Ils sont aux
prises avec la gêne, et leur souverain
bonheur serait d'être à l'aise ;
le reste, à leurs yeux, est peu de chose.
Pourquoi Dieu les laisse-t-il dans ce
souci ? C'est qu'ils ne font point ce
qu'il leur demande. L'Évangile dit : Cherchez premièrement le
royaume de Dieu
et sa justice, et toutes les autres choses vous
seront données par-dessus. J'ai
été jeune, dit David, et j'ai
aussi atteint la vieillesse, mais je n'ai point vu
le juste abandonné, ni sa
postérité mendiant son pain.
Si ces hommes commençaient par le
spirituel, le matériel irait bientôt
mieux ; mais c'est ce qu'ils ne veulent pas.
Ils ne prient pas et ils renversent l'ordre de
Dieu. Ils cherchent d'abord toutes les autres
choses ; le royaume de Dieu, selon eux,
leur sera donné par-dessus. C'est de
nouveau frapper en l'air.
Voici un troisième genre de lutte :
c'est la lutte contre des caractères
opposés. Nous avons
tous affaire à des caractères qui ne
nous conviennent pas et avec qui nous avons des
rapports forcés. Nous croyons que si ces
caractères changeaient où si nous
étions délivrés d'eux, notre
victoire serait gagnée. On se met dans
l'esprit que tant que cette opposition dure, le but
de la vie est manqué. Et que fait-on pour
s'en délivrer ? On se roidit, on
s'escrime en paroles et en actions, puis l'on
s'abat en perdant courage. On ne considère point celui
qui a
souffert une si grande contradiction des
pêcheurs.
Au lieu de montrer une sagesse pleine de
douceur, on est rempli de zèle amer
et d'un esprit de contention ; on ne sent
point que partout où il y a cette amertume, il y a du trouble et
toutes sortes de mauvaises
actions. On frappe, mais on ne voit pas le
véritable adversaire. C'est encore frapper en l'air.
Enfin il y a une manière de frapper le vieil
homme qui ne produit pas non plus de
résultat. C'est quand on ne combat qu'un
péché isolé, mais qu'on ne
veut pas sortir de l'esprit général.
On veut se corriger d'un
défaut, mais on ne veut
pas se convertir à Jésus-Christ.
C'est ce que Jésus-Christ appelle mettre
une pièce de drap neuf à un vieil
habit, ou verser du vin nouveau dans de
vieux vaisseaux. Qu'arrivera-t-il ? La
déchirure en sera pire, et les vaisseaux se
rompent, le vin se répand.
On n'avance pas en luttant, aujourd'hui contre
l'impatience, demain contre l'amour-propre,
après-demain contre la paresse, aussi
longtemps qu'on ne sent point le besoin d'un
changement général.
Tous les défauts viennent de la même
source, et si la source de la vie n'est point
changée, les défauts ne seront point
changés. L'ennemi à combattre, c'est
l'esprit général. Sentez votre
état de chute et humiliez-vous sous la
main toute-puissante de Dieu. Faites votre paix
avec lui et donnez votre coeur à
Jésus-Christ. Alors toutes les vertus
pousseront ensemble. Combattre autrement, c'est frapper en l'air et
s'épuiser
inutilement.
Hélas ! il y a des vies qui sont tout
entières des vies de combats ; le
plus beau de ces jours n'est que travail et que
tourment, et aucun de
ces
combats ne profite. On s'attaque aux
circonstances ; on lutte contre les
besoins ; on veut réformer des
caractères ; on combat contre
soi-même, et l'on tombe enfin sur
l'arène, meurtri et toujours vaincu. Qu'ont
fait ceux qui ont remporté la
victoire ? car toujours il y en aura
quelques-uns.
Voici deux conseils que nous donne la sagesse d'en
haut. Vous qui courez, regardez au but ; vous
qui luttez, connaissez d'abord votre
adversaire.
Le but du chrétien, c'est Jésus.
Tournez vers lui vos pensées et vos
désirs ; priez-le de vous ouvrir les
yeux sur vous-même et de faire aboutir
à lui toute votre vie terrestre.
Et vous qui luttez, frappez votre premier
adversaire, c'est-à-dire, ce foyer de convoitises qui font la
guerre à
l'âme. Que personne ne dise, lorsqu'il est
tenté : C'est Dieu, c'est quelque
autre chose qui me tente ; chacun est
tenté, quand il est attiré et
amorcé par sa propre convoitise.
Attaquez au coeur le vieil homme, et tous les
autres ennemis se rendront. Demandez un coeur
nouveau et un esprit nouveau ; quand le
besoin de cette réforme
générale sera mûr, vous ne
frapperez plus en l'air et vos armes ne
seront plus charnelles. Votre
force,
ce ne sera plus la vôtre, ce sera un plus
puissant que vous. Jésus unira sa cause
à la vôtre, et avec lui vous
renverserez les forteresses. Vous saurez quel
est le pouvoir de la foi et la puissance de cet
amour nouveau. Je puis tout, dit saint Paul, par Christ
qui me fortifie. Et comment nous
fortifie-t-il ? Il commence par nous montrer
sa propre victoire et par nous l'appliquer comme la
nôtre. Il nous montre tous nos ennemis dépouillés ; il a
triomphé de tous sur la croix.
Croyez-le et entrez dans ce triomphe ;
cette foi sera aussi votre invincible armure.
Quand vous croirez de coeur que Jésus a
vaincu pour vous, il vaincra aussi en vous ce qui
n'est pas encore soumis à
son empire. Celui qui justifie est aussi
celui qui sanctifie et qui rend conforme
à sa propre image. Et une fois unis
à lui, nous verrons nos luttes se changer en
bénédictions. Dans la force des
circonstances, nous adorerons la volonté du
Seigneur ; dans les
privations qu'il nous impose,
nous verrons le germe de notre future
grandeur ; dans les résistances d'une
volonté étrangère, nous
reconnaîtrons un appel du maître
à être doux et humbles de coeur, pour que nous trouvions le
repos de notre
âme ; dans les combats contre
nous-mêmes, nous lui remettrons nos
armes ; c'est lui qui combattra
pour
nous, et nous demeurerons dans le silence. Ainsi nous ne
perdrons point
courage ; nous combattrons le bon combat de la foi, l'âme
joyeuse et les yeux fixés
sur notre chef et notre consommateur.
Ceux que nous prenions d'abord pour des
adversaires ne nous apparaîtront plus que
comme des messagers de Christ. En multipliant nos
luttes, il ne veut que multiplier son amour et nous
rapprocher de la victoire. Nous supporterons les
travaux comme de bons soldats de
Jésus-Christ et sans nous embarrasser
des affaires de la vie, afin que nous puissions
plaire à celui qui nous a
enrôlés pour la guerre. Tout sera
peu de chose quand nous serons au terme, à
ce repos qui reste encore pour
le peuple de Dieu.
Transportez-vous à ce terme dès
aujourd'hui par vos pensées, et quand
l'heure sera arrivée, quelle joie profonde
de pouvoir dire : J'ai achevé ma
course, j'ai gardé la foi ; je vois
briller la couronne de justice que le Seigneur,
juste juge, va me donner, et non seulement à
moi, mais aussi à tous ceux qui auront
aimé son avènement !
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