Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

X

L'horreur de la croix.

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Jean, XIX, 17.

 Et Jésus porta sa croix.



C'est Jésus sous la croix que nous voyons. Avant d'être attaché à cette croix, il l'a portée, et cette croix il l'appelle la sienne. Comme un roi parlerait de sa couronne ou de ses armées, Jésus-Christ parle de sa croix.
Et qu'est-ce que cette croix ? N'est-ce que le bois qui charge les épaules de Jésus ? n'est-ce pas autre chose encore ? Toute la vie terrestre de Jésus n'a-t-elle pas été une croix ? Et cette croix, ne l'a-t-il point portée depuis la crèche jusqu'au Calvaire ? Et ce qui a fait de la vie entière de Jésus une croix, nous le savons, ce sont nos péchés. Il a porté nos péchés en son corps sur le bois ; voilà sa croix, celle sous laquelle nous le voyons. C'est cette croix générale qui pèse sur lui ; ce sont toutes les conséquences et tous les jugements de nos péchés. C'est là celle que nous lui voyons porter, en regardant à ce bois visible. Nous n'avons jamais senti jusqu'au bout les conséquences d'un seul de nos péchés. La conscience la plus délicate, l'âme la plus repentante, ne sent pas encore dans son entier, l'état de rupture que le péché a produit entre nous et Dieu.
Si cela est vrai d'un seul de nos péchés, que dire des millions de péchés qui chargent notre conscience et des millions de pécheurs dont Jésus-Christ a pris sur lui la cause ?
Mais en voyant le Sauveur sous la croix, nous voyons aussi notre propre destination terrestre. Il nous dit lui-même : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à soi-même et qu'il se charge de sa croix, et qu'il me suive. C'est une grande grâce, quand on peut croire en Jésus-Christ ; c'est une grâce plus grande encore, quand on peut souffrir pour lui. La croix est le complément de la foi, et de tous les spectacles, le plus beau, c'est celui d'un homme qui souffre près de Jésus ou qui souffre pour lui. La plus belle épitaphe à mettre sur la tombe d'un vrai chrétien serait celle-ci : Il a porté sa croix.

Comment portons-nous nos croix ? Faisons cet examen devant Jésus portant la sienne. Chaque jour amène sa peine ; comme chaque jour est un jour de foi, chaque jour est aussi, plus ou moins, un jour de croix. Dans quel esprit souffrons-nous ? Est-ce comme Jésus ? est-ce pour lui ?
Si nous rentrons en nous-mêmes, nous découvrirons facilement en nous quelque chose qui a horreur de la croix. C'est ce côté de notre nature que je voudrais poursuivre. Cette horreur est, tantôt manifeste, tantôt cachée. Et c'est cette horreur qui nous prive des plus grandes bénédictions de la vie chrétienne. Jamais nous ne sommes si près de Jésus-Christ que quand nous sommes sous la croix ; et la plus grande félicité n'est-elle pas d'être près de Jésus-Christ ? Suivons notre vie intérieure, et voyons comment se diversifie l'horreur de la croix ; nous verrons ensuite de quelles bénédictions elle nous prive. Prenons ces deux points pour sujets de notre méditation ; ce sera la partie pratique de la parole : Et Jésus porta sa croix.

Il y a, comme nous venons de le dire, une horreur ouverte de la croix.
Vous voyez des hommes qui ne peuvent rien souffrir. La moindre indisposition leur est insupportable ; la plus légère contrariété les met de mauvaise humeur. Ce qui est étrange, c'est que ce sont ordinairement les hommes les plus exigeants pour les autres ; moins ils peuvent supporter eux-mêmes, plus ils voudraient que les autres supportassent. Ces hommes ont-ils quelque croix qui dure ? Ce sont des plaintes continuelles ; vous croyez voir des martyrs, et ce qu'ils souffrent est souvent en réalité peu de chose. Voilà les tourments de la susceptibilité.
Ces hommes n'ont jamais jeté un regard sur Jésus-Christ portant sa croix. Quel effet leur conduite produirait-elle sur eux, s'ils se mettaient en présence de celui qui nous a laissé un exemple, afin que nous suivions ses traces ? Ajoutez que toutes nos croix sont des croix méritées. Si nous ne souffrons pas pour nos péchés d'aujourd'hui, c'est pour d'anciens péchés ; et si Dieu voulait nous traiter selon nos péchés, et nous rendre selon nos iniquités, nous aurions à éprouver de toutes autres souffrances. Il n'en est pas de même de Jésus-Christ. Qui le convaincra, lui, de péché ? Et lui, lorsqu'on lui disait des outrages, n'en rendait point, lorsqu'on le maltraitait, il ne faisait point de menaces. On le presse et on l'accable, et il n'a point ouvert sa bouche ; il a été mené à la tuerie comme un agneau, et comme une brebis muette devant celui qui la tond ; même il n'a point ouvert sa bouche.

Pour d'autres, la susceptibilité n'est pas si générale. Mais nous avons tous nos côtés sensibles, et si Dieu nous prend par un de ces côtés, l'horreur delà croix éclatera comme pour les premiers. Il y a des croix particulières pour l'avare, pour l'ambitieux, pour l'homme à propre justice, pour le pauvre comme pour le rentier ; la croix de l'un ne serait pas une croix pour l'autre ; et l'un aimerait bien échanger avec l'autre ; mais Dieu, qui connaît les caractères, sait aussi quelles espèces de croix sont les meilleures pour nous.

Nos côtés sensibles sont ceux par lesquels nous tenons le plus fortement à nous-mêmes. C'est sur ces côtés que Dieu fait ordinairement peser ses croix ; c'est pour nous préparer à la liberté glorieuse des enfants de Dieu. Regardons de nouveau à Jésus. Il n'avait point de côté sensible ; il était libre de tout côté pour nous. Mais il n'a pu l'être, qu'en s'anéantissant lui-même. De quelque part que lui vienne la croix, il la porte, et de la même manière. L'amour seul fait arriver là, et qu'est-ce que l'amour ? C'est le déplacement de notre moi dans le coeur de Dieu et dans le coeur du prochain.

Mais l'horreur de la croix est plus souvent rouverte que manifeste.
Vous trouvez des hommes qui supportent admirablement toutes choses, et qui ont pour principe de ne pas se plaindre. Ce sont des colonnes de fer et des fronts d'airain. Mais il y a entre l'esprit de ces hommes et l'esprit de Jésus-Christ un contraste aussi grand que celui qui existe entre le ciel et la terre.
Jésus-Christ est doux et humble de coeur ; les héros que nous lui opposons sont d'une raideur qui repousse. C'est une bravoure de propre fabrique et qui n'a pas vaincu l'horreur de la croix. Quand ce stoïcisme n'aura plus d'admirateurs, il sera bien pusillanime. Il est vrai, il y a de ces forts qui ne veulent pas s'avouer à eux-mêmes combien ils souffrent. Comme on a donné le change aux autres, on peut se donner le change à soi-même. Mais pourquoi le fait-on ? C'est parce qu'on cherche une arme contre l'horreur de la croix. Il est donc vrai que cette horreur existe.

D'autres, moins roides, sont aussi éloignés que ces derniers de l'esprit de Jésus-Christ. On les voit s'arranger le mieux possible pour supporter leurs disgrâces, et ils réussissent.

Comment s'y prennent-ils ? Ils ont, comme on dit, un heureux caractère ; ils prennent la vie, et jusqu'au sérieux de la vie, à la légère. Vous leur voyez bientôt trouver quelque compensation pour ce qu'ils ont souffert ; ils ont d'autres ressources, et c'est ce qui les console. Mais ce n'est point là porter la croix, c'est la jeter. Et pourquoi ces hommes la jettent-ils ? C'est parce qu'elle leur fait peur. S'ils n'avaient point horreur de la croix, leur coeur ne se tournerait pas si vite d'un autre côté.

Il y a encore une classe d'hommes qui tirent leur force de l'espérance. S'ils sont dans une détresse, ils sentent bien cette détresse, mais ils espèrent un changement de position. Ils savent si bien se transporter dans l'avenir, et ils ont l'imagination si heureuse, que, sous la croix, ils ne sentent presque plus la croix, ils la voient ôtée en espérance. Ce n'est pas non plus porter la croix comme Jésus-Christ. Si son âme est troublée, il sent que c'est pour cette heure même qu'il est venu. Il sent chaque trait qui s'enfonce dans son âme ou qui accable son corps ; il savoure ses souffrances comme un autre savoure ses joies. Ce qui le soutient sous la croix, c'est une force présente, ce n'est pas une espérance qui est devant lui. C'est aussi au moment présent que nous avons à regarder, si nous sommes sous la croix. Nous perdons tout le fruit de ce moment, en allant si vite dans nos pensées et dans nos espérances. Les hommes que nous avons devant nous ont-ils quelque chose pour ce moment même ? Nous voyons qu'ils prennent les ailes de l'imagination, pour échapper à ce moment. Pourquoi ? C'est toujours la même réponse : c'est qu'ils ont horreur de la croix.
Quel tort nous faisons-nous, en gardant en nous cet esprit crucifuge ? Nous avons dit que nous nous privons par là des plus grandes bénédictions de la vie chrétienne.

N'est-ce pas une bénédiction d'être rendu fervent d'esprit ? Or, le sommes-nous dans nos jours ordinaires ? Dans ce paisible laisser-aller de nos aises et de nos habitudes, avons-nous cette chaleur vitale qui nous maintient en communion avec Dieu ? N'est-ce pas trop souvent la tiédeur qui nous domine ? Et qu'y a-t-il de plus efficace, pour nous faire sortir de nos langueurs spirituelles, qu'une croix ?
Déjà, par les ébranlements qu'elles nous donnent, les croix sont des grâces excellentes. Elles agissent sur l'esprit général ; si celui-là se réveille, tout ce qui est engourdi en nous se réveillera. La prière sera de nouveau la prière. L'âme remuée invoquera des lieux profonds le nom de l'Éternel. Dieu nous attire ainsi, après qu'il nous aura fait aller dans le désert pour nous parler selon notre coeur.
L'esprit terrestre, qui nous assujettit à la vanité, fera place à l'affection spirituelle qui produit la vie et la paix.
La Bible sera de nouveau la Bible. Éprouvez-la : voyez si elle ne vous ouvre pas les canaux des cieux, et si elle n'épuise pas sur vous la bénédiction, en sorte que vous n'y pourrez pas suffire.
Les bras de chair feront place à un autre bras, à celui qui s'étend d'en haut, qui nous enlève et nous tire des grosses eaux. Tous les besoins spirituels se réveilleront, et feront crier après le Dieu fort et vivant. Et ce premier gain n'est pas le seul. - En voici un second. et croit en lui, a la vie éternelle. L'a-t-on regardé ? On en est illuminé, et leurs faces ne sont point confuses.


N'est-ce pas la croix aussi qui nous met au clair sur nous-mêmes ? Nous nous connaissons si peu, quand tout va bien ! Nous ne savons point alors si nous croyons ou si nous ne croyons pas, si nous sommes riches ou si nous sommes pauvres.
Mais laissez venir une croix, et tout ce vague en nous se décide. Nous saurons quel est notre fondement et ce que nous avons bâti sur ce fondement. Nous discernerons ce qui est oeuvre de Dieu de ce qui est affaire humaine. Quelles clartés la croix jette sur notre caractère, sur nos intentions, sur notre passé, sur les armes avec lesquelles nous combattons, sur tout notre christianisme ?
Nous connaîtrons tous les degrés de nos vertus ou de nos misères. Il se manifestera si notre foi a produit la patience, et si l'ouvrage de la patience est parfait. Nous saurons si nous avons appris à être contents de l'état où nous nous trouvons ; si nous conservons la pureté incorruptible d'un esprit doux et paisible ; si nous nous attendons à l'Éternel, en demeurant fermes, pour qu'il fortifie notre coeur ; si la grâce du Seigneur nous suffit, et si la paix de Dieu garde nos coeurs et nos esprits en Jésus-Christ. En un mot, nous verrons si nous ne nous laissons point surmonter par le mal, mais si nous savons surmonter le mal par le bien.
Sous la croix, on fait des découvertes bien humiliantes, mais on reconnaît aussi l'infinie grandeur de Dieu envers ceux qui croient.

Les époques de croix sont aussi des époques de miracles. Ce sont les heures où nous nous écrierons : Oh ! que tes biens sont grands que tu as réservés à ceux qui te craignent ! et que tu fais pour ceux qui se retirent vers toi, aux yeux des fils des hommes ! Dieu a des forces divines qui, comme les eaux de Siloé, coulent de son temple, quand nos propres forces s'écoulent. Le moyen d'acquérir ces forces, c'est de regarder à Jésus-Christ comme au chef et au consommateur de la foi. Quiconque contemple le Fils et croit en lui, a la vie éternelle. L'a-t-on regardé ? On en est illuminé, et leurs faces ne sont point confuses.

Il y a de ces heures où l'on ne peut plus prier et où l'accablement nous enlève toutes paroles. Mais il nous reste toujours ce regard suppliant porté sur Jésus, et il y a dans ce regard tout un monde de puissance.
Le regard a quelque chose de plus immédiat que la parole, et si Dieu nous coupe la parole, c'est pour nous donner plus que cela. Il découvre nos yeux et nous montre son Fils bien-aimé, lui, dont le regard est la délivrance même. C'est dans ces heures silencieuses, les plus riches de la vie chrétienne, que notre salut s'avance en souffrant. Nous ne sommes plus alors dans les parvis du temple, nous sommes dans le lieu très saint, à la porte des paroles ineffables qu'il n'est pas possible à l'homme d'exprimer. Et nous aurions horreur de la croix, quand c'est elle qui nous ouvre ce sanctuaire ! Nous la jetterions cette croix, quand ce serait jeter toute la plénitude de Dieu ! Nous courrions au delà de ces moments bénis avec nos pensées et nos espérances, quand toute l'éternité est dans ces moments ! Ah ! ne nous levons point de la poussière, que nous n'ayons reconnu que Dieu nous aime, et qu'il veut nous rendre participants de sa sainteté. Nous saurons que Jésus est vivant, que nous avons tout pleinement en lui, et que son joug est aisé, son fardeau léger.

Voyez aussi comme la croix nous unit les uns aux autres ! Prenez deux hommes qui souffrent près de Jésus : de quel amour ces deux hommes s'aimeront-ils ! Ou prenez deux époux chrétiens qui viennent de perdre un enfant : quel lien nouveau entre ces deux âmes déjà si unies ! Qui est-ce qui comprend un coeur brisé comme un coeur brisé ?
Il y a une intimité qui ne se forme et qui ne se nourrit que sous la croix, et c'est de toutes les intimités la plus profonde.

Nous avons parlé de deux âmes chrétiennes ; mais il y a un amour qui est au-dessus de cette charité partielle, c'est la charité universelle. Aimer ceux qui ne nous comprennent point, qui ne nous aiment point, qui peut-être nous haïssent, voilà bien autre chose encore que de jouir, en s'aimant, l'un de l'autre. Mais quand ferons-nous l'apprentissage de cette autre charité ? Quand nous réveillerons-nous à cette charité qui excuse tout, qui croit tout, qui espère tout, qui supporte tout ? N'est-ce point quand nous sommes sous la croix ? Quand Jésus a-t-il aimé le plus, si l'on peut mettre des degrés à son amour ? C'est sous la croix qu'il s'est sanctifié lui-même pour nous, et que son amour a reçu son couronnement.

Nous n'avons pu parler que de ceux qui souffrent près de Jésus. Pour les autres, ils sont bien à plaindre. Si déjà la vie, loin de Jésus, est insupportable, à plus forte raison la souffrance ! Et que d'âmes qui souffrent et qui ne savent où aller ! Montrez-moi un ami qui entre dans vos douleurs aussi profondément que vous le voudriez. Montrez-moi un homme qui sache pleurer comme il faut avec ceux qui pleurent. Je n'en vois qu'un. Regardez à Jésus, et laissez les autres.
Âmes errantes qui ne savez où mettre vos fardeaux, coeurs déchirés qui ne trouvez point de médecin pour vous guérir, pauvres et misérables à qui personne ne s'intéresse, élevez vos yeux, votre délivrance approche. Jésus vous connaît tous ; et il ne veut que vos misères. Donnez-vous à lui, et tout change.
Toutes vos croix, il les a portées ; toutes vos larmes solitaires, il y a pensé, quand, sous sa croix immortelle, il a pleuré pour vous. Le destructeur des obstacles marche devant vous ; prenez sa main et suivez.

Bientôt vos vallées sombres se changeront en parcs herbeux, vos déserts en jardins de l'Éternel ; c'est sous la croix que vous avez combattu, c'est sous la croix que vous triompherez. Portez-la en silence ; celui qui sème avec larmes, moissonnera avec chant de triomphe. Aujourd'hui, en portant la semence pour la mettre en terre, vous allez en pleurant ; mais vous reviendrez avec un cri de joie, quand vous porterez vos gerbes.


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