Et Jésus porta sa croix.
C'est Jésus sous la croix que nous voyons.
Avant d'être attaché à cette
croix, il l'a portée, et cette croix il
l'appelle la sienne. Comme un roi parlerait de sa
couronne ou de ses armées,
Jésus-Christ parle de sa croix.
Et qu'est-ce que cette croix ? N'est-ce que le
bois qui charge les épaules de
Jésus ? n'est-ce pas autre chose
encore ? Toute la vie terrestre de
Jésus n'a-t-elle pas été une
croix ? Et cette croix, ne l'a-t-il point
portée depuis la crèche jusqu'au
Calvaire ? Et ce qui a fait de la vie
entière de Jésus une croix, nous le
savons, ce sont nos péchés. Il a
porté nos péchés en son corps
sur le bois ; voilà sa croix, celle
sous laquelle nous
le voyons. C'est cette croix générale
qui pèse sur lui ; ce sont toutes les
conséquences et tous les jugements de nos
péchés. C'est là celle que
nous lui voyons porter, en regardant à ce
bois visible. Nous n'avons jamais senti jusqu'au
bout les conséquences d'un seul de nos
péchés. La conscience la plus
délicate, l'âme la plus repentante, ne
sent pas encore dans son entier, l'état de
rupture que le péché a produit entre
nous et Dieu.
Si cela est vrai d'un seul de nos
péchés, que dire des millions de
péchés qui chargent notre conscience
et des millions de pécheurs dont
Jésus-Christ a pris sur lui la
cause ?
Mais en voyant le Sauveur sous la croix, nous
voyons aussi notre propre destination terrestre. Il
nous dit lui-même : Si quelqu'un veut
venir après moi, qu'il renonce à
soi-même et qu'il se charge de sa croix, et
qu'il me suive. C'est une grande grâce,
quand on peut croire en Jésus-Christ ;
c'est une grâce plus grande encore, quand on
peut souffrir pour lui. La croix est le
complément de la foi, et
de tous les spectacles, le plus beau, c'est celui
d'un homme qui souffre près de Jésus
ou qui souffre pour lui. La plus belle
épitaphe à mettre sur la tombe d'un
vrai chrétien serait celle-ci : Il a
porté sa croix.
Comment portons-nous nos croix ? Faisons cet
examen devant Jésus portant la sienne. Chaque jour amène sa
peine ; comme chaque jour est un jour de foi, chaque
jour est aussi, plus ou moins, un jour de croix.
Dans quel esprit souffrons-nous ? Est-ce comme
Jésus ? est-ce pour lui ?
Si nous rentrons en nous-mêmes, nous
découvrirons facilement en nous quelque
chose qui a horreur de la croix. C'est ce
côté de notre nature que je voudrais
poursuivre. Cette horreur est, tantôt
manifeste, tantôt cachée. Et c'est
cette horreur qui nous prive des plus grandes
bénédictions de la vie
chrétienne. Jamais nous ne sommes si
près de Jésus-Christ que quand nous
sommes sous la croix ; et la plus grande
félicité n'est-elle pas d'être
près de Jésus-Christ ?
Suivons notre vie
intérieure, et voyons comment se diversifie
l'horreur de la croix ; nous verrons ensuite
de quelles bénédictions elle nous
prive. Prenons ces deux points pour sujets de notre
méditation ; ce sera la partie pratique
de la parole : Et Jésus porta sa
croix.
Il y a, comme nous venons de le dire, une horreur
ouverte de la croix.
Vous voyez des hommes qui ne peuvent rien souffrir.
La moindre indisposition leur est
insupportable ; la plus légère
contrariété les met de mauvaise
humeur. Ce qui est étrange, c'est que ce
sont ordinairement les hommes les plus exigeants
pour les autres ; moins ils peuvent supporter
eux-mêmes, plus ils voudraient que les autres
supportassent. Ces hommes ont-ils quelque croix qui
dure ? Ce sont des plaintes
continuelles ; vous croyez voir des martyrs,
et ce qu'ils souffrent est souvent en
réalité peu de chose. Voilà
les tourments de la susceptibilité.
Ces hommes n'ont jamais jeté un regard sur
Jésus-Christ portant sa croix. Quel effet
leur conduite produirait-elle
sur eux, s'ils se mettaient en présence de celui qui nous a laissé
un exemple, afin
que nous suivions ses traces ? Ajoutez que
toutes nos croix sont des croix
méritées. Si nous ne souffrons pas
pour nos péchés d'aujourd'hui, c'est
pour d'anciens péchés ; et si
Dieu voulait nous traiter selon nos
péchés, et nous rendre selon nos
iniquités, nous aurions à
éprouver de toutes autres souffrances. Il
n'en est pas de même de Jésus-Christ.
Qui le convaincra, lui, de
péché ? Et lui, lorsqu'on
lui disait des outrages, n'en rendait point,
lorsqu'on le maltraitait, il ne faisait point de
menaces. On le presse et on l'accable, et il n'a
point ouvert sa bouche ; il a
été mené à la tuerie
comme un agneau, et comme une brebis muette devant
celui qui la tond ; même il n'a point
ouvert sa bouche.
Pour d'autres, la susceptibilité n'est pas
si générale. Mais nous avons tous nos
côtés sensibles, et si Dieu nous prend
par un de ces côtés, l'horreur
delà croix éclatera comme pour les
premiers. Il y a des croix
particulières pour
l'avare, pour l'ambitieux, pour l'homme à
propre justice, pour le pauvre comme pour le
rentier ; la croix de l'un ne serait pas une
croix pour l'autre ; et l'un aimerait bien
échanger avec l'autre ; mais Dieu, qui
connaît les caractères, sait aussi
quelles espèces de croix sont les meilleures
pour nous.
Nos côtés sensibles sont ceux par
lesquels nous tenons le plus fortement à
nous-mêmes. C'est sur ces côtés
que Dieu fait ordinairement peser ses croix ;
c'est pour nous préparer à la
liberté glorieuse des enfants de Dieu. Regardons de nouveau à
Jésus. Il
n'avait point de côté sensible ;
il était libre de tout côté
pour nous. Mais il n'a pu l'être, qu'en s'anéantissant lui-même. De
quelque
part que lui vienne la croix, il la porte,
et de la même manière. L'amour seul
fait arriver là, et qu'est-ce que
l'amour ? C'est le déplacement de notre moi dans le
coeur de Dieu et dans le coeur
du prochain.
Mais l'horreur de la croix est plus souvent
rouverte que manifeste.
Vous trouvez des hommes qui
supportent admirablement toutes choses, et qui ont
pour principe de ne pas se plaindre. Ce sont des
colonnes de fer et des fronts d'airain. Mais il y a
entre l'esprit de ces hommes et l'esprit de
Jésus-Christ un contraste aussi grand que
celui qui existe entre le ciel et la terre.
Jésus-Christ est doux et humble de
coeur ; les héros que nous lui
opposons sont d'une raideur qui repousse. C'est une
bravoure de propre fabrique et qui n'a pas vaincu
l'horreur de la croix. Quand ce stoïcisme
n'aura plus d'admirateurs, il sera bien
pusillanime. Il est vrai, il y a de ces forts qui
ne veulent pas s'avouer à eux-mêmes
combien ils souffrent. Comme on a donné le
change aux autres, on peut se donner le change
à soi-même. Mais pourquoi le
fait-on ? C'est parce qu'on cherche une
arme contre l'horreur de la croix. Il est donc vrai
que cette horreur existe.
D'autres, moins roides, sont aussi
éloignés que ces derniers de l'esprit
de Jésus-Christ. On les voit s'arranger le
mieux possible pour supporter leurs
disgrâces, et ils
réussissent.
Comment s'y prennent-ils ? Ils ont, comme on
dit, un heureux caractère ; ils
prennent la vie, et jusqu'au sérieux de la
vie, à la légère. Vous leur
voyez bientôt trouver quelque compensation
pour ce qu'ils ont souffert ; ils ont d'autres
ressources, et c'est ce qui les console. Mais ce
n'est point là porter la croix, c'est la
jeter. Et pourquoi ces hommes la jettent-ils ?
C'est parce qu'elle leur fait peur. S'ils n'avaient
point horreur de la croix, leur coeur ne se
tournerait pas si vite d'un autre
côté.
Il y a encore une classe d'hommes qui tirent leur
force de l'espérance. S'ils sont dans une
détresse, ils sentent bien cette
détresse, mais ils espèrent un
changement de position. Ils savent si bien se
transporter dans l'avenir, et ils ont l'imagination
si heureuse, que, sous la croix, ils ne sentent
presque plus la croix, ils la voient
ôtée en espérance. Ce n'est pas
non plus porter la croix comme Jésus-Christ. Si son âme est
troublée, il
sent que c'est pour cette heure même qu'il
est venu. Il sent chaque trait qui
s'enfonce dans son âme ou
qui accable son corps ; il savoure ses
souffrances comme un autre savoure ses joies. Ce
qui le soutient sous la croix, c'est une force
présente, ce n'est pas une espérance
qui est devant lui. C'est aussi au moment
présent que nous avons à regarder, si
nous sommes sous la croix. Nous perdons tout le
fruit de ce moment, en allant si vite dans nos
pensées et dans nos espérances. Les
hommes que nous avons devant nous ont-ils quelque
chose pour ce moment même ? Nous voyons
qu'ils prennent les ailes de l'imagination, pour
échapper à ce moment.
Pourquoi ? C'est toujours la même
réponse : c'est qu'ils ont horreur de
la croix.
Quel tort nous faisons-nous, en gardant en nous cet
esprit crucifuge ? Nous avons dit que nous
nous privons par là des plus grandes
bénédictions de la vie
chrétienne.
N'est-ce pas une bénédiction
d'être rendu fervent d'esprit ? Or, le sommes-nous dans
nos jours
ordinaires ? Dans ce paisible
laisser-aller de nos aises et de nos habitudes,
avons-nous cette chaleur vitale qui nous
maintient en communion avec
Dieu ? N'est-ce pas trop souvent la
tiédeur qui nous domine ? Et qu'y
a-t-il de plus efficace, pour nous faire sortir de
nos langueurs spirituelles, qu'une croix ?
Déjà, par les ébranlements
qu'elles nous donnent, les croix sont des
grâces excellentes. Elles agissent sur
l'esprit général ; si
celui-là se réveille, tout ce qui est
engourdi en nous se réveillera. La
prière sera de nouveau la prière.
L'âme remuée invoquera des lieux
profonds le nom de l'Éternel. Dieu nous attire ainsi,
après qu'il
nous aura fait aller dans le désert pour
nous parler selon notre coeur.
L'esprit terrestre, qui nous assujettit
à la vanité, fera place à l'affection spirituelle qui
produit la vie et la
paix.
La Bible sera de nouveau la Bible.
Éprouvez-la : voyez si elle ne vous
ouvre pas les canaux des cieux, et si elle
n'épuise pas sur vous la
bénédiction, en sorte que vous n'y
pourrez pas suffire.
Les bras de chair feront place à un
autre bras, à celui qui s'étend
d'en haut, qui nous enlève et nous tire des
grosses eaux. Tous les besoins spirituels se
réveilleront, et
feront crier après le Dieu fort et
vivant. Et ce premier gain n'est pas le seul. -
En voici un second. et croit en lui, a la vie
éternelle. L'a-t-on regardé ? On
en est illuminé, et leurs faces ne sont
point confuses.
N'est-ce pas la croix aussi qui nous met au clair
sur nous-mêmes ? Nous nous connaissons
si peu, quand tout va bien ! Nous ne savons
point alors si nous croyons ou si nous ne croyons
pas, si nous sommes riches ou si nous sommes
pauvres.
Mais laissez venir une croix, et tout ce vague en
nous se décide. Nous saurons quel est notre
fondement et ce que nous avons bâti sur ce
fondement. Nous discernerons ce qui est oeuvre de
Dieu de ce qui est affaire humaine. Quelles
clartés la croix jette sur notre
caractère, sur nos intentions, sur notre
passé, sur les armes avec lesquelles nous
combattons, sur tout notre christianisme ?
Nous connaîtrons tous les degrés de
nos vertus ou de nos misères. Il se
manifestera si notre foi a produit la patience, et si
l'ouvrage de la patience est parfait. Nous saurons si nous
avons appris à
être contents de l'état où nous
nous trouvons ; si nous conservons la
pureté incorruptible d'un
esprit doux et
paisible ; si nous nous attendons à
l'Éternel, en demeurant fermes, pour qu'il
fortifie notre coeur ; si la
grâce du Seigneur nous suffit, et si la paix de Dieu garde
nos coeurs et nos esprits
en Jésus-Christ. En un mot, nous verrons
si nous ne nous laissons point surmonter par le
mal, mais si nous savons surmonter le mal
par le bien.
Sous la croix, on fait des découvertes
bien humiliantes, mais on reconnaît aussi l'infinie grandeur de
Dieu envers ceux qui
croient.
Les époques de croix sont aussi des
époques de miracles. Ce sont les heures
où nous nous écrierons : Oh ! que tes biens sont grands
que tu as
réservés à ceux qui te
craignent ! et que tu fais pour ceux
qui se retirent vers toi, aux yeux des fils des
hommes ! Dieu a des forces divines qui,
comme les eaux de Siloé, coulent de
son temple, quand nos propres forces
s'écoulent. Le moyen d'acquérir ces
forces, c'est de regarder à
Jésus-Christ comme au chef et au
consommateur de la foi. Quiconque contemple le
Fils et croit
en lui, a
la vie éternelle. L'a-t-on
regardé ? On en est illuminé, et
leurs faces ne sont point confuses.
Il y a de ces heures où l'on ne peut plus
prier et où l'accablement nous enlève
toutes paroles. Mais il nous reste toujours ce
regard suppliant porté sur Jésus, et
il y a dans ce regard tout un monde de
puissance.
Le regard a quelque chose de plus immédiat
que la parole, et si Dieu nous coupe la parole,
c'est pour nous donner plus que cela. Il découvre nos yeux et
nous montre son
Fils bien-aimé, lui, dont le regard est
la délivrance même. C'est dans ces
heures silencieuses, les plus riches de la vie
chrétienne, que notre salut s'avance en
souffrant. Nous ne sommes plus alors dans les
parvis du temple, nous sommes dans le lieu
très saint, à la porte des paroles
ineffables qu'il n'est pas possible à
l'homme d'exprimer. Et nous aurions horreur de
la croix, quand c'est elle qui nous ouvre ce
sanctuaire ! Nous la jetterions cette croix,
quand ce serait jeter toute la plénitude
de Dieu ! Nous courrions
au delà de ces moments
bénis avec nos pensées et nos
espérances, quand toute
l'éternité est dans ces
moments ! Ah ! ne nous levons point de la
poussière, que nous n'ayons reconnu que Dieu
nous aime, et qu'il veut nous rendre
participants de sa sainteté. Nous
saurons que Jésus est vivant, que nous avons tout
pleinement en lui, et que son joug est aisé, son fardeau
léger.
Voyez aussi comme la croix nous unit les uns aux
autres ! Prenez deux hommes qui souffrent
près de Jésus : de quel amour
ces deux hommes s'aimeront-ils ! Ou prenez
deux époux chrétiens qui viennent de
perdre un enfant : quel lien nouveau entre ces
deux âmes déjà si unies !
Qui est-ce qui comprend un coeur brisé comme
un coeur brisé ?
Il y a une intimité qui ne se forme et qui
ne se nourrit que sous la croix, et c'est de toutes
les intimités la plus profonde.
Nous avons parlé de deux âmes
chrétiennes ; mais il y a un amour qui
est au-dessus de cette charité partielle,
c'est la charité universelle. Aimer ceux qui
ne nous comprennent point, qui
ne nous aiment point, qui
peut-être nous haïssent, voilà
bien autre chose encore que de jouir, en s'aimant,
l'un de l'autre. Mais quand ferons-nous
l'apprentissage de cette autre
charité ? Quand nous
réveillerons-nous à cette charité qui excuse tout, qui
croit tout, qui espère tout, qui supporte
tout ? N'est-ce
point
quand nous sommes sous la croix ? Quand
Jésus a-t-il aimé le plus, si l'on
peut mettre des degrés à son
amour ? C'est sous la croix qu'il s'est
sanctifié lui-même pour nous, et
que son amour a reçu son couronnement.
Nous n'avons pu parler que de ceux qui souffrent
près de Jésus. Pour les autres, ils
sont bien à plaindre. Si déjà
la vie, loin de Jésus, est insupportable,
à plus forte raison la souffrance ! Et
que d'âmes qui souffrent et qui ne savent
où aller ! Montrez-moi un ami qui entre
dans vos douleurs aussi profondément que
vous le voudriez. Montrez-moi un homme qui sache pleurer comme
il faut avec ceux qui
pleurent. Je n'en vois qu'un. Regardez
à Jésus, et laissez les
autres.
Âmes errantes qui ne savez
où mettre vos fardeaux, coeurs
déchirés qui ne trouvez point de
médecin pour vous guérir, pauvres et
misérables à qui personne ne
s'intéresse, élevez vos yeux,
votre délivrance approche. Jésus
vous connaît tous ; et il ne veut que
vos misères. Donnez-vous à lui, et
tout change.
Toutes vos croix, il les a portées ;
toutes vos larmes solitaires, il y a pensé,
quand, sous sa croix immortelle, il a pleuré
pour vous. Le destructeur des obstacles marche
devant vous ; prenez sa main et
suivez.
Bientôt vos vallées sombres se
changeront en parcs herbeux, vos déserts en jardins
de
l'Éternel ; c'est sous la croix que
vous avez combattu, c'est sous la croix que vous
triompherez. Portez-la en silence ; celui
qui sème avec larmes, moissonnera avec chant
de triomphe. Aujourd'hui, en portant la
semence pour la mettre en terre, vous allez en
pleurant ; mais vous
reviendrez
avec un cri de joie, quand vous porterez vos
gerbes.
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