Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IX

La routine chrétienne.

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Luc, XV, 25-32.

 Or, son fils aîné était aux champs, et comme il revenait et qu'il approchait de la maison, il entendit la mélodie et les danses.
Et ayant appelé un des serviteurs, il lui demanda ce que c'était.
Et ce serviteur lui dit : Ton frère est venu, et ton père a tué le veau gras, parce qu'il l'a recouvré sain et sauf.
Mais il se mit en colère, et ne voulut point entrer ; et son père étant sorti le priait d'entrer.
Mais il répondit et dit à son père : Voici, il y a tant d'années que je te sers, et jamais je n'ai transgressé ton commandement, et cependant tu ne m'as jamais donné un chevreau pour faire bonne chère avec mes amis.
Mais quand celui-ci, ton fils, qui a mangé ton bien avec des femmes de mauvaise vie, est venu, tu lui as tué le veau gras.Et te père lui dit : Mon enfant, tu es toujours avec moi, et tous mes biens sont à toi.
Or, il fallait faire bonne chère et se réjouir, parce que celui-ci, ton frère, était mort, et il est ressuscité ; il était perdu, et il est retrouvé.



À l'histoire de l'enfant prodigue le Seigneur a joint une autre histoire ; c'est celle du frère aîné. Ce fils n'avait point mal vécu comme l'autre ; il n'avait jamais commis d'excès et avait toujours demeuré avec le père. C'était un homme rangé, appliqué à ses devoirs ; car il revient des champs, et fort tard, le soir où l'autre frère arrive.
Extérieurement on ne peut rien lui reprocher, mais nous voyons que sa vie intérieure n'est pas ce qu'elle doit être. Il n'a ni les sentiments d'un bon fils ni ceux d'un bon frère. Envie, dépit, colère, orgueil, tout cela sort de son coeur, quand son père le prie d'entrer et qu'il doit tendre la main à son frère. Nous remarquons, en outre, dans ce caractère une grande sécheresse. Quand ce fils dit à son père : Voici, il y a tant d'années que je te sers, ne dirait-on pas qu'il parle d'une corvée ?

Nous voyons que ce fils aurait souvent préféré la société de quelques amis à la société de son père ; il y avait donc des moments où son père lui était à charge. Voilà des sentiments qui nous prouvent que ce fils n'avait jamais senti véritablement le bonheur de cette vie avec le père, et que l'esprit de ce fils est moins un esprit filial qu'un esprit de servitude et de contrainte.
Quel homme le Seigneur avait-il en vue en nous dépeignant ce frère aîné ? Ce n'est point un pharisien ; il y a dans ce caractère du bon que nous ne voulons point méconnaître. Mais ce n'est pas non plus un homme converti ; ce qui manque pour cela, c'est le coeur brisé, et la faim et la soif de la justice d'en haut.
Le Seigneur veut nous décrire un état en quelque sorte intermédiaire. Nous pouvons appeler cet état la routine chrétienne. Faisons-en le sujet de notre méditation. Nous montrerons d'abord ce que nous entendons par cet état. Nous verrons ensuite quelles sont les causes qui le produisent. Enfin, nous chercherons les moyens d'y porter remède. C'est sur ces trois points que nous allons fixer notre attention.

1.
- Qu'entendons-nous par routine chrétienne ?
Je vais vous la montrer dans trois exemples différents.
Il y a souvent de ces époques de décadence où l'incrédulité envahit toute une contrée, et où, dans les Églises comme dans les familles, la vie religieuse est comme éteinte. On dirait que Dieu a retiré son chandelier et que tout vestige de la foi se trouve effacé. Cependant, cherchez bien à des époques pareilles, vous trouverez toujours encore quelque homme pieux, perdu, il est vrai, comme une cabane dans une vigne ou comme une loge dans un champ de concombres. Ce sont ceux qu'on appelle des hommes de la vieille roche, et qui représentent les bonnes moeurs d'autrefois et en même temps l'esprit religieux. Au milieu de l'indifférence qui règne autour d'eux, ils ont conservé leur culte de famille, la prière à table, le respect du dimanche et les autres pratiques religieuses. Ce sont des saints, comparés à la génération dans laquelle ils vivent. Mais supposez qu'il se fasse dans la même ville quelque réveil religieux. Un homme, connu pour un homme de mauvaise vie, est frappé au coeur et se convertit à l'Évangile. C'est un état que le frère aîné ne comprendra pas. Un homme qui a toujours bien vécu, comme lui, est, à ses yeux, bien plus agréable à Dieu qu'un autre qui a tant de mauvaises années derrière lui et dont le changement de vie ne peut guère, selon lui, être sincère.
Le mystère de la justification par la foi n'a pas encore été révélé à ce frère aîné. Sa piété n'est qu'une piété traditionnelle et qui a toujours été la même. Nous appelons cet état une routine chrétienne.

Voici un second exemple.
Il y a des enfants élevés au milieu d'une atmosphère pieuse et qui n'ont jamais eu d'autres exemples sous les yeux que des exemples chrétiens. Leurs parents, les personnes chargées de leur éducation, les établissements qu'ils ont fréquentés, les pasteurs qui ont fait leur instruction religieuse, tout semblait devoir contribuer à faire de ces enfants des chrétiens modèles. Si la piété était une chose qui passe de père en fils, ces enfants nous présenteraient les conversions les plus accomplies.
Cependant, si vous suivez plus tard la vie de ces enfants, trouvez-vous toujours une véritable oeuvre de régénération ? Connaîtront-ils Jésus-Christ de la vraie manière, comme des âmes dépouillées et qui n'ont que Jésus-Christ pour leur justice ? Quand on a été porté sur les épaules de longues années, sait-on toujours si l'on est fort ou faible soi-même ? On n'a jamais été incrédule, on a été nourri dans de pieuses habitudes ; mais une piété qui nous vient si facilement est-elle toujours une oeuvre de Dieu ? Ici aussi on peut prendre pour une conversion ce qui n'est qu'une routine chrétienne.

Un dernier cas encore.
Supposez un homme qui depuis des années suit des réunions religieuses. C'est un ancien réveillé, dissident ou non ; admettons toujours qu'il y ait en lui quelque chose de commencé.

Peut-être cet homme a-t-il autrefois supporté l'opprobre de Christ ; mais si, après des années, vous suivez sa vie religieuse, elle vous paraît bien sèche, et elle l'est en effet. Cependant, cet homme est à ses yeux un vétéran de la bonne cause. Il a peut-être été le premier réveillé de son endroit, et s'il devait se faire quelque nouveau réveil dans la même localité, ce frère aîné se croirait bien supérieur à ces derniers venus. Il n'aimerait pas qu'on le dépréciât par admiration pour ces derniers. Il trouvera à ces nouvelles conversions toutes sortes de défauts ; plus il les rabaisse, plus il aura l'air d'un connaisseur. Mais si vous aviez à choisir entre cette piété fraîche, quoique sortant de la fange, et ce réveil suranné et décrépit, vous ne balanceriez point. C'est encore un état de routine que vous voyez.

Après ces trois exemples, l'idée de la chose nous deviendra plus claire.
Il est question d'une direction religieuse qui a extérieurement tous les caractères de la vraie foi, mais à laquelle manque intérieurement la fraîcheur de la vie. C'est une piété qui n'édifie pas et qui est comme une plante sans rosée. Qu'est-ce qui cloche alors ? Ce qui est divin ne s'use point, et ce qui s'use n'est point divin. Voici les causes qui produisent cet état.

2. - C'est, avant tout, une connaissance trop imparfaite du péché.
Le frère aîné n'aurait point deviné le fond d'aigreur, de colère, de jalousie et d'orgueil qui sort plus tard des cachettes de son coeur. Quand on ne s'est point rencontré bien fortement avec le péché, on risque beaucoup de tomber dans la routine.
On jouit de la grâce comme d'une chose toute naturelle ; mais la faim et la soif de la grâce n'ont point encore été véritablement réveillées. Il n'est point nécessaire qu'on en vienne jusqu'aux pourceaux pour connaître le péché ; l'oeuvre du péché est assez prononcée dans l'âme sans qu'il faille pour la rendre évidente qu'elle éclate et qu'elle entraîne jusqu'au vice. Mais on ne suit pas ces mouvements intérieurs ; on n'entretient point la délicatesse de la conscience, ou, parce qu'on s'est trop souvent surpris sur les mêmes mouvements, on s'y habitue, et c'est ce qui fait tomber dans la routine. Si nous regardions plus avant dans les plaies de notre nature, et si nous avions moins d'amour-propre, quand la vérité nous condamne, la source de la vie ne serait pas si souvent troublée.

Voici une seconde cause. Nous lisons beaucoup trop légèrement la Parole de Dieu. Nous en faisons trop une affaire de tâche ; nous lisons beaucoup et nous méditons peu. La méditation, c'est l'application personnelle. Nous ne nous arrêtons pas assez devant le portrait de notre vieil homme ; nous courons trop après les promesses et les consolations, et nous nous soucions trop peu des paroles dures et sévères de l'Écriture. Ce sont là les marteaux qui brisent la pierre, et les épées qui vont aux pensées et aux intentions du coeur. Aussi, lisons-nous trop peu avec l'esprit de la prière. Nous ne nous plaçons point sous le regard de Dieu, et nous ne réveillons point les soupirs du Saint-Esprit qui font désirer un autre état de choses. C'est cet usage trop peu consciencieux de la Parole de Dieu qui nous fait prendre pour des expériences de coeur de simples convictions de tête. Ce que nous appelons le coeur n'est trop souvent que l'imagination. Ce sont des sentiments fugitifs, mais qui ne surmontent pas l'obstination profonde de la volonté. Quand l'impression du moment est passée, le même vieil homme reste encore.

Souvent aussi on ne s'avoue pas que, sous les dehors de la piété, il y a un esprit de contrainte. Le fils aîné aurait souvent mieux aimé se réjouir avec ses amis que de rester avec son père. Nous ne nous rendons pas toujours raison de cela. On prie, on lit la Bible, on a l'air d'être avec Dieu, et l'on aimerait mieux être ailleurs. On comprime une répugnance qui vient de l'inimitié naturelle envers Dieu, et qui fait souffrir doublement, d'abord parce qu'on l'éprouve, puis parce qu'il faut la cacher. Bien des pratiques religieuses sont dominées par cet esprit de contrainte.
L'acte est là, mais l'on n'ose pas regarder à l'esprit qui l'a produit. Si l'on avait pu honnêtement s'en dispenser, on ne l'aurait point accompli. Ce qu'on fait dans une telle disposition est encore de la routine : une foule d'oeuvres et de vertus que le monde admire découlent de la même source.

L'esprit de servitude est aussi un esprit de crainte. La crainte produit la servitude. On a trop besoin de Dieu pour se mettre mal avec lui ouvertement, et il est trop puissant pour qu'on lui résiste en face. On aurait ses châtiments à redouter ; on ne l'aime point, on le craint.
C'est cette crainte qui traverse la vie de l'homme naturel et qui est aussi cachée sous la routine chrétienne. Le coeur n'est point à l'aise ; le péché l'a fait sortir de son état normal, et l'état normal, c'est l'amour. L'amour dilate le coeur ; la crainte qui a remplacé l'amour nous dessèche. Voyez le coeur desséché du fils aîné : c'est l'état spirituel d'une multitude de chrétiens qui ne cherchent à satisfaire Dieu que pour tranquilliser leur conscience, non qu'ils aient besoin d'aimer et de vivre avec le Père.

3. - Comment nous préserver de la routine et comment y porter remède ? C'est le troisième point qui nous reste à examiner.
Voici la réponse. Maintenons-nous toujours dans la vérité et dans l'humilité. Employons pour cela tous les secours que Dieu nous a donnés.
Le plus sûr, c'est toujours l'Écriture sainte. La vérité n'est point naturellement en nous. Dieu a fait l'homme droit, mais depuis nous avons cherché beaucoup de discours, et si nous nous jugeons nous-mêmes, nous ne sommes point jugés. Ta Parole, dit Jésus-Christ, est la vérité. C'est la connaissance de cette Parole qui illumine et qui rend les plus simples intelligents.
Cette Parole nous dira si nous sommes dans la vérité ou si nous vivons dans la routine. Servons-nous l'Éternel avec allégresse ? venons-nous devant lui avec des chants de joie ? Faisons-nous de bon coeur, comme pour le Seigneur, quelque chose que nous fassions ? Le faisons-nous sans murmures et sans disputes ? Apportons-nous autre chose que les apparences de la prière ?

Notre coeur
est-il où est son trésor ? Étant plantés dans la maison de l'Éternel, fleurissons-nous dans les parvis de notre Dieu ? Sommes-nous en vigueur, et nos dernières oeuvres surpassent-elles les premières ?
Voilà ce qui peut nous mettre sur la voie de la vérité et nous y maintenir. Nous discernerons aussitôt ce qui coule de source de ce qui est forcé, et nous souffrirons trop d'un état factice pour y demeurer plus longtemps.

C'est encore l'Écriture qui nous maintiendra dans l'humilité. Elle dit à chaque frère aîné qui a honte de son frère tombé : De qui vient la différence entre toi et un autre ? qu'as-tu que tu n'aies reçu ? et si tu l'as reçu, pourquoi t'en glorifies-tu, comme si tu ne l'avais point reçu ? Sache que ce n'est pas toi qui portes la racine, mais que c'est la racine qui te porte. Ne t'élève point par orgueil, mais crains. Ce sont les bontés de l'Éternel qui font que nous n'avons pas été consumés ; c'est grâces à ses compassions que nous ne sommes point défaillis.

À
peine Hérode s'était-il élevé, qu'à l'instant un ange du Seigneur le frappa, parce qu'il n'avait pas donné gloire à Dieu, et il mourut rongé des vers. L'humilité entretient la vie ; l'orgueil la ronge.
Plus on aime à donner toute gloire au Seigneur, plus ses ruisseaux sont pleins d'eau et nous préservent de la routine.

Après cela, Dieu amène de ces occasions où il nous fait sortir malgré nous de notre position ordinaire. L'arrivée du fils perdu et retrouvé était pour le frère aîné une de ces occasions. Cet homme si tranquille sent tout à coup bouillonner sa colère, et toute la laideur de son coeur naturel se montre au grand jour.
Voilà comment Dieu nous met souvent en présence de nous-mêmes pour nous donner de salutaires leçons. Quand on a marché un bout de chemin dans la grâce de Dieu, on prend facilement cette grâce pour un fonds acquis par notre piété. On se croit plus de droit, et l'on n'aime plus à être mis sur la même ligne avec un pécheur vulgaire. Attendons le moment, et Dieu nous fera tomber de nos hauteurs, et nous saurons que notre coeur est aussi vulgaire qu'un autre. Nous serons de nouveau bien aises d'être sauvés par grâce et non par nos progrès.

Quand l'autre frère déplorera sa vie de débauche, nous déplorerons notre vie d'orgueil, notre esprit mercenaire, tant d'années où nous avons eu l'air de servir Dieu et où nous nous sommes recherchés nous-mêmes. Plus l'Esprit de Dieu nous ouvrira les yeux, plus notre chute nous paraîtra profonde.
Heureusement nous avons le même Père. Il sortira et nous priera d'entrer, en nous disant : Mon fils, tout ce que j'ai est à toi. Comme il a nettoyé l'autre des souillures de la chair, il nous nettoiera de celles de l'esprit, plus subtiles et plus dangereuses. Nous entrerons pour être revêtus, afin que ce qu'il y a de mortel soit absorbé par la vie. Nous aurons des entrailles de miséricorde pour le dernier des pécheurs ; car nous étions aussi autrefois nous-mêmes insensés, désobéissants, égarés, assujettis à toutes sortes de passions et de voluptés, vivant dans la malice et dans l'envie, dignes d'être haïs, et nous haïssant les uns les autres. Chaque nouvel enfant prodigue sera un nouveau sujet d'humiliation pour nous et un nouvel appel à la charité. Nous prendrons place à côté de ce frère égaré, nous l'aimerons d'une affection cordiale, nous le conduirons aux pieds de notre commun Sauveur, et notre bonheur sera d'avouer : Et moi aussi, j'étais mort, et je suis revenu à la vie ; j'étais perdu, et j'ai été retrouvé.


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