Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VIII

La stérilité de la prière.

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Matthieu, VI, 6.

 Mais toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet ; et ayant fermé ta porte, prie ton Père qui le voit dans ce lieu secret ; et ton Père, qui te voit dans ce lieu secret, te récompensera publiquement.



D'où vient le charme répandu sur la vie des patriarches, sur celle des prophètes et de tous ces saints hommes de l'Ancien-Testament ? Qu'est-ce qui caractérisait ces vies ?
Ce n'étaient pas des avantages extérieurs, c'était autre chose. C'était l'intimité dans laquelle ces hommes vivaient avec leur Dieu.
Noé marchait avec l'Éternel ; Abraham parlait à l'Éternel comme un ami parle à son intime ami ; Moïse demeurait ferme, comme voyant Celui qui est invisible ; David, qu'il s'asseye ou qu'il se lève, qu'il marche ou qu'il s'arrête, se propose toujours l'Éternel devant lui ; Jérémie, avec son Dieu, est comme une colonne de fer et comme des murailles d'airain contre tout un pays. Daniel descend, avec son Dieu, dans la fosse aux lions, et les trois jeunes Hébreux, qui sont jetés dans la fournaise ardente, jouissent jusque dans les flammes de la présence de leur Dieu.

Cette intimité n'est-elle plus possible aujourd'hui ? Nous qui vivons dans la nouvelle alliance, ne sommes-nous pas plus rapprochés encore de notre Dieu ? Celui qui m'a vu, dit Jésus-Christ, a vu mon Père. Si nos rapports avec Jésus-Christ étaient-ce qu'ils doivent être, ne jouirions-nous pas de la même intimité, d'une plus étroite encore ?
Depuis que Dieu a été manifesté en chair, qu'il a habité parmi nous, plein de grâce et de vérité, nous avons un Dieu que nous pouvons voir de nos yeux, toucher de nos mains, et qui n'a point honte de nous appeler ses frères. Ce qui met ce Dieu à nos côtés, c'est la prière. Sommes-nous des hommes de prière ? Voilà peut-être notre côté faible.

Les promesses les plus magnifiques, ce sont celles qui sont faites à la prière. Quiconque demande, reçoit ; qui cherche, trouve, et l'on ouvre à celui qui heurte. Tu l'invoqueras, et l'Éternel t'exaucera ; tu crieras, et il dira : Me voici. Dieu va jusqu'à nous promettre qu'avant que nous criions, il nous exaucera ; que lorsque nous parlerons encore, il nous aura déjà entendus.
Il est vrai, bien des prières montent au ciel, et bon nombre sont stériles ; pourquoi cela ? Saint Jacques nous en dit la raison : Vous demandez et vous ne recevez point, parce que vous demandez mal. Faisons un retour sur nos prières ; dans quel esprit prions-nous habituellement ? Jésus-Christ nous a laissé une parole qui nous montre à la fois comment nous devons prier, et quels résultats nous obtiendrons si nous prions comme il faut.

Toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet, et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans ce lieu secret, et ton Père, qui te voit dans le secret, te le rendra publiquement.

11 y a dans cette parole deux conseils et deux promesses.
Voici les deux conseils :
1° Entre dans ton cabinet ;
2° Ferme la porte.

Voici les deux promesses :
1° Ton Père est dans ce lieu secret ; il t'y voit ;
2° Il te le rendra publiquement.

Méditons sur ces quatre points, et nous trouverons les causes de la stérilité de nos prières.

1. - Toi, quand tu pries, entre dans Ion cabinet.
Jésus-Christ veut que nous ayons un cabinet de prière. Il entend par là un coin tranquille, n'importe où, chez nous ou hors de chez nous, mais propre au recueillement. Le silence extérieur vient au secours du silence de l'âme ; car sans le silence point de prière. Jésus-Christ lui-même avait ses cabinets de prière. Il se retirait, tantôt dans les déserts, tantôt sur la montagne, tantôt dans le jardin des Oliviers, pour répandre son âme devant Dieu.
Les apôtres avaient également leurs cabinets de prière. On nous parle d'une chambre haute, dans laquelle ils se retiraient, tantôt tous réunis, tantôt chacun en particulier.
Quand les envoyés de Corneille arrivent à Joppé, où était Simon-Pierre, ce dernier était monté sur le haut de la maison pour prier. Et quand une foison a goûté combien le Seigneur est doux, ce sont ces coins du monde qu'on préfère à tous les autres. Il se rattache à ces petites places tant de souvenirs et tant de bénédictions !
Mais ces cabinets ne sont que l'antichambre d'un autre cabinet, et c'est de ce dernier que Jésus-Christ parle. Le vrai cabinet, c'est le contact de l'âme avec Dieu. Nous ne sommes dans le cabinet que quand notre âme a pris sa pose et que nous avons trouvé la présence de Dieu.
Le coin le plus tranquille n'est pas le cabinet, si notre âme n'est pas dans son assiette, et si nous n'avons pas ce tête-à-tête pur et profond qui seul fait la prière. Et ici nous rencontrons la première cause de la stérilité de nos prières.

Nous prions avant de nous être bien établis devant Dieu. On a encore un pied hors du cabinet, on n'y est pas entré tout à fait. Notre esprit n'a pas la fixité nécessaire ; le fond de notre âme est trop fluide ; Dieu n'est point tout pour nous, le reste est encore quelque chose.
Le Psalmiste commence par se retirer vers l'Éternel. Il désire ardemment, il soupire après les parvis de l'Éternel ; son âme a soif de Dieu, du Dieu fort et vivant, comme un cerf brame après des eaux courantes.
Voilà le recueillement et l'entrée du cabinet. Si nous sommes fervents d'esprit, nous laisserons le monde s'écrouler autour de nous sans perdre Dieu de vue : mais cette concentration intérieure nous manque.

Ce qui rend nos prières stériles, c'est notre mobilité mondaine, c'est le vague de notre volonté, c'est ce fond mouvant de notre âme où flottent mille vanités et où ne règne aucun silence. Nous ne nous disons pas que dans nos moments de prière se forme la vie, et que de ces moments dépend toute notre éternité.

2. -. Ferme la porte. C'est le second conseil de Jésus-Christ.
Les apôtres, réunis en prières après la résurrection de Jésus-Christ, fermaient les portes. Le chrétien fait la même chose quand il craint d'être troublé. Il n'y a point de gêne plus grande pour l'âme que quand il faut nous dire : On va venir, dépêche-toi. Si nous ne fermons point toujours la porte, n'est-ce point quelquefois par honte d'être surpris en prière ? On ne voudrait pas donner la vraie raison pour laquelle on s'enferme. Mais rappelons-nous ce que dit Jésus-Christ : Quiconque aura eu honte de moi, le Fils de l'homme aura aussi honte de lui, lorsqu'il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges.

Cependant, tout n'est point fait si la clef est tournée dans la serrure. De même qu'il y a un cabinet extérieur et un cabinet intérieur, il y a une première et une seconde porte ; et la première peut être fermée quand la seconde est encore ouverte. L'âme a toutes sortes d'ouvertures par lesquelles entre le monde et le péché. C'est de celle-ci que parle le Seigneur. Voici quelques-unes de ces portes :

Fermez la porte à la mondanité. Déchaussez les souliers de vos pieds, car le lieu où vous êtes arrêté est une terre sainte. Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est point en lui. L'amour du monde vous fait rechercher les choses qui sont en bas, et la prière est l'aspiration de l'âme vers Dieu.

Fermez la porte à l'incrédulité. Quelquefois on prie, mais on est à peu près sûr que la prière, dans le cas où l'on se trouve, ne servira pas à grand'chose. Qu'un tel homme ne s'attende point à recevoir aucune chose du Seigneur.

Fermez la porte à l'impénitence. On peut garder en soi, pendant qu'on prie, un péché qui n'est point jugé. C'est ce péché qui empêchera la prière. Commencez par montrer ce péché à Dieu et par vous en détacher, sinon vous priez dans un esprit de fraude qui rendra votre prière stérile.

Fermez la porte à la volonté propre. On voudrait souvent extorquer quelque grâce à Dieu. On porte dans la prière une opiniâtreté de coeur qui n'est qu'orgueil et révolte. Jugez d'abord cet état ; vous voyez dans quelle agitation il vous jette ! S'il y a dans notre prière quelque chose de cette nature, soyons sûrs que c'est encore un interdit. Priez comme Jésus-Christ : Mon Père, si c'est ta volonté ! Nous gagnons toujours en préférant la volonté de Dieu à la nôtre. La nôtre est le plus cruel des tyrans ; la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite.

Fermez la porte aux soucis. Ce qui rend souvent la prière stérile, ce sont ces craintes, ces prévisions noires, et qui nous font regarder aux choses visibles, quand la prière est du domaine de l'invisible. L'Éternel met son affection en ceux qui s'attendent à sa bonté. Si nous ne prions pas dans cette disposition-là, si nous arrivons avec un attirail de soucis, et qu'au milieu de la prière nous nous égarions dans ce labyrinthe, comment prier avec fruit ?

Fermez aussi la porte à vos joies d'attente. Quand on a devant soi une joie bien vive, on peut s'égarer dans cette joie, comme on peut s'égarer dans les soucis. On ne voit qu'un bonheur terrestre, on ne voit plus Dieu. Dites-vous alors que tout ce que vous attendez ne vaut pas ce Dieu que vous sacrifiez. Tous les bonheurs, quand vous les auriez dans le creux de voire main, ne sont que cendre et poussière, et ne valent pas un quart d'heure passé avec Dieu.
Toutes ces portes sont celles qui laissent entrer dans l'âme le monde et le péché. Quand tout cela aura disparu, et non seulement tout cela, mais le goût de toutes ces choses, alors la porte est fermée, et nous avons compris Jésus-Christ.

3. - À ces deux conseils, Jésus-Christ rattache deux promesses.

Voici la première : Ton Père est dans ce lieu secret ; il t'y voit.
Jésus-Christ nous donne un Dieu pour le cabinet et pour les détails. Ce n'est pas le Dieu qu'on adore ordinairement. Notre Dieu ordinaire est un Dieu qui se perd dans les nues. On sait bien que Dieu est partout, qu'il est à nos côtés, comme il est au ciel ; mais dans la pratique on ne le sait pas. La présence de Dieu est si peu agissante dans notre vie, qu'on a le droit de nous demander : Où est ton Dieu ?
Nous plaçons Dieu tellement haut et tellement dans les généralités, que nos prières aussi se perdent dans les cieux et que nous ne savons pas alors ce qu'elles deviennent. Et voilà ce qui détruit de nouveau toute intimité entre nous et Dieu.
Nous n'allons pas à lui en toutes occasions ; nous craignons peut-être une familiarité trop grande, et cette crainte nous fait tomber dans l'autre extrême. Nous nous mettons avec Dieu sur un pied d'étiquette, qui nous interdit de l'introduire dans notre cabinet et de l'asseoir à nos côtés. N'est-ce point là cependant ce qu'a fait Abraham ? Si nous avions la simplicité d'Abraham, aurions-nous à craindre une familiarité blessante pour Dieu ? Ne ferions-nous pas mille fois plus d'expériences chrétiennes, si nous cherchions mieux Dieu à nos côtés ?

Quelle richesse Jésus-Christ nous donne-t-il en ce peu de mots : Ton Père est dans ce lieu secret ! Puise avec abondance dans ses trésors ; il t'ouvre sa plénitude. Dieu veut entrer dans nos détails, son intérêt paternel s'étend à tout ; il n'y a rien qui soit trop petit, pour en faire un objet de prière. Ah ! si nous ouvrions les yeux sur la part que Dieu prend à toutes nos affaires, comme nous serions touchés ! Il y a tant d'arrangements dans notre vie extérieure qui ne viennent pas de nous, et qui nous viennent bien clairement de Dieu. Et si Dieu pense à nous, s'il s'occupe de nous dans tons les détails de la vie de dehors, quelle ne sera pas sa sollicitude pour notre vie spirituelle !
Si nous étions plus attentifs aux états d'âme dans lesquels il nous fait entrer, aux variations de ces états, aux intentions qu'il a de nous élever aujourd'hui, de nous humilier demain, certainement, dirions-nous, l'Éternel est dans ce lieu-ci, et je n'en savais rien ! Au fond de l'âme, dans ce cabinet invisible, nous trouverions notre Père céleste opérant, venant et revenant, apportant de nouvelles matières à nos prières, et une nouvelle ferveur à notre reconnaissance.
Si nos prières sont stériles, ce sont nos yeux fermés qui en sont cause ; notre vie spirituelle n'est point développée par les découvertes de l'intérêt paternel de Dieu ; ce serait autant d'huile dans nos lampes, mais nous fermons ces lampes et nous en laissons éteindre la flamme.

Le lieu secret dans lequel se trouve le Père, et dans lequel il nous voit, ce sont aussi les intentions secrètes que Dieu voit au fond do nos prières. Dieu sonde les coeurs et les reins, et si nos prières sont souvent sans résultat, c'est que Dieu prévoit que nous ferions un mauvais usage des grâces que nous lui demandons.
Cela est vrai des grâces temporelles comme des dons spirituels. Vous demandez, dit saint Jacques, dans la vue de fournir à vos voluptés. Dieu ne veut point nourrir notre égoïsme, ni encourager notre orgueil spirituel. Les dons de Dieu ne nous sont utiles que si nous avons en vue la gloire de Dieu, et non nos intérêts personnels. Souvent ou se fait croire qu'on a mis Dieu en première ligne, mais celui qui regarde dans le secret voit plus avant dans notre âme que nous ne voyons nous-mêmes.

Souvent aussi nos demandes ne sont pas sérieuses. On peut même demander habituellement des grâces et en faire un formulaire de prières, quand en réalité on se soucie fort peu de ces grâces. Telles sont les demandes du pardon des péchés, du renouvellement du coeur, de l'extirpation de quelque vice, ou des prières semblables. Si l'on tenait autant à ces choses qu'on le répète à Dieu, on combattrait bien plus fortement d'anciennes habitudes, et l'on serait bien plus travaillé qu'on ne l'est.
C'est encore une cause qui rend bien des prières stériles. Dieu attend que nous sentions mieux le manque et le besoin des choses que nous lui demandons ; quand nous languirons mieux après ces grâces, elles nous seront doublement précieuses, et nos prières les obtiendront.

4. - C'est la promesse que nous fait Jésus-Christ en nous disant : Ton Père, qui te voit dans le secret, te le rendra publiquement.
C'est dans le cabinet que se préparent les plus grandes choses, celles dont les conséquences sont les plus importantes pour notre vie, et pour le règne de Dieu. Une âme bien anéantie devant Dieu est plus forte qu'une armée. Quand Luther, encore moine, s'écriait dans sa cellule devant Dieu : Mon péché, mon péché, mon péché ! il jetait les fondements de la réformation du seizième siècle.
Quand Auguste-Hermann Franke, abattu devant Dieu, lui demandait les fonds nécessaires pour l'établissement depuis si célèbre de Halle, Dieu, qui le voyait dans le secret, lui donna ces sommes publiquement. La prière du juste, faite avec zèle, aune grande efficace.

Pourquoi nos prières de cabinet sont-elles stériles ? Cette stérilité peut venir de l'état de notre âme ou de la nature de nos demandes. Voyez si les conditions précédentes sont remplies. Nous ne sommes pas toujours véritablement dans le cabinet ; nous n'avons pas toujours fermé la vraie porte, et le Père, qui est dans le lieu secret, ne voit pas toujours ce qu'il voudrait voir.

Mais il est des cas où la stérilité de nos prières n'est qu'apparente. Nous sommes exaucés, et mieux que nous ne croyons. Dieu peut exaucer le fond de notre prière, sans exaucer nos paroles. Quand la mère de saint Augustin priait avec larmes pour son fils, demandant que Dieu l'empêchât d'aller à Rome, ses paroles ne furent point exaucées, mais l'intention de Monique ne le fut pas moins. C'est à Rome que le coeur de saint Augustin fut touché, et ce n'est au fond que la conversion do son fils que cette mère pieuse avait demandée.
Si Dieu ne nous exauce pas toujours selon nos vues, il nous exauce selon les siennes, et les siennes valent mieux que les nôtres.

Abandonnons à Dieu le résultat de nos prières. Il est attentif ; un livre de mémoire est écrit devant lui ; celui qui a planté l'oreille, n'entendra-t-il point ? celui qui a formé l'oeil, ne verra-t-il point ? Ce qui rend nos prières stériles, ce n'est point l'inadvertance de Dieu, c'est quelque empêchement qui vient de nous. Recherchons mieux l'esprit de la prière, et pour cela n'attendons point que nous soyons dans le cabinet. La prière n'est pas une oeuvre isolée, elle est la vie, la respiration de l'âme.
Que de moments où notre âme se perd dans le vague, et où nous pourrions rechercher l'Éternel et sa force, sachant que la force et la joie sont au lieu où il habite !
Un seul de ces soupirs, qui cherchent le Seigneur au milieu de nos tourbillons, percerait les nues, et celui qui sonde les coeurs connaîtrait quelle est l'affection de l'Esprit, quand il forme en nous ce langage ineffable.

La mort de nos prières, c'est notre esprit terrestre. Une fois cet esprit ébranlé, toute notre vie sera une vie de prière. En quelque lieu que nous nous trouvions, si notre âme a été touchée, nous sommes dans le cabinet. Nous marcherons avec Dieu comme les patriarches. Quel autre que lui aurons-nous dans le ciel ? Nous ne prendrons plaisir sur la terre qu'en lui. Le passereau a trouvé sa maison, et l'hirondelle son nid ; et pour nous, nous approcher de Dieu sera tout notre bien. Nul n'est semblable à lui, et c'est ici la vie éternelle, que nous le connaissions, lui qui est le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ qu'il a envoyé.
Ni le monde ni la solitude ne nous fermeront le chemin de la vie. Comme le Psalmiste nous dirons : Je me suis toujours proposé l'Éternel devant moi ; puisqu'il est à ma droite, je ne serai point ébranlé. Sa face est un rassasiement de joie ; il y a des plaisirs à sa droite pour jamais !


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