Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

V

Les interdits.

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Actes, V, 1-11.

 Or, un homme nommé Ananias, ayant, avec Saphira sa femme, vendu une possession,
Retint une partie du prix, du consentement de sa femme, et en apporta quelque partie, et la mit aux pieds des apôtres.
Mais Pierre lui dit : Ananias, comment Satan s'est-il emparé de ton coeur, jusqu'à t'inciter à mentir au Saint-Esprit, et à soustraire une partie du prix de la possession ?
Si tu l'eusses gardée, ne te demeurait-elle pas, et étant vendue, n'était-elle pas en ta puissance ! Pourquoi as-tu formé un tel dessein dans ton coeur ? Tu n'as pas menti aux hommes, mais à Dieu.
Et Ananias, entendant ces paroles, tomba et rendit l'esprit ; ce qui causa une grande crainte à tous ceux qui en entendirent parler.
Et quelques jeunes hommes se levant, le prirent, et l'emportèrent dehors et l'enterrèrent.
Et il arriva environ trois heures après, que sa femme aussi, ne sachant point ce qui était arrivé, entra ;
Et Pierre, prenant la parole, lui dit : Dis-moi, avez-vous autant vendu le champ ? Et elle dit : Oui, autant.
Alors Pierre lui dit : Pourquoi avez-vous fait un complot entre vous de tenter l'Esprit du Seigneur ? Voilà à la porte les pieds de ceux qui ont enterré ton mari, et ils t'emporteront.
Et au même instant elle tomba à ses pieds, et rendit l'esprit. Et quand les jeunes hommes furent entrés, ils la trouvèrent morte, et ils l'emportèrent dehors, et ils l'enterrèrent auprès de son mari
Et cela donna une grande crainte à toute l'Église et à tous ceux qui entendaient ces choses.


Quelle mort effrayante que celle de ce couple déjà gagné, comme on croyait, à l'Évangile ! Si ce jugement de Dieu avait frappé un impie, un blasphémateur, nous nous en étonnerions moins. Mais deux époux qui vivaient en rapport avec les apôtres et dans la communion des premiers chrétiens, quel sujet tout autrement grand d'étonnement et d'effroi ! Que de choses avaient dû se passer dans le coeur d'Ananias et dans celui de Saphira avant le moment de cette mort foudroyante ! Dieu ne veut point la mort du pécheur, mais qu'il se détourne de son train et qu'il vive. Dieu a des richesses de patience et de long support, et ce n'est pas volontiers qu'il afflige et qu'il contriste les fils des hommes.
Mais il est dit aussi : Ne vous abusez point, on ne se joue point de Dieu, car ce que l'homme aura semé, c'est ce qu'il moissonnera aussi.

Nous ne savons rien de la vie antérieure d'Ananias et de Saphira ; mais soyons sûrs que ce jugement de Dieu ne leur est pas venu à l'improviste. On ne devient pas d'un jour à l'autre un vase de la colère de Dieu. Le péché, avant d'éclater dans la vie, a une oeuvre dans le coeur. C'est là qu'il se prépare et qu'il se développe jusqu'à ce que de l'abondance du coeur la bouche parle.
La conscience d'Ananias et celle de Saphira étaient nécessairement deux consciences cautérisées ; il y avait dans ces deux âmes un interdit, et c'est ce qui amena leur ruine. Un tel état spirituel n'est point rare, et l'Écriture Sainte nous en présente plus d'un exemple. Quand un jour Dieu fera venir en jugement les choses cachées dans les ténèbres, tous ceux qui seront condamnés verront que leur jugement final remonte à un interdit qu'ils avaient logé sous leur toit. Que faut-il entendre par là ? Nous allons chercher la réponse et traiter cette matière avec quelques développements.

Qu'est-ce qu'un interdit ? Quelles sont les conséquences de cet état, et quelle en est l'issue ? Nous n'avons qu'à regarder à l'histoire que nous avons devant nous pour être instruits à cet égard.

Ananias, comme nous lisons, vendit une possession et retint une partie du prix, du consentement de sa femme. Personne ne l'avait forcé de vendre cette possession, et déjà vendue, comme l'apôtre Pierre le lui dira plus tard, elle était encore au pouvoir d'Ananias ; il pouvait librement disposer de la somme reçue. Mais Ananias, cachant une partie du prix, met le reste aux pieds des apôtres, et veut leur faire croire que ce qu'il apporte est le tout. Saphira était dans le secret ; le péché du mari était aussi le péché de la femme. Il y avait donc dans le coeur de ce couple quelque chose qui n'était pas droit et dont tous deux avaient conscience.
Du moment où ils vendent leur terre jusqu'au moment où ils mettent aux pieds des apôtres la somme trompeuse, le Saint-Esprit a dû leur parler bien des fois et de bien des manières. Cet Esprit de vérité ne souffre aucune fraude ; c'est contre les hypocrites surtout qu'il tire son glaive. Mais Ananias et Saphira contristèrent le Saint-Esprit ; ils refoulèrent les voix intérieures qui se firent entendre dans leur coeur et qui devaient les remettre dans le droit chemin.

Le soleil se lève, le soleil se couche, et au lieu de juger leur esprit de fraude, les deux époux y persévèrent. Et c'est là ce que nous appelons un interdit.
C'est un péché que nous gardons sciemment en nous, au mépris de l'Esprit et de la Parole de Dieu. Je dis que l'Écriture Sainte nous montre plus d'un exemple du même genre : elle nous cite Balaam, chargé par le roi des Moabites de venir maudire le peuple d'Israël. Dieu avait dit à Balaam : Tu n'iras point avec les envoyés de Balak, et tu ne maudiras point ce peuple, car il est béni. Malgré cela, Balaam, attiré par l'appât de l'or, des honneurs, partit, l'interdit dans le coeur, contrevenant ainsi à la Parole expresse de Dieu.
Même cas pour Saül, quand Dieu lui ordonna de frapper les Hamalécites et de ne rien laisser de reste ni des hommes ni du bétail. Saül se regimbe sciemment contre cet ordre de Dieu. Il garde les meilleures brebis et les meilleurs taureaux pour les sacrifier.
Un autre exemple est celui de David. Un an s'était presque écoulé depuis le double crime commis par David à l'égard d'Urie et de Bathscébah, et l'interdit restait encore sur lui ; il n'avait pas encore dit : Je confesserai ma transgression à l'Éternel.
Ailleurs encore, c'est Jonas qui doit aller à Ninive et qui s'embarque pour Tarsis, fuyant, comme dit l'Écriture, de devant la face de l'Éternel. Dans le Nouveau-Testament nous ne citerons que Judas dont la trahison remonte aussi à un interdit, longtemps préparé d'avance. Que d'avertissements Judas n'avait-il reçus de son Maître jusqu'au moment fatal où Satan entra enfin en lui !

Nous pourrions multiplier ces exemples, mais pensons en ce moment à nous-mêmes. N'avons-nous jamais gardé en nous de péché dont nous avions une claire et entière connaissance ? Le soleil ne s'est-il jamais couché sur un état qui nous condamnait et que nous ne voulions pas juger ? Il y a tant d'espèces de fraudes qu'on cache aux autres et qu'on ne peut pas se cacher ! Il y a de ces états prolongés de dissimulation où l'on joue tout un rôle dont on ne veut pas sortir.
On est tellement un avec le péché que, ni la loi, ni l'Esprit de Dieu, ni les rangements de la conscience ne nous en séparent. Entrez, par exemple, dans la vie domestique ; voyez de plus près les rapports des époux : que d'interdits qui leur coupent la prière ! Ou regardez à vos relations avec le monde : que d'interdits dans lesquels on demeure, quand l'intérêt est engagé, quand la justice propre est en jeu, ou quand l'ambition s'en mêle I Ce ne sont pas des péchés isolés, ce sont des habitudes de péché dans lesquelles on s'endurcit et que finalement on ne remarque plus. Mais chaque chose n'est que pour un temps. Dieu peut regarder tout cela, et il se tait. Il y a des hommes qui croient alors que Dieu est véritablement comme eux ; mais il les en reprendra, et il exposera tout en sa présence'. De quelle manière Dieu intervient-il ? Nous allons voir quelles sont les conséquences de ces interdits, et d'abord pour la vie intérieure.

Les jugements de Dieu commencent au fond de l'âme. Toute notre vie spirituelle est frappée de stérilité, si nous logeons en nous le moindre élément de péché. Un peu de levain fait lever toute la pâte. Un atome suffit pour nous ravir la paix et toutes les impressions de la grâce divine. Quand vous cachez quelque chose qui n'est point droit, pouvez-vous prier ? pouvez-vous sentir la force de la Parole sainte ? serez-vous capable d'aucune oeuvre chrétienne ? n'êtes-vous point paralysé et séparé de Dieu par un abîme ?

Mettez-vous à la place d'Ananias et de Saphira. Ils ont l'intention de tromper les apôtres. Que devient après cela leur vie chrétienne ? Tout acte religieux, quand le coeur n'est point droit, ne devient-il pas un état de tourment ? Les oeuvres qu'on fait dans un tel esprit ne sont-elles pas toutes des oeuvres mortes ?
Nadab et Abihu moururent en offrant du feu étranger devant l'Éternel.
Tout homme qui est sous l'interdit, au lieu de se procurer la paix, est abruti par ce qu'il sait faire ; tout fondeur est rendu honteux par ses images taillées, car ce qu'ils fondent n'est que fausseté, et il n'y a point de respiration en elles. On ne fait que resserrer ses chaînes, car on devient esclave de celui par lequel on est vaincu.
On peut souvent se faire illusion sur soi-même et ne pas s'avouer qu'on est son propre geôlier. On prie : 0 Dieu ! délivre-moi de ces chaînes ! et il n'est pas vrai qu'on veuille en être délivré. Avant de prier, on a déjà pris son parti ; on ne veut pas se rendre, et c'est dans cette disposition qu'on est entré en prière. On ne prie que pour pouvoir dire : J'ai prié ! et pour rejeter la faute sur Dieu quand on n'est pas exaucé.
On retient des deux mains ce qu'on prie Dieu de prendre ; est-ce là prier !

Voilà ce que deviennent nos rapports avec Dieu, aussi longtemps que nous sommes sous un interdit. Et quels seront nos rapports avec le prochain ? Peut-être avons-nous, comme Ananias et Saphira, une certaine réputation chrétienne. Eh bien ! c'est précisément là ce qui fera notre supplice. Le plus grand tourment, ce n'est pas d'être méconnu et de souffrir injustement, c'est de recevoir des hommages quand nous nous sentons dignes de mépris. On loue nos coupes et nos plats si bien nettoyés, et en nous tout est plein d'intempérance et de souillure ! On a pleine confiance en nous, on nous prend pour des anges de lumière, et notre conscience nous crie : Pharisien aveugle, nettoie premièrement le dedans, afin que ce qui est dehors devienne aussi net.

Que devaient éprouver Ananias et Saphira, au moment où ils mirent aux pieds des apôtres le prix trompeur de leur possession ? Tous les yeux étaient fixés sur eux ; on admirait leur noblesse, leur esprit de sacrifice, et au fond de tout cela logeait l'avarice et la fraude ! Quelle vie, quand on ne peut plus lever les yeux ni sur Dieu ni sur le prochain, et quand il faut se dire à soi-même : Tu n'es qu'un loup ravissant sous un habit de brebis !
Peut-être sent-on tout cela, et l'on reste sous l'interdit. David rugissait dans le grand frémissement de son coeur, et ne se rendait pas. On peut voir les conséquences d'un tel état, et l'on s'y endurcit de plus en plus.
Cependant Dieu aide la conscience jusqu'au dernier instant. Saphira, quand son mari est déjà frappé, reçoit un dernier appel. L'apôtre Pierre lui demande : Dis-moi, avez-vous vendu le fonds de terre autant ? Il eût encore été temps de dire non.
Ainsi, Jésus Christ, au moment où Judas s'approche de lui pour le trahir, lui demande : Mon ami, pourquoi es-tu venu ? Mais il y a une ligne où la grâce s'arrête. La longue patience du Seigneur est pour notre salut, mais elle est aussi pour notre condamnation. Par notre endurcissement et par notre coeur impénitent, nous nous amassons la colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu.

Ce jour arriva pour Ananias et pour Saphira, comme il arriva pour Pharaon, pour Balaam, pour Saül, pour Judas. L'oeuvre du péché, longtemps indécise, arrive enfin à sa maturité. Il en est du péché comme de nos maladies. Toute maladie a son point culminant. La vie et la mort se disputent le malade, et c'est, tantôt la vie, tantôt la mort qui a le dessus. Ce fut le dernier cas pour Ananias et pour Saphira.

Dieu place ici, devant nos yeux, un exemple effrayant pour nous arracher nous-mêmes comme un tison du feu. C'est afin que nous voyions que c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant. C'est pour nous préserver de ce péché redoutable pour lequel il n'y a point de rémission ni dans ce siècle ni dans l'autre. C'est cet engourdissement final où tous les secours de la grâce se retirent et où l'on ne peut plus être renouvelé à la repentante.

Heureusement l'interdit ne finit pas toujours ainsi. Cette crise, mortelle pour Ananias et pour Saphira, a été salutaire pour Jonas et pour David. Les conséquences de l'interdit jetèrent de nouveau ces deux âmes dans les bras de Dieu. Où les tourments abondent, la grâce surabonde, si le pécheur la saisit.
Aussi longtemps qu'il y a un combat, c'est bon signe. Cela indique l'action du Saint-Esprit. Et Dieu distingue toujours entre un pécheur qui ne veut pas se rendre et un autre qui voudrait et ne peut pas. Il y a de ces âmes qui, tout en gémissant sur elles-mêmes, sont trop faibles pour résister jusqu'au sang. On a bien la volonté de faire ce qui est bon, mais on ne trouve pas le moyen de l'accomplir. Si dans ce cas la volonté est sincère, Dieu aidera et a déjà aidé. Celui qui a produit la volonté produira aussi l'accomplissement : l'un n'est pas plus difficile à Dieu que l'autre.

La victoire très souvent se fait attendre, mais cet intervalle de combats n'est point perdu. On savoure jusqu'au bout les amertumes du péché. On sent tellement la captivité du coeur, qu'on ne peut pas discontinuer de crier après la délivrance. On est forcé de se servir de toutes les armes de Dieu, de se détourner des bras de chair, et de se défier toujours plus de soi-même. On fait une foule d'expériences précieuses qui plus tard serviront. C'est par pur amour que Dieu nous laisse dans le creuset ; c'est pour que notre or en sorte sans écume. Et au fond de toutes ces misères, il y a quelque chose qui soutient et qu'on ne reconnaît pas d'abord : c'est la foi.
Si l'on n'avait plus de foi, on ne combattrait plus et l'on ne se tourmenterait plus. Mais toute celte lutte avec Dieu prouve qu'on a encore espoir en lui. On est un roseau froissé, mais qui n'est point brisé ; un lumignon fumant, mais qui n'est point éteint. Si nous nous sentons dans cet état, soyons sûrs que l'heure du Seigneur viendra. Ne mesurons pas notre propre force ; croyons à l'infinie grandeur de la puissance d'en haut. Dans toutes nos détresses, le Seigneur a été en détresse, et il sera exalté en ayant pitié de nous.
Il souffre bien plus en nous voyant souffrir que nous ne souffrons nous-mêmes. Il nous voit aux prises avec notre nature rebelle, mais c'est pour nous faire mieux désirer ce bras qui n'est point raccourci et qui plonge dans tous nos abîmes. Épuisés par le combat, nous saurons qu'un autre a combattu et a vaincu pour nous. Au moment où nous nous y attendions le moins, l'interdit est levé et le mal est surmonté par le bien. On ne comprend point alors, quand le coeur enfin s'est ouvert et que la volonté s'est rendue, qu'on ait pu demeurer dans le péché. Il semble tout à coup si naturel d'aimer le Seigneur et de rompre avec le mal ! Mais ce qui nous paraît nature est grâce.
Ce n'est pas nous qui avons fait un progrès, c'est la grâce qui a triomphé en nous. Demain, notre nature sera encore notre nature ; mais, ce qui console d'avance, c'est que la grâce sera encore la grâce. Ce qu'elle a fait aujourd'hui, elle le fera demain, tous les jours, jusqu'à notre dernier ; nous n'avons qu'à le désirer.

Tout interdit sera levé si nous désirons qu'il le soit. Ce qui a perdu Ananias et Saphira, c'est qu'ils ont laissé éteindre le besoin de la grâce. Veillons sur ce besoin, c'est le plus profond de notre nature ; nous le retrouverons facilement si nous le ranimons en nous.
Montrons nos interdits à ce Sauveur qui publie aux captifs la liberté et aux prisonniers l'ouverture de la prison. Allons à lui en pleurant, et il nous fera revenir par sa miséricorde ; il nous conduira aux torrents des eaux et par un droit chemin auquel nous ne broncherons point. Mais alors demeurons en lui et persistons dans sa doctrine. Ainsi, nous serons véritablement ses disciples, et nous connaîtrons la vérité, et la vérité nous affranchira.


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