Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

Trois états d'incrédulité.

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Jean, XX, 26-29.

 Et huit jours après, ses disciples étant encore dans la maison, et Thomas avec eux. Jésus vint, les portes étant fermées, et fut là au milieu d'eux, et il leur dit : Que la paix soit avec vous !
Puis il dit à Thomas : Mets ton doigt ici et regarde mes mains ; avance aussi ta main, et la mets dans mon côté ; et ne sois point incrédule, mais fidèle.
Et Thomas répondit, et lui dit : Mon Seigneur et mon Dieu !
Jésus lui dit : Parce que tu m'as vu, Thomas, tu as cru ; bienheureux sont ceux qui n'ont point vu et qui ont cru l



Le péché le plus ancien, c'est l'incrédulité. Quand le serpent séduisit Ève, il commença par lui inspirer des doutes à l'égard de la Parole de Dieu. Quoi ! Dieu aurait-il dit ? C'est la première arme avec laquelle le tentateur attaque l'image encore intacte de Dieu.
Une fois l'autorité de la Parole de Dieu ébranlée, la confiance en lui le sera aussi, et le lien primitif entre la créature et le Créateur se rompra. Le serpent réussit, et aussitôt il va plus loin.
Où il n'y a plus de confiance, il n'y a plus d'amour ; on ne peut plus aimer celui dont la parole est suspecte. Mais comme notre coeur a été créé pour aimer, l'ennemi substitue à l'amour primitif un autre amour : c'est l'amour-propre et l'amour du monde. Le serpent fait croire à Ève qu'au jour quelle mangera de l'arbre, ses yeux seront ouverts et quelle sera comme Dieu.

Ce trait porte comme l'autre, et voilà l'orgueil engendré. Et où l'orgueil a pris naissance, il renferme aussi les germes des convoitises.
Le moi une fois établi demande à être satisfait. Ce n'est plus Dieu qui le satisfait, ce ne peut donc être que le monde ou la chair. Ève voit que le fruit de l'arbre est bon à manger, qu'il est agréable à la vue et qu'il est désirable pour donner de la science. Voilà la convoitise des yeux, la convoitise de la chair et l'orgueil de la vie en route.
Le Créateur est remplacé par le monde, l'affection spirituelle par l'affection charnelle ; la brèche est faite, l'image de Dieu n'existe plus. Et l'oeuvre du péché ainsi accomplie dans l'âme, il ne manque plus que l'acte extérieur. Dieu est détrôné, l'ordre primitif est renversé, et l'on peut s'attendre à ce qui arrive. Ève prend du fruit et en mange. La transgression est introduite dans la vie, et à peine Ève est-elle séduite qu'Adam aussi est séduit par elle. Tout marche avec rapidité, après que la convoitise a conçu. Elle enfante le péché, et le péché étant consommé engendre la mort.

Voilà l'histoire du péché, et, en suivant jusqu'à sa source cette altération de notre nature, vous trouvez en tête l'incrédulité. Cela est vrai pour Ève, cela est vrai pour nous.
Voulez-vous rétablir l'ordre primitif ? Replacez au fond de l'âme la foi. Sans la foi, il est impossible d'être agréable à Dieu.
Si tu pouvais croire,
dit Jésus-Christ, tu verrais la gloire de Dieu. Ce sera toujours la foi que Jésus-Christ établira d'abord quand il voudra rebâtir l'édifice renversé par le premier couple. Peux-tu croire ? C'est la question qu'il fait à tous ses malades.
Si la foi est rétablie, la vie sera rétablie aussi. Et il n'y a point de distinction : puisque tous ont péché, tous sont devenus incrédules. Il est vrai, l'incrédulité ne se manifeste pas toujours de la même manière. Quand Jésus ressuscité dit à Thomas : Ne sois plus incrédule, mais crois, il peut adresser cette parole à trois sortes de personnes. Il peut l'adresser à un homme qui n'a jamais cru ; il peut la répéter à un homme qui s'imagine qu'il croit et qui se trompe ; il peut enfin avoir devant lui un homme jadis croyant, mais qui est redevenu incrédule. Ce sont ces trois états d'incrédulité que nous allons examiner de plus près. N'est-ce pas à nous que Jésus-Christ s'adresse en ce moment quand il dit : Ne sois plus incrédule, mais crois !

1. - Il y a une incrédulité que nous pouvons appeler incrédulité historique : c'est lorsqu'on ne croit pas aux faits qui sont la base de notre très sainte foi. Nos dogmes fondamentaux sont tous des faits historiques. L'incarnation de Jésus-Christ, sa passion, sa crucifixion, sa résurrection, son élévation au ciel, la descente du Saint-Esprit, ce sont des faits arrivés ; ce ne sont pas des idées philosophiques, ni des systèmes. C'est ce qui met la foi chrétienne au-dessus de toutes les religions du monde.
Les apôtres peuvent dire : Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nos mains ont touché, c'est ce que nous vous annonçons. Et c'est là le côté consolant de notre foi ; elle repose sur des événements historiques, et ces événements sont si uniques qu'ils ne peuvent pas être d'invention humaine. Cependant il y a des hommes qui ne croient, pas. Thomas est un de ces hommes. Il ne croit pas à la résurrection de Jésus-Christ. Son incrédulité est l'incrédulité historique.
D'autres ne croient pas à la divinité de Jésus-Christ, d'autres rejettent l'expiation, d'autres encore les miracles. Quand on est incrédule sur un point, on est, sans se l'avouer, incrédule sur le corps du dogme tout entier ; car tout le corps ne fait qu'un. Pourquoi y a-t-il de ces hommes qui ne croient pas ? Cela ne vient point de leur faute, vous diront-ils. J'aimerais bien croire, disent-ils, mais je ne puis. C'est dans cette excuse qu'ils se retranchent tous.
Mais Jésus-Christ ne dirait pas : Celui qui ne croit point sera condamné, si l'incrédulité était involontaire. Si nous réveillons bien nos besoins de coeur, nous trouverons que les grands dogmes du salut répondent exactement à ces besoins.

Ceux qui ne croient pas, ce sont toujours ceux qui ne veulent pas reconnaître que leur coeur est fermé, et il est fermé parce qu'il ne veut pas s'humilier. Il y a toujours quelque état d'orgueil, quelque habitude mauvaise ou quelque déloyauté, qui est caché sous l'excuse. Je ne puis pas croire. Cela vient aussi de ce qu'on ne prie pas. Si l'on se souciait véritablement de la chose, on ferait violence à Dieu, et la foi viendrait. Un pauvre qui meurt de faim reste devant la porte du riche jusqu'à ce que cette porte s'ouvre pour lui. Un coeur affamé de croire en ferait de même. Quiconque cherche trouve. Dieu est riche pour tous ceux qui l'invoquent, et la prière faite avec véhémence a une grande efficace.

2. - L'incrédulité peut se manifester d'une autre manière. Comme il y a une incrédulité historique, il y a une incrédulité pratique ; c'est celle que nous appelons l'indifférence.

L'indifférent croira tout ce que vous voudrez ; il admettra, si vous y tenez, toute la doctrine de la Bible, et, comme il ne nie pas les faits de l'Évangile, il s'imagine aussi qu'il croit. Un tel homme est tranquille, et parce qu'il prend ce calme trompeur pour de la paix, il s'imagine, parce qu'il a la paix, qu'il a aussi la foi.
Mais que sont des dogmes qui n'ont aucune action sur l'âme ? Sont-ce là des convictions ? Une conviction est ce qui vit avec nous, ce qui fait route avec nous, ce qui, dans nos vallées sombres, nous sert de bâton et de houlette, c'est ce que nous avons conquis sur l'erreur, sur le doute, par des combats ; c'est le triomphe de l'invisible sur le visible, de l'immortel sur le mortel. L'indifférent a-t-il quelque chose de semblable ?
Il croit, mais que fait-il de sa foi ? Il croit au péché, mais ses péchés ne l'ont jamais tourmenté. Il croit en Dieu, mais ce Dieu est un Dieu des morts et non des vivants. Il croit que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pêcheurs, mais il ne s'est jamais tourné vers Jésus-Christ pour lui demander le salut. Il croit au Saint-Esprit, mais il ne s'est jamais demandé : Ai-je reçu cet Esprit ? Quel est l'esprit qui me domine ? Il croit à un jugement, mais il n'a jamais comparu en pensée devant le tribunal de Dieu. Il croit, pourvu que vous ne le dérangiez pas dans ses habitudes ; mais dès que vous attaquez sa conscience, il ne croit plus. Ce qui donne à l'indifférent cette imperturbable assurance, c'est l'idée qu'il est plus tolérant qu'un autre. Il vous laisse vos opinions pour que vous lui laissiez les siennes. Il se pique d'une largeur que n'ont point les gens convertis, et cette largeur est à ses yeux une générosité qui vaut mieux que tout catéchisme. Il n'est ni un moqueur ni un fanatique ; il prend les hommes comme ils sont et les temps comme ils viennent. Si tout le monde en faisait autant, à l'entendre tout le monde vivrait en paix.

Nous disons que l'indifférence est aussi de l'incrédulité. Il n'y a pas de foi où il n'y a pas d'attachement aux choses qu'on espère. Si le coeur n'est pas attiré, la foi n'a pas même pris naissance.
L'indifférent peut-il dire qu'il est attiré vers Jésus-Christ, vers la prière, vers les choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues et qui jamais ne seraient montées dans l'esprit de l'homme ?
Il pourrait tout aussi bien se passer de ces choses ; aucune ne l'intéresse ; c'est signe qu'il ne les veut pas, qu'il n'y croit pas. Qu'est-ce qu'une foi qui ne donne aucune impulsion à la volonté, qui ne produit aucun mouvement d'amour, et surtout aucun progrès ? C'est ce dernier point surtout qu'il faut relever. La vraie foi est la puissance de Dieu et la sève d'une vie nouvelle.

Où il y a foi, il y a vie ; où il y a vie, il y a développement, progrès, sanctification : les choses vieilles sont passées ; voici, toutes choses sont devenues nouvelles. Appliquez ce signe à l'indifférent, et l'incrédulité sort de ses cachettes. Vous verrez un arbre mort dans sa racine, une eau stagnante au lieu d'une source de vie.
Revenez aujourd'hui, revenez dans vingt ans, l'indifférent sera toujours l'indifférent ; et où il n'y a qu'une foi morte, il ne reste que l'incrédulité.

3. - Il y a une troisième incrédulité que nous rencontrons sur le terrain de la foi. C'est celle d'un disciple qui a déjà cru et qui est devenu incrédule. Thomas avait déjà cru ; il était du nombre des disciples qui revinrent avec joie et qui dirent : Seigneur, les démons même nous sont assujettis par ton nom. Mais le même Thomas ne croit plus. La mort de Jésus-Christ renverse ses espérances. Un profond abattement s'est emparé de ce disciple. Il tombe dans une incrédulité si tenace qu'il va jusqu'à dire : Si je ne vois la marque des clous dans ses mains, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point.

Il y a dans la vie chrétienne plus d'une occasion semblable, où les plus croyants ne croient plus. C'est l'incrédulité d'un coeur pusillanime. Les disciples qui ont Jésus-Christ dans leur barque, et qui ne peuvent point périr, parce que Jésus-Christ ne peut point périr, ne sont-ils pas des incrédules, quand ils s'écrient : Seigneur, sauve-nous, nous périssons ! La foi est-elle la foi tant qu'elle n'est pas la victoire du monde ?
Mais nous voyons qu'on peut avoir trouvé Jésus-Christ, qu'on peut faire route avec lui, et il ne manque qu'un tourbillon pour que la foi redevienne incrédule. Il y a dans le coeur le plus chrétien un fond de pusillanimité qui effraie.

Thomas, à peine Jésus-Christ est-il mort, ne croit plus ; et que de situations où Jésus-Christ est mort pour nous comme pour Thomas ! Que deviendrions-nous, s'il nous fallait vivre de notre foi acquise ? C'est une oeuvre à recommencer tous les matins, et une oeuvre de Dieu. Comme il se mettait des vers dans la manne que le peuple d'Israël voulait garder, il se met des vers dans nos provisions spirituelles, si nous voulons vivre de notre propre fonds.
Nos impressions ne durent pas, si le Seigneur lui-même ne les renouvelle. Aujourd'hui vous croyez, c'est que votre foi a toutes sortes d'appuis visibles ; demain, si ces appuis se brisent, vous serez comme Thomas. Il est facile de croire avec une position assurée, avec une santé passable ou avec un intérieur domestique où tout va bien ; mais si nous souffrions la faim et la soif, si nous étions nus, si l'on nous frappait au visage, si nous étions errants de tous côtés, nous fatiguant, en travaillant de nos propres mains ; s'il fallait bénir quand on dirait du mal de nous, souffrir quand nous serions persécutés, prier lorsqu'on nous dirait des injures ; s'il fallait être jusqu'à présent comme les balayures du monde et comme le rebut de toute la terre : ainsi exercée, que deviendrait notre foi ? Conserverions-nous encore notre intégrité ? Nous plairions-nous dans les faiblesses, dans les opprobres, dans les misères, dans les persécutions, dans les afflictions extrêmes pour Christ ?
Est-il vrai que sa grâce nous suffirait, et que nous regarderions toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ notre Seigneur ?

On croit souvent que les secours qu'on a obtenus aujourd'hui rendront plus croyant demain ; mais qu'il survienne quelque nouvelle détresse, c'est la même pusillanimité que vous aurez à combattre. On croit alors que la dernière détresse est la plus grande, celle qui demande le plus de foi ; c'est parce qu'on a oublié les secours passés, car devant Dieu rien n'est grand, rien n'est petit. Le coeur est une mer mouvante, et le vent qui y souffle le plus, c'est celui de l'incrédulité. Les dogmes les plus élémentaires, ceux desquels nous n'avons jamais douté, l'incrédulité nous les prend à tout instant.

Vous croyez à l'existence de Dieu ; mais où est votre Dieu quand il faut vous attacher à lui seul ?
Vous n'avez jamais douté d'une Providence ; mais où est votre abandon à ce soin paternel de Dieu, quand les hommes, quand votre propre coeur vous abandonnent ?
Vous croyez à l'efficacité de la prière et à la vérité des promesses ; mais quand il faut attendre, quand un abîme appelle un autre abîme, ne vous écriez-vous pas : Le Seigneur m'a-t-il rejeté pour toujours, et ne continuera-t-il pas à m'avoir pour agréable ? Sa bonté est-elle épuisée pour jamais ? Sa Parole a-t-elle pris fin pour toujours ?

Mais il y a un cas plus grave que tous ces cas-là. Thomas veut mettre son doigt dans les plaies, et sa main dans le côté de Jésus. C'est le cas où une âme veut s'assurer du pardon de ses péchés. Aujourd'hui nous y croyons peut-être ; rien de si simple à nos yeux que ce pardon gratuit qu'on nous annonce. Mais attendez une de ces heures où vos péchés fondent sur vous comme une mer qui déborde, tout vous paraît plus facile que de croire à ce même pardon. Il faut que Jésus-Christ entre par les portes fermées, qu'il vous dise lui-même : Mets ici ton doigt et regarde mes mains ; avance aussi ta main et la mets dans mon côté, et ne sois plus incrédule, mais crois.

Si tel est le pouvoir de l'incrédulité, n'y a-t-il aucune différence entre un homme du monde et un disciple ? L'Écriture répond à cela : Toute plante que le Père céleste n'a point plantée sera déracinée ; mais nous qui croyons, nous sommes gardés par la puissance de Dieu, par la foi pour obtenir le salut.
L'homme du monde, s'il est fort, est faible ; le chrétien, lorsqu'il est faible, est fort. Le premier, dans la même épreuve, affiche souvent plus de foi que le second ; mais cette foi n'est pas une oeuvre de Dieu, et ce qui n'est point né de Dieu périt. Ce sort n'atteint pas le disciple. Il est souvent comme mourant, et cependant il vit encore ; comme châtié, mais il n'en meurt pas. Sa faiblesse est ce qui le préserve ; c'est sur ce terrain que Dieu se glorifie. Quelque pauvre, quelque pusillanime qu'il soit, il est gardé par la puissance de Dieu. Si nous nous gardions nous-mêmes, nous nous perdrions ; mais ce ne sont que les faibles que Dieu veut garder. Il nous laisse le vase de terre, afin que cette grande puissance soit attribuée à Dieu, et non pas à nous.

Nous ne pouvons avancer qu'en tremblant, mais nous avançons ; et c'est parce que nous tremblons que nous avançons. Nos pusillanimités nous tiennent serrés près du Seigneur. Les cèdres du Liban tombent, les roseaux froissés ne sont point brisés. Ainsi notre foi s'épure jusqu'à ce qu'il ne reste plus que Christ. C'est lui qui est la force de notre vie, ce n'est pas nous. Et c'est cela qui nous rend heureux, quand notre chair et notre coeur défaillent. Nous sommes gardés par un plus fort que nous. Néant nous-mêmes, mais tout puissants par Christ, nous ne craindrons point, nous arriverons. Le chef de notre foi en est aussi le consommateur. Persuadés qu'il a la puissance de garder notre dépôt jusqu'à ce jour-là, nous gardons volontiers le sentiment de notre misère pour donner toute gloire à Celui qui nous a aimés. Si notre foi a ce caractère, elle est de bon aloi ; nous aurons compris la Parole du Seigneur : Ne sois plus incrédule, mais crois. En croyant ainsi, nous verrons la gloire de Dieu.


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