Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XI

PERDU ET SAUVÉ.

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Matth., VIII, 1-4.

 Quand Jésus fut descendu de la montagne, une grande multitude de peuple le suivit.
Et voici, un lépreux vint se prosterner devant Lui et lui dit : Seigneur, si tu le veux, tu peux me nettoyer.
Et Jésus étendant la main, le toucha et lui dit : Je le veux, sois nettoyé ; et incontinent il fut nettoyé de sa lèpre.
Puis Jésus lui dit : Garde-toi de le dire à personne ; mais va-t'en, montre-toi au sacrificateur, et offre le don que Moïse à ordonné, afin que cela leur serve de témoignage.


  Un homme, frappé d'un mal incurable, trouve tout à coup un médecin, et avec lui une seconde vie ; c'est un lépreux.
O vous qui avez de la santé, un intérieur de famille et une position dans le monde, vous ne savez peut-être pas ce que c'est qu'un lépreux. Il est bon que vous le sachiez, ne fût-ce que pour vous dire : Qui a mis de la différence entre moi et un autre ? Qu'ai-je, que je ne l'aie reçu ? et si je l'ai reçu, comment m'en glorifierais-je comme si je ne l'avais point reçu ?
Un lépreux n'est pas un malade ordinaire ; il échangerait volontiers de sort avec un aveugle, un paralytique ou un mendiant de grand chemin ; le plus malheureux d'entre les hommes a encore des ressources qui sont ôtées à un lépreux. Regardez son corps : depuis la plante du pied jusqu'à la tête il n'y a rien d'entier en lui, mais il n'y a que blessures, meurtrissures et plaies purulentes qui n'ont point été nettoyées, ni bandées, et dont pas une n'a été adoucie avec de l'huile. Ce n'est pas tout : c'est aussi un homme qui est repoussé de la communion des vivants. Il n'a plus le droit de demeurer à côté de ses semblables ; tête nue et les vêtements déchirés, il est errant avec ses souffrances, sans lieu fixe, sans asile humain. S'il voit de loin un voyageur, il faut qu'il l'avertisse et qu'il lui crie : Détourne-toi, je suis lépreux ! Le soleil se lève, le soleil se couche, la terre se recouvre de verdure et les arbres de feuillage, mais pour un lépreux rien ne change ; lui seul n'a point de printemps, point de soleil qui porte la santé dans ses rayons ; son espérance est la mort, son seul asile le tombeau.
Tel est l'homme que Jésus-Christ rencontre au moment où il descend de la montagne ; et là commence une nouvelle histoire.

Il y a un Médecin pour les incurables et qui ne met point dehors ceux qui viennent à Lui. Quand l'homme est radicalement perdu, l'oeuvre de Jésus-Christ commence. Il voit ce lépreux et il est ému de compassion ; nous allons être témoins d'une rencontre qui jamais ne serait montée dans l'esprit de l'homme. Le lépreux se prosterne en terre devant Jésus et s'écrie : Seigneur, si tu le veux, tu peux me nettoyer ; et ce cri pénètre jusques dans les entrailles de Jésus. Il fait plus que de s'arrêter, il étend la main ; cette main cherche le malheureux et ne craint point de le toucher. Il y a contact entre le malade et son Médecin, et c'est ce contact qui fait renaître et qui produit une nouvelle créature.
Nous lisons ailleurs : Toute la multitude tâchait de le toucher, car il sortait de Lui une vertu qui les guérissait tous. Cette vertu opérante est dans la parole du Seigneur ; il dit au lépreux : Je le veux, sois nettoyé ; et incontinent il fut nettoyé de sa lèpre.

Nous aurions déjà une haute idée de Jésus-Christ, si nous ne connaissions de Lui que ce seul trait. Cette puissance surhumaine, et cette sympathie plus divine encore que sa puissance, il ne faut rien de plus pour gagner nos coeurs. Mais ce trait isolé n'est que l'image de quelque chose de plus grand et de plus général. Il y a un lépreux plus perdu encore que le lépreux de l'Évangile : c'est un pauvre pécheur, quand il se reconnaît lui-même. Cherchons cette histoire dans notre propre vie, et là où est le lépreux, nous verrons aussi arriver le Médecin. Cette parole est certaine et digne d'être reçue avec une entière croyance, que Jésus-Christ est venu au monde pour sauver les pécheurs. PERDU Et SAUVÉ : voilà la Bible et le sommaire de la vie chrétienne ; ce qu'on dit de plus vient du malin.

Quand Dieu veut créer un saint, il crée d'abord un pauvre pécheur. Je vais vous faire le portrait d'un tel homme ; nous allons le prendre à trois époques différentes de sa vie. Il y a un temps où Jésus-Christ n'est rien pour lui ; un temps où il lui sera quelque chose ; enfin un temps où il lui sera tout.

Vous rencontrez des figures bien différentes les unes des autres et qui, à première vue, ne se ressemblent pas plus qu'un Africain ne ressemble à un Européen, ou un Européen à un Africain. Mais percez l'écorce, c'est toujours le même homme ; c'est celui que la Bible appelle mort dans ses fautes et dans ses péchés.
Voici un galérien qui a derrière lui des crimes abominables et dont le coeur est dur comme un rocher.
Voici un artisan qui, parce qu'il donne du pain à sa famille, croit qu'il a de toutes les religions celle qui est la meilleure.
Voici un homme de plaisir qui court de fête en fête et de salon en salon, et qui se dit : Mangeons et buvons, car demain nous mourrons.
Voici un homme de cabinet qui s'estime fort au-dessus du vulgaire et qui ne se produit que rarement ; son Dieu, c'est sa personne, et son espoir le nom qu'il laissera après lui.
Voici un homme honnête qui marche la tête levée, sans crainte et sans reproche ; sa bonne renommée lui vaut un crédit sans limite. A-t-il besoin d'un million ? on lui en offre deux.
Voici un philanthrope qui veut remédier à la misère du temps par des loteries de charité et des comités de bienfaisance.
Enfin, voici un orthodoxe qui a toujours cru à la Bible ; il n'a qu'un défaut : il n'aime pas qu'on lui parle de lui-même.

Ce sont des physionomies bien diverses, n'est-ce pas ? Eh bien ! allez au fond, c'est toujours le même homme. L'un est un monstre, l'autre un génie ; mais ce qui leur manque à tous, c'est la charrue de Dieu, c'est un réveil.

Tous ces hommes se passeront de Jésus-Christ ; ils ont tant de ressources en eux-mêmes ! Mais Dieu peut nous mettre à l'étroit et dans cette situation où il nous faut autre chose que notre personne ; c'est l'époque des premiers ébranlements. Le même homme a reçu un trait, et voilà des illusions qui tombent, des biens qui échappent, des accusations qui paraissent. La lèpre est en route, mais la plaie n'est pas encore hors d'espérance. On lutte contre l'aiguillon, mais c'est une lutte bien inégale. Quand Dieu nous tient sous sa main, il faut bien que nous y restions. S'il reprend quelqu'un et qu'il le châtie à cause de son péché, il consume son excellence comme la teigne. Il faut combler ce vide, chasser ce malaise, consoler ce coeur triste, faire la paix avec cette conscience qui se remue. Le Sauveur est à la porte, on fait un pas vers Lui, mais on ne le connaît pas encore comme Celui qui est venu chercher et sauver ce qui était perdu.

Il faut bien enfin le connaître comme tel. Ce travail du péché va devenir une malédiction générale. Tous ces rangements isolés se rencontrent au fond de l'âme et font sentir que la source de la vie est attaquée. Nous dépendons de nos dispositions, mais nous ne les connaîtrons que quand elles nous feront souffrir. C'est alors qu'on se trouve en présence d'un esprit desséché, d'un coeur désespérément malin, d'une volonté qui ne veut pas se rendre, des convoitises qui font la guerre à l'âme ; on veut se guérir soi-même, mais plus on se travaille, plus le péché prend vie ; la lèpre est à son éruption, il faut un miracle pour la guérison, le pauvre pécheur est formé.

C'est l'heure où Jésus-Christ descend de la montagne. À l'oeuvre du péché succède l'oeuvre de la compassion, qui laisse bien loin derrière elle toute la pitié des hommes. Il y a partout des hôpitaux, des gardes-malades, des dames de charité ; nous vivons dans un siècle de collectes, d'expositions, d'industries charitables de toute espèce ; mais ce qui manque presque toujours, c'est la vraie pitié.
Jusqu'où entrez-vous dans les misères des autres ? et jusqu'à quand durera votre sympathie et votre miséricorde ? Ces courses, ces oeuvres, ce détachement du superflu, ces lectures au lit de vos malades, qu'ont-ils produit jusqu'ici, quels malades ont-ils guéri, et dans quel esprit avez-vous continué ainsi ? Faites un sérieux retour sur vous-même, et vous sentirez que tout cela est à recommencer. Vous qui avez un malade à soigner, un faible à supporter, un enfant difficile à élever, un parent pauvre à soutenir, s'il vous fallait faire l'histoire de votre pitié, ce serait encore une lèpre à découvrir. Ah ! les compassions du Seigneur sont bien autre chose. Elles se renouvellent tous les matins : c'est une bonté qui est de tout temps, une charité qui ne finit jamais, une fidélité toujours grande. C'est aussi la seule pitié qui ne fasse point acception de personnes. Le Seigneur est bon envers tous, et ses compassions sont par dessus toutes ses oeuvres.

Votre charité a-t-elle ce caractère ? Voici dix malheureux qui réclament vos secours : n'avez-vous pas de l'engouement pour l'un et de l'antipathie pour l'autre ? S'il fallait vivre trente-trois ans avec un lépreux, le toucher à chaque instant, le consoler tous les jours, que vous resterait-il de votre pitié ?
Mais élevez vos yeux vers les montagnes d'où est venu le secours, c'est de là-haut que la vraie pitié est descendue. Est-ce un seul lépreux que Jésus-Christ a touché et pour qui se soient émues ses entrailles ? N'est-ce point vers tout un peuple qu'il a étendu ses mains, vers ceux qu'il a vu gisant dans leur sang, et que personne ne pouvait guérir ? Et s'il a louché ces lépreux, n'est-ce que de la main qu'il les a touchés ? n'est-il pas entré lui-même dans cette chair mortelle, en y paraissant comme un homme pécheur, et pour le péché ? Ah ! ces mains étendues, ce contact avec le lépreux, c'est l'éternel plan de Dieu et notre élection en Jésus-Christ avant la création du monde. Vous voyez ce que Dieu nous a gratuitement accordé en son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption par son sang, savoir, la rémission des péchés, selon les richesses de sa grâce, qu'il a répandues avec abondance sur nous, pour réunir toutes choses en Christ, tant ce qui est dans les deux que ce qui est sur la terre.

Et comme Jésus-Christ est entré dans notre chair, il entre aussi dans notre affection charnelle. Le lépreux touché et guéri est un pécheur que la grâce a touché, et qui a été renouvelé dans son esprit et dans sa nature intime. Une rencontre décisive avec Jésus est en même temps un coup de mort porté au vieil homme. C'est un autre principe de vie qui est descendu dans cette chair mortelle, et qui a change la volonté en la convertissant à Dieu. Le lépreux veut être nettoyé, et quiconque veut, le peut.
L'oeuvre de la grâce se décide, quand la volonté se décide et qu'elle ne reste plus enchaînée au mal. C'est la foi qui produit ce miracle.
La foi en Jésus est aussi une volonté nouvelle, et celui qui donne la volonté, donne aussi l'exécution. Le péché n'aura plus de domination sur vous, car vous ne le laisserez plus régner dans votre corps mortel, pour lui obéir en ses convoitises. Pour cela, mettez-vous bien dans l'esprit que vous êtes mort au péché, et que vous vivez à Dieu, en Jésus-Christ notre Seigneur.
Si le péché vous tourmente, cherchez votre vieil homme sur la croix de Golgotha : c'est sur cette croix que le corps du péché a été détruit, afin que vous ne fussiez plus asservi au péché. Ne dites plus : Misérable que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort ? Rendez grâces à Dieu par Jésus-Christ votre Seigneur.
Le lépreux est nettoyé, mais Jésus-Christ lui dit : Garde-toi de le dire à personne ; mais va-t-en, montre-toi au sacrificateur, et offre le don que Moïse a ordonné, afin que cela leur serve de témoignage. Garde-toi de le dire à personne !
Pourquoi cette défense ? elle revient aussi ailleurs. Le Seigneur avait une raison pour lui et une raison pour le lépreux.
Le règne de Dieu ne vient point avec éclat, mais comme la rosée qui vient en silence ; on ne l'attend point de l'homme, et on ne l'espère point des enfants des hommes. Le monde fait sonner la trompette ; il lui faut des affiches, des proclamations, du charlatanisme ; Jésus-Christ ne crie point et n'élève point sa voix, et ne la fait point entendre dans les rues. Il ne veut point que la multitude accoure, qu'on le porte sur les épaules, qu'on le presse peut-être de se faire roi ; ce n'est point par armée, ni par force, c'est par son Esprit que ces choses se feront.

Autre raison, et qui regardait le lépreux. Garde-toi de le dire à personne - est aussi un conseil donné aux nouveaux convertis. La conversion est une vie intérieure, et c'est l'homme caché qui fait croître, ce ne sont point les paroles. Il n'y a rien qui appauvrisse comme les racontages chrétiens.
Garder au sentiment religieux sa pudeur, c'est lui garder sa force ; les occasions de parler viendront, en attendant croissez dans la grâce et dans la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ ; le règne de Dieu consiste, non en paroles mais en vertu.

Le
lépreux guéri doit se montrer au sacrificateur. Selon la loi lévitique, le conseil des prêtres formait aussi un comité sanitaire. Le sacrificateur regardera le malade et le jugera souillé. De même, si le sacrificateur voit que la plaie s'est retirée, il jugera le malade pur. Telle était la teneur de la loi, et dans ce dernier cas le lépreux nettoyé n'avait qu'une offrande à faire pour rentrer dans la communion de son peuple.

II y a ici un sens spirituel que nous entrevoyons facilement. La loi ne fait que constater le péché, mais ce n'est point la loi qui guérit. Je n'ai connu, dit saint Paul, le péché que par la loi ; car je n'eusse point connu la convoitise, si la loi n'eût dit : Tu ne convoiteras pas. Mais une âme qui n'est plus sous la loi, et qui est désormais sous la grâce, peut de nouveau se montrer à la loi ; car il n'y a plus aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ.
La loi n'est point abolie, il n'y a que l'esprit légal qui soit aboli ; on ne craint plus, on aime, et le bien qu'on fera ne sera plus forcé, mais il sera volontaire. La loi qui condamnait est devenue une loi qui restaure l'âme ; une loi plus précieuse que l'or, plus douce que le miel.

Le lépreux guéri apportera avec joie son offrande, et cette offrande, dit notre texte, servira de témoignage.

O vous que la grâce a touché, quelle offrande apporterez-vous, et quel a été votre témoignage, quand miséricorde vous a été faite ? Le souverain sacrifice, c'est le don de nous-mêmes ; et ce sacrifice n'est point pénible, quand on a été racheté de cette vaine manière de vivre.
Les compassions du Seigneur ont une force qui d'une pierre même peut faire sortir un enfant à Abraham, et qui rend plus que vainqueur par celui qui nous a aimés.

Le témoignage à donner au monde, le voici : Aimez Celui qui vous a aimés le premier ; mais il n'y a qu'un pauvre pécheur pardonné qui puisse aimer. Il y a dans le monde beaucoup d'honnêtes gens, et dans l'Église beaucoup de personnes pieuses ; mais ce qui manque au monde et à l'Église, ce sont les pauvres pécheurs qui se reconnaissent tels.
Le mot est si usé et la chose si rare ! Êtes-vous un lépreux ? C'est alors que vous connaîtrez Celui qui vous a aimé et qui vous a lavé de vos péchés par son sang, et vous a fait roi et sacrificateur de Dieu, son Père.

Ce sont ces lépreux nettoyés qui font la conquête du monde et dont le témoignage est irrésistible. Platon disait : « Le plus beau des spectacles, pour quiconque peut le contempler, c'est une belle âme dans un beau corps. Il y a un spectacle qui est plus beau encore : c'est le beau travail de Dieu dans une âme perdue. Quel est le spectacle favori des anges ? quelle est leur joie souveraine ? C'est une âme qui sort de ses misères.
L'enfant prodigue, dans ses haillons et avec son coeur brisé, est plus beau que tous ces quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance. Ah ! quand on a souffert de soi-même et qu'on a senti la main du grand Médecin, on peut aussi aimer et rendre témoignage de cet amour. Si l'on n'a plus de paroles, on a encore des larmes, et l'on peut dire : Vous, tous les bouts de la terre, regardez à Lui et soyez sauvés !
Cela leur servira de témoignage ; les yeux de ceux qui sont encore dehors s'ouvriront ; ils feront route avec vous, car ils verront que votre connaissance est aussi la vie éternelle.


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