Je vous dis en vérité, que quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point.
Il y a dans cette parole du Seigneur quelque
chose qui regarde les petits, et quelque chose qui
a en vue les grands. Jésus-Christ laisse
venir à lui les petits enfants : cela nous montre qu'il y
a déjà
dans les petits enfants une capacité de
trouver le Sauveur. On a vu l'oeuvre de
Jésus-Christ se manifester en plus d'un
petit enfant, avant que ces enfants eussent
reçu une instruction
régulière. Nous
ne citerons que l'enfant du comte de
Zinzendorf, lequel, tout petit
encore, fut retiré de ce monde après
avoir donné tous les signes d'une
véritable conversion.
Il y a bien plus d'affinité que nous ne
croyons entre Jésus-Christ et un petit
enfant, et ce n'est pas sans raison qu'il est dit
du Seigneur qu'il tire le fondement de sa
puissance de la bouche des petits enfants et de
ceux qui tètent, à cause de ses
adversaires.
Aussi le Sauveur nous présente-t-il les
petits enfants pour modèles, en nous disant
d'une manière solennelle : Je vous
dis en vérité que quiconque ne
recevra pas le royaume de Dieu comme un petit
enfant, n'y entrera point.
Le Seigneur ne prétend point par
là que les petits enfants soient des
innocents ou de petits anges, comme on les appelle
souvent dans le monde. Le germe du
péché est déjà dans
l'enfant nouvellement né ; laissez
grandir cet enfant, et il montrera bientôt
toutes sortes de dispositions vicieuses, qui ne
viennent ni de l'éducation, ni de l'exemple,
mais qui proviennent uniquement
de sa nature déchue. Il est consolant que le
Sauveur ait aussi traversé l'Âge de la
première enfance, afin de refaire aussi
cette partie de notre vie, comme il a refait tout
le reste.
Si le Seigneur nous met en présence d'un
petit enfant, c'est pour que nous recherchions la
simplicité qui est en lui. Dieu avait
créé l'homme droit, mais l'homme
actuel cherche beaucoup de discours. Un
petit enfant n'a pas encore pris son pli ; il
a de la candeur, de la simplicité ;
plus tard ce ne sera plus de même. Plus on
avance en âge, plus la
sincérité du coeur s'efface pour
être remplacée par les apparences. Au
lieu de se montrer tel qu'on est, on a recours
à un genre emprunté ; dites,
vous-même, voudriez-vous que tout le monde
sût ce que couvre votre coeur et votre
visage ?
Or, entre la vérité et le mensonge,
il y a une espèce de juste-milieu que nous
appellerons la raideur. C'est sur cet
état que nous allons vous présenter
quelques réflexions. La raideur, telle que
je l'entends, est le simulacre
de la vérité, et elle
pénètre dans bien des directions de
notre coeur et de nos rapports mutuels. Elle se
glisse aussi dans notre vie religieuse, aussi nous
aurons à parler d'une raideur naturelle et
d'une raideur spirituelle ; la Bible nous
montre plusieurs exemples de cette dernière.
Quand nous connaîtrons suffisamment la
raideur dans sa racine et dans ses manifestations,
nous nous replacerons devant un petit enfant et
devant cette parole du Seigneur : Je vous
dis en vérité que quiconque ne
recevra pas le royaume de Dieu comme un petit
enfant, n'y entrera point.
Puisque dans ce passage il est question de la
simplicité qui doit remplacer la raideur,
nous examinerons en quoi consiste la vraie simplicité. Nous
verrons qu'il y a
une simplicité de caractère et une
autre qui est une oeuvre du Saint-Esprit ; ce
n'est point à la première, c'est
à la dernière que le Seigneur promet
l'entrée du royaume céleste.
Allons à la racine des choses ; c'est
dans le coeur que tout
commence ; qu'est-ce que la raideur, à
sa première formation ? C'est un
état de résistance, mais qu'on ne
veut pas laisser paraître ; c'est un
dégoût, une aversion cachée,
mais qu'il serait trop compromettant de laisser
voir dans son entier.
Un homme raide est déjà un
meurtrier ; car il a en lui la racine d'une
haine, et la haine est déjà un
meurtre commencé. Si Dieu nous abandonnait
à nous-mêmes nous nous entre-tuerions,
et cela uniquement parce que nous sommes raides et
que l'état général du coeur
déchu est un état de
résistance. Mais il serait trop odieux de
montrer à découvert cette pente
fatale ; on la cache autant qu'on le peut, et
on n'en laisse paraître que ce qu'on ne peut
plus cacher.
Entrons dans quelques détails ; je vais
vous tracer quelques portraits, en allant peu
à peu de la circonférence vers le
centre.
Il y a une raideur de formes, celle que nous
appelons l'étiquette. C'est un
assujettissement à des
convenances dont le coeur ne sait rien. On serait
heureux d'être débarrassé d'un
tel esclavage ; mais l'esprit du siècle
est plus fort que nous, ce serait la lutte du pot
de terre contre le pot de fer. Ce n'est plus la
vérité qui règne ici-bas,
c'est le mensonge ; tous les hommes sont
menteurs, mais menteurs honnêtes,
civilisés, fashionables. Ils étudient
leur démarche, leurs gestes, leur abord,
c'est pour se donner une certaine
grâce ; mais ce n'est point la
grâce du Seigneur Jésus-Christ,
c'est tout simplement de la raideur.
Il y a une autre raideur qui est dans le langage.
Il y a des hommes au ton sec, à la parole
tranchante, et qui adoptent ce genre uniquement
pour se donner un air d'autorité. La vraie
gravité leur manque ; ils ne sentent ni
le poids de la vie, ni le poids des choses divines,
ils ne sentent que le poids de leur propre
personne. Mais non contents de cela, ils veulent
aussi que d'autres le sentent, et de là
l'air grandiose avec lequel ils
se promènent et dont se ressentent aussi
leurs paroles.
Il y a encore une raideur qui est dans les
opinions. Vous trouvez de ces caractères
tenaces et qui sont infaillibles à leurs
propres yeux, et qu'il n'est pas possible
d'instruire ni de convaincre d'erreur. Ils sont
leurs propres oracles, dussent-ils être fous
à force d'être sages. N'essayez pas de
les changer, ils ont toujours raison, ils ont
toujours le dernier mot et n'entendent point qu'on
les contredise. Ce sont de ces hommes qui
prétendent au monopole de la
vérité et qui la confondent avec leur
personne ; comme Louis XIV disait :
« La France, c'est moi. »
II y a une autre raideur qui est dans les
déterminations. Il y a de ces hommes qui
veulent parce qu'ils veulent, sans autre raison. Il
suffit qu'ils aient résolu quelque chose,
pour la faire ; que ce soit un coup de
tête, n'importe ; un ange ne pourrait
pas les détourner. Et comme on trouve
toujours le nom quand on veut excuser
la chose, une telle raideur est
qualifiée d'énergie, de force de
caractère, de volonté inflexible.
Ces hommes apportent cette même raideur dans
les transactions. Vous les trouvez inexorables,
quand vous avez à débattre avec eux
quelque affaire d'intérêt. Ce sont des
despotes égoïstes, qui, en usant du
droit avec la dernière rigueur et le Code
civil en main, vous dépouillent sans le
moindre scrupule. Cette raideur existe souvent
entre frères et soeurs, quand il s'agit de
partager un héritage. Et là où
l'intérêt commence, il n'y a plus de
ménagements à attendre d'eux.
Il y a une raideur moins farouche, mois plus
générale encore. C'est celle qu'on
rencontre dans les procédés
habituels. Il y a bien des hommes qui attendront
toujours que vous veniez à leur rencontre,
et qui ne feront jamais le premier pas. Ils se
respectent trop pour se jeter à la
tête des autres, et ils croient que la vraie
sagesse est de se faire rechercher.
On dirait voir des demi-dieux,
toujours entourés d'un petit nimbe, et si
vous n'avez quelque grain d'encens à leur
donner vous ne les ferez point parler. Il est vrai
qu'on donne à cette raideur un très
beau nom : on l'appelle dignité de
caractère.
La raideur peut entrer jusques dans le style ;
car le style, c'est l'homme. Il y a des billets
raides, des discours raides ; on dirait que
les mots n'arrivent à vous que sur des
échasses. Vous pouvez avoir un ami qui,
lorsqu'il vous écrit, a mesuré chaque
mot ; il y a une diplomatie de correspondance,
comme il y a une diplomatie de cabinet ; ce
n'est point le coeur, c'est l'esprit de calcul qui
met ces lettres à la poste.
Nous avons dit que, comme il y a une raideur
naturelle, il y a aussi une raideur spirituelle. Le moi, qui
est au fond de toute raideur, entre
aussi dans nos directions chrétiennes. La
Bible nous montre plusieurs exemples de cette
raideur. On croit tirer l'épée pour
la gloire de Dieu, et c'est
votre propre personne que vous divinisez. Quand les
fils de Zébédée veulent faire
tomber le feu du ciel sur une bourgade samaritaine,
ils ne sentent pas qu'ils sont scandalisés
pour leur compte, tout autant que pour le nom de
leur Maître.
Ou quand les disciples veulent empêcher cet
homme, qui ne marchait point avec eux, de chasser
les démons au nom de Jésus, l'esprit
de ces disciples était du
cléricalisme ; il y avait dans leur
coeur un pape, ce qu'ils avaient garde de
s'avouer.
Ou quand Pierre veut pardonner sept fois, et qu'il
demande : Est-ce assez ? il y
avait dans son christianisme de la raideur.
Ou quand saint Paul écrit à deux
femmes chrétiennes : Je prie
Évodie et je prie Syntiche d'avoir un
même sentiment en notre Seigneur, il fait
allusion peut-être à un état de
raideur qui s'était glissé dans les
rapports de ces deux femmes.
La raideur spirituelle peut venir de la
susceptibilité froissée, de la
jalousie de métier, de l'orgueil
clérical, d'un manque de tact
quand on rend témoignage,
ou aussi de la prédilection outrée
pour tel dogme secondaire, au préjudice du
fondement vital. Il y a des ultra-luthériens
et des ultra-calvinistes, sans parler de ces sectes
où l'essentiel est sacrifié à
l'accessoire.
Toutes ces fausses directions viennent de la
raideur ; l'homme, depuis la chute, est
l'être le plus raide ; il met sa propre
personne à la place de Dieu et de
l'Évangile ; c'est dans ce sens qu'il
pense, qu'il parle, qu'il agit, qu'il fait du
christianisme, jusqu'à ce que
Jésus-Christ lui dise : En
vérité, si vous ne recevez pas
le royaume de Dieu comme un petit enfant, vous n'y
entrerez point.
C'est de la simplicité qu'il nous
faut, beaucoup de simplicité, mais de la
vraie simplicité.
Il y a une simplicité naturelle et une autre
qui est une opération du Saint-Esprit.
Voyons d'abord la première :
j'essaierai de vous la montrer sous plusieurs
formes.
Il y a une simplicité qui est un pur
sans-gêne ou un manque de
procédés et de
culture : elle consiste à se mettre
à l'aise vis-à-vis tout le monde,
sans se soucier ni de l'approbation ni de la
désapprobation des autres. C'est une
simplicité qui peut aller jusqu'à la
rusticité, et si l'on avait à
choisir, on aimerait encore mieux la raideur. Ce
n'est point un tel état qui donne
entrée au royaume des cieux.
Il est une autre simplicité qui n'est qu'une
pesanteur d'esprit ou une torpeur de conscience.
Vous trouvez de ces caractères que vous
pouvez mener comme vous voulez, et qui n'ont ni
assez de jugement, ni assez de développement
moral pour comprendre la vraie vie. Un tel
état, sous des dehors de bonhomie, cache de
grands dangers ; le même homme servira
d'instrument pour toutes sortes de choses qu'il n'a
pas examinées et qui peuvent le mettre sur
un terrain glissant, et où les chutes
arriveront l'une après l'autre.
Il y a une troisième espèce de
simplicité, et qui est souvent
admirée comme une vertu, mais qui n'est
qu'une affaire de
tempérament ou d'habitude. On dit souvent
d'un homme qu'il a des goûts simples, et on
lui fait de cela un mérite. En effet, cet
homme peut se passer de bien des choses, mais c'est
parce qu'il n'a jamais compris la vie autrement.
Admettons même qu'un homme accoutumé
à une vie plus splendide, soit
obligé, par une disgrâce de fortune,
de restreindre ses dépenses, croyez-vous
qu'il soit mieux préparé pour cela au
royaume des cieux ? Pour redevenir enfant, il
faut autre chose qu'un régime
d'économie ou qu'un accommodement aux
circonstances.
Il y a enfin une simplicité qui n'est qu'une
imitation de la simplicité, mais qui n'est
point la chose même. On veut se montrer bien
simple, mais précisément parce qu'on
le veut, on ne l'est pas. Il faut que la
simplicité coule de source ; elle ne
peut pas être une affaire de
préméditation. Essayez d'entrer dans
un habit qui n'est pas le vôtre et de prendre
une allure libre, le véritable homme percera
à travers l'habit. La
simplicité chrétienne n'est pas une
étude comme une autre, elle est le fruit
d'une réforme intérieure et une
opération du Saint-Esprit.
Voulez-vous voir la vraie simplicité, celle
qui donne aussi entrée au royaume des
cieux ? Regardez à
Jésus-Christ ; en Lui vous voyez
l'homme le plus simple qui ait jamais vécu.
Le coeur de Jésus-Christ comme la vie de
Jésus-Christ est la simplicité
même. Ici tout est vrai, primitif, sans
raideur.
Ce qu'un petit enfant est comme enfant,
Jésus-Christ l'est comme homme ; la
vérité d'un petit enfant, la
grâce d'un petit enfant, vous la voyez en
pleine mesure en Jésus-Christ ; car, comme la loi a été
donnée
par Moïse, la grâce et la
vérité sont venues par
Jésus-Christ.
Vous êtes touché en voyant le
Sauveur laisser venir à lui les petits
enfants et les mettre à l'aise sur son
sein ; mais les mêmes rapports vous sont
offerts, et ce qui unit à
Jésus-Christ c'est une sainte
simplicité.
Ce qui est simple, est un ; donnez à
votre vie cette unité, en
réunissant toutes choses en Christ, et vos
raideurs tomberont, tout se rangera autour de
l'intérêt suprême. Ces
études de l'amour-propre, ces
prétentions puériles, ces fatigues de
l'orgueil, ces déceptions de la
volonté propre feront place à une
mansuétude intime qui repose la
pensée, qui rafraîchit le coeur, qui
sanctifie la vie dans ses parties comme dans son
ensemble. Vous arriverez à ce bonheur
nouveau en commençant par la prière.
Faites chaque prière sur le seuil de
l'éternité, et coupez court dans ces
saints moments à vos intérêts
terrestres ; le monde baissera,
Jésus-Christ grandira, et cette union avec
le Seigneur vous rendra calme, heureux, simple
comme un enfant. Une influence céleste
dominera voire âme, vos actes, votre
langage.
L'onction d'en-haut gouvernera votre vie, et en
vous enseignant toutes choses, elle vous
communiquera toutes choses, et par ce moyen
l'entrée au royaume éternel vous sera
pleinement accordée.
Ainsi comprise,
la
simplicité est aussi le signe de la
croissance spirituelle. Les chrétiens les
plus avancés sont aussi les chrétiens
les plus simples, ceux auxquels tout le monde peut
se faire, et prés desquels tout le monde se
sent heureux. Ce qui est vrai, ce qui est naturel,
l'emporte toujours sur ce qui est raide et
guindé ; mais pour devenir enfant, il
faut avoir passé par les mains du Seigneur
lui-même. C'est souvent une longue et
douloureuse école, mais c'est la meilleure,
la plus profitable.
Les formes raides viennent d'un coeur raide ;
mais quand le coeur est gagné, ce qui est
tortu sera redressé, ce qui est raboteux
sera aplani. On peut dire des simples comme des débonnaires
qu'ils
hériteront de la terre, lis iront de
victoire en victoire, faibles et toujours forts,
pauvres et toujours riches ; que le monde
s'oppose, que Satan grince des dents, le Seigneur
dira toujours : Laissez venir à moi
ces petits et ne les empêchez point ;
car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur
ressemblent.
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