Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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RAIDEUR ET SIMPLICITÉ.

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Marc, X, 15.

 Je vous dis en vérité, que quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point.


  Il y a dans cette parole du Seigneur quelque chose qui regarde les petits, et quelque chose qui a en vue les grands. Jésus-Christ laisse venir à lui les petits enfants : cela nous montre qu'il y a déjà dans les petits enfants une capacité de trouver le Sauveur. On a vu l'oeuvre de Jésus-Christ se manifester en plus d'un petit enfant, avant que ces enfants eussent reçu une instruction régulière. Nous
ne citerons que l'enfant du comte de Zinzendorf, lequel, tout petit encore, fut retiré de ce monde après avoir donné tous les signes d'une véritable conversion.

Il y a bien plus d'affinité que nous ne croyons entre Jésus-Christ et un petit enfant, et ce n'est pas sans raison qu'il est dit du Seigneur qu'il tire le fondement de sa puissance de la bouche des petits enfants et de ceux qui tètent, à cause de ses adversaires.
Aussi le Sauveur nous présente-t-il les petits enfants pour modèles, en nous disant d'une manière solennelle : Je vous dis en vérité que quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point.
Le Seigneur ne prétend point par là que les petits enfants soient des innocents ou de petits anges, comme on les appelle souvent dans le monde. Le germe du péché est déjà dans l'enfant nouvellement né ; laissez grandir cet enfant, et il montrera bientôt toutes sortes de dispositions vicieuses, qui ne viennent ni de l'éducation, ni de l'exemple, mais qui proviennent uniquement de sa nature déchue. Il est consolant que le Sauveur ait aussi traversé l'Âge de la première enfance, afin de refaire aussi cette partie de notre vie, comme il a refait tout le reste.

Si le Seigneur nous met en présence d'un petit enfant, c'est pour que nous recherchions la simplicité qui est en lui. Dieu avait créé l'homme droit, mais l'homme actuel cherche beaucoup de discours. Un petit enfant n'a pas encore pris son pli ; il a de la candeur, de la simplicité ; plus tard ce ne sera plus de même. Plus on avance en âge, plus la sincérité du coeur s'efface pour être remplacée par les apparences. Au lieu de se montrer tel qu'on est, on a recours à un genre emprunté ; dites, vous-même, voudriez-vous que tout le monde sût ce que couvre votre coeur et votre visage ?
Or, entre la vérité et le mensonge, il y a une espèce de juste-milieu que nous appellerons la raideur. C'est sur cet état que nous allons vous présenter quelques réflexions. La raideur, telle que je l'entends, est le simulacre de la vérité, et elle pénètre dans bien des directions de notre coeur et de nos rapports mutuels. Elle se glisse aussi dans notre vie religieuse, aussi nous aurons à parler d'une raideur naturelle et d'une raideur spirituelle ; la Bible nous montre plusieurs exemples de cette dernière. Quand nous connaîtrons suffisamment la raideur dans sa racine et dans ses manifestations, nous nous replacerons devant un petit enfant et devant cette parole du Seigneur : Je vous dis en vérité que quiconque ne recevra pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, n'y entrera point.
Puisque dans ce passage il est question de la simplicité qui doit remplacer la raideur, nous examinerons en quoi consiste la vraie simplicité. Nous verrons qu'il y a une simplicité de caractère et une autre qui est une oeuvre du Saint-Esprit ; ce n'est point à la première, c'est à la dernière que le Seigneur promet l'entrée du royaume céleste.

Allons à la racine des choses ; c'est dans le coeur que tout commence ; qu'est-ce que la raideur, à sa première formation ? C'est un état de résistance, mais qu'on ne veut pas laisser paraître ; c'est un dégoût, une aversion cachée, mais qu'il serait trop compromettant de laisser voir dans son entier.
Un homme raide est déjà un meurtrier ; car il a en lui la racine d'une haine, et la haine est déjà un meurtre commencé. Si Dieu nous abandonnait à nous-mêmes nous nous entre-tuerions, et cela uniquement parce que nous sommes raides et que l'état général du coeur déchu est un état de résistance. Mais il serait trop odieux de montrer à découvert cette pente fatale ; on la cache autant qu'on le peut, et on n'en laisse paraître que ce qu'on ne peut plus cacher.

Entrons dans quelques détails ; je vais vous tracer quelques portraits, en allant peu à peu de la circonférence vers le centre.

Il y a une raideur de formes, celle que nous appelons l'étiquette. C'est un assujettissement à des convenances dont le coeur ne sait rien. On serait heureux d'être débarrassé d'un tel esclavage ; mais l'esprit du siècle est plus fort que nous, ce serait la lutte du pot de terre contre le pot de fer. Ce n'est plus la vérité qui règne ici-bas, c'est le mensonge ; tous les hommes sont menteurs, mais menteurs honnêtes, civilisés, fashionables. Ils étudient leur démarche, leurs gestes, leur abord, c'est pour se donner une certaine grâce ; mais ce n'est point la grâce du Seigneur Jésus-Christ, c'est tout simplement de la raideur.

Il y a une autre raideur qui est dans le langage. Il y a des hommes au ton sec, à la parole tranchante, et qui adoptent ce genre uniquement pour se donner un air d'autorité. La vraie gravité leur manque ; ils ne sentent ni le poids de la vie, ni le poids des choses divines, ils ne sentent que le poids de leur propre personne. Mais non contents de cela, ils veulent aussi que d'autres le sentent, et de là l'air grandiose avec lequel ils se promènent et dont se ressentent aussi leurs paroles.

Il y a encore une raideur qui est dans les opinions. Vous trouvez de ces caractères tenaces et qui sont infaillibles à leurs propres yeux, et qu'il n'est pas possible d'instruire ni de convaincre d'erreur. Ils sont leurs propres oracles, dussent-ils être fous à force d'être sages. N'essayez pas de les changer, ils ont toujours raison, ils ont toujours le dernier mot et n'entendent point qu'on les contredise. Ce sont de ces hommes qui prétendent au monopole de la vérité et qui la confondent avec leur personne ; comme Louis XIV disait : « La France, c'est moi. »

II y a une autre raideur qui est dans les déterminations. Il y a de ces hommes qui veulent parce qu'ils veulent, sans autre raison. Il suffit qu'ils aient résolu quelque chose, pour la faire ; que ce soit un coup de tête, n'importe ; un ange ne pourrait pas les détourner. Et comme on trouve toujours le nom quand on veut excuser la chose, une telle raideur est qualifiée d'énergie, de force de caractère, de volonté inflexible.
Ces hommes apportent cette même raideur dans les transactions. Vous les trouvez inexorables, quand vous avez à débattre avec eux quelque affaire d'intérêt. Ce sont des despotes égoïstes, qui, en usant du droit avec la dernière rigueur et le Code civil en main, vous dépouillent sans le moindre scrupule. Cette raideur existe souvent entre frères et soeurs, quand il s'agit de partager un héritage. Et là où l'intérêt commence, il n'y a plus de ménagements à attendre d'eux.

Il y a une raideur moins farouche, mois plus générale encore. C'est celle qu'on rencontre dans les procédés habituels. Il y a bien des hommes qui attendront toujours que vous veniez à leur rencontre, et qui ne feront jamais le premier pas. Ils se respectent trop pour se jeter à la tête des autres, et ils croient que la vraie sagesse est de se faire rechercher. On dirait voir des demi-dieux, toujours entourés d'un petit nimbe, et si vous n'avez quelque grain d'encens à leur donner vous ne les ferez point parler. Il est vrai qu'on donne à cette raideur un très beau nom : on l'appelle dignité de caractère.

La raideur peut entrer jusques dans le style ; car le style, c'est l'homme. Il y a des billets raides, des discours raides ; on dirait que les mots n'arrivent à vous que sur des échasses. Vous pouvez avoir un ami qui, lorsqu'il vous écrit, a mesuré chaque mot ; il y a une diplomatie de correspondance, comme il y a une diplomatie de cabinet ; ce n'est point le coeur, c'est l'esprit de calcul qui met ces lettres à la poste.

Nous avons dit que, comme il y a une raideur naturelle, il y a aussi une raideur spirituelle. Le moi, qui est au fond de toute raideur, entre aussi dans nos directions chrétiennes. La Bible nous montre plusieurs exemples de cette raideur. On croit tirer l'épée pour la gloire de Dieu, et c'est votre propre personne que vous divinisez. Quand les fils de Zébédée veulent faire tomber le feu du ciel sur une bourgade samaritaine, ils ne sentent pas qu'ils sont scandalisés pour leur compte, tout autant que pour le nom de leur Maître.
Ou quand les disciples veulent empêcher cet homme, qui ne marchait point avec eux, de chasser les démons au nom de Jésus, l'esprit de ces disciples était du cléricalisme ; il y avait dans leur coeur un pape, ce qu'ils avaient garde de s'avouer.
Ou quand Pierre veut pardonner sept fois, et qu'il demande : Est-ce assez ? il y avait dans son christianisme de la raideur.
Ou quand saint Paul écrit à deux femmes chrétiennes : Je prie Évodie et je prie Syntiche d'avoir un même sentiment en notre Seigneur, il fait allusion peut-être à un état de raideur qui s'était glissé dans les rapports de ces deux femmes.

La raideur spirituelle peut venir de la susceptibilité froissée, de la jalousie de métier, de l'orgueil clérical, d'un manque de tact quand on rend témoignage, ou aussi de la prédilection outrée pour tel dogme secondaire, au préjudice du fondement vital. Il y a des ultra-luthériens et des ultra-calvinistes, sans parler de ces sectes où l'essentiel est sacrifié à l'accessoire.
Toutes ces fausses directions viennent de la raideur ; l'homme, depuis la chute, est l'être le plus raide ; il met sa propre personne à la place de Dieu et de l'Évangile ; c'est dans ce sens qu'il pense, qu'il parle, qu'il agit, qu'il fait du christianisme, jusqu'à ce que Jésus-Christ lui dise : En vérité, si vous ne recevez pas le royaume de Dieu comme un petit enfant, vous n'y entrerez point.

C'est de la simplicité qu'il nous faut, beaucoup de simplicité, mais de la vraie simplicité.
Il y a une simplicité naturelle et une autre qui est une opération du Saint-Esprit.

Voyons d'abord la première : j'essaierai de vous la montrer sous plusieurs formes.
Il y a une simplicité qui est un pur sans-gêne ou un manque de procédés et de culture : elle consiste à se mettre à l'aise vis-à-vis tout le monde, sans se soucier ni de l'approbation ni de la désapprobation des autres. C'est une simplicité qui peut aller jusqu'à la rusticité, et si l'on avait à choisir, on aimerait encore mieux la raideur. Ce n'est point un tel état qui donne entrée au royaume des cieux.

Il est une autre simplicité qui n'est qu'une pesanteur d'esprit ou une torpeur de conscience. Vous trouvez de ces caractères que vous pouvez mener comme vous voulez, et qui n'ont ni assez de jugement, ni assez de développement moral pour comprendre la vraie vie. Un tel état, sous des dehors de bonhomie, cache de grands dangers ; le même homme servira d'instrument pour toutes sortes de choses qu'il n'a pas examinées et qui peuvent le mettre sur un terrain glissant, et où les chutes arriveront l'une après l'autre.

Il y a une troisième espèce de simplicité, et qui est souvent admirée comme une vertu, mais qui n'est qu'une affaire de tempérament ou d'habitude. On dit souvent d'un homme qu'il a des goûts simples, et on lui fait de cela un mérite. En effet, cet homme peut se passer de bien des choses, mais c'est parce qu'il n'a jamais compris la vie autrement. Admettons même qu'un homme accoutumé à une vie plus splendide, soit obligé, par une disgrâce de fortune, de restreindre ses dépenses, croyez-vous qu'il soit mieux préparé pour cela au royaume des cieux ? Pour redevenir enfant, il faut autre chose qu'un régime d'économie ou qu'un accommodement aux circonstances.

Il y a enfin une simplicité qui n'est qu'une imitation de la simplicité, mais qui n'est point la chose même. On veut se montrer bien simple, mais précisément parce qu'on le veut, on ne l'est pas. Il faut que la simplicité coule de source ; elle ne peut pas être une affaire de préméditation. Essayez d'entrer dans un habit qui n'est pas le vôtre et de prendre une allure libre, le véritable homme percera à travers l'habit. La simplicité chrétienne n'est pas une étude comme une autre, elle est le fruit d'une réforme intérieure et une opération du Saint-Esprit.

Voulez-vous voir la vraie simplicité, celle qui donne aussi entrée au royaume des cieux ? Regardez à Jésus-Christ ; en Lui vous voyez l'homme le plus simple qui ait jamais vécu. Le coeur de Jésus-Christ comme la vie de Jésus-Christ est la simplicité même. Ici tout est vrai, primitif, sans raideur.
Ce qu'un petit enfant est comme enfant, Jésus-Christ l'est comme homme ; la vérité d'un petit enfant, la grâce d'un petit enfant, vous la voyez en pleine mesure en Jésus-Christ ; car, comme la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
Vous êtes touché en voyant le Sauveur laisser venir à lui les petits enfants et les mettre à l'aise sur son sein ; mais les mêmes rapports vous sont offerts, et ce qui unit à Jésus-Christ c'est une sainte simplicité.
Ce qui est simple, est un ; donnez à votre vie cette unité, en réunissant toutes choses en Christ, et vos raideurs tomberont, tout se rangera autour de l'intérêt suprême. Ces études de l'amour-propre, ces prétentions puériles, ces fatigues de l'orgueil, ces déceptions de la volonté propre feront place à une mansuétude intime qui repose la pensée, qui rafraîchit le coeur, qui sanctifie la vie dans ses parties comme dans son ensemble. Vous arriverez à ce bonheur nouveau en commençant par la prière. Faites chaque prière sur le seuil de l'éternité, et coupez court dans ces saints moments à vos intérêts terrestres ; le monde baissera, Jésus-Christ grandira, et cette union avec le Seigneur vous rendra calme, heureux, simple comme un enfant. Une influence céleste dominera voire âme, vos actes, votre langage.
L'onction d'en-haut gouvernera votre vie, et en vous enseignant toutes choses, elle vous communiquera toutes choses, et par ce moyen l'entrée au royaume éternel vous sera pleinement accordée.

Ainsi comprise, la simplicité est aussi le signe de la croissance spirituelle. Les chrétiens les plus avancés sont aussi les chrétiens les plus simples, ceux auxquels tout le monde peut se faire, et prés desquels tout le monde se sent heureux. Ce qui est vrai, ce qui est naturel, l'emporte toujours sur ce qui est raide et guindé ; mais pour devenir enfant, il faut avoir passé par les mains du Seigneur lui-même. C'est souvent une longue et douloureuse école, mais c'est la meilleure, la plus profitable.

Les formes raides viennent d'un coeur raide ; mais quand le coeur est gagné, ce qui est tortu sera redressé, ce qui est raboteux sera aplani. On peut dire des simples comme des débonnaires qu'ils hériteront de la terre, lis iront de victoire en victoire, faibles et toujours forts, pauvres et toujours riches ; que le monde s'oppose, que Satan grince des dents, le Seigneur dira toujours : Laissez venir à moi ces petits et ne les empêchez point ; car le royaume de Dieu est pour ceux qui leur ressemblent.


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