Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XII

UNE SÉPARATION.

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Jean, XI, 1-45.

 Il y avait un homme malade, appelé Lazare, qui était de Béthanie, le bourg de Marie et de Marthe sa soeur.
Cette Marie était celle qui oignit le Seigneur d'une huile de parfum, et qui essuya ses pieds avec ses cheveux ; et Lazare, qui était malade, était son frère.
Ses soeurs donc envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que tu aimes est malade.
Jésus, ayant entendu cela dit : Cette maladie n'est point à la mort, mais elle est pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu en soit glorifié.
Or, Jésus aimait Marthe, et sa soeur, et Lazare.
lit quoiqu'il eût appris qu'il était malade, il demeura cependant encore deux jours au lieu où il était.
Puis il dit à ses disciples : Retournons en Judée
Les disciples lui dirent : Maître, il n'y à que peu de temps que les Juifs cherchaient à te lapider, et tu y retournes encore !
Jésus répondit : n'y a-t-il pas douze heures au jour ? Si quelqu'un marche pendant le jour, il ne bronche point, parce qu'il voit la lumière de ce monde.
Mais si quelqu'un marche pendant la nuit, il bronche, parce qu'il n'a point de lumière.
Il parla ainsi, et après cela il leur dit : Lazare, notre ami dort, mais je m'en vais l'éveiller.
Ses disciples lui dirent : Seigneur, s'il dort il sera guéri.
Or, Jésus avait dit cela de la mort de Lazare ; mais ils crurent qu'il parlait d'un véritable sommeil.
Jésus donc leur dit alors ouvertement : Lazare est mort.
Et je me réjouis à cause de vous, de ce que je n'étais pas là, afin que vous croyiez ; mais allons vers lui.
Thomas donc, appelé Didyme, dit aux autres disciples : Allons-y aussi, afin de mourir avec lui.
Jésus étant arrivé, trouva qu'il y avait déjà quatre jours qu'il était dans le sépulcre.

Or, Béthanie était environ à quinze stades de Jérusalem.
Et plusieurs des Juifs étaient venus voir Marthe et Marie, pour les consoler de la mort de leur frère.
Quand Marthe ouït dire que Jésus venait, elle alla au-devant de Lui ; mais Marie demeura assise à la maison.
Marthe dit à Jésus : Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort.
Mais je sais que, maintenant même, tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu le l'accordera.
Jésus lui dit : Ton frère ressuscitera.
Marthe lui répondit : Je sais qu'il ressuscitera en la résurrection, au dernier jour.
Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit eu moi vivra, quand même il serait mort.
Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra point pour toujours. Crois-tu cela ?
Elle lui dit : Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, qui devait venir au monde.
Quand elle eut dit cela, elle s'en alla et appela Marie, sa soeur, en secret, et lui dit : Le Maître est ici, et il t'appelle.
Ce que Marie ayant entendu, elle se leva promptement, et vint vers Lui.

Or, Jésus n'était pas encore entre dans le bourg, mais il était au même endroit où Marthe était venue au-devant de Lui.
Alors les Juifs qui étaient avec Marie dans la maison, et qui la consolaient, voyant qu'elle s'était levée si promptement, et qu'elle était sortie, la suivirent, disant : Elle s'en va au sépulcre pour y pleurer.
Mais Marie étant arrivée au lieu où était Jésus, dès qu'elle le vit, elle se jeta à ses pieds et lui dit : Seigneur, si tu eusses été ici, mon frère ne serait pas mort.
Quand Jésus vit qu'elle pleurait, et que les Juifs qui étaient venus avec elle pleuraient aussi, il frémit en lui-même, et fut ému ;
Et il dit : Ou l'avez-vous mis ? Ils lui répondirent : Seigneur, viens et vois.
Et Jésus pleura.
Sur quoi les Juifs dirent : Voyez comme il l'aimait.
Et quelques-uns d'eux dirent : Lui qui a ouvert les yeux de l'aveugle, ne pouvait-il pas faire aussi que cet homme ne mourût pas ?
Alors Jésus, frémissant de nouveau en lui-même, vint au sépulcre ; c'était une grotte, et on avait mis une pierre dessus.
Jésus dit : Ôtez la pierre. Marthe, soeur du mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà mauvais ; car il est là depuis quatre jours.
Jésus lui répondit : Ne t'ai-je pas dit, que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?
Ils ôtèrent donc la pierre du lieu où le mort était couché. et Jésus élevant les yeux au ciel, dit : Mon Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé.
Je savais bien que tu m'exauces toujours, mais je dis ceci à cause de ce peuple, qui est autour de moi, afin qu'il croie que tu m'as envoyé.
Quand il eut dit cela : il cria à haute voix : Lazare, sors de là.
Et le mort sortit : ayant les mains et les pieds liés de bandes, et le visage enveloppé d'un linge. Jésus leur dit : Déliez-le et le laissez aller.
Plusieurs donc des juifs qui étaient venus voir Marie, et qui avaient vu ce que Jésus avait fait, crurent en Lui.


  L'histoire que nous rapportons ici est l'histoire d'une séparation. Il y a dans la vie des familles une heure bien douloureuse : c'est celle où il faut se dire adieu. Notre texte nous met en présence de trois âmes bien unies et heureuses : ce sont deux soeurs et un frère, vivant tous sous le même toit et connaissant tous les trois le Seigneur. Or, quand on a ainsi l'habitude de vivre ensemble, on n'admet pas la possibilité d'être jamais séparés. Cependant la mort n'épargne personne, et souvent ceux que nous aimons le plus pour nous, sont aussi ceux que Dieu aime le plus pour Lui ; c'est la brebis chérie qui est ordinairement marquée la première. Ce paisible intérieur de Béthanie va être transformé en une maison de deuil.
Lazare tombe malade, et ni les soins ni les prières des deux soeurs ne peuvent arrêter la mort ; elle étend sa main glacée, et vous n'avez plus devant vous qu'un cadavre. Peut-être ce frère et ces deux soeurs avaient-ils souvent parlé de la mort ; peut-être le soir, plus d'une fois, dans leur intimité domestique, s'étaient-ils demandé : Qui de nous mourra le premier ? et, plus tôt qu'ils ne l'auraient voulu, la mort leur fait réponse. Nous savons ce qui arrive quand on perd ce qu'on a de plus cher au monde. La maison qu'on habite, la vie entière est devenue une solitude ; chaque place rappelle des souvenirs qui font couler les larmes ; on croit encore que cette séparation n'est qu'un rêve, tant on a de peine à se faire à cette pensée : Je ne le reverrai donc plus jamais ! Cependant, s'il y a une parole vraie dans l'Écriture, c'est la parole : Dieu est amour.

Il y a autour d'une telle épreuve tout un réseau de miséricorde, et les bénédictions les plus nombreuses sont réservées aux coeurs brisés. Ce n'est pas sans raison qu'il est dit que nous devons nous glorifier même dans nos afflictions, et que nous devons les regarder comme le sujet d'une parfaite joie.
Mettez un grain de sable à côté du Mont-Blanc, verrez-vous encore le grain de sable ? Eh bien ! mettez à côté du coup qui vient de vous frapper les richesses insondables de Christ : y aura-t-il proportion ?
Nous voyons ce que le Sauveur a été pour les deux soeurs, et Christ est le même pour tous ceux qui se retirent vers Lui.

Pour connaître Jésus-Christ dans sa puissance éternelle, il faut se placer auprès d'un tombeau ; ce ne sont point nos deuils qui nous enlèvent le Seigneur, ce sont nos mauvais soutiens. Nous allons regarder de plus près la visitation de la famille de Béthanie. Il se passe toutes sortes de choses dans le coeur avant, pendant et après une séparation : ce sont ces trois faces d'un deuil que nous allons étudier. Qu'ont dû éprouver les deux soeurs pendant la maladie de Lazare ? Que s'est-il passé dans leur coeur quand la mort est venue le frapper, et quelle action cette épreuve a-t-elle eue sur la vie de Marthe et de Marie ? L'histoire qui se passe sous nos yeux nous fera la réponse.


I.

  Il y avait un homme malade, appelé Lazare. Mettez-vous à la place des deux soeurs au moment où Lazare tomba malade. Hier encore tous trois se portaient bien ; ils étaient heureux, ils n'auraient pas compris la vie autrement ; aujourd'hui déjà tout est changé. Un nuage s'est élevé sur cet horizon de famille, et dans ce nuage se cache la mort. Il paraît que la maladie de Lazare prit bientôt un caractère grave et que les deux soeurs durent se dire : Que serait-ce s'il allait mourir ? Elles envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que tu aimes est malade. Malgré cela, Jésus demeura encore deux jours au lieu où il était.

N'est-ce point ce que le Seigneur fait encore aujourd'hui ? Il est souvent si loin de nous quand nous le cherchons ! Nous recevons si peu de force de nos soupirs et de nos prières ! Vous avez une crainte sérieuse, vous la portez devant le Seigneur, et cette crainte ne vous est point enlevée ! Vous voudriez contraindre le Seigneur à s'établir près de vous, et c'est comme s'il en était à deux journées de chemin ; vous avez l'esprit si bouleversé, que la prière vous est presque devenue impossible.
Hélas ! il faut si peu de chose pour troubler notre esprit. Rien de si pénible, en outre, que ce mélange de crainte et d'espérance. C'est cette incertitude qui jette dans l'agitation, et c'est l'agitation qui met obstacle à la prière. On a peut-être bien des moments où l'on se croit fortifié ; on s'encourage alors, en se disant : Mon âme, pourquoi t'abats-tu et frémis-tu en moi ? Attends-toi à Dieu, car je le célébrerai encore ; il est la délivrance à laquelle je regarde, il est mon Dieu !
Mais quelques moments après, c'est le même accablement qui revient, et tout ce travail est à recommencer.
Pourquoi nos prières, dans ces époques de visitation, sont-elles si stériles ? Si nous y regardons de près, nous verrons qu'il y a trois obstacles. Il y a d'abord trop de tumulte dans l'âme. Dieu n'est pas un Dieu de confusion, mais un Dieu de paix ; attendez patiemment l'Éternel, et il se tournera vers vous et ouïra votre cri. Il y a, en second lieu, trop d'obstination dans l'âme. Vous voulez forcer les choses au lieu de vous donner à Dieu comme un enfant. Soyez sûr que la volonté de Dieu est meilleure que la vôtre, et que vous trouverez toujours votre compte à la recevoir.
Enfin, il y a trop d'incrédulité dans l'âme. Vous regardez toujours aux circonstances ou aux mauvaises prédictions de votre coeur, mais ce n'est point là qu'est la vérité. La femme peut-elle oublier l'enfant qu'elle allaite et n'avoir pas pitié du fils de ses entrailles ? Mais quand les femmes les auraient oubliés, encore ne vous oubliera-t-il pas, Lui ! Croyez ; cela vaut mieux que de vous amollir en gémissant.
Vos prières, quelque pauvres qu'elles soient, ne sont point perdues ; il y a dans toute âme qui combat une bénédiction. Vous êtes soutenu sans le savoir ; Jésus-Christ est en route, et vous allez le connaître comme Celui qui a toute puissance dans le ciel et sur la terre. Dans toutes vos détresses il a été en détresse, et il sera exalté en ayant pitié de vous. Regardons de nouveau à Marthe et à Marie. Jésus-Christ ne vient point pendant que Lazare est malade ; mais dès que la mort a frappé, nous le voyons auprès de Marthe et de Marie.


II.

  Nous venons de voir ce qui se passe dans le coeur quand l'épreuve est imminente ; voyons maintenant quel caractère elle prend quand elle est survenue.
Si l'on nous disait d'avance les douleurs qui nous attendent, nous croirions souvent que nous ne les supporterions pas. Nous aimerions mieux être morts ou n'être jamais nés, plutôt que d'être jetés dans de tels abîmes. Mais soyez sûr que tout est calculé et que Dieu n'impose point à l'homme une trop grande charge, en sorte qu'il ait sujet de venir plaider avec le Dieu fort. Dieu est fidèle, qui ne permettra point que vous soyez tenté au-delà de vos forces ; mais avec la tentation il vous en donnera aussi l'issue, de sorte que vous la puissiez supporter. Vous voyez comme Marthe et Marie sont soutenues au jour le plus douloureux de leur vie.

À côté du tombeau de Lazare, se trouve Jésus en personne ; et si les deux soeurs avaient eu à choisir entre leur frère et leur Sauveur, auraient-elles balancé ? La maladie, comme la mort de Lazare, fut pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu en fût glorifié. Nous ne voyons que le deuil, mais ceux qu'il a frappés se voient en présence des compassions du Seigneur. Jésus pleura, et ce fut devant la tombe de Lazare. Le Sauveur a une sympathie que ne donne aucune communion chrétienne. La maison des deux soeurs était remplie de monde ; c'étaient autant de consolateurs, mais les consolateurs humains ne font que vous étourdir ; il faut les écouter et leur répondre, et à une pauvre âme brisée il faut autre chose. Il lui faut du silence, et dans ce silence le message : Le Maître est ici et il t'appelle. Une âme qui est seule avec le Seigneur est souverainement riche et n'est plus à plaindre. Elle comprend l'intention du Maître et elle se dit : II a voulu me posséder entièrement ; il a brisé mes affections terrestres, parce que ces affections ne pouvaient me suffire. Il a pourvu quelque chose de meilleur pour moi, et ce qui m'a ravi jusqu'ici ce trésor, c'est mon coeur partagé. On sent alors que donner c'est recevoir, et recevoir au centuple. Bonheurs de famille, sympathies chrétiennes, qu'êtes-vous quand le Maître est ici et qu'il nous appelle ! Au fond de ce tombeau qui arrête vos regards, vous verrez la résurrection et la vie, et ce qui vous en sépare n'est que la mesure de quatre doigts. Ne t'ai-je pas dit, répond Jésus-Christ à Marthe, que si tu crois tu verras la gloire de Dieu ? Nous nous trompons si souvent sur les vraies causes de nos larmes ! Nous croyons que nos douleurs viennent de nos pertes, et elles ne viennent que de notre incrédulité.

Nous croyons que notre vie serait rétablie, si Jésus-Christ criait dans la tombe que nous lui montrons : Lazare, sors de là. Supposez que Jésus-Christ le fasse, qu'il vous rende ceux que vous pleurez et qu'il vous dise : Vivez encore un siècle sous le même toit, auriez-vous reçu ce qu'il vous fallait. Vivre ensemble, mais sur la terre, mais avec tous les germes du péché, mais sous le poids de cette tente dans laquelle nous gémissons, est-ce là notre destination ? Et si l'un de nous prend les devants et qu'il entre avant nous dans la gloire, voudriez-vous le retenir ou le rappeler ? Sa joie n'est-elle pas aussi la vôtre ?

Le vrai bonheur de Marthe et de Marie, ce n'est point Lazare sortant du tombeau pour y rentrer plus tard, c'est la promesse : Je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra point pour toujours. Le grand miracle, ce n'est point qu'un mort ait entendu la voix du Fils de Dieu, c'est que Jésus-Christ lui-même, Lui le Prince de la vie, se soit couché dans les bras de la mort, afin qu'il détruisit celui qui avait l'empire de la mort, savoir le diable, et qu'il en délivrât tous ceux qui, par la crainte de la mort, étaient toute leur vie assujettis à la servitude.

Le fondement de notre espérance est la foi en Celui qui a ressuscité d'entre les morts Jésus, notre Seigneur, lequel a été livré pour nos offenses et qui est ressuscité pour notre justification. Et quand bénissez-vous Dieu de vous avoir donné par la résurrection de son Fils cette espérance vive ? C'est quand vous regardez dans une tombe ouverte, et qu'à côté de cette tombe vous voyez la vôtre. Il est vrai, il faut avoir frémi comme Jésus, sur les conséquences du péché, pour se réjouir de cet héritage qui ne se peut corrompre, ni souiller, ni flétrir. Marthe et Marie n'avaient que les arrhes de cet héritage ; nous aussi qui avons reçu les prémices de l'Esprit, nous savons bien que ce que nous serons n'a pas encore été manifesté ; mais ce que nous espérons, nous l'attendons avec patience. Ce sont nos séparations qui donnent de nouvelles ailes à nos espérances ; nous savons où nous allons, et nous ne disons plus comme Thomas : Seigneur, comment pourrions-nous savoir le chemin ? Ainsi, la séparation qui nous faisait trembler quand elle était imminente, est devenue tout autre chose quand elle est survenue. Il y a un chemin dans les lieux les plus profonds de la mer, afin que les rachetés y passent. Demandez aux deux soeurs, elles vous diront : Ni la mort, ni la vie, ni aucune créature ne nous pourra séparer de l'amour que Dieu nous a montré en Jésus-Christ notre Seigneur.


III.

  Quel caractère prendra la vie chrétienne quand l'épreuve sera passée ? C'est la troisième face que nous avons encore à voir.
Rien de si beau qu'un deuil saintement compris. Quand Dieu frappe ses grands coups, ce sont aussi les grandes intentions de Dieu qui se manifestent. Mais on peut dire de la plupart des hommes : Tu les as frappés, mais ils n'en ont point senti de douleur ; tu les as consumés, mais ils ont refusé de recevoir l'instruction ; ils ont endurci leurs faces plus qu'un rocher ; ils ont refusé de se convertir.
Il y a des hommes qui fondent facilement en larmes et qui, sur le bord d'une tombe, joueront les désespérés. Eh bien ! ce sont souvent ceux qui se consolent le plus vite.
D'autres nourrissent leur douleur et s'enfoncent dans leurs souvenirs jusqu'à devenir comme ce figuier stérile qui occupe inutilement la terre.
D'autres encore, dans ces douleurs rentrées, nourrissent je ne sais quelle aigreur. Qu'ai-je fait, se disent-ils, pour avoir mérité un pareil sort ? S'ils n'avaient pas besoin de Dieu, ils rompraient avec Lui en plein cimetière.
Il y a aussi une philosophie qui est celle du désespoir ; non pas de ce désespoir furieux qui se jette au-devant d'un suicide, mais de ce désespoir calme qui raisonne et qui est capable de calcul. C'est l'état de ceux qui, ayant voué toute leur vie au culte d'une idole, ont vu s'évanouir leur espérance et ont renoncé depuis lors à toute poursuite nouvelle. Blasés et dédaigneux. ils voient passer sous leurs yeux les choses humaines, et n'ont sauvé des débris de leur vie d'autrefois que l'ironie.
Faites le tour du monde, entrez dans le coeur des épreuves, voyez ce qu'elles vont devenir demain : ce sont, de toutes les grâces de Dieu, celles qu'on change le plus en dissolution.

Les cas les plus nombreux d'impénitence et d'endurcissement viennent d'épreuves mal reçues ; ni la bonté ni la sévérité de Dieu n'avaient pu convier à la repentance. Mais en revanche, voyez ce que devient la vie quand nos séparations nous ont dit : Le Maître est ici et il t'appelle.
L'homme du monde croit que ce n'est plus la peine de vivre quand Dieu lui a enlevé ses idoles ; le chrétien éprouvé ne date sa vraie vie que de l'époque de ses épreuves. Jésus est devenu tout autre chose pour Marthe et pour Marie, après que les deux soeurs eurent connu sa puissance devant la tombe de Lazare.

Nous retrouvons quelque temps après Jésus à Béthanie, et les deux soeurs, dit saint Jean, firent un souper à Jésus, et Marthe servait ; alors Marie, ayant pris une livre d'une huile de senteur de nard pur, qui était de grand prix, en oignit les pieds de Jésus et les essuya avec ses cheveux, et la maison fut remplie de l'odeur de ce parfum.
Avez-vous dans votre vie le souvenir d'une séparation, et Jésus a-t-il sanctifié pour vous cette épreuve ? Alors vous savez à qui vous appartenez, et vous ne vivrez plus pour vous-même, mais ce sera pour Celui qui vous a aimé et qui s'est donné lui-même pour vous. Ce parfum d'un grand prix et dont l'odeur se répand dans toute la maison, c'est un christianisme qui doit son parfum de vie à un deuil vivifié par Jésus. Si le grain de froment ne meurt, il demeure seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Ainsi préparé, vous direz alors comme Jésus : N'y a-t-il pas douze heures au jour, et ce temps fugitif n'ai-je point à le racheter ? Quand je ne fais que saluer la terre en passant, n'écouterai-je point la voix qui me dit : Sème ta semence dès le matin, et ne laisse point reposer ta main le soir ? Au lieu de vous ensevelir dans la tristesse, vous marcherez pendant le jour, et vos dernières oeuvres surpasseront vos premières.

C'est une nouvelle existence que celle d'un homme qui fait route avec une épreuve qui est devenue pour lui une bénédiction. Il a fait connaissance avec Jésus à côté d'un tombeau, et désormais il ne regarde plus aux choses visibles, mais aux invisibles ; ces chaînes qu'il n'aurait point rompues lui-même, le Sauveur les a fait tomber. Le coeur le plus heureux, c'est un coeur détaché ; car l'homme dont le coeur est partagé est inconstant en toutes ses voies. Rendons grâces si Jésus vient à notre secours pour nous ouvrir son sanctuaire. Vous verrez que vous n'avez rien perdu, quand vous aurez retrouvé tous vos biens dans un bien unique. Vous sortirez de l'agitation, et vous entrerez dons le repos du peuple de Dieu. Jésus, qui avait prié pour vous, dira de nouveau : Mon Père, je te rends grâces de ce que tu m'as exaucé. Celui qui a ressuscité Lazare est aussi Celui qui ressuscite nos joies chrétiennes. - Ce coeur flétri est ranimé par une espérance qui ne confond point ; il a trouvé la magnificence au lieu de la cendre, l'huile de joie au lieu du deuil, et un manteau de louange au lieu d'un esprit affligé. Le monde vous plaint, votre existence lui paraît brisée, et en attendant vous êtes comme un olivier verdoyant dans la maison de Dieu ; vous vous assurez en la bonté de Dieu pour toujours et à perpétuité.

Un mot encore. Jésus-Christ a dit : Chacun sera salé de feu, et toute oblation sera salée. Vous voyez, par l'histoire sur laquelle nous venons de méditer, de quel sel et de quelles oblations il est question. Reste à vous demander si votre christianisme a ce caractère.
Ce qui manque le plus de nos jours, c'est le sel d'en-haut, et ce sont ces corps qui s'offrent en sacrifice vivant, saint et agréable. N'ayez point peur alors si Dieu vous visite ; c'est pour retremper votre foi, pour empêcher que votre argent ne se change en écume. Ce ne sont point les apparences qu'il vous faut, c'est la réalité ; il n'y a point de réalité, si elle n'est pas la puissance de Dieu.
C'est cette puissance qui entre dans nos deuils, et qui arrache à la mort son aiguillon et au sépulcre sa victoire. Ce qu'aujourd'hui vous appelez une séparation, vous l'appellerez demain une couronne d'ornement en la main de l'Éternel, et une tiare royale dans la paume de votre Dieu. Il y a pour les fleurs un printemps, il y a pour une âme brisée une éternelle jeunesse.

Secouez la poussière de ce monde, vous trouverez dessous des vêtements de lumière et le Prince de la vie pour vous en revêtir. Donnez-vous à Lui ; il est votre force, votre cantique et votre libérateur. Une voix de chant de triomphe et de délivrance retentit dans les tabernacles des justes : la droite de l'Éternel, disent-ils, fait vertu.


FIN.

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