Lorsque Moïse, comme législateur
inspiré, promettait aux Israélites
que la prospérité et la paix
récompenseraient leur obéissance, il
les menaçait en
même temps de punitions qui s'augmenteraient
en proportion de leur rébellion et de leur
impénitence. C'est la seule nation de la
terre à l'égard de laquelle le
suprême Gouverneur du monde ait tenu une
pareille conduite, et cependant ses crimes
amenèrent sur elle des malheurs
extraordinaires, malheurs qui continuent
encore.
Il serait impossible de retracer aujourd'hui en
termes plus précis l'histoire des Juifs
depuis leur dispersion que ne le fait leur
prophète, trois mille deux cents ans avant
l'événement.
C'est dans le plus ancien des livres que nous
trouvons la fidèle représentation de
la condition actuelle de ce peuple infidèle.
Moïse ne prétendit porter ses regards
que dans un avenir lointain ; mais une
révolution de plusieurs siècles a mis
l'objet de sa contemplation sous nos yeux ;
nous pouvons examiner les traits de cet avenir
qu'il voyait déjà, et nous pouvons
décider s'il est probable que ses
prophéties fussent les simples souvenirs
d'un homme qui ne sait pas ce qu'un jour peut
amener, ou la révélation
immédiate de « Celui pour qui
mille ans ne sont que comme le jour d'hier qui est
passé ».
« Je vous disperserai parmi les nations,
je dégainerai l'épée
après vous, et votre pays sera en
désolation, et vos villes en
désert ; et pour ce qui est de ceux qui
demeureront de reste d'entre vous, je rendrai leur
coeur lâche quand ils seront au pays de leurs
ennemis, de sorte que le bruit d'une feuille
émue les poursuivra ; ils fuiront comme
s'ils fuyaient de devant l'épée, et
ils tomberont sans que personne les
poursuive ; et vous ne pourrez point subsister
devant vos ennemis ; vous périrez,
parmi les nations, et la terre de vos ennemis vous
consumera, et ceux qui demeureront de reste d'entre
vous se fondront dans les pays
de vos ennemis à cause de leurs
iniquités, et ils se fondront aussi à
cause des iniquités de leurs pères et
des leurs.
Mais cependant, lorsqu'ils seront dans le pays de
leurs ennemis, je me souviendrai d'eux et je ne les
rejetterai point, et je ne les aurai point en
aversion jusqu'à les consumer
entièrement
(54).
« L'Éternel vous dispersera entre
les peuples et vous demeurerez en petit nombre
entre les nations parmi lesquelles l'Éternel
vous fera emmener
(55). »
« L'Éternel fera que tu seras
battu devant tes ennemis ; tu sortiras par un
chemin contre eux, et par sept chemins tu
t'enfuiras devant eux, et tu seras vagabond par
tous les royaumes de la terre
(56). »
« L'Éternel te frappera de
frénésie, d'aveuglement et
d'étonnement de coeur ; tu iras en
tâtonnant en plein midi comme un aveugle
tâtonne dans les
ténèbres ; tu n'auras point
d'heureux succès dans tes entreprises et tu
seras toujours opprimé et pillé, et
il n'y aura personne qui te garantisse. Tes fils et
tes filles seront livrés à un autre
peuple, et tes yeux le verront et se consumeront
tous les jours en regardant vers eux, et ta main
n'aura aucune force ; et un peuple que tu
n'auras point connu prendra le fruit de ta terre et
tout ton travail, et tu seras exposé tous
les jours à souffrir des torts et des
concussions, et tu seras hors de toi-même
pour les choses que tu verras de tes yeux.
L'Éternel te fera marcher vers une nation
que tu n'auras point connue ni toi ni tes
frères, et tu seras là un sujet
d'étonnement, de railleries et de folie
parmi tous les peuples vers lesquels
l'Éternel t'aura emmené
(57). »
« Parce que tu n'auras
point servi l'Éternel ton Dieu autrefois et
de bon coeur, dans l'abondance de toutes choses, tu
serviras ton ennemi que Dieu enverra contre toi
dans la faim, dans la soif, dans la nudité
et dans la disette de toutes choses, et il mettra
un joug de fer sur ton cou jusqu'à ce qu'il
t'ait exterminé ; alors
l'Éternel te frappera, toi et ta
postérité, de plaies étranges,
de plaies grandes et de longue durée
(58). »
« Et toutes ces malédictions
t'environneront et te poursuivront, et ces
malédictions seront sur toi et ta
postérité, pour être des signes
et des prodiges à jamais ; et il
arrivera que comme l'Éternel s'est
réjoui sur vous, en vous faisant du bien et
en vous multipliant, aussi l'Éternel prendra
plaisir à vous faire périr et
à vous exterminer, et vous serez
arrachés de dessus la terre où vous
allez pour la posséder ; et
l'Éternel te dispersera parmi tous les
peuples depuis un bout de la terre jusqu'à
l'autre : encore ne trouveras-tu aucun repos
parmi ces nations-là, et même la
plante de ton pied n'aura aucun repos ;
car l'Éternel te donnera là un coeur
tremblant et des yeux qui ne verront point, une
âme penchée de douleur, et la vie sera
comme pendante devant toi, et tu seras dans
l'effroi nuit et jour, et tu ne seras point
assuré de ta vie. Tu diras le matin :
Qui me fera voir le soir ? et le soir tu
diras : Qui me fera voir le matin ?
à cause de l'effroi dont ton coeur sera
effrayé, et à cause de ce que tu
verras de tes yeux
(59). »
Les prophètes qui se
succédèrent pendant beaucoup de
siècles firent aussi des prédictions
semblables :
« Je les livrerai à être
agités par tous les royaumes de la terre. Je
vous transporterai en un pays
que vous n'aurez point connu, parce que je ne vous
aurai point fait grâce. Je leur donnerai
à manger de l'absinthe, je leur donnerai
à boire de l'eau de fiel et je les
disperserai parmi des nations qu'eux ni leurs
pères n'ont point connues
(60).
Et je les livrerai pour être agités,
pour souffrir du mal par tous les royaumes de la
terre, et pour être en opprobre, en proverbe,
en risée et en malédiction par tous
les lieux où je les aurai
chassés ; et j'enverrai sur eux
l'épée, la famine et la
mortalité, jusqu'à ce qu'ils soient
consumés de dessus la terre que je leur
avais donnée à eux et à leurs
pères
(61).
J'ai désolé et j'ai fait périr
mon peuple, et je les abandonnerai pour être
agités par tous les royaumes de la terre, et
pour être en exécration, en
étonnement, en sifflement et en opprobre
à toutes les nations parmi lesquelles je les
aurai chassés
(62).
J'exécuterai mes jugements sur toi, et je
disperserai à tous vents tout ce qui restera
de toi
(63).
Je les répandrai parmi les nations et je les
disperserai par les pays
(64).
Ils jetteront leur argent par les rues, et leur or
sera comme une chose souillée ; ni leur
argent ni leur or ne les pourra délivrer du
jour de la grande colère de
l'Éternel ; ils n'en rassasieront point
leurs âmes et n'en rempliront point leurs
entrailles parce que leur iniquité a
été leur ruine
(65).
Car je commanderai, et je ferai courir la maison
d'Israël parmi toutes les nations, comme le
blé est remue dans le crible sans qu'il en
tombe un grain en terre. Et la mort sera plus
désirable que la vie, et tout le reste de
ceux qui seront restés de cette race
méchante ; même à ceux qui
seront restés parmi tous
les lieux où je les aurai
chassés, dit l'Éternel des
armées. Ils seront errants parmi les nations
(66).
Engraisse le coeur de ce peuple-ci, et rends ses
oreilles pesantes et bouche ses yeux, en sorte
qu'il ne voie pas de ses yeux, et qu'il n'entende
pas de ses oreilles, et que son coeur ne comprenne
pas, et qu'il ne se convertisse pas, et qu'il ne
recouvre pas la santé ; et je
dis : Jusqu'à quand, Seigneur ? Et
il répondit : Jusqu'à ce que les
villes et les maisons aient été
tellement désolées qu'il n'y ait
aucun homme, et que le pays soit mis dans une
entière désolation, et que
l'Éternel ait éloigné les
hommes, et que le pays ait été
longtemps abandonné
(67).
Et lorsqu'ils s'en iront en captivité devant
leurs ennemis, je commanderai à
l'épée qu'elle les y tue ; je
mettrai mes yeux sur eux pour leur faire du mal et
non pas du bien.
Celui qui a dispersé Israël le
rassemblera et le guidera comme un berger guide son
troupeau Et toi, Jacob,
(68)
mon
serviteur, ne crains point et ne t'épouvante
point, ô Israël ! car voici, je
vais te délivrer du pays
éloigné, et ta
postérité du pays de ta
captivité. Je détruirai
entièrement toutes les nations parmi
lesquelles je t'aurai dispersé ; mais
je ne te consumerai pas tout à fait, mais je
te châtierai par mesure ; toutefois je
ne te tiendrai pas tout à fait comme
innocent. (69)
Les enfants d'Israël demeureront plusieurs
jours sans roi et sans princes, sans sacrifice et
sans statuts, sans éphod et sans
téraphim. Mais après cela les enfants
d'Israël se retourneront et rechercheront
l'Éternel leur Dieu, et David leur roi, et
révéreront l'Éternel et sa
bonté aux derniers jours
(70). »
Toutes ces prédictions relatives aux Juifs
ont toute la clarté de l'histoire et toute
l'assurance de la vérité. On y voit
les circonstances, l'étendue, la nature et
la durée de leur dispersion ; les
persécutions qu'il leur a fallu
éprouver, leur aveuglement, leurs
souffrances, leur faiblesse, leurs craintes, leur
pusillanimité, leur existence vagabonde,
leur incorrigible impénitence, leur avarice
insatiable, et la terrible oppression, la
continuelle spoliation, la moquerie universelle
auxquelles ils sont exposés, et cependant
l'existence indestructible de leur race
disséminée sur toutes les parties du
globe.
Ils devaient être, « chassés
de leur pays, battus devant leurs ennemis, leur
pays désolé, et ne demeurer de reste
qu'en petit nombre. »
Les Romains assiégèrent leurs villes,
les détruisirent et ravagèrent tout
le pays ; et ceux qui parvinrent à
échapper à la famine, à la
peste, à l'épée et à la
captivité, furent forcés de quitter
la Judée, et s'enfuirent pour chercher une
retraite dans les contrées
environnantes.
Néanmoins ils s'attachèrent quelque
temps encore à la terre que leurs
pères avaient possédée pendant
tant de siècles, et qu'ils regardaient comme
l'héritage que le ciel destinait à
leur race ; et une seule expulsion, tout
affreuse qu'elle fût, ne put les
décider à abandonner leurs droits
à un si glorieux patrimoine. Quelque grandes
qu'eussent été les misères
qu'ils avaient eu à souffrir par le massacre
de leurs familles, par la perte de leur fortune et
de leurs maisons, par l'anéantissement de
leur puissance, par la destruction de la capitale
de leur royaume, et par la dévastation de
leur pays par Titus, les Juifs fugitifs et
proscrits ne tardèrent pas à revenir
sur leur sol natal ; à peine soixante
ans se furent-ils écoulés que,
trompés par un
séducteur, séduits
par l'espoir de la venue d'un Messie victorieux, et
poussés à la révolte par une
tyrannie insupportable, ils tentèrent un
effort vigoureux et combiné, mais
désespéré, pour reprendre
possession de la Judée, briser le joug des
Romains et arracher leur pays à sa
ruine.
Une guerre soutenue pendant deux ans par
l'enthousiasme et le désespoir, et dans
laquelle, dit-on, cinq cent quatre-vingt mille
Juifs furent tués, sans parler d'un grand
nombre qui périrent par la famine, la
maladie et le feu, se termina enfin par leur
entière défaite et le bannissement
sous peine de mort décrété
contre les Juifs qui oseraient se montrer dans
Jérusalem. Les vainqueurs les
entourèrent si complètement que des
détachements entiers tombèrent sous
le glaive des soldats romains, et que, selon un
historien profane, il n'en échappa qu'un
très petit nombre.
On détruisit cinquante de leurs forteresses
et on incendia et saccagea leurs villes ; la
Judée fut entièrement
dévastée et rendue déserte
(71). Des
malheurs semblables, arrivés à tout
autre peuple, auraient été la fin de
sa race ou la dernière de ses
misères, tandis que, par rapport aux Juifs,
la prédiction reçut son entier
accomplissement ; car ils existent encore
disséminés parmi toutes les nations
de la terre, exilés de leur patrie et
rencontrant partout des malheurs sans fin, qui se
renouvellent à chaque
génération.
« Les villes sont tellement
désolées qu'il n'y a pas un
homme. »
« Toutes les villes sont
abandonnées et personne n'y
habite. »
« Et l'Éternel les a
arrachés de leur terre en sa terrible
colère et en sa grande indignation
(72). »
Un édit de l'empereur Adrien déclara
qu'il serait regardé
comme un crime capital de la part d'un Juif de
remettre le pied dans Jérusalem
(73)
et il leur
défendit même de contempler à
une certaine distance cette ville, dont des
païens, des chrétiens, des
mahométans, ont été tour
à tour les maîtres. La Judée a
été la proie des Sarrazins ;
elle a été parcourue par les
descendants d'Ismaël ; ce n'est qu'aux
enfants d'Israël que la possession en a
été défendue, quoique ce
fût toujours là l'objet de leurs
voeux, et que ce fût le seul endroit de la
terre où les rites de leur religion
pouvaient être
célébrés.
Il est même digne de remarque que,
malgré toutes les révolutions des
états, malgré l'extinction de tant de
nations, non seulement les Juifs sont toujours
restés étrangers au pays de leurs
pères, mais lors même que quelques-uns
d'entre eux ont eu la permission d'y
séjourner, ils y ont toujours essuyé
un traitement encore plus injurieux que partout
ailleurs.
Benjamin de Tudela, qui parcourut, au
douzième siècle, la plus grande
partie de l'Europe et de l'Asie, trouva les Juifs
partout opprimés, et particulièrement
dans la Terre Sainte ; et encore aujourd'hui,
on sait que les Juifs qui demeurent en Palestine,
ou qui s'y rendent dans leurs vieux ans afin que
leurs os ne reposent pas sur un sol
étranger, sont également
maltraités par les Grecs, les
Arméniens et les Éthiopiens
(74) ; la
conduite orgueilleuse des soldats turcs et
l'abjecte soumission des Juifs pauvres et
dégradés sont décrites
à la lettre par ces paroles du
prophète :
« L'Étranger qui est au milieu de
toi montera au-dessus de
« toi fort haut, et tu descendras fort
bas. »
Si le fait seul de leur dispersion est un des
événements les plus étonnants
de l'histoire, l'étendue et
l'éloignement des contrées qui en ont
été le théâtre sont
peut-être plus remarquables encore.
Nombre de prophètes décrivaient et
prédisaient, il y a des milliers
d'années, ce qui se passe aujourd'hui sous
nos yeux.
« Ils ont été
dispersés parmi les nations, parmi les
nations idolâtres, parmi les nations depuis
un bout de la terre jusqu'à l'autre. Ils ont
été répandus parmi tous les
royaumes. Tout ce qui restait d'eux a
été dispersé à tous
vents. »
« L'Éternel a fait courir la
maison d'Israël parmi toutes les nations comme
le blé est remué dans le crible, sans
qu'il en tombe un grain en terre. »
Mais, quoique dispersés parmi toutes les
nations, ils demeurent à part et ne se sont
jamais confondus avec aucune d'elles ; et il
n'y a pas une seule contrée sur la surface
du globe où les Juifs soient inconnus. On en
trouve également en Europe, en Asie, en
Afrique et en Amérique. Citoyens du monde,
ils n'ont point de patrie ; les montagnes, les
rivières, les déserts, les
océans, qui sont les limites naturelles des
autres nations, n'ont pas pu former de
barrières contre leurs courses vagabondes.
Ils abondent en Pologne, dans la Hollande, en
Russie et dans la Turquie ; il y en a moins
dans l'Allemagne, en Espagne, en Italie, en France
et dans la Grande-Bretagne. En Perse, en Chine,
dans l'Inde, à l'est et à l'ouest du
Gange, ils sont « en petit nombre parmi
les païens. » Ils ont imprimé
leurs pas sur les neiges de la Sibérie comme
sur les sables brûlants du désert, et
le voyageur européen apprend qu'il y a des
Juifs dans des régions
où lui-même il ne saurait parvenir, et
jusque dans l'intérieur inaccessible de
l'Afrique, au sud de Tombouctou
(76).
Depuis
Moscou jusqu'à Lisbonne, depuis le Japon
jusqu'à la Grande-Bretagne, de Bornéo
à Archangel, de l'Indostan à
Honduras, quel est l'habitant de la terre que l'on
retrouve partout, si ce n'est le Juif ?
Mais l'histoire du peuple juif, dans toutes les
parties du monde et dans tous les siècles,
depuis sa dispersion, confirme les
prédictions où sont tracés
avec tant de clarté, et avec des
détails presque minutieux, les traits
caractéristiques de leur race
persécutée ; et au récit
des faits parfaitement constatés on pourrait
en ajouter une description dans les termes
mêmes de la prophétie, selon
l'expression de Basnage, le savant historien des
Juifs.
Les rois ont souvent employé la
sévérité de leurs édits
et la main de leurs bourreaux pour les
détruire. Des séditions populaires
ont eu pour résultat des massacres et des
boucheries plus tragiques encore que tout ce qu'ont
pu décréter les princes, les rois et
les peuples ; les païens, les
chrétiens et les mahométans, si
opposés dans bien des choses, se sont
réunis dans le but d'exterminer la race des
Hébreux et ils n'ont pu y
réussir.
Comme le buisson vu par Moïse, « qui
était tout en feu, mais qui ne se consumait
point », malgré les flammes de la
persécution, le peuple de Dieu existe
encore ; les Juifs ont été
chassés d'entre toutes les nations et cela
n'a servi qu'à les disperser sur toute la
surface du globe. Chaque siècle leur a
apporté le malheur et la proscription, et
les a forcés de marcher à travers des
torrents de leur sang
(77). Leur
bannissement de la Judée n'était que
le prélude de leur expulsion d'une ville
à une autre, d'un royaume à un autre
royaume. Leur dispersion sur toute la surface du
globe, fait dont des documents nombreux attestent
la vérité, en est une preuve
certaine. Non seulement ils furent chassés
loin de leur patrie à deux
différentes reprises pendant les premiers
siècles de l'ère chrétienne,
mais encore chaque siècle a
été pour eux fécond en
calamités et en persécutions
nouvelles.
L'histoire de leurs souffrances est un continuel
tissu d'horreurs. La révolte est la
conséquence naturelle de l'oppression ;
mais leurs séditions sans cesse renaissantes
ne produisirent pour eux qu'un surcroît de
persécutions et de misères. Les
empereurs, les rois, les califes se
réunirent pour leur faire porter un
« joug de fer ».
Après une de leurs révoltes,
Constantin leur fit couper les oreilles, et les
dispersa vagabonds et captifs dans les pays
d'alentour, où ils portèrent le signe
de leurs souffrances et de leur infamie.
Dans le cinquième siècle, ils sont
expulsés d'Alexandrie, longtemps une de
leurs plus sûres retraites. Justinien, dont
les principes auraient dû le porter à
une politique plus sage et plus humaine, ne le
céda en cruauté et en
inhumanité contre eux à aucun de ses
prédécesseurs. Il détruisit
leurs synagogues, leur défendit même
l'usage des caves pour la célébration
de leur culte ; il déclara leur
témoignage inadmissible, et les priva du
droit naturel de faire des legs ou des
testaments ; et lorsqu'exaspérés
par des persécutions inouïes ils
cherchèrent à y mettre fin par des
insurrections, des mouvements séditieux,
leurs biens furent confisqués, plusieurs
d'entre eux furent
décapités, et le
nombre des exécutions fut si grand
« que tous les Juifs en furent
effrayés
(78). »
« L'Éternel leur donnera un coeur
tremblant. »
Sous le règne du tyran Phocas, il y eut une
sédition générale parmi les
Juifs de la Syrie ; les révoltés
réussirent à Antioche, mais ce
succès momentané ne fit que
précéder un asservissement plus cruel
encore et amener pour eux des souffrances plus
atroces. Ils furent bientôt vaincus et faits
prisonniers ; grand nombre d'entre eux furent
mutilés, d'autres subirent la mort, et tous
ceux qui survécurent à cette honteuse
défaite furent chassés de la
ville.
Grégoire-le-Grand leur accorda une
protection passagère, ce qui ne servit
qu'à rendre leur spoliation plus
complète et leurs souffrances plus
cruelles ; car l'empereur Héraclius,
dans sa haine implacable contre les Juifs, non
seulement fit fondre sur ceux qui habitaient les
pays soumis à son autorité les
persécutions les plus violentes, et les
chassa de son empire, mais exerça contre eux
une influence puissante dans d'autres pays, de
manière qu'ils eurent à supporter une
persécution générale et
simultanée depuis l'Asie jusqu'aux
extrémités de l'Europe
(79).
En Espagne ils avaient à choisir entre
l'apostasie, l'emprisonnement et l'exil ; en
France un sort semblable les attendait Ils erraient
de pays en pays, cherchant en vain du repos pour la
plante de leurs pieds. Les vastes champs de l'Asie
même ne leur offrirent aucun lieu où
ils pussent se reposer ; car là, comme
sur les montagnes et dans les vallées de
l'Europe, leur passage était marqué
par les traces de leur sang.
Mahomet, dont l'imposture est devenue la
règle de foi de tant de millions de nos
semblables, Mahomet, par les préceptes
du Coran, fit
pénétrer dans l'esprit de ses
disciples la même animosité et la
même haine contre les Juifs incrédules
et méprisés. Il donna le premier
l'exemple d'une persécution qui dure
encore.
Dans la troisième année de
l'hégire, il assiégea les
châteaux que les Juifs possédaient
dans l'Hégian, il força ceux qui s'y
étaient réfugiés de se rendre
à discrétion, les bannit du pays, et
partagea leurs biens entre ses musulmans. Plus
tard, il dispersa leurs forces encore une fois
décimées, massacra un grand nombre
d'entre eux, et fit peser sur le reste
d'accablantes contributions.
L'Église de Rome les a toujours mis au rang
des hérétiques. Les édits de
différents conciles prononcent
l'excommunication contre tous ceux qui
favoriseraient les Juifs ou soutiendraient leurs
droits contre ceux des Chrétiens ; ils
déclarent les Juifs incapables d'exercer
aucune fonction publique, ou de posséder des
esclaves chrétiens ; ils leur assignent
des marques distinctives et infamantes ; ils
ordonnent que leurs enfants leur soient
enlevés et placés dans des
monastères ; et ce qui prouve le peu de
cas que l'on faisait d'eux et montre le genre de
traitement qui les attendait partout, c'est que
ceux mêmes qui les opprimaient étaient
souvent obligés de défendre de tuer
un Juif comme une bête féroce
(80).
L'histoire des Juifs pendant le moyen-âge,
par Hallam, est courte, mais pleine
d'intérêt. Ils sont partout l'objet
des insultes de la populace, de la tyrannie des
gouvernements, et périssent plus d'une fois
dans un massacre général. On
choisissait ordinairement des jours de
réjouissances et de fêtes pour faire
d'eux les objets du mépris et
des insultes de la populace.
- À Toulouse, on ne manquait jamais de les
frapper au visage le jour de
Pâques ;
- À Béziers, on les lapidait depuis
le dimanche des Rameaux jusqu'à
Pâques., anniversaire où leur sang
coulait souvent en abondance, fête de
cruauté à laquelle
l'évêque de la ville invitait ses
diocésains à prendre part.
Les rois de France se servaient d'eux comme d'une
éponge pour ramasser l'argent de leurs
sujets, afin de pouvoir l'enlever plus tard sans
encourir l'opprobre d'une taxe vexatoire. Il est
presque incroyable jusqu'à quel point on
porta cette manie d'extorquer l'argent des
Juifs.
Mais ce peuple extraordinaire supporta avec un
courage invincible cette série de
persécutions, et continua avec encore plus
de persévérance à amasser des
richesses, à mesure que ses spoliateurs l'en
dépouillaient.
Philippe-Auguste remit à tous les
chrétiens de son royaume leurs dettes envers
les Juifs, s'en réservant une
cinquième partie pour lui-même. Plus
tard il expulsa la nation tout entière hors
de la France
(81).
Saint-Louis les exila deux fois et deux fois les
rappela ; finalement Charles VI les bannit de
son royaume.
Sept fois, selon Mézeray, ils furent
chassés de France. Ils furent
également bannis d'Espagne, et,
d'après le calcul le moins
élevé, il paraît que
cent-soixante-dix mille familles quittèrent
cette contrée
(82).
À Verdun, à Trêves, à
Metz, à Spires et à Worms, on en
dépouilla et massacra plusieurs milliers.
Quelques-uns se sauvèrent par une conversion
simulée et passagère ; mais la
plupart barricadèrent leurs maisons, et se
précipitèrent avec leurs familles et
leurs richesses dans les rivières ou au
milieu des flammes. Il n'y eut
pas une croisade à laquelle on ne
préludât par des assassinats de Juifs
et par d'iniques déprédations
(83).
Ils
n'eurent pas moins de cruautés et
d'oppression à souffrir en Angleterre.
Pendant les croisades, la nation tout
entière se ligua pour les
persécuter.
À Norwich, rien ne put arrêter la
furie du peuple, qui ne se calma qu'après
les avoir massacrés jusqu'au dernier. Il y
en eut un grand nombre de tués à
Stamford, à Saint-Edmunds, à Lincoln
et dans l'île d'Ely, où une foule de
ces infortunés avaient cherché un
asile ; mais à York, à une seule
époque, 1500 Juifs, y compris les femmes et
les enfants, périrent d'une mort affreuse.
On leur refusa toute merci, et quand ils virent
qu'ils ne pouvaient racheter leur vie à
quelque prix que ce fût, devenus furieux de
désespoir, ils prirent le parti de
s'entre-tuer ; chaque père fut le
meurtrier de sa femme et de ses enfants, et ils ne
trouvèrent ainsi de refuge que dans la
mort.
Le spectacle qu'avait présenté le
château de Mussada, dernière
forteresse qu'ils possédaient encore dans la
Palestine, et où près de mille
terminèrent leur vie par le même acte
de désespoir, se renouvela ainsi dans le
château d'York
(84).
On leur portait une haine et un mépris si
grands que lorsque les barons étaient en
lutte avec Henri III, voulant se mettre dans les
bonnes grâces du peuple, ils donnèrent
l'ordre de faire passer sept cents Juifs au fil de
l'épée, et de brûler leur
synagogue. Richard, Jean
(85)
et Henri
III leur demandaient souvent de l'argent, et ce
dernier, par les moyens les plus atroces, s'assura
des sommes énormes, suffisantes
pour subvenir à ses
honteuses dépenses. Ses exactions devinrent
à la fin si exorbitantes, et ses exigences
si vexatoires, que les Juifs, d'après leur
historien, ne désiraient plus que de pouvoir
obtenir la permission de quitter le royaume
(86). Mais
cet
exil même leur fut refusé.
Édouard 1er acheva leur ruine, confisqua
tous leurs revenus et les bannit du pays. Plus de
15,000 Juifs se trouvèrent ainsi sans asile,
dépouillés de toute ressource et
réduits à la
misère. Il se passa près de quatre
siècles avant que cette race malheureuse
pût revenir en Angleterre.
Plusieurs circonstances remarquables prouvent
encore, sans entrer dans des détails
minutieux, que partout ce peuple a
été particulièrement
opprimé. Le premier essai de
législation en France, ce fut une loi contre
les Juifs. Et ce fut pour eux seuls que la grande
charte, ce pacte si glorieux pour les Anglais, et
le boulevard de la liberté britannique,
légalisa un acte d'injustice
(87).
Pendant plusieurs siècles après leur
dispersion, ils ne purent trouver ni en Europe, ni
en Asie, ni en Afrique, un seul pays où il
leur fût permis de se reposer ; il leur
fallut en chercher un aux extrémités
de la terre.
Dans les pays mahométans, on leur a fait
subir toutes espèces d'outrages et
d'injures. Ordinairement on leur assigne pour
demeure une certaine portion de la ville, comme
autrefois à Londres ; on leur ordonne
de porter un certain habit particulier ; et
dans plusieurs endroits il leur est enjoint de ne
quitter leur domicile qu'à certaines
heures.
À Hamadan, comme du reste dans toute la
Perse, ils forment une race méprisée,
qui n'a d'autre moyen d'existence que le
métier de colporteur. Ils vivent dans la
plus grande pauvreté, paient une taxe
mensuelle au gouvernement, ne peuvent cultiver la
terre ou acquérir des
propriétés (88).
Ils ne peuvent paraître en
public, et encore moins suivre leurs rites
religieux, sans être tournés en
ridicule et traités avec le dernier
mépris
(89).
Le prince de Bohan n'a d'autre revenu qu'un tribut
versé par 500 familles juives,
imposées selon leurs
moyens.
À Zante ils sont dans la plus profonde
indigence, et gémissent sous la plus
intolérable oppression
(90). Lorsqu'un
criminel est condamné à mort à
Tripoli, c'est le premier Juif sur lequel on peut
mettre la main qui remplit la fonction de
bourreau ; dégradation infligée
sur les enfants d'Israël à laquelle un
Maure ne se trouve jamais exposé
(91).
En Égypte ils sont sans cesse en but
à la persécution
(92).
Dans l'Arabie on les traite avec encore plus de
mépris qu'en Turquie (93). Presque
tous les voyageurs
modernes en Afrique et en Asie disent que les Juifs
eux-mêmes sont étonnés, et le
peuple indigné, au moindre signe de
bienveillance ou au moindre sentiment de justice
qu'on témoigne à ce peuple
déchu et persécuté
(94).
On trouve dans les lettres de Southey sur l'Espagne
et le Portugal le rapport suivant : Il n'y a
pas encore cinquante ans que le supplice d'un Juif
était le spectacle favori des
Portugais ; ils accouraient en foule jouir de
ce qu'ils appelaient le triomphe de la foi, et les
femmes jetaient des cris d'allégresse
à la vue de l'agonie du martyr
brûlé vif : rien ne pouvait
sauver ces malheureux ; on n'avait
égard ni à l'âge ni au sexe, et
Antonio Joseph de Sylva, l'un de leurs meilleurs
écrivains dramatiques, fut
brûlé vif parce qu'il était
Juif.
Il n'y a que quelques années que les Juifs
eurent encore à subir une cruelle
persécution en Prusse et en Allemagne ;
et dans plusieurs des petits états de ce
dernier pays on ne leur permet pas aujourd'hui de
vendre leurs marchandises sur les places des
marchés publics.
Dernièrement encore des
bulles papales fort sévères ont
été lancées contre eux, et
plusieurs ukases ont défendu aux Juifs de
faire le commerce dans aucune des parties de
l'empire russe. Il leur est absolument interdit
sous peine d'exil d'offrir en vente quoi que ce
puisse être, soit en public, soit en
particulier
(95).
On ne leur permet pas de séjourner,
même pour un temps limité, dans aucune
des villes de la Russie, sans une permission
expresse du gouvernement, qui n'est donnée
que dans des cas où leurs services peuvent
être nécessaires ou utiles à
l'État. Sur leur refus de quitter leur
demeure, dès qu'ils deviennent suspects au
gouvernement, on les traite comme des malfaiteurs
et des vagabonds ; personne n'ose leur donner
asile. Et quoique l'effet de pareilles lois soit de
les priver dans beaucoup de cas des moyens de
subsistance réguliers, cependant leur
désobéissance les expose à
toutes sortes d'oppressions légales et
à toute espèce d'insultes, contre
lesquelles ils n'ont ni recours ni appel. Ils
peuvent être quelquefois des objets de
pitié ; mais les décrets
impériaux défendent à leur
égard tout acte d'humanité ; et
même celui qui donne asile à un Juif,
condamné pour des fautes que d'autres
commettraient impunément, est, selon
l'expression du dernier ukase, « coupable
devant la loi comme complice de
vagabonds ; » ainsi, selon la
prédiction, « personne ne
doit les épargner
(96). »
Ces faits, tout en n'étant qu'une esquisse
légère et imparfaite des souffrances
qu'il leur a fallu endurer, nous montrent cependant
que les Juifs « ont été
dispersés parmi les nations, que
l'épée a été
tirée contre eux, que la plante de leurs
pieds n'a eu aucun repos, qu'ils n'ont point pu
subsister devant leurs ennemis, qu'il n'y a eu
aucun pouvoir en leurs mains, que leur avarice
même a été la cause de leur
misère, qu'ils ont souffert l'injustice et
le pillage, qu'ils ont été en
opprobre et en servitude, et qu'ils ont
été hors de sens, à cause des
choses qu'ils ont vues de leurs
yeux ; » comme le prouvent les
scènes tragiques de Massada,
d'York :
« ils ont été dans la faim,
dans la soif, dans la nudité, et dans la
disette de toutes choses. L'Éternel leur a
donné un coeur tremblant et la
détresse d'âme, leur vie n'a point
été assurée, leurs plaies ont
été grandes et de longue
durée. Ils ont été en
étonnement et en prodige à
jamais. »
Mais les prophéties vont plus loin
encore ! Il fut clairement prédit que
les Juifs rejetteraient
l'Évangile, et que sa simplicité et
l'orgueilleuse dureté de leur coeur les
empêcheraient de croire à un Messie
souffrant ; « qu'ils seraient
frappés d'aveuglement et d'étonnement
de coeur ; qu'ils continueraient longtemps
ayant les oreilles sourdes, et les yeux
fermés, et le coeur endurci, et qu'ils
iraient tâtonnant en plein midi comme un
aveugle tâtonne dans les
ténèbres
(97). »
Et il y a longtemps que la grande masse du peuple
juif continue à rejeter le christianisme.
Ils conservent les prophéties, sans en
apercevoir la clarté, qu'ils ont obscurcie
par leurs traditions. Plusieurs de leurs
idées sont tellement absurdes et même
impies, la plupart de leurs rites sont si
minutieux, si frivoles et si ridicules, qu'on
aurait peine à en croire le récit, si
on ne le lisait dans leurs propres auteurs, et s'il
n'était attesté par leurs coutumes
(98).
Il serait impossible de décrire en termes
plus frappants ou plus justes le contraste qui
existe entre leurs croyances superstitieuses et
celles d'une raison éclairée, et
celles de l'Évangile qu'ils
méprisent, que ne le font ces paroles :
« Ils vont tâtonnant en plein midi,
comme un aveugle tâtonne dans les
ténèbres. »
Quand même d'autres preuves de ces
prédictions viendraient à manquer, il
serait clair encore que le sentiment des nations
à leur égard a été
prédit avec autant de précision que
ce qui se rapporte aux Juifs eux-mêmes.
Que les Juifs aient été
« en proverbe, en étonnement, un
sujet de honnissement et d'invectives parmi tous
les peuples, » c'est une
vérité qu'il n'est nullement
nécessaire de prouver, et qui cependant est
un fait aussi inouï dans l'histoire du monde
que la prédiction en est
miraculeuse et l'accomplissement inconcevable.
Plusieurs prophéties favorables aux Juifs et
qui ne sont pas encore accomplies sont autant de
témoignages réservés, sinon
à la génération actuelle, du
moins à celles qui doivent lui
succéder ; mais il est bon de remarquer
que, selon qu'il a été prédit,
ils n'ont jamais été
entièrement détruits, tandis que
leurs ennemis ont disparu de dessus la surface de
la terre.
Où sont maintenant les descendants des
Égyptiens, des Assyriens, des Babyloniens,
des Romains, peuples puissants qui dominaient sur
le monde entier ? mais les Juifs, quoique
opprimés et vaincus, quoique bannis, quoique
esclaves, ont survécu à toutes ces
nations, et aujourd'hui encore ils sont
dispersés sur toutes les parties du globe.
De toutes les nations qui environnent la
Judée, la Perse seule, qui les renvoya de la
captivité de Babylone, forme encore un
royaume.
Les Écritures déclarent aussi que
l'alliance faite avec Abraham, dans laquelle Dieu
lui promet qu'il donnera la terre de Chanaan en
héritage éternel à ses
descendants, ne pouvait être rompue ;
mais que les enfants d'Israël seraient
rassemblés d'entre les nations
idolâtres, recueillis de tous les bouts de la
terre, et qu'ils reviendraient habiter pour
toujours sur le sol de leurs pères. Il y a
déjà trois mille sept cents ans que
cette promesse fut faite à Abraham ; et
si cette promesse avait été faite
à toute autre nation, excepté aux
descendants d'Abraham, l'accomplissement en serait
devenu impossible, vu qu'il n'existe point sur le
globe de postérité connue ou inconnue
d'aucun autre individu ou d'aucun autre peuple
contemporain de ce patriarche : mais
qu'à travers toutes les révolutions
qui ont changé la face des royaumes de la
terre, il ne soit survenu aucun
événement qui ait pu rendre
impossible l'accomplissement de ces
prophéties ; mais qu'au contraire
l'état des Juifs, celui des chrétiens
et des nations païennes, conspirent pour le
préparer ; assurément il y a
dans tout cela un miracle.
Telles sont les prophéties et tels
sont les faits relatifs aux Juifs, et de
telles données n'est-il pas facile au plus
faible logicien de tirer une démonstration
morale ?
Si les Juifs avaient été
entièrement détruits, s'ils avaient
été perdus parmi les autres nations
de la terre ; si, pendant l'espace de dix-huit
siècles qui se sont écoulés
depuis leur dispersion, ils s'étaient
éteints comme peuple, si même ils
avaient été relégués
dans une seule région et s'étaient
maintenus à part, unis entre eux ; si
leur histoire avait été analogue
à celle de quelque autre nation, on aurait
pu essayer, avec quelque apparence de raison, de
démontrer que la prédiction faite du
sort qui les attendait, quelque d'accord qu'elle
fût avec la vérité, ne pouvait
en pareil cas être reçue comme preuve
de la vérité de l'inspiration.
Si seulement l'histoire passée des Juifs et
leur état présent n'étaient
pas d'une nature si singulière et si
spéciale, qu'ils accomplissent
jusqu'à la lettre toutes les
prédictions, quel triomphe ne serait-ce pas
pour l'incrédule que de produire ces
prophéties mêmes comme preuve
convaincante de la non-inspiration divine des
saintes Écritures ?
Et après que les Juifs ont été
dispersés sur toute la terre, après
qu'il a été prouvé qu'ils
existent encore et forment une race à part,
qu'ils ont été
dépouillés de toutes les
manières sans être
anéantis ; après que les faits
les plus merveilleux, tels qu'on ne peut en citer
d'aucun autre peuple, après, disons-nous,
que toute leur histoire contient de tels faits,
faits accomplissant littéralement les
prophéties qui les
regardent, le croyant ne peut-il pas appeler son
adversaire à produire de semblables faits
à l'appui de sa croyance ?
Voilà donc une longue chaîne
d'évidences non interrompues et dont chaque
anneau contient une prophétie et un
fait ; et cette chaîne s'étend
à travers une multitude de
générations et se continue
encore ; quoique ces événements,
tout variés et tout singuliers qu'ils sont,
aient été amenés par des
moyens et des instruments humains et par des causes
secondaires, ils n'en sont pas moins
prophétiques et miraculeux ; car il
était aussi impossible que les moyens
fussent prévus qu'il était impossible
de prévoir la fin et les causes d'un
événement inscrutable, et dans
beaucoup de cas ces prophéties ont
été accomplies par les ennemis
mêmes du christianisme.
Pour celui qui veut un miracle, en voilà
un ; et où saurait-il en trouver un
seul plus complet et plus étonnant ?
Quant au chrétien, il peut se tenir ferme
dans cette forteresse du christianisme ; de
tous côtés elle est inabordable et
impénétrable.
Les prophéties relatives aux Juifs sont
aussi claires que le récit des
événements. Elles sont aussi
anciennes que les annales du monde, et on n'a
jamais prétendu qu'elles n'aient pas
été prononcées avant leur
accomplissement.
Elles sont tellement en dehors des
spéculations de la sagesse humaine que la
sphère de la nature tout entière ne
présente rien qui leur soit semblable ;
et les faits sont visibles, palpables et
saisissables dans toute leur étendue.
Aurait-il été possible à
Moïse, homme non inspiré, de
décrire l'histoire, la destinée, la
dispersion, le caractère du peuple
d'Israël jusqu'à ce jour,
c'est-à-dire pour plus de trois mille deux
cents ans, puisque lui-même, en descendant du
mont Sinaï où il avait
séjourné quarante jours, était
dans la surprise et
l'étonnement, du
changement qui s'était opéré
dans la multitude qu'il conduisait ?
Aurait-il été possible à
différentes personnes, à des
époques diverses, d'annoncer les mêmes
faits, qui se sont trouvés aussi
véritables que surprenants ?
Auraient-elles pu divulguer ainsi les secrets de
l'avenir, que leur nature même cachait
à leurs yeux ? Une infinité de
probabilités s'élèvent contre
une telle supposition, car l'esprit de l'homme
hésite, balance souvent même devant
des événements très
près de lui, en vue des résultats les
plus probables ; mais dès qu'il s'agit
de siècles éloignés,
dès qu'il s'agit d'événements
qui se rapportent à des milliers
d'années postérieures à son
existence, à des faits qui paraissent
contraires à toute science, à toute
expérience, à toutes les idées
d'analogie, tout est voilé et
impénétrable devant ses pas.
Repassons en peu de mots chaque fait comme il se
présente devant nous : en est-il un
seul qui ne semble défier nos conjectures et
les calculs de la sagacité la plus
profonde ?
La dispersion des Juifs et les circonstances qui
l'accompagnaient, la désolation de leurs
villes, la destruction de leur temple, le lieu
où il s'élevait labouré comme
un champ, leur pays dévasté, le
peuple passé au fil de l'épée,
en proie à la famine et à la peste,
une portion échappant néanmoins, mais
dépouillée, persécutée,
rendue esclave et conduite en
captivité ;
- ces malheureux chassés de leur propre
pays, non pas vers un lieu de retraite, mais
dispersés parmi toutes les nations et
abandonnés à la merci d'un monde qui
partout les méprisait et les
opprimait ; brisés comme un vaisseau
naufragé par un violent orage,
dispersés sur toute la terre comme des
débris sur les eaux, et au lieu de
disparaître parmi les nations ou d'y
être mêlés, demeurant
encore un peuple parfaitement
distinct, le même dans chaque royaume, ayant
les mêmes habitudes, les mêmes moeurs,
et les mêmes croyances dans chaque partie du
globe, sans avoir d'éphod, de
théraphim ou de sacrifices ;
- rencontrant partout les mêmes insultes, la
même dérision, la même
servitude ;
- ne trouvant aucun lieu de sûreté
d'où un ennemi ne vînt les
déloger ;
- se multipliant malgré leurs
misères, survivant à leurs ennemis,
voyant, sans en être atteints, la fin de
plusieurs nations et le bouleversement de
toutes ;
- se voyant enlever leur argent et leur or et y
tenant toujours ;
- souvent privés même de leurs
enfants ; séparés et
désorganisés, mais toujours les
mêmes ;
- ne changeant jamais, toujours froissés,
mais jamais brisés ;
- faibles, craintifs, tristes et
affligés ;
- perdant la raison au spectacle de leurs propres
misères, devenant un mot d'opprobre dans la
bouche de tous ;
- en but à la moquerie, aux insultes de
chaque peuple ;
- et leur nom continuant à être ce
qu'il a toujours été jusqu'à
ce jour, une injure universelle.
Comment un simple mortel, franchissant par la
pensée cent générations
successives, aurait-il pu prédire une de ces
merveilles qui frappent aujourd'hui tous les
yeux ?
Qui, si ce n'est le Père des esprits,
possédant une prescience parfaite des
volontés et des actions des agents moraux et
intelligents, aurait pu nous montrer à
l'avance les Juifs toujours errants et vagabonds,
sans pouvoir jamais se fixer nulle part, leur
étonnante destinée, leurs sentiments
et ceux de leurs ennemis dans tous les
siècles et sous tous les climats ?
Autant vaudrait dire que la création est
l'oeuvre d'un aveugle hasard, que de lui attribuer
la révélation de toutes ces choses.
Elle ne peut être qu'un acte et une
démonstration
palpable
du pouvoir, de la prescience de Dieu et de la
vérité de sa parole, une accumulation
de miracles ; et quoique cette
révélation ne forme qu'une faible
portion de l'évidence de la religion
chrétienne, elle n'en demeure pas moins
comme une pierre d'achoppement pour
l'incrédulité, ou plutôt comme
une insurmontable barrière que tout l'art
des sceptiques ne saurait tourner, que toute leur
puissance ne parviendra jamais à renverser.
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