Non seulement les prophètes juifs
prédirent quelle devait être la
destinée de ce peuple pendant la
durée d'une infinité de
générations, dont les
premières ne devaient naître que
plusieurs siècles après
l'époque que le scepticisme lui-même
assignerait à leurs
prédictions ; mais au temps même
où l'abondance régnait dans la
Judée, où une population innombrable
remplissait ses cités, ils en
annoncèrent la longue et épouvantable
désolation.
Le pays lui-même est donc un témoin
irrécusable, non moins que la nation.
L'aspect de ces contrées, et de nos jours et
depuis plusieurs siècles, est
précisément celui que décrit
la plume des prophètes, à une
époque où chaque trait qui pouvait
admettre un changement était parfaitement le
contraire de ce qu'il est aujourd'hui. Il suffit de
comparer les prédictions avec les preuves de
leur accomplissement, fournies par les
païens et par les
infidèles eux-mêmes.
Il était prédit que les
calamités d'Israël augmenteraient
graduellement avec ses iniquités, qu'il
serait châtié « sept fois
à cause de ses péchés
(99) ».
Et parmi les terribles châtiments qui
devaient remplir la mesure de sa punition, le plus
affreux de tous devait être la longue
désolation de son pays.
Les prophéties qui annonçaient ces
grands malheurs ont reçu un accomplissement
littéral.
« Je réduirai aussi vos villes en
désert, je désolerai vos sanctuaires,
je désolerai ce pays tellement que vos
ennemis qui s'y établiront s'en
étonneront ; et je vous disperserai
parmi les nations ; je dégainerai
l'épée après vous, et votre
pays sera en désolation, et vos villes en
désert.
Alors cette terre se plaira dans ses sabbats tout
le temps qu'elle sera désolée, et
lorsque vous serez au pays de vos ennemis la terre
se reposera et se plaira en ses sabbats, et cette
terre sera abandonnée par eux, et elle se
plaira dans ses sabbats quand elle aura
été désolée à
« cause d'eux
(1) ;
et
alors la génération à venir
dira, savoir : vos enfants qui viendront
après vous et l'étranger qui viendra
d'un pays éloigné, quand ils verront
les plaies de ce pays et ses maladies dont
l'Éternel l'affligera : Pourquoi
l'Éternel a-t-il ainsi traité ce
pays ? quelle est la cause de l'ardeur de
cette grande colère ?
La colère de l'Éternel s'est
embrasée contre ce pays pour faire venir sur
lui toutes les malédictions écrites
dans ce livre
(2). »
« Votre pays n'est que désolation
et vos villes sont en feu ; les
étrangers dévoreront en votre
présence votre pays, et cette
désolation sera comme une ruine faite par
des étrangers ; et la fille de Sion
restera comme une cabane dans
une vigne, comme une loge dans un champ de
concombres, comme une ville serrée de
près.
Si l'Éternel des armées ne nous
eût réservé quelque petit
reste, nous aurions été comme Sodome,
et nous serions devenus semblables à
Gomorrhe
(3) »
« Car vous serez comme un chêne
duquel la feuille déchoit, et comme un
verger qui n'a point d'eau
(4). »
« Je réduirai ma vigne en
désert ; si plusieurs maisons ne sont
réduites en désolation et si les plus
grandes et plus belles ne sont sans
habitants ! Même dix journaux de vigne
ne produiront qu'un bath, et la semence d'un homer
ne produira qu'un épha. Les agneaux
paîtront à leur ordinaire et les
étrangers mangeront les déserts
où le bétail devenait gras
(5). »
« Et je dis : Jusques à
quand, Seigneur ? Et il répondit :
Jusqu'à ce que les villes et les maisons
aient été tellement
désolées qu'il n'y ait aucun homme et
que le pays soit mis dans une entière
désolation, et que l'Éternel ait
éloigné les hommes, et que le pays
ait été longtemps
abandonné.
Toutefois, il en restera une dixième partie
qui sera de nouveau broutée, comme la
fermeté des chênes et des ormes
consiste en ce qu'ils rejettent
(6). »
« Car le Seigneur, l'Éternel des
armées, va faire venir la destruction qu'il
a résolue au milieu de toute la terre
(7). »
« Et il arrivera en ce jour-là que
la gloire de Jacob sera diminuée, et que la
graisse de son corps sera amaigrie, et il en sera
comme quand le moissonneur cueille les blés
et moissonne les épis avec son bras ;
même il en arrivera comme quand on ramasse
les épis dans la vallée des
Rephaïms ; mais il en demeurera quelques
grappillages, comme quand on
secoue l'olivier et qu'il reste
deux ou trois olives au bout des plus hautes
branches, et quatre ou cinq au haut des branches
fertiles, dit l'Éternel, le Dieu
d'Israël
(8). »
« Voici, le Seigneur s'en va rendre le
pays vide et l'épuiser, il le fera changer
de face, et il dispersera ses habitants ; le
pays sera entièrement vidé et
entièrement pillé, car
l'Éternel a prononcé cet
arrêt-là. La terre est dans le deuil,
elle est déchue, le pays a été
profané par ses habitants, parce qu'ils ont
transgressé les lois, ils ont changé
les ordonnances et ont violé l'alliance
éternelle. C'est pourquoi
l'imprécation du serment a
dévoré le pays, et ses habitants ont
été mis en désolation et peu
de gens y ont demeuré de reste.
Le vin excellent pleure, la vigne languit, tous
ceux qui avaient le coeur joyeux soupirent, la joie
des tambours a cessé, le bruit de ceux qui
se réjouissent est fini, la joie de la tente
a cessé ; on ne boira plus de vin avec
des chansons, la cervoise sera amère
à ceux qui la boivent ; la ville de la
confusion a été minée, toute
maison est fermée tellement que nul n'y
entre.
Il y aura des cris dans les places, parce que le
vin manquera ; toute la joie est
tournée en obscurité ;
l'allégresse du pays s'en est allée,
car il arrivera au milieu du pays et parmi les
peuples comme quand on secoue l'olivier et quand on
grappille après avoir achevé de
vendanger
(9) »
« Car la ville forte sera
désolée, la maison de plaisance sera
abandonnée et quittée comme un
désert. Le veau y paîtra et y
gîtera, et broutera les branches qui y
seront ; quand son branchage sera sec il sera
brisé, et les flammes y venant en allumeront
du feu, car ce peuple n'a
pointd'intelligence
(10). »
« Femmes qui êtes à votre
aise, levez-vous : dans un an et quelques
jours, vous qui êtes assurés, vous
serez troublés, car la vendange manquera et
on ne fera point de récolte. Vous qui
êtes à votre aise, tremblez ;
vous qui vous tenez assurés, soyez
troublés ; dépouillez-vous,
quittez vos habits pour vous ceindre les
reins ; frappez-vous la poitrine à
cause de vos belles campagnes et de vos vignes
fertiles.
Les épines et les ronces monteront sur la
terre de mon peuple même, et en toutes les
maisons de plaisir et sur la ville qui est dans la
joie, car le palais va être renversé,
la multitude de la ville va être
abandonnée, les lieux élevés
du pays et les forteresses seront autant de
cavernes à jamais ; ce sera là
que se joueront les ânes sauvages et que
paîtront les troupeaux jusqu'à ce que
l'esprit soit répandu d'en haut sur nous et
que le désert devienne un Carmel, et que
Carmel soit réputé comme une
forêt
(11). »
-
« Les chemins ont été
réduits en désolation ; les
passants ne passent plus par les sentiers ; il
a rompu l'alliance, il a rejeté les villes,
il n'a fait aucun cas des hommes ; le pays est
dans les pleurs et languit ; le Liban est
confus et coupé. Saron est devenu comme une
lande et Basçan et Carmel ont
été secoués
(12). »
« Une ruine est appelée par une
autre, car toute la terre est détruite. J'ai
regardé et voici, Carmel est un
désert, et toutes ses villes ont
été ruinées à cause de
la présence de l'Éternel, car ainsi a
dit l'Éternel : Toute la terre ne sera
que désolation, toutefois je ne la
détruirai pas entièrement ;
c'est pourquoi la terre sera dans le deuil, parce
que je l'ai prononcé, je l'ai pensé
et je ne m'en
repentirai point
(13). »
« Jusqu'à quand la terre
sera-t-elle dans le deuil et l'herbe de tous les
champs séchera-t-elle à cause de la
malice des habitants ?
J'ai abandonné ma maison, j'ai quitté
mon héritage. Plusieurs bergers ont
gâté ma vigne, ils ont foulé
mon partage et ils ont réduit mon partage
désirable en une solitude déserte. On
l'a réduit en désolation, il est tout
désolation et en deuil devant moi. Toute la
terre a été réduite en
désolation, parce qu'il n'y a personne qui
pense à elle. Les destructeurs sont venus
sur tous les lieux élevés du
désert, il n'y a point de paix pour qui que
cela soit. Ils ont semé du froment et ils
moissonneront des épines. ils se sont
« donné de la peine et ils n'y
profiteront rien ; vous serez frustrés
de vos revenus par l'ardeur de la colère de
l'Éternel
(14). »
« Vous, montagnes d'Israël,
écoutez la parole du Seigneur
l'Éternel aux montagnes et aux coteaux, aux
cours des rivières et aux
vallées : Me voici, moi, je vais faire
venir l'épée sur vous et je
détruirai ces hauts lieux ; les villes
seront désertes et les hauts lieux seront
désolés dans toutes vos demeures, en
sorte que vos autels seront rendus déserts
et désolés. J'étendrai donc ma
main sur eux et je rendrai leur pays
désolé et désert dans toutes
leurs demeures plus que le désert qui est
vers Dibla
(15). »
« Et je ferai venir les plus
méchantes des nations qui posséderont
leurs maisons, et je ferai cesser l'orgueil des
puissants, et leurs saints lieux seront
profanés, et tu diras au peuple du
pays : Ainsi a dit le Seigneur
l'Éternel touchant les habitants de
Jérusalem qui sont au pays
d'Israël : Ils mangeront leur pain avec
chagrin et boiront leur eau avec étonnement,
parce que le pays sera désolé,
étant privé de son
abondance à cause de l'iniquité de
tous ceux qui l'habitent. Quiconque passera
auprès d'elle sera étonnée
(16). »
« Écoutez ceci, tous les habitants
du pays, une telle chose a-t-elle été
faite de votre temps, ou même du temps de vos
pères ? Faites-en le récit
à vos enfants et vos enfants à leurs
enfants, et leurs enfants à une autre
génération.
La sauterelle a brouté le reste du hanneton,
et le grillon a brouté le reste de fa
sauterelle, et le vermisseau a brouté le
reste du grillon. Les champs sont ravagés et
la terre en gémit ; la joie a
cessé parmi les hommes.
Et je vous rendrai le fruit des années que
la sauterelle, le grillon, le vermisseau et le
hanneton avaient broutés, et mon peuple ne
sera plus jamais confus
(17) »
« La ville de laquelle il en sortait
mille n'en aura de reste que cent, et celle de
laquelle il en sortait cent n'en aura de reste que
dix. Ne cherche point Béthel, car
Béthel sera réduite à rien
(18). »
« Je vais mettre le niveau au milieu de
mon peuple Israël et je ne lui en passerai
plus, et les saints lieux d'Isaac seront
désolés, et les sanctuaires
d'Israël seront détruits
(19). »
« Je réduirai Samarie comme en un
monceau de pierres qu'on fait dans les champs
où l'on plante des vignes, et je ferai
rouler ces pierres dans la vallée et je
découvrirai ses fondements
(20). »
Quelque claires, quelque nombreuses que fussent ces
menaces, cependant, loin de produire la repentance
et l'humilité, l'incrédulité
des Juifs fut telle qu'ils se moquèrent de
la longue attente de leur Dieu, et ces paroles
étaient passées en proverbe dans leur
pays : « Les jours seront
prolongés et toute vision
périra
(21). »
Ce proverbe, ainsi qu'il avait été
prédit, cessa de se faire entendre lorsque
de grandes calamités vinrent fondre sur
eux ; mais les malédictions
prononcées contre eux ne furent pas
effacées par un accomplissement partiel et
passager ; au contraire, dès que le
peuple recommença ses iniquités,
elles retombèrent sur sa tête selon
qu'il lui était prédit, avec une
sévérité sept fois plus
terrible.
Ce fut dans le but spécial de décider
leur choix que Moïse et tous les
prophètes annoncèrent tout à
la fois aux Juifs des bénédictions et
des malédictions. Hélas ! toute
l'histoire du peuple d'Israël prouve que tous
leurs avertissements ne rencontrèrent que du
mépris ; mais la parole de Dieu
demeure : « Ma parole, dit-il, ne
retournera point à moi sans effet,
mais elle fera ce que j'aurai ordonné, et
aura son effet dans les choses pour lesquelles je
l'aurai envoyée
(22). »
Ainsi, après que les statuts et les
jugements de l'Éternel eurent
été mis devant les Israélites
pendant l'espace de mille ans, « la
parole de l'Éternel par la bouche de
Malachie, » au lieu de parler de
jugements révoqués, termine par la
déclaration suivante :
« Souvenez-vous de la loi de Moïse,
mon serviteur, auquel je donnai en Horeb des
statuts et des ordonnances pour tout Israël
(23). »
Toutes ces prophéties démontrent
clairement que, quelque long que fût le
support de Dieu envers les Juifs, pour leurs
transgressions, cependant, lorsqu'ils refuseraient
de se repentir quand « le
prophète » qui devait être
« le messager de
l'Éternel » serait venu, alors
l'Éternel viendrait frapper la terre
« à la façon de l'interdit
(24). »
Le temps de la durée de ces jugements et
celui de leur entier
accomplissement est clairement indiqué comme
devant se prolonger autant que la dispersion des
Juifs et se terminer à leur restauration
finale. Tant qu'ils resteront dans le pays des
ennemis, leur terre restera désolée.
La malédiction ne doit pas être
ôtée « jusqu'à ce que
l'esprit soit répandu d'en haut et que le
désert devienne Carmel
(25). »
Ces prophéties ne se bornent pas non plus
à dépeindre la Judée
abandonnée par le Seigneur et donnée
à ses ennemis ; mais elles
décrivent le caractère et la
condition de ceux qui y habiteront pendant la
dispersion et l'exil de ses anciens possesseurs
jusqu'au temps où
« l'Éternel régnera
à Jérusalem et où il sera
glorieux en présence de ses anciens
(26). »
Les promesses d'une restauration finale
accompagnent presque toujours les
malédictions prononcées contre le
peuple, et dans toutes les prophéties on
trouve clairement annoncé que le temps doit
venir où les enfants d'Israël seront
rassemblés d'entre les nations, où
les villes qui ont été
« désertes d'âge en
âge » seront rebâties,
où les montagnes d'Israël, si longtemps
« désolées, » ne
le seront plus, et où l'on ne parlera plus
de la « nation délaissée
(27). »
Il était prédit par Daniel :
« Le Christ sera retranché, et le
sacrifice et l'oblation cesseront. Et alors la
désolation fondra sur le
désolé
(28). »
Et Jésus-Christ lui-même
déclare que Jérusalem sera
foulée par les nations (gentils),
jusqu'à ce que les temps des nations soient
accomplis
(29)
Ni la dispersion des Juifs, ni la désolation
de la Judée ne doivent donc cesser, selon
qu'il a été
prédit, jusqu'à ce que, par cet
événement, une nouvelle
évidence ne soit donnée à la
vérité de l'inspiration
prophétique. Il s'en suit que les
prophéties concernant la désolation
de la Judée s'appliquent aux temps modernes.
Et plus ces prédictions sont nombreuses,
plus l'épreuve à laquelle on les
soumet est sévère.
Et aussi longtemps que les Juifs ne seront pas
ramenés de leur captivité, qu'ils ne
seront pas « plantés sur leur
terre pour n'en être plus arrachés
(30) ; »
- aussi longtemps que ceux « qui l'ont
réduite en désert ne seront pas
sortis du milieu d'elle
(31) ; »
- aussi longtemps que « les lieux
déserts depuis longtemps ne seront pas
rebâtis » ;
- aussi longtemps que les « fondements
abandonnés depuis plusieurs
générations ne seront pas
rétablis
(32) » ;
- aussi longtemps que la désolation du pays
n'aura point cessé, l'effet de toutes ces
prophéties sera visible ; de sorte que,
de nos jours encore, il existe partout d'abondantes
preuves que tout ce qui avait été
déterminé a été
accompli, et que « toutes les
malédictions écrites dans le livre du
Seigneur ont été répandues sur
ce pays
(33). »
La désolation de la Judée est
tellement étonnante, et la pauvreté
de cette contrée si remarquable, qu'oubliant
toutes les prophéties qui s'y rapportent,
les incrédules ont tiré de ce fait
même un argument contre la
vérité du christianisme. Ils tournent
en ridicule l'existence d'une population aussi
nombreuse que celle dont parle l'histoire sainte,
dans ce pays si singulièrement aride et si
peu susceptible de culture
(34).
Ils
ont, dans plus d'un cas,
abandonné d'eux-mêmes cette objection
insoutenable ; ils ont rendu un
témoignage non suspect de la
vérité des prophéties et ont
servi à établir la cause qu'ils
cherchaient à détruire. Les ouvrages
des écrivains de l'antiquité, la
richesse naturelle du sol, les restes de terre
végétale que l'on trouve jetés
par des moyens artificiels sur le flanc des
montagnes et qui les couvraient des récoltes
les plus riches, et enfin la multitude de villes en
ruines disséminées dans les plaines
maintenant incultes et désertes, attestent
qu'autrefois il y avait dans ces mêmes lieux
une population immense et florissante, et que si
l'histoire parle de la grandeur de ce pays, si les
prophéties en annoncent la
désolation, l'histoire et les
prophéties ont été
également véridiques. Les aveux de
Volney et la description qu'il
fait d'après ses
observations personnelles, suffisent seuls pour
détruire les fausses données et les
sarcasmes dédaigneux de Voltaire ; et
tout étonnant que cela peut paraître,
ce même écrivain, par son
témoignage involontaire sur les faits dont
il a été lui-même
témoin, rend un aussi grand service au
christianisme qu'il lui a fait de tort par ses
vaines théories et par ses vues
erronées sur sa nature et sur son
influence.
On ne saurait en effet trouver un témoignage
plus fort, pour confirmer la vérité
des prophéties, que celui que rend Volney
lui-même, renversant ainsi par des faits ses
propres doctrines.
Au sujet de la fertilité naturelle du sol et
de son ancienne population, il dit :
« La Syrie réunit sous un
même sol des climats différents, et
rassemble dans une enceinte étroite des
jouissances que la nature a dispersées
ailleurs à de grandes distances de temps et
de lieux. À cet avantage qui perpétue
les jouissances par leur succession, la Syrie en
joint un second, celui de les multiplier par la
variété de ses productions ;
avec ces avantages nombreux de climat et de sol, il
n'est pas étonnant que la Syrie ait
passé de tout temps pour un pays
délicieux, et que les Grecs et les Romains
l'aient mise au rang de leurs plus belles
provinces, à l'égal même de
l'Égypte
(35). »
Après avoir donné plusieurs raisons
justes et suffisantes qui rendent probable la
grande population de la Judée dans les temps
reculés, il ajoute : « En
n'admettant que l'état conforme à
l'expérience et à la nature, rien ne
prouve contre les grandes populations d'une
certaine antiquité ; sans parler du
témoignage positif de l'histoire, il est une
foule de monuments qui
déposent en leur faveur. Telles sont les
ruines innombrables semées dans des plaines
et même dans des montagnes aujourd'hui
désertes. On trouve aux lieux
écartés du Carmel des vignes et des
oliviers sauvages qui n'y ont été
portés que par la main des hommes, et dans
le Liban des Druses et des Maronites les rochers
abandonnés aux sapins et aux broussailles
offrent en mille endroits des terrasses qui
attestent une ancienne culture et par
conséquent une population encore plus forte
que de nos jours
(36)
.
La Syrie, dit Gibbon, un des pays qui jouirent les
premiers des avantages de la culture,
n'était pas indigne d'obtenir cette
préférence. La chaleur du climat est
tempérée par le voisinage de la mer
et des montagnes et par l'abondance de bois et
d'eau ; et les productions d'un sol fertile
fournissent à la subsistance et encouragent
l'accroissement des hommes et des animaux.
Depuis le temps de David jusqu'à celui
d'Héraclius, toute cette contrée
était couverte de villes anciennes et
florissantes ; leurs habitants étaient
nombreux et riches. - Ce témoignage n'est
rapporté ici que parce qu'il est non
équivoque ; mais on pourrait encore en
produire beaucoup d'autres.
Le pays environnant Jérusalem même est
à la vérité rocailleux, comme
Strabon le représente, et maintenant il est
complètement stérile ; mais on
était parvenu à rendre fertiles les
montagnes les plus arides des environs de
Jérusalem en les coupant en terrasses
élevées par degrés les unes
au-dessus des autres, et en y entassant de la terre
par un travail étonnant
(37).
« Dans toutes les parties de la
Judée, ajoute Clarke, les bons effets
d'un changement d'administration
sont bientôt visibles, car les plaines arides
prennent aussitôt un air de fertilité.
Sous un gouvernement sage et paternel, les
productions de la Terre Sainte seraient
incalculables. Ses abondantes récoltes, la
salubrité de son air, la pureté de
ses eaux, ses rivières, ses lacs, ses belles
plaines, toutes ces choses, ajoutées
à la douceur du climat, indiquent bien que
c'était ici la terre que le Seigneur avait
bénie
(38)»
Mais ce fait de l'ancienne fertilité de la
Judée, aussi bien que celui de sa
désolation actuelle, sont si bien
établis qu'il n'y a plus lieu à les
discuter ; et en essayant de faire douter
à cet égard de la
vérité de l'histoire sainte, les
incrédules ont fait choix d'un terrain
qu'ils ont été obligés
d'abandonner, et toutes leurs déclamations
n'ont servi qu'à prouver, avec leur
incrédulité, leur insigne mauvaise
foi.
En terminant donc sur ce sujet, on peut ajouter que
l'étendue et la durée de cette
désolation, sur laquelle ils se fondent pour
rejeter la description biblique de l'ancienne
gloire de la Judée, ayant été
clairement prédites, plus il est difficile
d'accorder ce qui était avec ce qui est,
plus les prophéties qui l'ont
révélée sont
étonnantes, et plus il est visible qu'elles
ne sont que la voix du ciel ; et les arguments
de l'incrédule conduisent à une
conclusion qui tourne contre lui. Tel est le
témoignage positif de l'histoire ;
telles sont les preuves patentes de l'ancienne
grandeur et de l'ancienne fertilité de la
Palestine ; et maintenant nous pouvons
examiner avec calme le changement complet qui s'est
opéré dans ce pays, et la
conformité qui existe
entre ce changement et les paroles de la
prophétie.
Il y a tout lieu de croire que sous un gouvernement
régulier et solidement établi, un
pays si favorisé par son climat, si divers
dans sa surface, d'un sol si riche et si productif,
aurait pu réellement retrouver son ancienne
opulence et sa puissance ; sa constante et
continuelle désolation est donc contraire
également à tous les calculs de
l'expérience et de la raison, et
paraît inconcevable à l'homme.
« Mais le pays avait été
désolé par des étrangers.
Malheur devait venir sur malheur, une ruine
être appelée par une autre a
ruine ; car toute la terre devait être
détruite. »
Les Chaldéens dévastèrent la
Judée, et tous ses habitants furent
menés en captivité : les rois de
Syrie et d'Égypte ruinèrent ce pays
par leurs extorsions et leur oppression
continuelle : longtemps il fut soumis au joug
de fer des Romains, et les Perses essayèrent
de s'en rendre maîtres ; mais quelque
temps plus tard, des ennemis plus terribles encore
parurent sur la scène et mirent le comble
à cette oeuvre de destruction.
« L'an 622 ( 636 ) les tribus de l'Arabie
rassemblées sous l'étendard de
Mahomet vinrent s'en emparer ou plutôt la
dévaster. Depuis ce temps,
déchirée par les guerres civiles des
Fatimites et des Ommiades, soustraite aux califes
par leurs lieutenants rebelles, ravie à
ceux-ci par les milices turkomanes, disputée
par les Européens divisés, reprise
par les Mameloucks d'Égypte et
ravagée par Tamerlan et ses Tartares, elle
est enfin restée aux mains des Turcs
Ottomans (39). « Elle a
été dévorée par des
étrangers, foulée par les
nations ; malheur est venu sur
malheur. »
« Les villes seront
désertes ; » d'après
le témoignage unanime des voyageurs, on peut
appeler la Judée un vaste champ de ruines.
Sur toute l'étendue de la Syrie, des
colonnes, des monuments d'une magnificence
passée, sont ensevelis sous des ruines et
des décombres
(40).
Du sommet du mont Thabor on contemple une immense
étendue de plaines entrecoupées de
hameaux, de forteresses et de monceaux de ruines.
Les édifices élevés sur cette
montagne furent détruits par le sultan
d'Égypte en 1250, et les nombreux restes des
forts et des ruines ne sont plus qu'une triste
masse de désolation (41). Des
monceaux de décombres
sont tout ce qui reste des anciennes et
célèbres villes de Capharnaüm,
de Bethsaïde, de Gadara, de Zanthée et
de Chorazin
(42).
On peut encore voir quelques vestiges
d'Emmaüs. Cana n'est qu'un tout petit
village.
- Les murs de Tékoa ne
présentent plus que les fondements de
quelques grands édifices
(43).
- La ville de Naïn n'est plus qu'un
hameau.
- Les ruines de l'ancienne Sapphura prouvent
l'existence d'une ville autrefois
considérable, et son nom se retrouve encore
dans celui d'un misérable village
appelé Séphoury
(44).
- Lourd, anciennement Lydde, et Diospolis
ressemblent à des lieux récemment
dévastés par le feu ou par
l'épée, et ne sont plus qu'un amas de
débris et de décombres.
(45)
- Ramla, autrefois Arimathée, est presque
aussi délabrée ; on ne trouve
que décombres dans toute son enceinte. Dans
tous les pays environnants, on rencontre à
chaque pas des puits séchés,
des citernes crevassées
et de grands réservoirs voûtés,
qui prouvent que jadis cette ville devait avoir au
moins une lieue et demie de circonférence
(46).
- Césarée ne peut plus exciter
l'envie d'un conquérant ; il y a
longtemps qu'elle ne connaît que le silence
de la désolation
(47)
- La ville de Tibériade est maintenant
presque abandonnée, et sa subsistance est
précaire. Il ne reste plus de traces des
villes qui autrefois entouraient le lac
(48).
- Zabulon, jadis la rivale de Tyr et de Sidon,
n'est qu'un monceau de ruines.
- Quelques pierres sans forme, indignes de
l'attention d'un voyageur, indiquent le site de la
Saffra
(49).
- Les ruines de Jéricho, ne couvrant pas
moins d'un mille carré, sont
environnées d'une désolation
complète, et tout à l'entour de cette
ville abandonnée on ne pourrait trouver un
arbre de quelque espèce que soit, et
à peine le moindre indice de verdure
(50).
- On ne rencontre point de traces de Bethel ;
les ruines de Sarepta et de plusieurs grandes
villes de son voisinage ne sont plus que des
monceaux de décombres ; et on ne les
reconnaît comme ayant été des
emplacements de villes que par les tas de pierres
et les fragments de colonnes
(51) ;
mais à Djerash ( Gerasa, à ce que
l'on suppose) on retrouve encore les restes d'une
ville magnifique, la forme des rues jadis
entourées d'une double colonnade et
couvertes de pavés encore presque entiers,
sur lesquels on distingue les traces des
roues ; de chaque côté un
trottoir élevé, deux
théâtres, deux grands temples
construits en marbre et d'autres d'une architecture
inférieure, des bains, des ponts, un
cimetière contenant beaucoup de monuments
qui environnait la ville, un arc
de triomphe, une grande fontaine, un tombeau
pittoresque garni de colonnes, un aqueduc, et plus
de deux cent trente colonnes encore debout au
milieu des ruines désertes de la ville
qu'elles devaient embellir, tout cela réuni
présente à l'oeil du voyageur,
à ce que disent ceux qui sont à
même de faire la comparaison, une masse de
ruines qui l'emportent en magnificence sur celles
de Palmyre si vantées
(52).
Ah ! que les prédictions qui annoncent
cette désolation sont merveilleusement
accomplies, lorsque partout on ne trouve que des
ruines, là où florissaient autrefois
les belles villes de la Judée :
lorsqu'on voit cette multitude de villes
entourées d'assez de vestiges pour en
montrer le nombre, mais sans le moindre signe qui
en indique le nom !
« Votre peuple sera en désolation,
et vos villes en désert. Alors cette terre
se plaira dans ses sabbats tout le temps qu'elle
sera désolée : lorsque vous
serez au pays de vos ennemis, la terre se reposera
et se plaira en ses sabbats
(53) ».
Il suffit de jeter un coup d'oeil sur la loi
mosaïque et sur ce qui regarde le sabbat, pour
comprendre toute la portée de cette
prédiction. « En la
septième année il y aura un sabbat de
repos pour la terre ; ce sera un sabbat
à l'Éternel. Tu ne sèmeras
point ton champ et tu ne tailleras point ta vigne
(54) » ;
c'est ainsi que la terre de
Judée a joui de ses sabbats pendant tout le
temps qu'elle a été
désolée. Là où chaque
pouce de terrain était cultivé comme
un jardin par le possesseur, là où
chaque petite colline rapportait des fruits en
abondance, là où chaque endroit
escarpé était rendu fertile par le
pénible travail de l'homme, là
où les rochers même cessaient
d'être arides, à force de peines et
d'efforts, dans ce même pays, sous le
même climat
(55),
avec le
même sol, on ne voit depuis de longs
siècles que des plaines sans culture et une
désolation universelle.
Jamais, depuis que les descendants d'Abraham ont
dû quitter leur patrie, jamais depuis leur
expulsion de leur terre natale, cette terre n'a
été si fertile ni si
peuplée ; elle a semblé se
refuser constamment à devenir la
propriété d'un autre peuple. Elle
s'est reposée de siècle en
siècle, et tant que cette race
dispersée, réprouvée, maudite,
possédant cependant la promesse de Dieu, et
la conservant comme le gage de sa restauration
finale, « tant que ce peuple restera au
pays de ses ennemis, la terre se
reposera ».
On pourrait presque dire qu'il semble exister une
sympathie secrète entre ce peuple
exilé et son pays abandonné ;
comme si la terre d'Israël gémissait
sur les malheurs de ses enfants, attendait leur
retour, et répondait de son
côté à leur invincible
attachement, en se refusant à donner
à ses possesseurs actuels ces riches
récoltes qui, du temps de leur soumission au
Très-Haut, étaient la marque
spéciale et particulière de la
bénédiction qu'il répandait
sur eux. Et quelque frappant que soit ce parfait
accord entre le sort des Juifs et l'état de
la Judée, il en existe un non moins
remarquable entre ce sort et les prédictions
faites par la bouche de
Moïse, avant que les tribus d'Israël
eussent mis leur pied sur la terre de
Chanaan : « Et lorsque vous serez au
pays de vos ennemis, la terre se reposera et se
plaira en ses sabbats ».
Tous les voyageurs se trouvent d'accord en parlant
de la désolation de la Judée. La
malédiction prophétique s'adressait
aux montagnes et aux collines, aux rivières
et aux vallées, et leur beauté a
été flétrie.
Là où les habitants vivaient en paix,
chacun à l'ombre de sa vigne et de son
figuier, la tyrannie des Turcs et les continuelles
incursions de leurs anciens oppresseurs, les
Arabes, ont laissé une désolation
presque universelle. La plaine d'Esdraélon,
naturellement si fertile, dont le sol consistait en
« une terre riche et grasse »,
unie comme un lac, sauf au centre où
s'élevait le mont Ephraïm,
bornée par le mont Hermon, le Carmel et le
Thabor (56), dont
l'étendue occupait
plus de trois cent milles carrés, n'est plus
maintenant qu'une vaste solitude
(57).
Toute cette contrée est entièrement
déserte (58). La
vallée de Saron n'est
plus qu'un désert. II n'existe plus aucun
vestige de culture dans la vallée de
Chanaan, autrefois si belle, si délicieuse,
si fertile
(59).
Des tribus infidèles parcourent constamment
le pays dans tous les sens ; les Arabes
nourrissent leurs bestiaux du produit
spontané de ces riches plaines
(60). On
y a
détruit toutes les anciennes bornes. Il n'y
existe aucune loi. La vie et les
propriétés y sont également
sans protection. Les vallées ne sentent
jamais le tranchant de la charrue, les montagnes
ont perdu leur verdure ;
les rivières arrosent un pays désert
et aride ; tout ce que les hommes pouvaient
détruire de ce qui faisait la beauté
du Thabor, ils l'ont anéanti ;
d'immenses ruines qui en couvrent la sommité
sont tout ce qui reste d'une cité
magnifique, et le Carmel est la demeure des animaux
sauvages (61) « L'art
de la culture,
dit Volney, est dans un état
déplorable ; il faut que le paysan
sème le fusil à la main, et l'on ne
sème qu'autant qu'il faut pour vivre. Chaque
jour je trouvais des champs abandonnés par
la charrue
(62) »
En faisant la description de son voyage en
Galilée, Clarke observe que la terre
était couverte d'une telle
variété de chardons que la collection
en eût été précieuse
pour l'étude de la botanique
(63) ;
lui-même il en découvrit six nouvelles
espèces dans une petite collection qu'il fut
à même de faire.
« Depuis Kanc-Leban jusqu'à Bir,
dit Maundrel, au milieu de ruines de villes, le
voyageur ne distingue, aussi loin qu'il peut porter
ses regards, que des rochers arides, des montagnes
et des précipices. À cette vue les
pèlerins sont frappés
d'étonnement, déçus dans leur
attente et presque ébranlés dans leur
foi
(64). »
Du haut des élévations voisines, dans
les environs de Jérusalem, on ne voit qu'un
désert sauvage, aride et montagneux ;
point de troupeaux sur les sommets, point de
forêt pour en embellir les pentes
escarpées ; point de fleuves pour
arroser les vallées ; rien qu'une
scène triste, mélancolique ; une
désolation sauvage, au milieu de laquelle,
veuve de son antique gloire, la Judée courbe
sa tête abattue
(65).
Il est
inutile de continuer nos
citations pour prouver la désolation d'un
pays possédé par des Turcs et
dépouillé par des Arabes, pendant une
longue suite de siècles. Il a
été suffisamment
démontré que « la terre a
été réduite en
désolation, qu'elle est toute
désolée et en deuil. »
« Toutefois, il en restera une
dixième partie, qui sera de nouveau
broutée ; mais comme la fermeté
des chênes et des ormes consiste en ce qu'ils
rejettent, ainsi la semence sainte sera sa
fermeté
(66) ».
Quoique les villes soient désertes et la
terre désolée, si l'on a cessé
de cultiver le sol, ce n'est pas qu'il soit
appauvri, et si la terre se repose depuis tant de
siècles, ce n'est pas que son ancienne
fertilité soit diminuée. La
fertilité de la Judée ne provenait
pas seulement de moyens artificiels ou de telle ou
telle cause locale ; dans ce cas, il n'aurait
pas été nécessaire qu'un
prophète prédit qu'une fois
désolée et dévastée
elle retournerait à sa
stérilité première.
Dans tous les temps, la Phénicie occupa un
rang bien différent parmi les plus riches
contrées de la terre ; ce
n'était pas une possession inculte et
stérile, ce n'était pas une terre
désolée et abandonnée que Dieu
aurait donnée, dans son alliance, à
la semence d'Abraham.
La Judée, il est vrai, n'étant plus
cultivée comme un jardin, est bien
différente de ce qu'elle était ;
tout ce que le génie de l'homme avait pu
imaginer ou exécuter a été
détruit par la main de l'homme ;
« tous les nombreux biens »
dont elle était enrichie, embellie et
bénie, ont disparu comme des feuilles
sèches lorsque leur verdure est
flétrie. Dépouillée de son
ancienne splendeur, elle est semblable à un
chêne puissant dont les feuilles sont
mortes ; mais elle
conserve
en elle-même la source secrète de sa
fertilité ; la richesse naturelle du
sol est toujours la même ;
« sa fermeté est en elle, pareille
au chêne ou à l'orme dont la
fermeté consiste en ce qu'ils
rejettent ». Et semblable au chêne
qui attend, dépouillé de ses
feuilles, la douce chaleur du printemps pour se
revêtir d'un nouveau feuillage, de même
la terre de Judée, jadis si riche et si
florissante, est encore pleine de force et de
puissance végétative, et elle est
prête à revivre, plus belle encore que
dans le commencement, dès que le soleil d'en
haut daignera luire sur elle et que la semence
sainte lui sera confiée.
« La fermeté qui est en
elle » ne peut être mieux
décrite que par les paroles suivantes d'un
des plus grands ennemis de la religion :
« La terre des plaines est grasse,
légère, et annonce la plus grande
fécondité ; - si l'art venait au
secours de la nature, on pourrait y rapprocher dans
un espace de vingt lieues les productions des
contrées les plus distantes
(67). »
« La Galilée, dit Malte-Brun,
serait un paradis, si elle était
habitée par un peuple industrieux sous un
gouvernement éclairé. On y voit des
plants de vignes qui ont plus d'un pied et demi de
diamètre
(68). »
« Et je la livrerai au pillage dans les
mains des étrangers et en proie aux
méchants de la terre, et des voleurs y
entreront et la profaneront
(69).
Au lieu d'être soumise à un
gouvernement stable et éclairé, la
Judée a eu constamment à subir de
nouvelles invasions qui y ont introduit et
établi successivement plusieurs peuples
étrangers. Lorsque les Ottomans
enlevèrent la Syrie aux Mamelouks, ils ne la
regardèrent que comme la dépouille
d'un peuple vaincu. Or, suivant ce principe, le
vaincu est entièrement à la
discrétion du
vainqueur ; sa vie, ses biens lui
appartiennent. Le gouvernement est loin de
condamner ce système de vol et de brigandage
dont il retire un si grand profit
(70).
« Plusieurs, bergers ont
gâté ma vigne, ils ont foulé
mon partage
(71). »
Les ravages que commet une armée
étrangère ne sont ordinairement que
de courte durée ; ou, si un
conquérant prend possession du pays qu'il a
vaincu, il s'y établit, le cultive et le
protège. C'est le propre d'un gouvernement
sage de protéger les personnes et les
propriétés. Il n'en a jamais
été ainsi de la Judée ;
car, outre les nouvelles invasions qu'il lui a
fallu constamment subir, et outre le système
de spoliation exercé par son despotique
gouvernement, d'autres causes se sont
réunies à celles-ci pour maintenir
cet état de désolation, et pour
rendre inutiles les richesses qu'elle pouvait
conserver en elle-même.
Parmi ces causes est le fait que,
littéralement, « elle a
été foulée par plusieurs
bergers ».
Volney consacre un chapitre tout entier à la
description de ce qu'il appelle « les
peuples pasteurs ou errants de la Syrie »
particulièrement des Arabes Bédouins
qui parcourent constamment la Judée. On peut
compter environ 30,000 Turkmans dans le pachalik
d'Alep et celui de Damas ; tous leurs biens
consistent en bestiaux. Dans le même pachalik
on estime que cette peuplade dépasse 20
mille tentes, c'est-à-dire 120 mille hommes
armés.
Les Kourdes passent presque partout pour des
brigands ; comme les Turkmans ils sont pasteurs et vagabonds
(72).
Un troisième peuple errant dans la Syrie
sont les Arabes Bédouins
(73). « Souvent
il arrive que
des individus, devenus voleurs pour se
soustraire aux lois ou à
la tyrannie, se réunissent et forment de
petits camps qui se maintiennent à main
armée, et deviennent, en se multipliant, de
nouvelles hordes ou de nouvelles tribus.
On peut donc dire que dans les terrains cultivables
la vie errante n'a pour cause que la
dépravation du gouvernement ; et tout
indique que la vie sédentaire et
cultivatrice est celle à laquelle les hommes
sont le plus naturellement portés
(74).
On sent
qu'un tel pays ne peut avoir qu'une agriculture
précaire, et que, sous un régime
comme celui des Turcs, il est plus sûr de
vivre errant que laboureur sédentaire
(75).
Les Turkmans, les Kourdes et les Bédouins
n'ont pas de demeures fixes, mais ils errent sans
cesse avec leurs tentes et leurs troupeaux dans
l'étendue restreinte des districts dont ils
se regardent comme les propriétaires.
Les Arabes campent sur toute la frontière de
la Syrie et même dans les plaines de la
Palestine
(76).
Ainsi, contrairement à leur inclination
naturelle, les paysans sont souvent forcés
d'abandonner leurs demeures fixes, et beaucoup de
tribus de pasteurs sans habitations se partagent le
pays par consentement mutuel, pour ainsi dire, et
se le divisent en districts par une espèce
de droit de propriété qu'elles se
sont arrogé. Les Arabes, subdivisés
à leur tour en différentes peuplades,
parcourent les plaines de la Palestine, et, par
leurs courses interminables, semblent vouloir la
fouler aux pieds.
Quel état de choses aurait pu paraître
plus improbable ou moins naturel ! et
cependant en est-il un plus littéralement
vrai ! et l'effet de la prédiction
pouvait-il être plus frappant !
« Plusieurs pasteurs ont
gâté ma vigne ; ils ont
foulé mon
partage ! »
« Vous serez comme un verger qui n'a
point d'eau
(77).
Jusqu'à quand la terre sera-t-elle dans le
deuil, et l'herbe de tous les champs
séchera-t-elle à cause de la malice
de ses habitants
(78) ? »
Dans les pays chauds, partout où il y a de
l'eau, on peut entretenir la
végétation dans un travail
perpétuel (79) et
faire succéder sans
relâche des fruits aux fleurs et des fleurs
aux fruits. On trouve par toute la Judée des
restes de citernes ou réservoirs pour l'eau
de pluie, et on remarque encore des traces de
canaux au moyen desquels on arrosait les
champs. De ce travail résultait
nécessairement une prodigieuse
fertilité, sous un soleil ardent, là
où il ne fallait qu'un peu d'eau pour
activer la végétation
(80).
À fort peu d'exceptions près, ce
travail est maintenant inconnu. La Judée est
un verger qui n'a point d'eau, et l'herbe de tous
les champs est desséchée.
« L'on n'y voit point ces riants tapis
d'herbes et de fleurs qu'étalent les
prairies de la Normandie et de la Flandre, ni ces
massifs de beaux arbres qui donnent tant de vie et
de richesse aux paysages de la Bourgogne et de la
Bretagne ; la terre en Syrie a presque
toujours un aspect poudreux
(81). »
Toute la montagne, près de Tibériade,
est couverte d'herbe desséchée
(82).
« Peut-être, si la main de l'homme
n'eût ravagé ces campagnes,
seraient-elles ombragées de
forêts ; si donc il arrive que les
produits ne répondent pas à ses
moyens, c'est moins à son état
physique qu'à son régime politique
qu'il en faut reporter la cause
(83). »
« Les forteresses seront autant de
cavernes à toujours ».
« À chaque pas l'on y rencontre
des ruines de tours, de donjons,
de châteaux avec des fossés ; ils
sont abandonnés aux chacals, aux hiboux et
aux scorpions »
(84).
« La ville forte sera
désolée, la maison de plaisance sera
abandonnée. »
Il y a un nombre prodigieux de ruines
dispersées sur les plaines, et jusque dans
les montagnes maintenant désertes
(85).
« Le veau y paîtra et y
gîtera, et broutera les branches qui y
seront ; les troupeaux y paîtront ;
les agneaux paîtront à leur
ordinaire ; et les étrangers mangeront
les déserts où le bétail
devenait gras ».
Josèphe, en parlant de la Galilée
dont il était gouverneur, dit :
« Elle est pleine de plantations de
toutes sortes d'arbres ; le sol est
universellement riche et fertile, et tout le pays,
sans en excepter la moindre partie, est
soigneusement cultivé par ses
habitants : de plus, ajoute-t-il, les villes
sont en grand nombre, et il y a beaucoup de
villages où le sol est si riche et les
habitants si nombreux que la population du moindre
d'entre eux est de plus de 15,000 âmes
(86). »
Telle était la Galilée au
commencement de l'ère chrétienne,
plusieurs siècles après cette
prophétie. Mais maintenant la plaine
d'Esdraélon et toutes les autres parties de
la Galilée qui offrent des pâtures
sont occupées par des tribus arabes, et
autour de leurs tentes grisâtres les moutons
et les agneaux dansent au son du cor qui le
soir leur fait entendre le rappel
(87). Le
veau
se couche et se nourrit parmi les ruines des
villes ; il dévore sans obstacle les
branches des arbres ; quelque changé
que soit l'état des habitants, les agneaux
paissent à leur ordinaire, et tandis que la
terre est désolée,
et que les joyeux de coeur gémissent, eux
ils sautent au son des instruments.
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