ALEXANDRE OCTAVIEN DE MÉDICIS, appelé le cardinal de Florence, fut élu pape le 1er avril 1605, et prit le nom de Léon, à cause de son parent, premier pape de sa famille. Il mourut âgé de 70 ans le 27 du même mois, sans laisser rien de remarquable à dire qui ait rapport au sujet que nous traitons.
CAMILLE BORGHÈSE, né à Rome, cardinal de Saint-Chrisogone, fut
élu pape le 16 mai 1605, prit le nom de Paul V, et mourut le 21
janvier 1621.
Nous allons rapporter quelques circonstances particulières sur son
élection.
Le cardinal de Régio, Dominique Tuschi, était déjà élu pape par
quarante quatre cardinaux, et on le portait à la chapelle Sixtine pour
le saluer ; ce que plusieurs cardinaux avaient même fait en
particulier. Le cardinal Baronio excita quelque mouvement en criant de
ne pas publier cette élection qui pourrait être préjudiciable, parce
qu'elle était l'effet des intrigues du parti espagnol. D'autres
demandent alors qu'il soit procédé à une nouvelle élection, et qu'elle
se porte sur le cardinal Baronio. Tous rentrent dans le
conclave ; les votants s'en rapportent aux cardinaux Aldobrandini
et Montalte, et ceux-ci élisent Camille Borghèse.
Que les Romains viennent maintenant nous dire que le Saint-Esprit
dirige les suffrages et inspire les élections !
Il suivit parfaitement les maximes du népotisme, car il enrichit ses
neveux, en leur abandonnant le gouvernement, et en plaçant tous ses
parents dans un rang élevé. Dans toutes ses affaires, il se laissa
entraîner par les passions humaines.
À peine parvenu à la papauté, il excita des guerres spirituelles, et
prépara l'orage contre la république de Venise, parce qu'elle avait
promulgué des lois justes pour arrêter les acquisitions excessives que
le clergé ne cessait de faire, et pour réprimer d'autres abus très
préjudiciables à l'état.
On écrivit beaucoup pour et contre : Paul excommunia le doge, les
sénateurs et tous les conseillers, et ordonna de mettre les Églises en
interdit. Les Romains ne voulaient pas voir que le temps était passé
de tenir compte de censures qui n'avaient plus de valeur, nées de
l'intérêt et des passions humaines. La guerre était déjà
préparée ; l'issue en aurait été funeste pour le souverain de
Rome, et les Vénitiens menaçaient secrètement de se séparer de
l'obéissance pontificale. Paul dut céder enfin, et laissa une leçon à
ses successeurs. Les événements qui s'étaient passés pendant le siècle
précédent en Allemagne, par suite de la rigueur avec laquelle on avait
traité les princes de Saxe et d'autres, en abusant des censures,
produisirent du moins le bon effet de rendre
les papes plus circonspects, et de les engager à laisser tranquilles
les souverains, sans leur donner des occasions de schisme.
Parmi la quantité de livres qu'on écrivit du côté de la république de
Venise, celui de Fra Paolo Sarpi surtout, ne laissa rien à dire pour
convaincre les papes qu'ils n'avaient pas le droit de se mêler des
affaires temporelles des empires, des royaumes et des républiques,
sans déroger à l'esprit de Jésus-Christ, de Saint-Pierre et des saints
papes des premiers siècles de l'Église. Mais, ni Paul V, ni le reste
des Romains, n'étaient en état de se laisser convertir à cet égard. Au
contraire, Paul excita en Allemagne des guerres sanglantes entre les
princes confédérés, sous le titre de Ligue catholique, et les
autres princes qui protégeaient les protestants et qui avaient formé
une autre ligue sons la dénomination d'Évangélique. On peut
être assuré que de là vint le régicide exécuté sur la personne d'Henri
IV, roi de France ; car Ravaillac projeta son crime lorsqu'il
entendit dire que ce monarque voulait favoriser la ligue Évangélique.
La plus grande preuve que Paul ne se désistait pas du système romain,
c'est qu'il condamna et prohiba tous les livres écrits, soit à Venise
ou ailleurs, contre ses propres abus et son tribunal pontifical, tels
que l'histoire de France du président de Thou, le mémoire d'Arnaud
contre les jésuites, le décret du parlement contre
le régicide Chatel, et beaucoup d'autres ouvrages d'un mérite
distingué. Nous ne devons pas nous en étonner en voyant ce que ses
flatteurs cherchèrent à lui faire croire ; puisqu'il permit que,
dans divers livres imprimés à Rome, à Bologne et à Naples, on le
traitât de vice-Dieu, de monarque très invincible de la
république chrétienne, de très ferme gardien de la toute
puissance-pontificale, qu'on lui appliquât ce que Jérémie avait
dit par allusion du seul roi de Babylone : « Le peuple et le
royaume qui ne te seront pas soumis, mourront par la faim, la guerre
et la peste » ; et ce que Daniel avait prédit seulement pour
le Messie : « Dieu lui a donné la puissance et le royaume,
et toutes les nations lui obéiront ; sa puissance sera éternelle,
et son royaume ne sera pas corrompu. » Ainsi que l'autre texte
d'Isaïe : « Les rois fourniront tes subsistances et les
reines seront tes nourrices. Les unes et les autres se prosterneront
devant toi et baiseront la poussière de tes pas. »
ALEXANDRE LUDOVICI, né à Bologne, cardinal archevêque de sa
patrie, fut élu pape le 9 février 1621, à l'âge de 67 ans. Il prit le
nom de Grégoire, et mourut le 8 juillet 1623, après deux ans et cinq
mois de pontificat.
II suivit les mêmes maximes que ses prédécesseurs, et porta le
népotisme à l'excès. Non content de combler ses parents de revenus,
d'honneurs et de dignités, aussitôt qu'il fut pape, il nomma cardinal
son principal neveu, Louis Ludovici, et lui confia l'entière direction
du pontificat, en lui recommandant d'accumuler des richesses, dans le
cas où il viendrait à mourir promptement comme Léon XI.
Le neveu s'en acquitta si bien au gré de l'oncle, qu'il s'empara de
tout le trésor pontifical ; de sorte qu'en deux années, il
possédait, à la mort de l'oncle, deux cent cinquante mille écus
de rente annuelle en biens fonds, outre un grand nombre de palais et
de maisons de campagne.
Grégoire persuada l'électeur de Bavière de lui remettre, pour sa
bibliothèque du Vatican, tous les manuscrits de l'électeur palatin,
provenant des monastères supprimés par les Protestants, en disant
qu'ils lui appartenaient par la mort civile des moines. Quels beaux
principes de jurisprudence et de morale !
Il excita et favorisa la guerre de l'empereur contre les protestants,
et il prétendit que le duc de Savoie leur enlevât la ville de Genève
et les passât tous au fil de l'épée. Il sollicita aussi le roi de
France Louis XIII d'en faire autant, à ceux de son royaume, abusant
des textes de l'Écriture Sainte, pour lui persuader qu'il ne devait
pas accomplir le traité de son père Henri IV qui avait accordé aux
Protestants quelques villes pour leur sûreté.
Si ce n'était pas une chose avérée, une telle réunion de maximes
sanguinaires, si opposées à la doctrine de l'Évangile, paraîtrait
incroyable dans un souverain pontife qui se glorifiait d'être le
conservateur et le défenseur de l'Évangile même.
MAFÉE BARBERINI, de Florence, cardinal archevêque de Nazareth,
fut élu pape le 6 août 1623, sous le nom d'Urbain, et mourut le 29
juillet 1644.
Son élection fut précédée d'événements déplorables ; Rome se
partagea en factions pour manifester sa volonté. Les meurtres se
multiplièrent dans les rues et les places publiques, ainsi que les
vols et les violences qui accompagnent, pour l'ordinaire, les
commotions populaires. Les cardinaux. étaient aussi divisés : les
uns voulaient le cardinal Missini, les autres Boromée : les
Français, les Vénitiens et les Savoyards voulaient Barberini, parce
qu'il était mal affectionné à l'Espagne. C'est d'après cela que l'on
peut soupçonner, avec quelque fondement, que l'on avait mis du poison
dans les mets et dans la boisson des membres du conclave, car,
il mourut dix cardinaux, quelques évêques et des abbés qui y étaient
renfermés, et beaucoup d'autres furent dangereusement malades. Alors
Barberini fut élu d'une manière presque subite ; on dit, à cette
occasion (je ne sais pourquoi) qu'on avait vu voler un essaim
d'abeilles vers le Musée du cardinal, et on remarque qu'il avait pour
devise des abeilles dans son écusson.
Le lendemain, on vit sur la statue de Pasquin l'écusson du
nouveau pape parsemé d'abeilles et au bas ce vers d'un partisan
Français :
« Gallii mella dabunt, Hispanis spicula figent »
Ce qui signifie : « Ces abeilles donneront du miel » au Français, et leurs aiguillons perceront les Espagnols. » Il s'ensuivit que le lendemain on mit, sur la même statue, au bas de l'emblème des abeilles, cet autre vers d'un partisan de l'Espagne :
Spicula si figent, emorietur apes.
« Si l'abeille cloue son aiguillon, elle mourra. »
Le jour suivant on trouva encore sur la statue, avec les abeilles, ce distique d'un partisan du nouveau pape.
« Mella dabunt cunctis, et nulli spicula figent,
Figere namque nescit princeps apum. »
Avec cela, le public resta satisfait : car ces deux, vers
signifient que « les abeilles d'Urbain VIII donneront du miel à
tous, et ne perceront personne avec leur aiguillon, parce que la reine
des abeilles ne sait pas faire de mal. »
Il n'en arriva pourtant pas ainsi, puisqu'Urbain fut toujours
contraire à Philippe IV d'Espagne, dans toutes les affaires politiques
qui se présentèrent sous son pontificat, et il le chagrina de mille
manières ; il le força quatre fois de changer son ambassadeur à
Rome, en se plaignant de sa conduite : cependant, il ne faisait
que présenter, avec beaucoup d'égards, les plaintes de son
souverain ; mais son crime était de ne pas se laisser séduire par
les intrigues de Rome.
Lors de la révolte des Catalans et des Portugais, il favorisa
indirectement les premiers, parle moyen du roi de France, et les
seconds, en refusant les bulles de confirmation des évêques que
présentait Philippe. Les choses en vinrent au point que le bruit se
répandit qu'on avait cherché à empoisonner Urbain, de la part du
gouvernement Espagnol, et ce fut un des chefs d'accusation qu'on
présenta au roi contre le comte duc d'Olivarès, lorsqu'il eut perdu le
ministère et sa faveur.
À l'égard du népotisme, Urbain surpassa tous ses prédécesseurs, et ses
soins continuels furent d'enrichir ses parents et de les élever en
dignités. Il donna des chapeaux de cardinal à son frère Antoine,
capucin, et à ses deux neveux François et Antoine : des
archevêchés et des évêchés à des enfants à la mamelle, et des abbayes
à ceux qui n'étaient pas encore engendrés, en s'engageant dans les
conventions matrimoniales de la nièce, à conférer les abbayes qui
seraient vacantes à la naissance du premier enfant, II nomma son frère
Tadée capitaine général de l'Église, prince, duc, marquis, comte,
baron et seigneur d'un grand nombre de communes. Le dernier prince de
la maison de Révère, qui était descendant du Pape Sixte IV, laissa
beaucoup d'états et de titres à la disposition de l'Église Romaine, et
Urbain les donna à Tadée.
Il voulut faire la guerre à Édouard Farnèse, et le dépouiller du duché
de Parme et Plaisance, pour le donner aussi à Tadée ; mais le duc
sut se maintenir par la protection de l'Espagne, et parvint à se faire
redouter.
Urbain tenta de faire révolter Naples contre Philippe IV, pour y
couronner son frère, mais il ne put y réussir. Enfin, il chercha à
rendre le pontificat héréditaire dans sa famille, en traitant avec les
cardinaux pour qu'ils donnassent leurs suffrages à son neveu le
cardinal François : il leur offrit à chacun une ville des états
pontificaux en souveraineté usufruitière et honorifique, sur leur tête
et sur celle d'un neveu ou d'un parent qu'ils désigneraient ;
mais il ne put réunir les suffrages nécessaires. Alors il se borna à
les enrichir, et il le fit à un degré scandaleux. Il est facile
de concevoir combien on commettait d'injustice dans la distribution
des revenus ecclésiastiques, au préjudice de ceux qui avaient droit de
les obtenir. Beaucoup de faits particuliers démontrent les désordres
extrêmes du gouvernement sous la direction des neveux. On peut en voir
de fort plaisants dans l'ouvrage Italien imprimé en 1667, sous le
titre du Népotisme de Rome. Il Nepotismo di Roma.
Urbain détermina le jésuite Santarella et quelques autres à écrire
pour prouver que les papes ont le pouvoir de détrôner les rois et de
donner leurs royaumes à ceux qui ont bien mérité de l'Église, non
seulement dans le cas d'hérésie, mais même pour tout autre manque
d'obéissance et de soumission aux ordres du souverain pontife. Cette
entreprise était inutile, puisque l'expérience avait déjà prouvé
qu'une telle doctrine était méprisée dans la pratique.
D'un autre côté, un jésuite de Madrid, confesseur du comte duc
d'Olivarès, écrivit, sous un nom supposé, contre Santarella, afin de
prouver que tout pouvoir pontifical dans les affaires temporelles et
contre des laïques était nul, et devait être regardé comme une
usurpation ; que, même dans le spirituel, ce pouvoir ne
s'étendait pas au-delà de l'évêché de Rome, que le pape était
inférieur au concile, et que les censures de la bulle in cena
domini étaient également nulles et méprisables.
Galilée fut condamné comme hérétique, parce ce qu'il avait annoncé des
vérités connues maintenant de tous les astronomes, des bons physiciens
et des Romains eux-mêmes : telle que celle qui démontre que le
soleil est le centre du système solaire, et qu'il ne tourne pas comme
on le croit vulgairement ; qu'il reste immobile dans son orbite,
et que la terre est une planète qui tourne autour du soleil.
Urbain laissa sans décision les controverses sur la grâce et sur le
libre arbitre : sujet éternel de dispute entre les jésuites et
les dominicains, et source de haines dissimulées sous le voile de
l'hypocrisie. Il en fut de même de la querelle des Dominicains et des
Franciscains, sur la question de savoir si Marie, mère de
Jésus-Christ, fui exempte ou non du péché originel, dès le premier
instant de son être : chose que personne ne peut vérifier.
JEAN-BAPTISTE PAMPHILI, né à Rome, cardinal, fut fait pape le
15 septembre 1644, sous le nom d'Innocent, à l'âge de soixante-douze
ans, et mourut dans la nuit du 6 au 7 janvier 1655.
Tout son pontificat fut un scandale continuel, par les dispositions
despotiques du gouvernement laissé dans les mains d'Olimpie
Maldachini, sa belle-soeur.
L'abbé Gualdi, domicilié alors à Rome, écrivit l'histoire et la vie de
cette matrone : il dit que le cardinal Pamphili, longtemps avant
son élévation au trône pontifical, vivait avec sa belle-soeur, dans
une amitié si intime que tout le monde soupçonnait que la bonne
conduite extérieure du cardinal était l'effet des conseils de la dame
intrigante, afin de lui procurer le pontificat qu'il parvint à
obtenir.
Mais à peine Innocent fût-il nommé pape, qu'il déposa le masque. Il
crut, sans doute, qu'à l'âge de soixante-douze ans,
personne ne pouvait mal interpréter ses familiarités avec elle, et il
la rendit si scandaleusement maîtresse de toutes les affaires
ecclésiastiques, qu'il la faisait assister aux consistoires, aux
réceptions d'ambassadeurs, et aux autres audiences de ce genre. Pour
la décence, elle était cachée par un rideau, derrière le trône
papal ; mais tous savaient qu'elle écoutait les propositions et
les conférences, auxquelles elle prenait quelquefois part. Tout le
monde appréciera un tel abus.
Les ambassadeurs des princes chrétiens, qui avaient quelques
prétentions à Rome, ne faisait aucun cas du pape, ni même des
cardinaux neveux, à cause de leur jeunesse ; l'opinion de
quelques écrivains est qu'ils étaient plutôt fils du pape que de son
frère. Ils s'adressaient de préférence à leur mère, et les présents
étaient proportionnés à l'importance des affaires. C'était elle qui
vendait les chapeaux de cardinal, les patriarcats, les archevêchés,
les évêchés et les autres dignités ou bénéfices ecclésiastiques, au
plus offrant : par ce moyen, elle parvint à amasser plusieurs
millions d'écus romains, sans compter ce que ses fils recevaient
séparément pour s'intéresser auprès de leur mère.
Unie avec les cardinaux Barberini, ses anciens ennemis, elle trama,
d'accord avec le pape, une conspiration pour faire soulever le royaume
de Naples contre Philippe IV d'Espagne, dans le
dessein de faire de tout son territoire diverses principautés,
relevant immédiatement du Saint-Siège, et de les repartir entre les
membres des deux familles Pamphili et Barberini. Le cardinal Artali,
neveu adoptif du pape, révéla le secret à la cour d'Espagne, et le
projet s'évanouit ; mais Innocent révoqua l'adoption d'Artali,
lui défendit de s'appeler Pamphili, l'exila de Rome, et lui imposa de
grandes pénitences.
Le vénérable Jean de Palafox, évêque de la Puebla des Anges, ensuite
archevêque et vice-roi du Mexique, écrivit au pape pour lui faire
connaître les excès des jésuites en Amérique, et le tort que cela
faisait à la religion catholique ; mais il ne se conforma pas au
moyen facile qu'il avait de vaincre, en envoyant à Olimpie les trésors
du Mexique. Aussi, l'affaire resta dans le même état, et le mal
s'accrut de jour en jour.
En 1648, se conclut le fameux traité de Westphalie, qui a servi de
règle, quant aux maximes du droit des gens, pour les traités
diplomatiques, conclus postérieurement en Europe ; preuve qu'il
avait été sage et bien médité. Cependant, Innocent le désapprouva, et
le condamna comme nul, injuste, illicite, contraire à la religion, et
offensant les droits de l'Église et du pape. L'empereur et les princes
d'Allemagne, les rois d'Espagne, de France, d'Angleterre et les autres
puissances méprisèrent la bulle de condamnation,
comme elle le méritait, et le traité resta inébranlable. Sur quoi se
fondaient les plaintes du pape ? Sur ce que l'on avait accordé
certains avantages et quelques prérogatives aux électeurs protestants
et à leurs territoires, relativement à la liberté du culte et à la
propriété de temples et de biens.
Jamais les papes n'ont voulu admettre la vérité lumineuse, qu'ils
n'ont d'autre droit que celui de se mêler du dogme, de la morale, et
de la discipline universelle, comme les douze premiers papes ;
mais que tout ce qu'on a toléré dans leurs successeurs est une
usurpation.
FABIO GHIGI, né à Sienne, cardinal romain, fut élu pape le 7
avril 1655, sous le nom d'Alexandre, et mourut le 22 mai 1667.
Son élection fut le résultat d'innombrables intrigues des cardinaux,
partagés en trois factions, dont une voulait un pontife affectionné à
la maison d'Autriche ; l'autre, à la maison de France ; et
la troisième, un cardinal de la création d'Innocent X ; enfin,
les deux dernières se réunirent par l'ordre du premier ministre de
France, le cardinal Mazarin, et Alexandre fut élu.
Ainsi Mazarin, athée presque reconnu, fut l'esprit qui inspira le
conclave.
Alexandre, profitant de ce qu'il avait observé à Rome et ailleurs, sur
les murmures de l'opinion publique contre son prédécesseur, jura de ne
pas recevoir ses parents dans Rome. Son frère Mario s'étant mis
en chemin pour s'y rendre, aussitôt qu'il eut appris son élection,
reçut l'ordre de ne pas aller plus loin, et de
retourner à Sienne. On vit alors Pasquin avec un papier, sur lequel
Alexandre était peint descendant du ciel ; au-dessous étaient
écrits ces mots du symbole, descendit de caelis.
Le jésuite Palavicino imprimait, dans ce temps, son histoire du
concile de Trente, pour combattre celle qui avait été publiée par le servite
fra Paoto Sarpi. Il y avait inséré mille flatteries adressées
au pape, dans l'espoir de conquérir le chapeau de cardinal, qu'il
obtint en effet. Ce qu'il y avait de plus remarquable dans toutes ces
flagorneries était le plus grand éloge de son désistement du
népotisme.
Néanmoins Alexandre vent changer de système, en appelant à Rome son
frère, sa belle-soeur, avec trois fils et une fille, deux autres
neveux, fils d'un autre frère défunt, et deux d'une soeur. Il consulte
auparavant son confesseur Palavicino sur le serment qu'il a fait, et
le très bénin jésuite lui dit qu'il y avait à cela des accommodements,
parce qu'il avait juré de ne pas recevoir ses parents dans Rome, et
que sa promesse se trouverait accomplie, s'il allait au - devant d'eux
à une ou deux journées, et s'il les recevait hors de Rome.
Peut-on trouver une théologie morale plus commode ? Le
jésuite aurait-il trouvé dans le confessionnal une interprétation
aussi favorable pour un pauvre malheureux ?
Le pape se rendit à l'avis de son confesseur. Palavicino arracha plus
de vingt feuilles d'impression de son histoire, et
les réimprima après en avoir supprimé les clauses qui regardaient le
népotisme. Pasquin présenta aux Romains le portrait d'Alexandre peint
dans le voyage, et ayant au bas les paroles du symbole, qui suivent
celles de la première pasquinade, et incarnatus est.
Pour flatter le pontife, on célébra des fêtes, et on éleva des arcs de
triomphe pour l'entrée des parents : on mit sur l'un d'eux les
paroles suivantes d'un psaume : Orietur in, diebus nostris
justitia et abundantia pacis. Mais il se trouva un audacieux,
qui, pendant la nuit, mit un m au commencement de l'éloge, et
substitua un n au c du dernier mot.
On lut donc le lendemain le contraire de l'éloge : Morietur
in diebus nostris justitia et abundantia panis. Le plus grand
mal fut que la prophétie se réalisa ; on ne peut lire, sans être
scandalisé, ce qu'écrivit alors, du vivant même d'Alexandre, l'auteur
de l'ouvrage déjà cité il nepotismo di Roma, imprimé en
Italien, en 1668, en deux volumes in-12.
Ce pape fomenta les dissensions et les guerres intestines des
catholiques entre eux, en expédiant les bulles que demandèrent les
jésuites contre les cinq propositions attribuées à Jansénius, évêque
d'Ypres. Il entreprit de favoriser leur parti, seulement parce qu'ils
défendaient l'opinion de l'infaillibilité du pape, même hors du
concile général oecuménique, lorsqu'il décide ex
cathedra, c'est-à-dire, comme chef de l'Église, non seulement
dans les clauses douteuses en droit, mais même en fait. Sans doute, le
bon Alexandre ignorait que les jésuites pratiquaient en Espagne la
doctrine contraire, dans une condamnation de la même espèce, pour les
propositions du jésuite Jean-Baptiste Poza ; car Urbain VIII ne
put obtenir obéissance et soumission à ses bulles de condamnation, les
jésuites Espagnols se moquant sous différents prétextes des décisions
pontificales.
L'orgueil romain suggéra au pape Alexandre de refuser au roi de France
Louis XIV la satisfaction qui lui était due, pour une insulte faite à
l'ambassadeur de France par des soldats Corses de la garde papale. Il
fit jouer tous les ressorts, dans les cours des princes catholiques de
l'Europe, pour les engager à soutenir sa vanité. Tous sentirent que la
chose leur était commune, et Louis XIV prépara son armée pour venger
l'injure et conquérir le respect dû aux souverains. Alors Alexandre
abaissa son orgueil, et envoya à Paris un légat pour demander pardon.
Si les souverains catholiques étaient tous éclairés sur leurs vrais
intérêts, ils ne permettraient pas qu'un pape eût plus de cour que les
douze premiers successeurs de Saint-Pierre : on verrait cesser
cette multitude d'intrigues romaines dans les affaires temporelles. À
la mort d'Alexandre, le peuple romain manifesta sa haine en
poursuivant ses parents, et pillant leurs palais.
JULES ROSPIGLOSI, né à Pistoye, cardinal du titre de
Saint-Sixte, fut élu pape le 20 juin 1667, sous le nom de Clément IX,
et mourut le 9 décembre 1669, à l'âge de soixante-quatorze ans.
Il fut bon, et tâcha de concilier les théologiens, divisés en factions
sur le jansénisme et le molinisme : s'il ne put y réussir
entièrement, il obtint du moins la tranquillité extérieure au moyen
d'un bref du 28 septembre 1667, sur le formulaire de
conformité avec la bulle de condamnation des cinq propositions
attribuées à Jansénius.
JEAN-BAPTISTE-ÉMILE ALTIERI, né à Rome, cardinal, âgé de
quatre-vingts ans, fut élu pape le 39 août 1670, après huit mois de
vacance du Saint-Siège, parce qu'on n'avait pu réunir sur une tête les
deux tiers des électeurs.
Il existait six factions : le parti espagnol, le parti français,
ceux des Barberini, des Ghiggi, des Rospigliosi, et la sixième, qu'on
nommait volante, composée des dissidents.
Sans doute que l'Esprit-Saint laissait agir les causes secondes,
puisqu'après tant de débats, les cardinaux ne purent s'accorder que
pour nommer un vieillard caduc, afin de laisser bientôt le siège
encore vacant, et de leur abandonner jusque-là le gouvernement, s'il
voulait conserver la vie. Il suivit si bien les maximes du népotisme,
qu'à défaut de neveux, il en adopta un à qui il donna le nom
d'Altieri, et le nomma cardinal Altieri. Comme il lui
abandonnait les rênes du gouvernement, les Romains disaient qu'ils
avaient deux papes : un, purement nominal, et l'autre vrai pape
sans en avoir le nom. L'histoire des pontifes précédents m'évite de
répéter les désordres particuliers de Clément X, qui mourut le 22
juillet 1676.
BENOÎT ODESCALCHI, né à Côme, dans le Milanais, cardinal évêque
de Novarre, fut élu pape le 21 septembre 1676, prit le nom d'Innocent
XI, et mourut le 13 août 1689.
il reconnut les inconvénients du népotisme, et défendit à son neveu
Libio Odescalchi de prendre aucune part au gouvernement, ou même de
recevoir aucune visite politique sous le titre de neveu du pape. Le
peuple de Rome sut si bien apprécier la conduite d Innocent à cet
égard, que c'en fut assez au moment de sa mort,
pour le croire un saint, et pour enlever et se partager quelques-unes
des choses qui avaient touché son corps. On peut induire de là combien
les Romains étaient scandalisés de la conduite des papes qui avaient
suivi le système du népotisme.
Sous le règne d'Innocent, l'assemblée du clergé de France approuva les
quatre propositions publiées par l'université de Paris en l'année
1682, lesquelles se réduisent à déclarer que ni le pape, ni l'Église
n'ont de pouvoir dans les affaires temporelles ; qu'ils ne
peuvent déposer les rois et de délier leurs sujets du serment
d'obéissance qu'ils ont prêté ; que le concile général
oecuménique est supérieur au pape, selon la décision du concile de
Constance, sans que cette doctrine puisse être bornée aux occasions de
schisme, puisqu'elle est applicable à tous les temps ; que
l'exercice de la puissance pontificale est limité par les canons et
les conciles généraux, et sans préjudicier aux droits des nations, ni
à ceux de leurs souverains ; que le pape a la première et la plus
grande part dans les choses qui regardent la foi, mais qu'il n'est pas
infaillible dans ses décisions, sans le concours de l'autorité de
l'Église assemblée.
Les Romains furent très fâchés de cette déclaration, et voulurent la
condamner. L'évêque Bossuet la soutint, et, quoi qu'aient pu faire les
papes depuis, il n'y a en Europe aucun canoniste, aucun théologien
distingué, qui ne reconnaisse la vérité des propositions de l'Église
gallicane.
Innocent eut aussi quelques différends avec la cour de France, sur les
prééminences des ambassadeurs, qui avaient été supprimées par une
bulle du 12 mai 1687. L'ambassadeur de France en appela au futur
concile, et célébra l'office de Noël dans sa chapelle de Saint-Louis.
Le pape mit l'interdit sur cette église, et mourut sans terminer cette
dispute.
N'est-il pas à regretter que des gens de bien, tels que ce pape, se
laissent entraîner aux suggestions des méchants, parce que ceux-ci ont
plus de ruse ?
PIERRE OTTOBONI, né à Venise, cardinal évêque de Frascati, fut
élu pape le 6 octobre 1689, sous le nom d'Alexandre, à l'âge de
soixante-dix-neuf ans.
Mes lecteurs doivent avoir présent à l'esprit le double objet que se
proposent les cardinaux dans ces élections, en choisissant des
vieillards incapables de travailler par eux-mêmes, ou exposés à mourir
promptement de fatigues et d'inquiétudes.
Ce système est l'esprit véritable qui influe sur leurs suffrages.
C'est en vain qu'ils veulent persuader que l'oeuvre de leurs passions
personnelles est l'oeuvre du Saint-Esprit. Alexandre mourut le 1er
février 1691, après avoir condamné les quatre propositions du clergé
de France, par une bulle qui fut rejetée et condamnée dans ce royaume.
ANTOINE PIGNATELLI, né à Naples, cardinal archevêque de sa
patrie, fut élu pape le 12 juillet 1691, prit le nom d'Innocent, et
mourut le 27 septembre 1700, à l'âge de quatre-vingt-six ans.
Il fut bon et ami de la paix ; il se réconcilia avec le clergé de
France, sans bruit ni scandale : voilà ce que peut la force de
l'opinion. Dans d'autres temps, les archevêques et les évêques
français, auteurs des quatre propositions de l'Église gallicane en
1682, auraient été excommuniés. Innocent sut se contenter d'une explication,
que les Romains veulent appeler rétractation, mais qui est
conçue dans des termes positifs, démontrant en même temps la fermeté
et la constance dans la vérité, et la docilité nécessaire pour céder
quand la paix l'exige.
Innocent expédia une bulle le 28 juillet 1692, pour détruire le
népotisme, ordonnant à tous les cardinaux présents
et à venir de promettre sous serment de se soumettre au contenu de la
bulle, s'ils parvenaient à la papauté. Cela seul suffirait pour
justifier tous les éloges, mais Innocent y joignit le mérite héroïque
de substituer aux neveux les pauvres de Jésus-Christ, pour leur
distribuer une portion du trésor pontifical.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |