JEAN-FRANÇOIS ALBANI, né à Pésaro, cardinal diacre du titre de
Saint-Sylvestre, fut élu pape le 23 novembre 1700, après quarante-cinq
jours de conclave, et mourut le 19 mars 1721.
Il fut élève du cardinal Esfrondati, auteur du célèbre ouvrage
théologique : Nodus praedestinationis dissolutus, et
aussi imbu que son maître de tous les principes jésuitiques. Ainsi,
loin de ramener la tranquillité intérieure dans l'Europe catholique,
il souffla en tous sens le feu de la discorde.
À l'égard du prétendu jansénisme, il lança trois bulles
en 1700, 1718 et 1715, dont l'effet, agréable aux jésuites, rendit
ennemis du pontife tous les savants de l'Europe, qui le regardèrent
comme un tison de discorde. Le vrai moteur de l'expédition de ces
bulles ne fut pas le zèle pour la pureté du dogme, mais l'intérêt de
la cour de Rome, parce que les prétendus jansénistes soutenaient des
opinions conformes à la discipline générale, mais contraires au
despotisme pontifical.
Clément était si imbu des maximes erronées de la cour de Rome, qu'il
publia, le 20 février 1715, une bulle qui supprimait en Sicile le
tribunal appelé la monarchie de Sicile. Sa juridiction était
de décider sans appel de toutes les affaires ecclésiastiques, et son
établissement remontait au 5 juillet 1098, époque où Urbain II avait
accordé à Roger, comte de Sicile, pour lui et ses successeurs, les
facultés de légat pontifical. Le roi de Sicile réclama contre la bulle
de Clément XI, parce que la concession d'Urbain n'avait pas été faite
par une faveur spéciale ; c'était un concordat pour le bien de la
paix, qui produisit de grands avantages au Saint-Siège.
Les souverains ne devraient jamais avoir recours qu'à des moyens de
défense réels, essentiels et sans réplique : un monarque ne doit
laisser aux papes qu'une autorité égale à celle des douze premiers
successeurs de Saint-Pierre, puisque tout le reste est évidemment
usurpé par une tolérance excessive. Clément voulut
aussi faire prévaloir son despotisme en Espagne ; mais Philippe V
eut recours aux vrais moyens de contenir l'orgueil des papes ; il
ordonna de ne s'adresser à Rome pour aucune dépêche, et défendit d'y
faire passer de l'argent, et voulut que les évêques et les ordinaires
fissent usage de leurs facultés innées. Plut à Dieu qu'il n'eût pas
révoqué si promptement ses décrets, d'après l'instigation injuste du
cardinal Judice et des Jésuites.
MICHEL-ANGE CONTI, né à Rome, cardinal évêque de Viterbe, fut
élu pape le 8 mai 1721, sous le nom d'Innocent, et mourut le 7 mai
1724.
Lorsqu'il était question de le faire pape, il promit de remédier au
mal qu'avaient causé les bulles de Clément XI, et de couper la source
des discordes qui chaque jour devenaient plus déplorables
entre les molinistes et les jansénistes ; mais ensuite il n'en
fit rien, et laissa les choses en aussi mauvais état qu'il les avait
trouvées. Il fut d'autant moins excusable, qu'il reconnût à fond la
malice des Jésuites ; car il sut, à n'en pouvoir douter, que les
rites idolâtres de la Chine, condamnés en 1715, par son prédécesseur,
étaient tolérés et même approuvés par les missionnaires jésuites,
résidant dans ce vaste empire. Cette conduite était autorisée par le
général et ses assistants, qui demeuraient à Rome, et dont l'unique
mobile était de ne pas perdre les trésors immenses qui leur arrivaient
par mer de ces régions éloignées.
Innocent fut si bien informé de tout cela, qu'il projeta d'éteindre
l'ordre des Jésuites, et il commença par leur interdire de recevoir
des novices. Pendant qu'il se disposait à les supprimer, il mourut,
non pas sans soupçon qu'il avait été empoisonné par suite de trames
secrètes des Jésuites.
PIERRE-FRANÇOIS DE ORSINI, fils du duc de Gravina, religieux
dominicain, cardinal archevêque de Bénevent, fut élu pape le 29 mai
1724, sous le nom de Benoît, à l'âge de 75 ans.
Il voulut publier une bulle contenant douze articles relatifs aux
disputes sur la grâce et la prédestination, pour tâcher de pacifier
les partis des molinistes et des jansénistes. Les Jésuites firent
tant, par leurs intrigues, qu'ils gagnèrent la majorité des suffrages
des cardinaux, afin d'empêcher la publication de cette bulle. Ils
n'ignoraient pas le moyen de négocier avec les cardinaux, en se
servant à propos des trésors de la Chine et de l'Amérique. Cependant
Benoît publia de lui-même un bref adressé aux moines dominicains, pour
les exhorter à soutenir vigoureusement la doctrine de la
prédestination et de la grâce efficace, comme dogmes incontestables et
certains de Saint-Augustin et de Saint-Thomas. Il assembla ensuite un
concile à Saint-Jean-de-Latran, en l'année 1725, et, par une intrigue
jésuitique, le secrétaire mit dans un des décrets, (sans le
consentement du concile) que la bulle uni genitus expédiée
par Clément XI, le 8 septembre 1713, fût regardée comme article de
foi. Benoît ne pouvait approuver une supercherie par laquelle on lui
faisait dire tout le contraire de ce que contenait son bref du 6
novembre 1724 ; mais on tâcha de le lui cacher pendant sa
vie ; et la cour pontificale, gagnée par les jésuites, laissa
subsister cette doctrine.
LAURENT CORSINI, né à Rome, cardinal évêque de Frascati, fut
élu pape le 12 juillet 1730, après un conclave de quatre mois et sept
jours.
Combien n'y aura-t-il pas eu de factions et d'intrigues ! Combien
de gens aspirant au pontificat ! Combien de discordes pour
souffrir plus de quatre mois de réclusion !
Enfin, les cardinaux portèrent leur suffrage sur un vieillard de 78
ans. Ce fut Clément XII. Que pouvait faire un octogénaire ?
s'occuper de prolonger ses jours, et laisser aux cardinaux la faculté
de gouverner selon leur fantaisie.
PROSPER LAMBERTINI, né à Bologne, cardinal archevêque de sa
patrie, fut élu pape le 17 août 1740, sous le nom de Benoît, et mourut
le 3 mai 1758.
Il fut très sage et bon, mais il put et dut être encore meilleur. S'il
n'eût pas été si sage, je le disculperais sur certains articles ;
mais il connaissait les vérités de la théologie, les canons,
l'histoire ecclésiastique et politique qui devaient lui servir à
réformer tous les abus de ses prédécesseurs et ceux de la cour de
Rome.
Il savait que le temporel avait été successivement usurpé sur l'empire
d'Occident et sur d'autres souverains ; et l'autorité
ecclésiastique, relative aux réserves, sur les évêques
diocésains ; il savait que les exemptions accordées aux
monastères et aux congrégations régulières, étaient contraires à la
doctrine de Saint-Paul, selon laquelle le Saint-Esprit
recommanda particulièrement tout le troupeau de l'Église à l'évêque
Timothée, et successivement à tous les autres.
Malgré cela, Benoît conserva les réserves et les exemptions, telles
qu'il les avait trouvées. Dans son ouvrage du synode diocésain,
il exalte la puissance pontificale et restreint le pouvoir épiscopal,
en sorte qu'il permet seulement aux évêques, sans la concession du
pape, de conférer les ordres, de confirmer ceux qui ont été
baptisés ; mais, quant aux chapelles particulières, à la
réduction des fondations et à d'autres bagatelles, il veut qu'ils
recourent à Rome, et il laisse ainsi la dignité épiscopale réduite à
un squelette décharné.
Comment le disculperai-je ? Fût-ce par ignorance de la discipline
primitive ? Non, car il la connaissait à fond. Ce ne fut donc que
pour complaire à la cour pontificale, et en cela il ne peut mériter
des éloges.
Je ne puis l'approuver non plus d'avoir lancé l'excommunication contre
les francs-maçons. Il n'est pas croyable qu'il ignorât les
constitutions et les usages des loges. S'il les eût prohibées comme
des réunions dépourvues de tout appui légal ; qu'il les eût
méprisées comme inutiles, absurdes ; que même, sans faire usage
de la censure ecclésiastique, il les eût réprouvées comme
extravagantes, ridicules, je louerais sa sagesse et son bon
sens : mais les anathématiser comme si elles étaientcontraires
à la religion catholique, dont elles ne s'occupent pas, ce fut une
injustice et un défaut de prévoyance. Je ne vois dans ce procédé qu'un
moyen de leur donner plus d'importance qu'elles n'en ont réellement,
et de faire naître chez beaucoup de gens le désir d'être
francs-maçons, par motif de curiosité.
J'ai lu la copie d'une lettre qu'un gentilhomme de Naples , son ancien
ami, lui écrivait après avoir vu la bulle. « Vous m'avez donc
excommunié ? lui disait-il, vous saviez bien que j'étais
franc-maçon depuis plusieurs années. En vérité, je ne puis revenir de
mon étonnement, en voyant vos opinions à ce sujet. Quels sont les
mérites sur lesquels retombe l'excommunication ? Sont-ce les
actes de bienfaisance que l'on exerce du moins par vanité ? vous
excommuniez donc les bonnes oeuvres. Est-ce le ridicule des épreuves
pour l’admission ? alors vous rendez l'excommunication ridicule.
Sont-ce les serments éxécratoires du secret ? vous donnez donc
une grande importance à ce qui n'est qu'une formule.
Révoquez, révoquez votre bulle, et ne faites pas un outrage à votre
talent, à votre sagesse et à votre bonne réputation. Laissez-nous nous
amuser avec ces extravagances, puisque ce n'est qu'une fantaisie qui
n'offense personne, quelle que soit son origine et son objet. »
Je n'ai pas vu la réponse de Benoît XIV ; mais j'ai ouï dire
qu'il rit beaucoup de la lettre de son ami et qu'il
lui répliqua : que par rapport à la place qu'il occupait, il
n'avait pu agir autrement ; mais que cette excommunication ne
devait pas lui inspirer de crainte, car sûrement il ne dessécherait
pas pour cela, comme on prétend qu'il en arrivait autrefois à ceux qui
étaient excommuniés. Si cette réponse est certaine, elle laisse à
penser qu'il avait lancé la bulle pour complaire à quelques cardinaux
imbéciles.
Dans sa conduite envers les souverains, il manifesta du jugement, de
la prudence et une connaissance profonde de l'histoire. Plusieurs
cardinaux voulaient qu'il lançât l'excommunication contre le roi de
Portugal Jean V, parce qu'au mépris des remontrances réitérées qu'on
lui avait faites, il entretenait un commerce scandaleux avec des
religieuses. Benoît s'y refusa constamment dans la crainte que, par
dépit, le roi n'imitât la conduite d'Henri VIII d'Angleterre.
« Exposerai-je, disait-il, pour quelques femmes de mauvaise vie,
tout le royaume à tomber dans le schisme ? Non, certes. Le roi se
lassera, ou Dieu lui enverra une maladie, pour l'amener à se
repentir. »
C'est ce qui arriva ; Jean V fut très longtemps malade et donna
des marques certaines d'un véritable repentir.
L'Espagne doit à la sagesse et aux lumières de Benoît XIV, le grand
avantage de faire les provisions ecclésiastiques à Madrid, sans avoir
besoin d'envoyer de l'argent à Rome. Avant lui,
il sortait d'Espagne, pour cet objet, plus de douze millions de réaux
pour le trésor pontifical. Benoît connaissait si bien ces
inconvénients et ses propres dangers, que les conférences pour le
concordat de l'an 1753, avec le roi Ferdinand VI, furent particulières
entre le souverain pontife et Don Emanuel Bonaventure de Figueroa,
envoyé espagnol, à qui sa sainteté recommanda efficacement de garder
le secret, comme si c'était celui de la confession. Car, disait-il, si
quelque membre de la chancellerie romaine venait à découvrir cette
affaire avant qu'elle fût conclue, ils m'empoisonnerait pour
l'empêcher. Benoît connaissait à fond les gens de sa cour.
Son ouvrage de Festin est un témoignage immortel de saine
critique et de ses connaissances dans l'histoire ecclésiastique. Il y
manifeste ce qu'il y a de vrai à l'égard de l'image de Jésus, qu'on
appelle la Véronique, que dans la suite des siècles on a
convertie en une sainte femme, dont on raconte divers traits de la
vie.
Il en fait de même de l'histoire des Mages qui visitèrent Jésus, que
dans le sixième siècle on nous présenta sous les noms, auparavant
inconnus, de Gaspard, Melchior et Balthazard, desquels on a fait des
rois dans le douzième siècle.
Il traite également de divers points de l'histoire ecclésiastique,
relativement à la liturgie et à la vie des saints. C'est pour cela
qu'il connaissait si bien les contes faits à plaisir contenus dans les
leçons du second nocturne des matines de l'office des saints et
saintes, que je ne lui pardonne pas d'avoir laissé
subsister dans le bréviaire romain tous ceux que l'on y trouve. Il en
est résulté que les moines, dans leurs sermons panégyriques,
continuent à les prêcher au peuple chrétien, comme des vérités
constantes que la sainte mère Église propose à noire croyance, tandis
qu'elle se borne seulement à en permettre la lecture. Il n'a fait en
cela que fomenter le mensonge et la superstition.
Je vois son excuse qui se réduit à la crainte qu'il aurait du danger
de détromper le vulgaire. C'est dommage qu'il n'ait pas eu le courage
d'un Hercule.
À cette occasion, il me semble que je ne dois point passer sous
silence un exemple des contes du bréviaire. Dans les leçons de la
bienheureuse Marianne de Jésus de Madrid ; on raconte qu'elle fit
solennellement profession de religieuse de la merci ; et ce
mensonge est si évident, qu'il n'y avait à Madrid aucun couvent de cet
ordre, quand la béate mourut. Ceux de don Juan de Alarcon et de
Saint-Ferdinand sont bien plus modernes.
La seule chose vraie qu'il y ait en cela, c'est que Marianne demeurait
auprès d'un couvent de moines déchaussés de la merci, connu sous le
nom de Sainte-Barbe, et qu'elle en portait l'habit. S'il est vrai
qu'elle ait fait des voeux, ils ne peuvent avoir été que simples et
non solennels, entre les mains d'un moine son confesseur.
Combien de choses de cette espèce y a-t-il dans le bréviaire ! Il
existe un petit ouvrage français en deux volumes in-12, imprimés en
1698, sous le titre des Moines empruntés, par M. Pierre
Joseph. On y trouve beaucoup de saints que les moines de tous les
ordres se sont appropriés, en les désignant comme des individus de
leurs instituts respectifs, dont ils n'ont jamais fait partie pendant
leur vie.
La congrégation des rites ne permettrait pas ces fraudes, si l'argent
ne rendait pas ses fiscaux et ses juges aussi indulgents. Ces
tromperies font grand tort à la religion, parce que les protestants
ont dans leurs églises des hommes très savants et d'une critique très
fine, qui découvrent et démontrent le mensonge. Ils tirent de là des
armes puissantes pour persuader qu'il en est de même de tous les
récits historiques des miracles, d'après l'ancien proverbe
espagnol : Les miracles du jour m'empêchent de croire à ceux
de ta veille.
Ne vaudrait-il pas mieux empêcher ces fables, ainsi qu'on les
empêchait dans les premiers siècles, malgré le grand nombre des
martyrs ? Celui qui veut voir rassemblés tous les éloges de
Benoît XIV en peu d'articles et tous très véritables, les trouvera
dans l'ouvrage intitulé, l’Art de vérifier les dates.
CHARLES RÉZONICO, né à Venise, cardinal évêque de Padoue, fut
élu pape le 6 juillet 1758, prit le nom de Clément, et mourut le 2
février 1769.
Son pontificat a laissé la preuve du mal que peuvent faire les
préjugés joints à l'intérêt. Clément XIII (si nous ne faisions
attention qu'à sa conduite personnelle) était un homme juste ;
mais ses affections particulières et son ignorance de la force de
l'opinion publique, le perdirent. Il était partisan aveugle et
passionné des Jésuites, et, cependant, parvenu à la papauté, il
condamna malgré lui l'ouvrage du jésuite Berruyer, intitulé Histoire
du peuple de Dieu, en Espagnol et en Italien ; et il
renouvela et aggrava les condamnations prononcées deux fois par Benoît
XIV.
Les événements scandaleux de Portugal et de, Naples déterminèrent les
cours de Paris, de Madrid, de Lisbonne, de Naples
et de Parme, à demander la suppression de l'ordre des Jésuites. Les
motifs de ces diverses puissances étaient appuyés sur une multitude de
faits criminels dans tous les royaumes Catholiques des seizième,
dix-septième et dix-huitième siècles, et surtout au Paraguay et à la
Chine. Ces derniers venaient d'être condamnés récemment par Benoît
XIV, parce que les condamnations prononcées par ses prédécesseurs
n'avaient pas suffi.
Pendant que cette affaire était en suspens, Clément publia, le 30
janvier 1768, un bref, sous le titre de Monitoire, contre Philippe de
Bourbon, duc souverain de Parme, frère des rois d'Espagne et de Naples
et cousin du roi de France. Sa teneur était la même que ceux de
Grégoire VII, de Boniface VIII et d'autres pontifes du même caractère,
appelant le duché de Parme son patrimoine, comme s'il eût vécu dans
les siècles, où la conquête d'un pays, faite par le souverain temporel
au prix de guerres dispendieuses d'argent et de sang humain, était
réputée nulle, inutile et méprisable, jusqu'à ce que le pape y eût
donné sa bénédiction, afin que le pays conquis relevât en fief du
Saint-Siège à perpétuité.
Le bref défendait d'imposer des tributs sur les terres acquises ou qui
le seraient postérieurement par des personnes ou des corporations
ecclésiastiques. Il condamnait également les bornes que Philippe avait
mises à l'accroissement des biens de main-morte, et
d'autres mesures relatives au gouvernement temporel. Enfin, il
excommuniait le duc et le privait de ses états, avec toute cette
artillerie de clauses et de style de Rome, qui, dans d'autres temps,
faisaient trembler les empereurs et les rois, mais qui, maintenant,
(grâces à Dieu) ne produisent que le ris et le mépris qu'elles
méritent dans ces sortes de matières.
Les cinq cours réclamèrent à la fois contre le bref, regardant cette
affaire comme d'un intérêt commun, et en demandèrent la révocation,
avec une satisfaction publique en raison de l'offense. La cour de Rome
s'y refusa, et celle de Madrid fit faire un écrit intitulé, jugement
impartial sur le Monitoire de Parme. Ses auteurs furent les
comtes de Florida Elanca et de Campomanés, fiscaux du conseil royal et
suprême de Castille. Ils y déployèrent tous les principes de
jurisprudence relatifs à la censure ecclésiastique et à d'autres
points : mais ils omirent encore de traiter les principes réels
qui devaient prévaloir quant à la souveraineté temporelle des papes.
Ils le voulurent, et même commencèrent à le faire, mais deux
archevêques et trois évêques appelés par le roi Charles III au conseil
extraordinaire, trouvèrent mauvais que l'on approfondit autant la
matière, dont les bases touchaient à la puissance et à la juridiction
de tous les prélats ecclésiastiques.
De conseillers du roi qu'ils étaient, ils devinrent avocats de leur
propre cause, et décidèrent de supprimer la première édition et d'en
publier une seconde, qui est celle qui existe à présent, traduite dans
presque toutes les langues de l'Europe.
Les cinq souverains serrèrent vivement le pape : Louis XV
s'empara de la ville d'Avignon et du comtat Venaissin ; Ferdinand
IV, du duché de Bénévent, et tous menacèrent Clément XIII de le
dépouiller de Bologne, de Ferrare, et d'autres parties des états
pontificaux. Clément se trouva serré de si près, qu'il se détermina à
céder et à donner une pleine satisfaction aux souverains.
Mais les membres de la chancellerie reconnurent que ce serait le coup
mortel pour leurs maximes, et, pour tenter la fortune avec un nouveau
pape, ils empoisonnèrent Clément XIII : ce fut la nuit même du
jour où il manifesta sa résolution, veille de celui où il devait la
signer.
L'opinion générale fut que les jésuites aidèrent à l'entreprise,
soupçonnant qu'une partie de la satisfaction demandée serait la
suppression de leur institut, et ce soupçon ne fut pas dénué
de fondement.
JEAN-VINCENT-ANTOINE GANGANELLI, né à Saint-Archangel, près de
Rimini, cloîtré de l'ordre de Saint-François d'Assise, cardinal
romain, fut élu pape le 19 mai 1769, sous le nom de Clément, et mourut
le 22 septembre 1772, n'ayant pas encore soixante-neuf ans accomplis.
Il est aisé de reconnaître qu'il y avait deux partis parmi les
cardinaux : celui des jésuites et des membres de la chancellerie,
et celui des cinq souverains. Le cardinal Ghiggi, arrière-petit-fils
d'un frère d'Alexandre VII, fut plusieurs fois sur le point d'être
élu, pendant les trois mois de conclave ; mais le parti
jésuitique ne put jamais réunir les deux tiers des suffrages.
Ganganelli était le seul régulier qu'il y eût parmi les
cardinaux : cette circonstance influa pour que les moins entêtés
de la faction jésuitique cédassent, dans l'espoir que le
nouveau pape prendrait intérêt à la conservation des ordres réguliers.
Leur attente fut trompée : Clément XIV était un des hommes les
plus éclairés du dix-huitième siècle, comme le démontrent ses lettres
et sa conduite pontificale.
Il se réconcilia avec les cinq souverains, en leur donnant
satisfaction à tous, mais spécialement à ceux de Lisbonne et de Parme
qui avaient été les plus offensés. Il supprima la publication de la
bulle in cena Domini, qui blessait si fortement les droits
des souverains temporels et de leurs sujets.
Clément forma une assemblée de cinq cardinaux et de plusieurs
jurisconsultes, pour traiter de l'affaire des jésuites. Tous votèrent
la suppression, et le pape la prononça par un bref du 21 juillet 1773.
Il dit en le signant : « Je le fais avec plaisir, parce que
j'ai réfléchi longtemps sur le pour et le contre. Si je ne l'eusse pas
déjà signé, je le ferais encore, mais je prévois qu'il m'en coûtera la
vie. »
Il ne se trompa pas, car bientôt on lui donna un poison lent qui lui
fit perdre ses forces par degrés. Le jour de l'Ascension, il voulut
encore assister au Vatican, pour publier la bulle du jubilé de l'année
1775 : ses ennemis eurent l'audace d'annoncer qu'il ne le verrait
pas, et de mettre jusque dans le palais pontifical une pasquinade avec
ces initiales : I. S. S. S. V., dont l'entière signification
paraît être « In settembre sara sede vacante. » Ce qui veut
dire : En septembre le siège sera vacant. »
Cela se vérifia en effet, le 22 mai, qui était l'époque annoncée.
Sera-ce un jugement téméraire que d'accuser le parti jésuitique ?
JEAN-ANGE BRASCHI, né à Césène, cardinal romain, fut élu pape le 15
février 1775. Il prit le nom de Pie, et mourut à Valence, sur la
Drôme, en France, dans l'année 1799.
Il serait superflu de m'arrêter à persuader que l'esprit d'intrigue
inspira cette élection. Les souverains voulaient un pape ennemi des
jésuites, ceux-ci un de leurs partisans. Cinq mois de conclave ne
suffirent pas pour se mettre d'accord. Le comte de Florida Elanca
était à Rome de la part de l'Espagne, et il influa beaucoup sur
l'élection, parce qu'il suggéra l'idée d'élire un des cardinaux qui se
disaient indifférents.
Tel était Braschi. Florida Blanca employa les millions de l'Espagne
pour gagner les dames romaines, amies des cardinaux, afin de conquérir
leurs suffrages par le moyen de leurs lettres. Les ambassadeurs de
France, de Portugal et de Naples l'aidèrent par les mêmes voies, et il
réussit. Ce fait, accompagné d'une quantité d'anecdotes particulières,
résulte du procès criminel intenté à Madrid, contre le comte de
Florida Blanca, en 1792, après qu'il eût cessé d'être ministre
secrétaire d'état et de la justice.
On peut maintenant voir clairement l'influence du Saint-Esprit dans
les élections.
Le pontificat de Pie VI a fait connaître combien l'opinion publique
était changée, relativement aux droits des souverains et de la cour de
Rome.
L'empereur d'Allemagne Joseph II supprima beaucoup de monastères, de
couvents et de communautés religieuses ; disposa de leurs biens
en faveur de l'état, et prit divers mesures sur la discipline
extérieure de l'Église. Il usa en cela de son pouvoir souverain, sans
demander l'autorisation ni l'approbation du pape, et sans compter sur
sa volonté.
Pie VI lui écrivit plusieurs lettres pour tâcher de le persuader de
s'abstenir des réformes, des suppressions et des autres mesures
préjudiciables aux droits du Saint-Siège. Joseph II lui répondit qu'il
ne les avait pas violés, en faisant des règlements qui n'appartenaient
qu'à sa puissance temporelle. Ses prédécesseurs, Henri IV.
Henri VI, Frédéric I, Frédéric II, et Louis de Bavière, avaient été
détrônés pontificalement, ou obligés d'aller en personne à Rome, nus
pieds comme des pénitents, et de se prosterner comme des criminels aux
pieds des pontifes orgueilleux et inexorables, pour demander pardon de
fautes bien moins graves que celles de Joseph.
Pie VI savait très bien que l'ère de l'orgueil pontifical était
passée, et, au lieu de citer l'empereur devant son tribunal, il part
de Rome pour aller trouver Sa Majesté impériale à Vienne. Joseph va à
sa rencontre, mais il ne le conduit pas par les rênes de son
cheval ; il embrasse respectueusement le souverain pontife, qui,
de son côté, n'exige pas non plus des humiliations honteuses à
l'exemple de ses antiques prédécesseurs, et il accepte dans le
carrosse une place que lui offre le monarque. Logé dans le palais
impérial de Vienne, Pie VI voit sous ses yeux s'exécuter le système
commencé, et il est obligé de s'en retourner à Rome sans avoir rien
obtenu de l'objet de son voyage. Il n'excommunia pourtant pas Joseph,
ne le traita point d'hérétique et de persécuteur de l'Église, comme
dans des occasions moins importantes l'avaient fait les papes
antérieurs à la réforme de Luther ; il vanta au contraire la
religion et les vertus de Joseph II, dans un discours imprimé à Vienne
pendant le séjour de Sa Sainteté, et il lui donna la communion de sa
main.
C'est pour cela que les Français disaient assez à propos :
« Le pape est allé célébrer deux messes à Vienne, une sans credo
pour l'empereur, l'autre sans gloria pour
lui-même. »
On publia aussi à Vienne une estampe qui n'était pas moins piquante,
faisant allusion à la chute du pouvoir pontifical. « L'aigle
impériale enlève de la tête du pape la tiare aux trois
couronnes ; les enfants jouent à la raquette avec la sandale du
pape et avec les clefs du ciel ; le fanatisme est au fond du
tableau, grinçant les dents de rage. On voit les moines accablés par
la force de la douleur, et le chef de l'Église reste sans autre
soutien que sa crosse pastorale. »
Huit ans après, la révolution française occupa de nouveau Pie VI. Les
Français établirent leur constitution nationale, dont une partie avait
rapport au clergé, et cette partie fut appelée la constitution
civile du clergé de France. On demanda au pape son approbation,
et Sa Sainteté la refusa, en disant que cette constitution était
injuste, nulle, et contraire aux institutions divines et aux droits du
Saint-Siège. On lui fit voir que tout était conforme aux six premiers
siècles de l'Église, et qu'elle s'opposait seulement aux abus et aux
usurpations qui eurent lieu dans les siècles suivants. On insista donc
pour qu'il approuvât le serment que l'on avait ordonné que le clergé
devait prêter. Pie VI réprouva le serment, et le déclara illicite,
injuste, nul, et défendit de le prêter, sous peine d'excommunication,
et menaça de jeter sur la France un interdit général.
Quelques évêques écrivirent au pape une exposition pleine d'une
doctrine solide et catholique, pour lui démontrer qu'il agissait sans
fondement canonique suffisant, et qu'il devait changer de marche dans
la conduite de cette affaire, s'il voulait éviter un schisme parmi le
clergé français.
Pie VI, loin d'accéder à cette proposition, publia de nouveaux brefs,
menaçant de déclarer excommuniés et schismatiques ceux qui prêteraient
le serment. De là, résulta l'émigration de beaucoup d'évêques et de
prêtres ; mais il en resta pourtant en France un nombre suffisant
pour le culte.
La conduite de Pie VI envers la France fut choquante, si on la compare
avec celle qu'il avait tenue en Allemagne, car il y avait beaucoup de
rapports entre les mesures de l'empereur Joseph II et la
constitution civile du clergé de France. La différence fut que
beaucoup d'évêques intéressés à ne pas perdre les dîmes, les domaines
temporels et les rentes de biens fonds, voulaient persuader au pape
qu'en ne cédant pas, tout reviendrait bientôt dans l'ancien
état ; parce que, selon leur opinion, la majeure partie de la
nation était opposée à la constitution civile du clergé ; et
qu'alors tomberait le pouvoir de l'assemblée
constituante qu'ils traitaient d'usurpatrice et de factieuse, mais qui
ne serait que momentanée. Ils occasionnèrent de violents regrets au
pape, en voulant lui persuader cela ; car la révolution
française, au lieu de se calmer, fut toujours en croissant, et la
religion perdit beaucoup alors, puisque l'Église gallicane resta
séparée de la communion romaine. On aurait pu éviter ce malheur, en
approuvant seulement la constitution. Cependant, on n'en vint jamais à
la déclarer schismatique, et le seul effet de cette séparation, fut de
suspendre les rapports de communication directe.
Les événements subséquents démontrèrent que Pie VI aurait approuvé la
constitution, sans les suggestions des émigrés. La puissance de la
république française s'accroissant de jour en jour et étant parvenue à
dominer sur une grande partie de l'Italie, il s'y forma une autre
république sous le nom de Cisalpine. Celle-ci établit aussi
une constitution du clergé à l'instar de celle de France, sur les
mêmes bases, avec toutes ses conséquences et presque dans les mêmes
termes. Alors Pie VI, qui n'était plus entouré d'émigrés, et qui
craignait, avec raison, la durée de la nouvelle république, rentra en
lui-même et préféra manquer des droits possédés pendant plusieurs
siècles, que de s'exposer au danger d'avoir, dans le centre de
l'Italie, un état réputé schismatique. Il approuva
donc, par une bulle spéciale, la constitution civile du clergé
Cisalpin. Ce fut, à cette occasion, que l'on publia dans diverses
gazettes de grands éloges de sa prudence. On ne lui épargna pas
pourtant la réflexion piquante que par cela même, il démentait les
anciens brefs qu'il avait adressés en France.
La raison en était bien simple, car, s'il croyait véritablement
s'opposer aux institutions divines, il ne devait pas approuver la
constitution du clergé Cisalpin ; et si, au contraire, il ne le
croyait pas, il devait également confirmer celle du clergé Gallican.
Mais le mal était déjà fait : il est à croire que si alors la
France le lui eût demandé, il l'eut accordé, afin d'agir conséquemment
avec ce qu'il faisait en Italie. Mais la république française ne
pensait plus à supplier Pie VI, lorsqu'elle le tenait humilié et
réduit au point de voir sa vie même dépendre de la volonté des
gouverneurs de la France, qui, enfin, se vengèrent de l'ancien
entêtement du pape, en l'amenant sur le territoire républicain, où il
mourut.
Il faut avouer que Pie VI tint la conduite d'un prince pacifique et
prudent, dans les affaires d'Allemagne et de la république
Cisalpine ; mais l'histoire ne pourra, non plus, se dispenser de
lui imputer de l'opiniâtreté à vouloir conserver les droits usurpés en
France par ses prédécesseurs
C'est une chose terrible que les papes ne veulent pas reconnaître la
force de l'opinion publique, et qu'ils veuillent préférer les
grandeurs de la puissance humaine et temporelle, à la doctrine et aux
exemples du Christ et de Saint-Pierre.
BARNABÉ CHIARAMONTI, né à Césène, moine bénédictin, cardinal romain,
créature de Pie VI, fut élu pape à Venise, le 14 mars 1800.
Il prit le nom de Pie, comme son prédécesseur, et vit encore
en ce moment (1822), âgé de
quatre-vingts ans.
La vacance du Saint-Siège dura sept mois, prolongée de la sorte par
les circonstances où se trouvaient l'Europe, et surtout l'Italie. Il
est très certain (quoique l'on veuille maintenant défigurer la
vérité), que la vacance aurait duré bien plus longtemps,
sans la détermination de Napoléon Bonaparte, alors premier consul de
la République française. Ses efforts se dirigeaient vers les moyens
d'étouffer les anciennes divisions, et de réunir la nation aux idées
générales du bien commun. Il pensa qu'il pourrait facilement en venir
à bout, en rétablissant le culte catholique public, presque totalement
éteint depuis les temps malheureux de Robespierre, et en remettant
dans Rome un souverain pontife avec qui l’on put traiter l'affaire, en
sorte qu'il n'y eût point d'obstacle au séjour des prêtres
constitutionnels avec ceux qui avaient refusé le serment, auxquels il
permit de rentrer en France.
En conséquence, il facilita la réunion des cardinaux à Venise, afin
qu'ils fissent, en pleine liberté, l'élection d'un souverain pontife.
Ce fut Pie VII, et son coeur serait ingrat, s'il niait qu'il doit à
Napoléon Bonaparte la liberté de son élection et la paisible
possession de son siège à Rome.
Le premier consul continua à suivre le plan qu'il s'était formé, et
concerta avec Pie VII les moyens de rétablir le culte public, de
maintenir le clergé, et de soumettre à des lois fixes les rapports de
l'Église gallicane avec le chef de la religion catholique.
On établit un règlement, et Pie VII l'approuva, en comblant le premier
consul de louanges pompeuses. Dans le bref de confirmation, Pie VII
canonise Napoléon, et lui donne les noms d'homme juste, de
restaurateur de la religion catholique en
France, et de protecteur spécial du culte public.
Que l'on dise maintenant ce qu'on voudra, d'après le changement
des circonstances, le fait est que Napoléon a opéré ce que Pie VII a
confessé alors, et que s'il ne l'eût pas voulu, la France était dans
la position de rester tranquillement sans culte public, et seulement
avec le culte particulier que chacun se procurait.
Les Français voulurent élever leur premier consul à la dignité
d'empereur, et Pie VII se transporta, de Rome à Paris, volontairement,
pour le couronner, ce qu'il effectua avec une pompe incomparable. Les
affaires politiques prirent, dans la suite, un autre aspect, et
l'empereur dépouilla Pie VII de la souveraineté temporelle des États
Romains. Voilà la véritable source des nouvelles discordes.
Je ne suis pas surpris que Pie VII en ait conçu du ressentiment, parce
qu'il n'est pas agréable au coeur humain de se voir privé des honneurs
temporels dont il est en possession. Mais, ce qui doit étonner, c'est
que Pie VII entreprît de couper les relations spirituelles, comme si
nous eussions été dans les temps voisins du mauvais exemple de
Grégoire VII.
La conduite subséquente du pape envers Napoléon, prouva que les
conseillers intimes de sa cour étaient imbus des mêmes idées que dans
le onzième siècle, et qu'ils voulaient, par des moyens spirituels
indirects, réduire l'empereur à lui restituer
ses anciens domaines temporels, ou mettre la nation française dans le
cas de se soulever, sous prétexte de la religion. De semblables moyens
ne sont pas compatibles avec les lumières actuelles, ni avec l'exemple
des saints papes anciens, qui jamais, pour des motifs humains, ou pour
obtenir des biens séculiers, ne se refusèrent au ministère pastoral
des âmes.
Napoléon a perdu son empire, et la cour de Pie VII a manifesté des
passions voisines de la vengeance.
Elle a refusé d'expédier les bulles de l'archevêché de Paris et
d'autres évêchés, à ceux qui avaient été nommés par Napoléon,
conformément au Concordat. Cela est d'autant plus remarquable, que Sa
Sainteté avait déjà préconisé les mitres en faveur de ceux qui avaient
été nommés ; et certes, en cela il ne faisait que ce qui était
juste, puisque tout individu présenté a le droit d'y être confirmé, à
moins qu'il n'en soit formellement indigne.
La mort naturelle du patron ne peut détruire l'effet des présentations
faites dans un temps légitime ; tout le monde sait qu'il en est
de même dans le cas de mort civile.
Par suite des malheurs de Napoléon, Ferdinand VII règne en Espagne.
Pendant la révolution, il y eut des prêtres séculiers et réguliers
qui, renonçant à la douceur sacerdotale et à la tranquillité
ecclésiastique, abandonnèrent leurs églises pour se
faire chefs de bandes. Ils prenaient le titre de défenseurs de la
liberté espagnole contre l'invasion des Français, et ils passaient
leur vie à tuer et à piller, non pas les Français, devant qui ils
fuyaient (à moins qu'ils ne les trouvassent écartés et seuls), mais
les Espagnols eux-mêmes, sous prétexte de leur adhésion vraie ou
supposée au roi Joseph. Il suffisait, pour cela, d'être riche, ou
présumé tel ; car ils regardaient avec indifférence ceux qui
n'avaient pas d'argent.
Il y eut quantité de moines qui, jetant le froc, prirent le même
parti, et ces derniers, ainsi que les prêtres, joignirent aux
crimes d'assassins et de voleurs, celui de la luxure la plus effrénée
et de la vie la plus scandaleuse dans tous les sens. Comme ils avaient
l'air d'agir en faveur de la cause de Ferdinand, le pape a regardé
avec une bénignité sans exemple, les crimes de ces monstres, dont
l'histoire publiera peut-être un jour les iniquités, et, à la demande
de Ferdinand, il a expédié une bulle de dispense pour toutes les
irrégularités et pour toutes les censures qu'ils ont encourues.
Ceci est contre toutes les dispositions des canons et contre l'exemple
de ses prédécesseurs Léon X, Adrien VI et Clément VII, qui ordonnèrent
de poursuivre criminellement l'évêque de Zamora et tous les prêtres ou
moines qui avaient pris les armes dans la guerre civile, appelée la
guerre des communes, sous le règne de Charles-Quint. Il est
pourtant très certain qu'ils ne le firent que pour la défense légitime
de la liberté espagnole, et qu'ils commirent moins de crimes que les
brigands ou guérillas de la dernière révolution espagnole.
La conduite de Pie VII est d'autant plus étonnante, qu'il s'est même
refusé à faire passer au roi Ferdinand le plus léger office en faveur
des ecclésiastiques qui, pour éviter la mort dont les menaçaient ces
mêmes bandes, se sont réfugiés en France, sans d'autres délits que
d'avoir blâmé et détesté la conduite et l'imposture des mauvais
prêtres et des moines guerriers.
Un autre sujet d'étonnement encore plus fort, c'est de voir que,
contre les principes ordinaires de la cour romaine, le pape permette
que la puissance temporelle déclare vacante les prébendes des absents,
au mépris de la nature perpétuelle de la collation canonique.
La manière dont la cour de Pie VII s'est conduite depuis sa
réintégration dans son ancienne souveraineté, ne lui fera pas honneur
dans l'histoire. Une des clauses du traité de paix générale de
l'Europe, a été que personne ne fût inquiété pour ses opinions
politiques, quand bien même il eût été partisan du gouvernement
précédent. Pie VII, en qualité de vicaire du dieu de paix, de
miséricorde et de bonté, était obligé d'accomplir cet article avec
encore plus d'exactitude que les autres souverains :
malheureusement il est arrivé tout le
contraire ; l'empereur de Russie, les rois d'Angleterre et de
Prusse et d'autres, que Pie VII traite d'hérétiques et de
schismatiques, ont manifesté les vertus chrétiennes de la modération
et du pardon des offenses, de la manière la plus héroïque, et la cour
du chef de l'Église catholique a exercé ses vengeances contre des
hommes d'un mérite éclatant envers la patrie, seulement parce qu'ils
avaient témoigné leur satisfaction de la voir délivrée du joug
ecclésiastique.
L'histoire ne pardonnera pas non plus aux souverains, auteurs du
traité de paix, l'injustice et la mauvaise politique d'avoir remis les
États Romains sous la domination papale. La Russie, la Prusse,
l'Angleterre, et les autres puissances, savaient qu'elles se sont
séparées de la communion de l'Église romaine, seulement à cause des
désordres nés de la réunion du pouvoir temporel d'un territoire
particulier, avec le pouvoir spirituel et universel sur tout le monde
chrétien ; et, après avoir extirpé la racine du mal, ils la
replantent de nouveau, pour qu'elle produise les chardons et les
épines des discordes, qui subsisteront autant que le vice de
l'ambition de Rome et cette restitution l'éterniseront.
S'ils croyaient que l'existence d'un souverain particulier pour les
États romains était nécessaire pour leur politique, pourquoi ne les
donnaient-ils pas au roi d'Étrurie ? N'est-ce pas une chose
honteuse, que le refus de rendre la Toscane et le
duché de Parme à cette branche de l'auguste famille des Bourbons, à
qui ils étaient dûs de droit ?
Pie VII vient de publier une bulle qui lui donnera une bien mauvaise
note dans l'histoire. Il a rétabli l'ordre des Jésuites supprimé par
Clément XIV, à la demande de tous les souverains de la famille royale
des Bourbons et de plusieurs autres, par des motifs infiniment justes,
puissants et vrais. Non content de cela, il est devenu le panégyriste
des jésuites, dans un autre bref adressé à Ferdinand VII, dans lequel
il le comble d'éloges, pour avoir accueilli favorablement les
jésuites, lui annonçant que leur nouvelle admission lui attirera de
grandes félicités, et en ajoutant en même temps que les accusations
portées contre eux avaient été calomnieuses.
Pourquoi n'a-t-il pas parcouru auparavant ses archives
pontificales ? N'y aurait-il pas trouvé complètement prouvés tous
les délits du Paraguay et ceux de la Chine, en faveur des rites
idolâtres ?
Ne conserve-t-on pas, à Lisbonne, des preuves de conjuration contre le
roi de Portugal ? Ne trouve-t-on pas, dans les archives de Paris,
leur intervention constatée dans les régicides des monarques
Bourbons ?
N'y a-t-il pas, à Madrid, une infinité de documents rassemblés par le
conseil extraordinaire, pour faire voir les maux qu'ils avaient causés
en Espagne ? Que l'on lise leurs ouvrages imprimés.
où ils ont déposé les témoignages de leur doctrine sur le régicide,
sur le serment avec des restrictions purement intérieures, et tant
d'autres désordres moraux, qui contribuaient à accroître le pouvoir et
la richesse de leur corporation, sans considération pour les moyens
qui pouvaient les faire réussir ! Que la cour de Pie VII dise,
après cela, que tout ce qu'on impute aux jésuites est une
calomnie ! Elle ne le dirait pas, et ne fermerait pas l'oreille
aux recherches de la vérité, sans le quatrième voeu que font les
jésuites d'obéir en tout à la volonté du pape : d'où il résulte
que ce sont les plus forts agents du despotisme pontifical.
Enfin Pie VII, considéré comme individu, est personnellement très bon,
très vertueux, très honnête, rempli de prudence et des qualités les
plus dignes d'éloge ; mais, comme pape, il s'est laissé gouverner
par des hommes qui ont montré plus d'amour pour la politique mondaine,
que pour la doctrine de l'Évangile.
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