ALPHONSE de Borgia, né à Valence
en Espagne, et archevêque de cette ville,
cardinal des Quatre-Saints-Couronnés, fut
élevé à la papauté le 8
avril 1455, sous le nom de Calixte III. Il
était âgé de soixante et
dix-huit ans, et il mourut le 8 août 1458,
après trois ans et quatre mois de
pontificat.
Il avait été secrétaire du roi
d'Aragon Alphonse V, qui vivait encore et qui
possédait les deux royaumes de Naples et de
Sicile. Comme la protection de ce prince lui avait
valu le chapeau de cardinal, il semblait que cette
circonstance, jointe à ce que le pape
était sujet du roi, et avait ses parents
dans ses états, devait former l'union la
plus étroite entre les deux
souverains ; cependant, on vit arriver le
contraire.
Les années n'avaient fait qu'augmenter
l'ambition de Calixte. Il éleva aux premiers
emplois de la cour romaine ses trois neveux et ses
autres parents, sans respect pour la justice et les
convenances ; il
créa l'un duc de Spolète, au
préjudice d'Alphonse V, et eut même le
projet de le faire roi de Naples. Pour en venir
plus facilement à bout, il commença
à inquiéter le roi Alphonse, afin que
les représailles de celui-ci motivassent une
excommunication, et que sa déposition comme
vassal du Saint-Siège en fut la suite, ce
qui lui aurait permis de mettre cette couronne sur
la tête de son neveu.
Alphonse n'avait pas d'enfants
légitimes ; mais il avait fait
légitimer par Eugène IV et Nicolas V,
son bâtard Ferdinand, afin qu'il pût
lui succéder au royaume de Naples, comme
cela eut lieu en effet.
Calixte ne se contenta pas d'annuler cette mesure
de ses deux prédécesseurs et de
refuser l'investiture du royaume de Naples ;
il déclara la guerre à Alphonse, et
il était occupé à lui susciter
des ennemis parmi les princes, lorsque la mort vint
le surprendre.
Calixte avait amassé de si grandes
richesses, que Saint-Antonin, qui vivait dans ce
temps-là, assure qu'il laissa cent cinquante
mille écus d'or. Ses trois neveux, qu'il
avait élevés aux plus hautes
fonctions, étaient indignes d'en jouir. L'un
d'eux, Rodrigue de Borgia, cardinal qui fut pape
dans la suite sous le nom d'Alexandre IV, et il en
sera question un peu plus loin.
Quelques historiens ont beaucoup vanté le
zèle de Calixte III pour armer les princes
chrétiens contre les Turcs, et les chasser
de Constantinople. Je suis fort
éloigné de voir un
motif d'éloges dans cette
disposition d'un chef de l'Église.
Jésus-Christ n'a point voulu que la guerre
fût employée comme un moyen de
répandre l'Évangile, parce que ce
fléau, en faisant périr les hommes,
cause la perte éternelle de leurs
âmes. L'expérience des croisades
aurait dû faire renoncer à un pareil
moyen.
ÉNÉA SILVIO PICCOLOMINI, cardinal
évêque de Sienne, en Toscane, monta
sur le trône pontifical, le 17 août
1458, sous le nom de Pie II, et mourut le 15
août 1464.
Sa conduite prouva la vérité de cet
adage si ancien qui dit que les honneurs changent
les habitudes et les principes. Il avait rempli les
fonctions de secrétaire du concile de
Bâle, et s'était montré un des
plus zélés partisans, ce qui
l’avait fait nommer légat auprès
de plusieurs princes, par cette
assemblée. Il défendit plusieurs fois
avec vigueur, dans ses écrits et par ses
discours, la supériorité du concile
sur le pape, l'obligation où est celui-ci de
se soumettre et d'obéir à ses
décrets, dans ce qui est relatif au dogme,
à la morale, au schisme, à la
nullité des censures apostoliques à
l'égard des décisions des conciles et
des appels de décrets et des bulles du pape
au futur concile, si celui-ci n'est pas alors
assemblé ; et enfin, à d'autres
articles puisés dans la jurisprudence
canonique et fondés sur les principes
également conservateurs des droits et des
privilèges de l'Église.
À peine fut-il pape, qu'il ne songea plus
qu'à détruire son ancienne
doctrine ; il ne rougit pas de publier, le 26
avril 1463, une bulle par laquelle il condamnait
Enée Silvius Picolomini et ses ouvrages,
ajoutant avec une imprudence peu commune, et une
bizarrerie inconcevable, que dans ce
théologien, tout, jusqu'à son nom
même, était imbu du levain de la
gentilité, et que, pour cette raison, il se
glorifiait de ce que Dieu condamnait
Enée.
Qu'on juge par-là du cas qu'il faut faire de
certaines condamnations de livres,
prononcées par les papes. N'est-il pas
évident que l'intérêt de son
ambition provoqua seul cette bulle qui l'a couvert
de honte pour toujours dans l'histoire ?
Le 18 janvier 1460, il en avait déjà
expédié une autre pour condamner ou
interdire tous les appels au concile. Le procureur
général du parlement de Paris la
reçut comme elle
devait l'être. Plusieurs de ses articles
étaient attentatoires aux droits de la
couronne, de l'Église, du royaume et de la
pragmatique-sanction ; il en fit le fondement
d'une protestation contre la bulle et le pape, et
d'un appel au futur concile
général.
Si les rois avaient toujours montré autant
de fermeté, les peuples n'eussent pas eu
à gémir si souvent des vexations de
la cour de Rome. Pie II se brouilla aussi avec
Georges, roi de Bohême, et avec Sigismond,
duc d'Autriche ; en sorte qu'on vit clairement
que le nouveau pape voulait marcher sur les traces
de ses prédécesseurs, et prendre part
à tous les mouvements de la politique des
souverains.
Le successeur de Pie fut Pierre Barbi,
vénitien, cardinal du titre de Saint-Marc,
neveu du pape Eugène IV. Son élection
eut lieu le 31 août 1464, et il prit le nom
de Paul II ; il régna jusqu'à sa
mort, arrivée le 28 juillet 1471, lorsqu'il
n'avait encore que cinquante-quatre ans.
L'orgueil, la présomption et la
cruauté formaient le caractère de ce
père commun des fidèles. Quelques
auteurs ajoutent qu'il poussa la dépravation
des moeurs jusqu'à se faire une habitude
d'un vice qu'il est honteux de nommer ; qu'une
fille fut le fruit de son libertinage, et qu'il
mourut empoisonné par un homme dont il avait
outragé la femme.
Paul II réforma le collège des
abréviateurs apostoliques, qui était
le corps le plus savant de Rome. Ces
employés réclamèrent contre la
suppression de leurs places
qu'ils avaient achetées à beaux
deniers comptant, et pour la vie. Le pape les fit
arrêter, comme coupables du crime de
lèse-majesté et
d'hérésie ; ils souffrirent tout
ce que la question peut avoir d'horrible, et
quelques-uns, pour voir finir leurs tourments,
s'avouèrent coupables. L'historien Platina
fut du nombre de ces victimes et eut la force de
soutenir la torture. C'est lui-même qui nous
l'apprend.
Ce pape affectait autant de soin pour sa toilette
que les femmes du monde, et il ne paraissait jamais
en public, sans s'être peint la figure.
Pendant qu'il n'était encore que cardinal,
il disait que s'il devenait pape, il prendrait le
nom de Formose. Il n'osa pas cependant
pousser jusqu'à ce point
l'indécence ; mais il se fit monter une
tiare couverte de diamants et de toutes sortes de
pierreries, et il voulut que les étrangers
qui étaient à Rome au moment de son
élection, ne quittassent point cette ville
qu'il ne l'eussent vu dans sa première
cérémonie, afin de donner, lorsqu'ils
seraient dans leur pays, la plus haute idée
de sa grandeur et de sa magnificence.
Il était fort occupé des
préparatifs de cette solennité qu'il
voulait rendre très brillante, et ce fut par
son ordre que les cardinaux
préparèrent pour ce jour-là,
des robes rouges qu'ils devaient porter, et qui
remplacèrent depuis ce moment celles de
couleur noire ou brune, qu'on leur voyait
auparavant.
Paul II eut de grands démêlés
avec beaucoup de souverains,
contre lesquels il abusa, comme ses
prédécesseurs, des anathèmes
de l'Église, pour ne point renoncer à
l'autorité absolue qu'il croyait avoir le
droit d'exercer sur tous les royaumes de la
chrétienté. Ce fut surtout à
l'égard de la France, qu'il employa ce
moyen, dans l'affaire de la pragmatique-sanction, et contre
la
Bohême, dont il voulut détrôner
le roi Georges, comme l’auteur des Hussites,
pour donner ses états à celui des
princes qui les recevrait comme fief du
Saint-Siège.
En un mot, Paul II doit être compté
parmi les papes qui ont le plus aimé les
vanités du monde, et qui se sont le plus
écartés de la vie du pêcheur
auquel ils avaient
succédé.
Le 9 du mois d'août 1471, François Albescola de la Rovère,
religieux
franciscain, fils d'un pêcheur de Celles,
près de Savone, et cardinal, fut
élevé à la papauté,
sous le nom de Sixte IV, et mourut le 4 août
1484, à l'âge de soixante et onze
ans.
Dans l'ouvrage sur le népotisme, on
assure que ce pape fut le premier qui le
réduisit en système, en
décrétant que les neveux des papes
seraient princes romains.
Quelques auteurs ont cru que Riario était son fils, qu'il
faisait passer
pour un de ses neveux. Wesel de Groningue,
surnommé la loi du monde, dit, dans
son livre des Indulgences papales,
qu'à la demande de ses neveux, les cardinaux
Rovère et Riario, et d'un autre prince de
l'Église du nom de Saint-Luc, Sixte IV
permit la sodomie pendant les mois de juin, juillet
et août, à cause de l'ardeur
brûlante de cette saison, et qu'il
écrivit sur la marge de cette abominable
requête, les mots
latins fiat ut petitur, c'est-à-dire, qu'il en soit comme
on le requiert.
Le même auteur et Corneille Agrippa, dans
ses déclamations à ceux de
Louvain, attestent le même fait ;
Agrippa ajoute, dans le soixante-quatrième
chapitre de l'incertitude et de la vanité
des sciences, que Sixte IV établit
à Rome des lieux publics de prostitution,
sur lesquels il était perçu un tribut
annuel de plus de vingt mille ducats, pour le
trésor pontifical ; que c'était
avec cet argent qu'il récompensait
quelquefois le mérite, comme avec des rentes
ecclésiastiques.
En calculant les rentes d'un prêtre, dit le
même auteur, on a coutume de dire : Sempronius possède
une cure de vingt
écus d'or, un prieuré de quarante, idem, et trois femmes
de »
B.... »
D'autres historiens racontent que la maladie dont
Sixte IV mourut, fut produite par les excès
du libertinage auquel il s'était
livré sans aucun ménagement.
C'est à un pape de ce caractère,
qu'est dû l'établissement de
l'Inquisition en Espagne, en vertu d'une bulle de
l'année 1478, que Ferdinand V fit
exécuter en 1480, comme on peut le voir dans l'Histoire critique
de l'Inquisition
d'Espagne.
S'il était possible d'ignorer alors quel
était le vrai motif de cette
nouveauté, on voit clairement aujourd'hui
que le pape ne songeait qu'à exploiter une
mine d'or pour s'enrichir, et que ce moyen fit
sortir d'Espagne un grand nombre de millions
d'écus qui purent s'engloutir dans ses
coffres, et augmenta la
puissance de sa juridiction en Espagne, pour le
plus grand malheur de cette monarchie.
L'âme de Sixte IV était aussi
dominée par d'autres passions non moins
exécrables. On le vit entrer dans une
conjuration contre les Médicis, pour leur
faire perdre la souveraineté de la ville de
Florence. Il fomenta et fit naître plusieurs
guerres qui firent couler beaucoup de sang, sans
aucun avantage ; et donna enfin le mauvais
exemple, souvent imité dans la suite,
d'élever un enfant à la
dignité d'archevêque, en nommant
à l'archevêché de Saragosse,
Alphonse d'Aragon, bâtard non
légitimé de Ferdinand V, et à
peine âgé de six ans.
Cette indigne condescendance ne fut pas perdue pour
lui ; il en trouva le prix dans le moyen que
ce monarque lui fournit pour enrichir ses neveux,
et pour accroître son autorité dans
les royaumes de Naples et de Sicile. L'Italie
venait de recouvrer la paix que Sixte IV lui avait
fait perdre, lorsque ce mauvais pape tomba malade
et cessa de vivre ; ce qui donna lieu au
distique suivant :
Sistere qui nullo poluit cum foederé
Sixtus,
Audito tantum nomine pacis obit.
Ce qui signifie que Sixte IV, qui n'avait pu vivre
sans troubler le monde, mourut aussitôt qu'il
entendit parler de paix.
JEAN-BAPTISTE CIBO, né à
Gènes, d'une famille noble, originaire de la
Grèce, et cardinal de Melfi, parvint
à la papauté, le 29 août 1484,
régna sous le nom d'Innocent VIII, et mourut
à l'âge de soixante ans, le 25 juillet
1492.
Ce ne fut point la vie exemplaire de Cibo qui
l'éleva à la dignité de chef
de l'Église, puisqu'il avait auprès
de lui plusieurs enfants naturels dont il
était le père, preuve vivante du
concubinage dans lequel il avait vécu :
cette circonstance a fait croire, mais sans raison
suffisante, à l'abbé Fleuri, qu'il
avait été marié. Il faut donc
admettre d'autres causes de l'élection de ce
pape : au reste, sa conduite ultérieure
prouva combien on aurait dû craindre de le
voir assis sur la chaire de Saint-Pierre.
Il ne négligea rien pour enrichir et pour
élever ses enfants
et sa famille, et fut peu délicat sur les
moyens d'y parvenir. Il fit épouser à
son fils, la fille de Laurent de Médicis,
seigneur de Florence, et excommunia, pour des
motifs purement politiques, Ferdinand II, roi de
Naples, qu'il voulait détrôner.
Onuphre Panvinio, quoique italien et moine, avoue
qu'Innocent VIII était extrêmement
avare, mais qu'il s'en défendait au milieu
de ses cardinaux, par des bons mots et des
plaisanteries.
Lorsqu'il fut mort, le peuple romain, au lieu
d'honorer sa mémoire par des larmes,
l'accabla de malédictions publiques, parce
qu'il n'avait rien fait pendant son règne
pour soulager la misère des pauvres, et
qu'il avait employé dans la guerre de Naples
et à l'élévation de sa famille
les fonds de la croisade, destinés à
l'expédition contre les Turcs.
L'histoire d'Innocent VIII offre deux traits
particuliers qui méritent d'être
connus. Zizime, frère de l'empereur Bajazet,
et prisonnier de guerre, fut présenté
au pape qui, pour le recevoir avec plus de
dignité, s'était placé sur son
trône, environné de cardinaux,
d'évêques, de prélats et de
prêtres. Un maître des
cérémonies avait exercé le
prince turc à faire tous les mouvements et
les cérémonies d'étiquette,
pour s'avancer jusqu'au trône pontifical, se
prosterner, et baiser ensuite les pieds du pape. Le
prisonnier fit tout ce qu'on lui avait prescrit,
jusqu'à ce qu'il fut arrivé
auprès du trône ; mais alors, au
lieu de se mettre à
genoux, il se jette au cou du pape, l'embrasse et
le baise sur la bouche : le maître des
cérémonies et ses acolytes, croyant
que la mémoire du musulman était ici
en défaut, l'avertissent de sa
méprise et lui disent ce qu'il faut
faire ; le prisonnier leur
répond : » Un prince turc de
la race des empereurs ne baise les pieds à
personne ; il ne les baise pas surtout
à un chrétien, et moins encore
à un homme qui n'est prince que par
hasard. »
On fut obligé d'excuser l'impolitesse et le
discours de Zizime, qui étaient sans
remède, une humble prudence eut
évité cette honteuse avanie, faite
à la plus absurde vanité.
Innocent VIII permit, en 1489, aux
prêtres du royaume de Norvège de dire
la messe sans l'usage du vin, parce qu'ils lui
avaient représenté qu'avant d'arriver
dans ce pays, il tournait à l'aigre par le
grand froid du climat. Le cas est fort singulier,
parce que les auteurs de nos
abrégés de théologie morale
supposent que le vin et le pain sont la
matière essentiellement nécessaire du
sacrifice de la messe, d'après l'instruction
que le pape Eugène IV adressa aux
Arméniens, pendant la tenue du concile de
Florence.
Il en résulte que les prêtres
norvégiens, en usant de la faculté
qu'Innocent VIII leur avait donnée, ne
célébraient pas réellement le
sacrifice. On peut remarquer aussi que le motif sur
lequel se fonde le pape pour faire cette
concession, est un accident physique
notoirement faux et
impossible, puisque les vins arrivent tous les
jours en Norvège, non seulement sans avoir
éprouvé ce changement, mais avec une
qualité tellement supérieure, que les
vins aigres et médiocres deviennent bons, et
les bons, excellents
RODRIGUE DE BORGIA, né à Valence
en Espagne, neveu par sa mère du pape
Calixte III, cardinal et archevêque du
lieu de sa naissance, vice-chancelier de
l'Église romaine, monta sur le trône
pontifical, le 11 du mois d'août 1492,
à l’âge de soixante-deux
ans ; il mourut à Rome le 18 du
même mois de l'année 1505,
après avoir régné sous le nom
d'Alexandre VI.
Beaucoup d'historiens prétendent qu'il ne
parvint à la papauté qu'en achetant
les voix des cardinaux ;
il
est certain qu'il eût été
difficile de donner à un pareil choix un
motif louable et chrétien ; car la vie
d'Alexandre avait été et était
toujours scandaleuse. Tout le monde savait qu'il
avait eu de Catherine Vanoci quatre garçons
et une fille qui vivaient encore.
Alexandre mit à l'encan tous les
évêchés et les
bénéfices ecclésiastiques,
pour élever ses enfants, fruits honteux d'un
si grand scandale. Louis de Borgia qui était
l'aîné, fut le premier duc de Gandia,
épousa une fille naturelle d'Alphonse II,
roi de Naples, et mourut sans
postérité.
Le second, Jean de Borgia, succéda au titre
de son frère.
César, qui fut le troisième, devint
cardinal évêque de Pampelune et
archevêque de Valence : son père
ayant ensuite annulé tous ses voeux, par un
bref de dispenses, il fut marié à
Charlotte d'Albret, soeur du roi de Navarre Jean
d'Albret, et devint duc de Valentinois et pair de
France.
Le quatrième frère fut nommé
prince d'Esquilache, et devint le mari de Sanche
d'Aragon, fille du roi de Naples Alphonse II.
Lucrèce épousa en premières
noces Jean Sforce, seigneur de Pesaro, fils du duc
de Milan, et ensuite, Louis d'Aragon, prince de
Tarente, fils du roi de Naples
Frédéric III : elle fut
mariée pour la troisième fois
à Alphonse d'Est, duc de Ferrare.
Ces cinq enfants furent dignes de leur père,
et Rome, l'Italie et l'Europe entière furent
effrayées de leurs scandales, je me bornerai
à rapporter, au sujet de
Lucrèce, l'épitaphe que lui composa
le poète Sannazar, son contemporain :
Hic jacet in tumulo Lucretia nomine, sed re
Thaïs, Alexandri filia, sponsa, nurus.
« Ci-gît, sous le nom de
Lucrèce, la moderne Thaïs, la fille
d'Alexandre, sa femme et sa bru. »
Les historiens de ce temps-là assurent que
Lucrèce avait été
successivement la concubine d'Alexandre VI et de
ses fils Louis et César, et que celui-ci fit
assassiner son frère et jeter son cadavre
dans le Tibre.
La simonie d'Alexandre VI était un fait
public et journalier qui faisait dire au même
satirique :
Vendit Alexander sacramenta, altaria, Christum.
Emerat ille prius : non ipse vendere potest ?
« Alexandre vend les sacrements, les
autels et Jésus-Christ ; puisqu'il les
a achetés, pourquoi ne les vendrait-il
pas ? »
L'ambition de ce pape et sa perfidie
inventèrent mille moyens de troubler la paix
de l'Europe et de persécuter les familles
des Ursins, des Colonne et d'autres illustres
Romains, dont il confisqua les biens, au profit de
ses enfants sacrilèges
qui furent aussi revêtus de leurs titres et
de leurs dignités ; ce qui donna lieu
à cet autre distique :
Sextus Tarquinius, Sextus Nero, Sextus et ipsc :
Semper sub Sextis, perdita Roma fuit.
« Rome a eu Tarquin pour le
sixième de ses rois, Néron pour le
sixième de ses empereurs ; et
aujourd'hui son Alexandre VI ; le nombre six a
toujours porté malheur à
Rome. »
On conçoit que ce pape ne laissa pas tomber
dans l'oubli le prétendu droit du
Saint-Siège sur tous les royaumes du
monde : il accorda aux rois de Castille et
d'Aragon toutes les terres qui n'appartenaient pas
à des princes chrétiens ; de
là, cette ligne Alexandrine, qui fut
tracée immédiatement après la
découverte du Nouveau-Monde, et qui
assignait aux Espagnols et aux Portugais les points
du globe où ils pourraient étendre
leurs conquêtes.
Qui avait accordé un si grand pouvoir au
pape ?
Ce n'était certainement pas
Jésus-Christ, qui ne voulut pas même
se mêler du partage d'un héritage
entre deux frères.
Alexandre porta le mépris pour la
dignité du nom chrétien
jusqu'à appeler les Turcs à Naples
pour faire la guerre aux rois de France : il
promit au prince musulman une amitié
perpétuelle, comme souverain du royaume de
Naples et des autres états chrétiens.
Bajazet s'engagea à lui
fournit des secours, et lui
demanda le chapeau de cardinal pour Nicolas Civo,
archevêque d'Arles, parent d'Innocent VIII,
qui songeait à l'élever
lui-même à cette dignité,
quelque temps avant sa mort.
Il désira aussi qu'Alexandre fît
mourir son frère Zizime, prisonnier à
Rome depuis le temps de son
prédécesseur, et il lui offrit, pour
prix de cette violation du droit des gens, trois
cent mille ducats et l'alliance la plus
étroite. Zizime mourut en effet sur ces
entrefaites, non sans soupçon d'avoir
été empoisonné par ordre
d'Alexandre.
La fin de ce pape abominable fut horrible. Il avait
préparé avec son fils César,
aussi méchant que lui, du vin
empoisonné, qu'il voulait faire prendre
à trois cardinaux fort riches, dont il
devait hériter, suivant l'usage de ce
temps-là. Ces deux monstres ayant
demandé à boire avant d'entendre la
messe, le domestique leur servit le vin
empoisonné qu'ils avaient laissé sur
une table ; César échappa
à la mort par sa jeunesse et la force de son
tempérament ; mais Alexandre succomba,
après avoir reçu les sacrements. La
mémoire de ce pape sera en horreur à
tous les siècles.
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