Le 17 du mois d'octobre 1404, les cardinaux romains nommèrent
pour succéder à Boniface IX, Cosme Meliorati de Sulmona, cardinal du
titre de Sainte-Croix, qui fut couronné le 11 novembre, et prit le nom
d'Innocent VII.
Avant de procéder à l'élection, ils s'étaient engagés par serment à
travailler de toutes leurs forces à l'extinction du schisme, et celui
qui était élu devait même renoncer à la papauté, si cette mesure,
était jugée nécessaire à la paix de l'Église.
Innocent ne jouit que pendant deux ans de sa dignité, et mourut le 6
novembre 1406. Il rejeta la proposition d'une
entrevue que son compétiteur lui avait faite, et voulut qu'il lui fût
proposé d'autres moyens de ramener le calme. Il convoqua un concile
général ; mais revînt bientôt sur ses pas par la crainte que lui
inspira la politique des souverains.
Après avoir dépouillé Ladislas du royaume de Naples, il prévit les
suites dangereuses que pouvait avoir ce coup d'autorité, se réconcilia
avec le prince dépossédé et le nomma gonfalonier de l'Église romaine.
Il laissa commettre de grandes fautes d'administration à son neveu
Louis Meliorati, qui fit assassiner plusieurs Romains, membres du
consistoire, jusque dans le palais pontifical, où le sénat les avait
envoyés pour y défendre les intérêts de la ville.
Pendant que ces choses se passaient à Rome, Benoît XIII protestait, à
Avignon, de son amour pour la paix ; mais sa conduite répondait
mal à ses discours, et son opiniâtreté était toujours la même :
il continuait ses exactions sur les églises de France, et inventait
chaque jour quelque nouveau moyen d'en obtenir de l'argent.
Le roi de France, d'après l'avis de l'université de Paris, résolut de
proposer un concile général, et ce fut dans cet intervalle,
qu'Innocent VII mourut à Rome.
Les cardinaux romains, assemblés en conclave le 23 novembre
1406, ne se contentèrent pas de renouveler la promesse et les
conventions faites dans les élections précédentes, ils convinrent
aussi que, pour éteindre le schisme, non seulement le nouveau pape
renoncerait à sa dignité, si on le lui proposait, mais encore, que les
cardinaux se réuniraient dans une seule assemblée pour le choix d'un
pape de l'Église universelle.
Le 30 du même mois, Ange Corrario, de Venise, cardinal du
titre de Saint-Marc, fut élu successeur d'Innocent VII. Il prit le nom
de Grégoire XII, et ratifia aussitôt l'engagement qu'il avait pris
d'abdiquer la papauté, si la proposition lui en était faite par les
cardinaux : il était âgé de 70 ans, et passait pour
un homme de bien. Il annonça lui-même au peuple romain qu'il était
prêt à remettre la tiare pour assurer le repos de l'Église.
Cette conduite fut agréable à tout le monde, et les membres du sacré
collège ne doutèrent plus que le schisme ne fût sur le point de finir,
d'autant que Charles VI de France travaillait alors de bonne foi à
obtenir de Benoît XIII le même sacrifice.
L'événement prouva que la vertu de Grégoire XII n'était que de
l'hypocrisie, et une de ces vaines protestations, ressource ordinaire
des hommes ambitieux. Il dissimula tant que le moment de tenir sa
promesse lui parut éloigné ; mais le masque tomba, lorsqu'il fut
impossible de cacher plus longtemps ses desseins. Il déclara plusieurs
fois qu'il renoncerait à la papauté, si Benoît en donnait l'exemple le
premier ; et celui-ci tint le même langage à l'égard de Grégoire.
Il y eut de fortes raisons de croire qu'ils s'étaient rendus coupables
de collusion pour se maintenir chacun sur leur siège, pendant qu'ils
se montraient d'accord pour abdiquer, et divisés seulement sur la
question de savoir qui abdiquerait le premier.
Les cardinaux du parti de Grégoire surent enfin à quoi s'en tenir sur
son compte, et, résolus de venir à bout de leur dessein, ils
écrivirent à ceux de leurs collègues qui avaient nommé Benoît XIII, au
roi de France et à d'autres souverains, qu'il leur semblait
indispensable de convoquer un concile général où
tous les cardinaux s'assembleraient pour déposer en même temps les
deux papes.
Cette affaire offrait de grandes difficultés : on parvint
néanmoins à convoquer un concile général à Pise où, par un décret
solennel du 5 juillet 1409, Ange Corrario ou Grégoire XII, et Pierre
de Luna ou Benoît XIII, furent déclarés schismatiques, hérétiques,
parjures, auteurs d'un grand scandale pour l'Église, incorrigibles et
indignes de tout honneur et de toute dignité : défense leur était
faite de se croire plus longtemps chefs de l'Église, et il était
enjoint à tous les princes dont les envoyés étaient présents au
concile, de même qu'à tous les autres, en vertu de la sainte
obéissance qu'ils devaient à l'assemblée, de ne plus reconnaître aucun
des deux antagonistes, attendu que le Saint-Siège devait être
considéré comme vacant, jusqu'à ce que le concile eût nommé un nouveau
pape pour l'occuper.
La conduite de Benoît XIII avait été si impolitique, que les cardinaux
des deux partis se réunirent pour faire exécuter la résolution du
concile. Ce fut alors que le fougueux pontife fulmina une bulle
d'excommunication contre le roi de France ; et contre ceux qui
proposeraient des moyens de conciliation pour mettre fin au
schisme : la manière dont elle fut publiée était très offensante
pour la majesté royale, et Charles VI ayant consulté l'université de
Paris et les universités des autres parties du
royaume, ainsi qu'une assemblée nombreuse d'évêques, de conseillers et
de jurisconsultes, défendit de reconnaître à l'avenir Benoît XIII, et
donna ordre en même temps de l'arrêter dans Avignon.
Le pape, prévenu du dessein formé contre sa personne, quitta
brusquement sa résidence, et se réfugia à Perpignan qui appartenait
alors au roi d'Aragon. Sur ces entrefaites, les cardinaux que
l'orgueil, la dureté, l'ambition démesurée de ce pape, et la mauvaise
foi avec laquelle il traitait les affaires les plus importantes de
l'Église, avaient entièrement éloignés de son parti, profitèrent de
ces circonstances pour se réunir avec les cardinaux de Grégoire au
concile général de Pise.
Le 26 juin 1409, le concile assemblé à Pise, élut, pour pape
légitime, Pierre Filargio, religieux franciscain, cardinal archevêque
de Milan, qui fut couronné le 7 juillet, et prit le nom d'Alexandre V.
Le nouveau concile publia, le 10 janvier 1410, une bulle par laquelle
il confirmait la sentence et les autres mesures du dernier concile.
Néanmoins, le schisme durait toujours, parce que les deux papes
déposés, loin de se soumettre à la résolution du concile et à la bulle
d'Alexandre, continuèrent de gouverner les Églises qui les avaient
reconnus ; Grégoire XII s'établit d'abord à Aquilée, sous la
protection de Rupert, qui disputait l'empire à Venceslas, et ensuite à
Gaëte, avec Ladislas, roi de Naples, pendant que Benoît XIII
était à Perpignan, soutenu par Martin, roi d'Aragon.
Chacun des deux rebelles créa des cardinaux, se composa une cour et
ajouta, par cette confusion de pouvoirs, de nouveaux maux à ceux qui
déchiraient depuis longtemps la religion et l'Église. Rupert, Martin
et Ladislas en étayent les premiers auteurs, puisqu'il ne tenait qu'à
eux de mettre fin à la division, en faisant arrêter et punir les deux
antipapes.
Il est hors de mon sujet de fixer l'attention de mes lecteurs sur la
conduite des princes que je viens de nommer, puisque je n'écris que
l'histoire des papes. Je me borne donc à faire remarquer ici combien
il est étrange de voir les partisans de la Cour de Rome soutenir que
la nomination des papes se fait sous l'inspiration du Saint-Esprit,
afin que l'élu soit capable de gouverner l'Église de Jésus-Christ.
Alexandre V mourut le 3 mai de cette année, après un pontificat de dix
mois et huit jours, pendant lequel il n'avait cessé de dire : Je
devins pauvre, lorsque je fus nommé cardinal ; aujourd'hui,
assis sur la chaire de Saint-Pierre, je ne suis qu'un mendiant.
Ce règne si court fut rempli de mesures extravagantes. Alexandre V
excommunia et déposa Ladislas, roi de Naples ; il accorda, aux
religieux franciscains, le droit de prêcher et de confesser sans
l'autorisation des évêques et des curés, et de recevoir des dîmes et
des offrandes de ceux qui voudraient leur en faire.
Cette conduite indisposa contre lui le roi de France et plusieurs
autres princes, et Jean XXIII révoqua bientôt tous ces privilèges.
Alexandre V étant mort à Bologne, les cardinaux qui l'avaient
accompagné dans cette ville élurent pour son successeur, Balthazar
Cassa, d'une famille noble de Naples, et cardinal diacre du
titre de Saint-Eustache, qui fut couronné sous le nom de Jean XXIII.
Léonard d'Arezzo nous peint ce pape, dont il fut le secrétaire, comme
ayant eu plus de goût et de talent pour le maniement des affaires
temporelles, que pour celles de l'Église, et il l'accuse d'avoir été
fort libre dans ses moeurs. II avait vécu publiquement avec une dame
Napolitaine qu'il avait enlevée à son mari, et il était si
notoirement simoniaque, qu'il vendait, sans discrétion, les bénéfices
ecclésiastiques à ceux qui en offraient le plus. Pendant ses légations
de Bologne et de Milan, il avait fait des emprunts forcés, et en avait
gardé les produits qui étaient immenses.
Platina assure qu'il acheta, au poids de l'or, les suffrages des
cardinaux pour être pape, en leur recommandant, non de le nommer, mais
de lui présenter la robe pontificale pour la donner à celui qui devait
être élu : à peine l'eut-il en son pouvoir qu'il s'en affubla
lui-même en disant : C'est moi qui suis pape. Les
cardinaux fermèrent les yeux sur ce scandale et confirmèrent son
propre choix.
Il eut différents démêlés avec Ladislas, roi de Naples, dont la morale
n'était pas moins relâchée que la sienne : il excommunia ce
prince et lui ôta sa couronne : mais bientôt après, séduit par
les offres d'argent de son ennemi, il se réconcilia avec lui, et le
rétablit dans ses droits. Quelque temps après, Rome tomba au pouvoir
de Ladislas qui la traita plus mal que les barbares du cinquième
siècle. Jean renouvela ses anathèmes, et les représailles ne cessèrent
pas pendant toute la durée de ce pontificat.
L'empereur Sigismond, qui avait à coeur de faire cesser le schisme,
parvint à faire assembler un nouveau concile général à Constance, où
les ambassadeurs de toutes les nations et des députés des différentes
Églises eurent ordre de se rendre. L'accord fut
entier entre eux et les cardinaux, les évêques et les docteurs de
l'assemblée ; et on y travailla avec zèle, et utilement pour la
chrétienté.
On y fit le procès à Jean XXIII. Il fut prouvé qu'il avait commis de
grands crimes, entre autres, celui de l'empoisonnement de son
prédécesseur Alexandre V. Le décret de sa déposition fut porté le 29
mai 1415.
Grégoire XII était protégé par Ladislas, roi de Naples, au
commencement du pontificat de Jean XXIII ; mais, lorsque celui-ci
fut réconcilié avec le monarque, Grégoire, craignant pour sa personne,
se retira à Rimini avec trois cardinaux, et y vécut pendant trois ans
sous la protection du comte Malatesta qui était souverain de cette
ville. Quelque temps après, il prit la résolution de renoncer au
pontificat, et chargea le comte son protecteur de porter l'acte de son
abdication au concile de Constance. Cette mesure eut lieu le 4 juillet
1415, et Grégoire la ratifia dans la suite. Il mourut à
Rimini, âgé de 92 ans, le 18 octobre 1417
Benoît XIII persista dans le schisme avec la plus grande opiniâtreté,
quoique tous les princes de son parti l'eussent abandonné, et que
l'empereur Sigismond eût fait lui-même le voyage de Perpignan pour le
ramener. Il se retira dans le château de Péniscola, situé près de la
mer du royaume de Valence, sur une langue de terre battue de trois
côtés par les flots. Le concile de Constance adopta, le 26 juillet
1417, les résolutions du concile de Pise et en
décréta de nouvelles, en sorte que tout fut disposé pour l'élection
d'un nouveau pape.
Le concile de Constance élut pour pape, le 11 novembre 1417, Othon
Colonne, né à Rome, cardinal diacre, qui fut reconnu sous le
nom de Martin V, par les envoyés des princes et des Églises.
Jean XXIII renouvela son acte de soumission, et fut se jeter aux pieds
du nouveau pontife qui le reçut avec bienveillance et l'admit comme
doyen dans le collège des cardinaux, avec le droit de prendre place
dans les consistoires à côté du pape, sur un siège moins élevé que le
sien, mais plus haut que celui des autres membres du conseil. Jean
XXIII mourut le 22 novembre 1419.
Rien ne fut capable de vaincre l’obstination de Benoît XIII, à qui
Sigismond et le concile de Constance avaient envoyé une ambassade
pendant qu’il était à Péniscola.
Il mourut dans sa retraite, le 1er juin 1424, et telle était encore
son opiniâtreté dans le schisme, qu'il ordonna, avant de mourir, aux
deux cardinaux qui ne l’avaient pas abandonné, de lui nommer un
successeur, lorsqu’il aurait les yeux fermés.
Cette élection eût lieu en effet, et elle tomba sur Gil Munoz,
chanoine de Barcelone, qui se nomma Clément VIII. Il se crut investi
des droits de la papauté jusqu'en 1429 ; il envoya alors sa
renonciation, et se soumît à Martin V, en lui prêtant serment
d'obéissance, sauf quelques conventions qu'il obtint comme cardinal
évêque de Tortose, par l'entremise d'Alphonse V, roi d'Aragon.
C'est ainsi que finit ce schisme qui avait duré cinquante et un ans,
et qui aurait fini la première année, si l’empereur Venceslas
avait travaillé avec autant de zèle que Sigismond a l’éteindre.
Martin V promit, dans le concile de Constance, de réformer les abus
qui se commettaient à Rome à l'égard des réserves, des rentes
viagères, des expectatives, des pensions, des annates et des autres
exactions ; qui avaient appauvri l'Europe pour satisfaire au luxe
de la cour romaine.
Mais cette sage réforme n'eut point lieu, et Martin toléra tous ses
désordres qui s’étaient introduits avant et après
le schisme. Il conserva aussi l'usage d'excommunier les peuples et les
princes, pour des objets purement temporels.
Alphonse V, roi d'Aragon, fut le premier qu'il frappa des anathèmes de
l'Église, pour avoir occupé quelques villes du royaume de Naples, en
qualité de fils adoptif et d'héritier reconnu de la reine Jeanne II,
parce que Martin V protégeait Louis d'Anjou, qui ne put réussir
néanmoins à enlever ce royaume à son ennemi.
Martin V ne montra pas moins d'indifférence que ses prédécesseurs pour
l'importante affaire de la réunion de l'Église grecque et de l'Église
latine, sans autre motif si ce n'est que l'empereur de Constantinople,
Manuel Paléologue, exigeait que l'accord n'eût lieu que pour ce qui
concernait la foi, la morale et la discipline universelle, et qu'il ne
fût pas question de soumettre les Églises grecques et leurs revenus
aux charges que les papes avaient imposées d'eux-mêmes aux Églises
latines.
L'empereur avait aussi demandé qu'il fût tenu un concile général à
Constantinople. On sait que depuis le temps de Charlemagne, jamais les
papes n'ont voulu accorder une pareille demande, parce qu'à une si
grande distance, il leur eût été impossible d'influer sur les
décisions de cette assemblée.
Un refus formel eut annoncé, de la part du pape, peu de zèle pour le
salut des âmes. Martin répondit qu'il était prêt à se concerter avec
l'empereur pour cette importante affaire, s'il voulait fournir à la
dépense des prélats latins qui se rendraient au concile. Il n'ignorait
pas que Manuel Paléologue était hors d'état de remplir cette
condition, et c'est ce qui l'engagea à lui faire une semblable
réponse. Personne néanmoins n'y fut trompé. Chacun cherchait autrefois
à se maintenir ; la différence entre Constantinople, Constance,
Bâle, Florence, Trente et plusieurs autres villes n'était pas de
nature à inspirer une prétention aussi odieuse.
Les historiens les plus sensés conviennent que le projet de l'empereur
d'Orient causait de la méfiance à Martin V. Celui-ci mourut le 21
février 1431.
GABRIEL Condolmeri, né à Venise, cardinal évêque de Sienne, fut
élu pape le 3 mars 1431, et couronné sous le nom d'Eugène IV.
Les premiers actes de son gouvernement annoncèrent un homme dominé par
les passions les plus violentes. Il commença par persécuter la famille
des Colonne, qui était celle de son prédécesseur, sous prétexte qu'ils
s'étaient appropriés de grands trésors que Martin V leur avait,
disait-on, laissés en mourant.
L'espoir de trouver des complices parmi les serviteurs de ce pape, le
porta à les traiter d'une manière si cruelle, qu'il en mourut plus de
cent. Il se fit remettre par les Colonne, plus de cent mille florins
d'or, pour la paix qu'il leur accorda après la plus violente et la
plus longue tyrannie.
Eugène convoqua un nouveau concile à Bâle, d'après
les dispositions de celui de Constance ; mais, à peine y eut-on
commencé à s'occuper de la réforme de la cour de Rome, qu'il prit cette
assemblée en aversion, et expédia des bulles pour la dissoudre.
Sa politique ne permettant pas qu'il en fût tenu hors de l'Italie,
parce qu'il lui était moins facile d'y être le maître par ses agents,
il indiqua pour cette réunion, Bologne, Pavie, Ferrare, Florence et
Rome. Elle eut bientôt lieu en effet à Ferrare, et fut ensuite
transférée à Florence.
Les pères du concile de Bâle lui représentèrent que, lorsqu'un concile
général avait été régulièrement convoqué, il n'était plus au pouvoir
du pape de le dissoudre ni de restreindre ses pouvoirs, attendu que
tout le corps mystique de l'Église s'y trouvait représenté ; que
le pape n'en était qu'un simple membre, obligé comme les autres,
malgré sa qualité de premier et de principal, au respect et à
l'obéissance à l'égard du corps tout entier ; que Jésus-Christ
avait voulu nous l'apprendre en disant à Saint-Pierre, au sujet de la
correction fraternelle que, si un frère la méprisait en particulier en
présence de témoins, l'avis devait en être donné à l'Église.
Que, d'après cette doctrine, le concile général de Constance, reconnu
par tout le monde chrétien, et par le pape lui-même, comme oecuménique
et légitime, avait déclaré que tout concile général, régulièrement
assemblé, et représentant l'Église catholique, était infaillible par
l'assistance du Saint-Esprit, et supérieur au
pape qui était et devait lui être soumis pour les décisions
dogmatiques, l'extinction des schismes et la réforme des abus généraux
de la cour romaine, qui intéressaient toute la chrétienté.
La division augmenta entre le pape et le concile ; celui-ci cita
Eugène à comparaître en personne ou par ses légats, afin de répondre
aux accusations que son opiniâtreté à vouloir dissoudre le concile,
avaient fait porter contre lui comme parjure, rebelle au décret de
réforme, quoiqu'il fût un de ceux qui en avaient reconnu la nécessité
au concile de Constance, qu'il eût juré d'y travailler de toutes ses
forces, et qu'il eût approuvé la convocation de celui de Bâle pour la
réforme de l'Église, dans son chef et dans ses membres.
L'empereur obtint plusieurs fois la prolongation du terme accordé au
pape ; mais celui-ci n'en ayant pas profité pour obéir au
concile, les Pères eurent recours aux avis et aux
communications, et décrétèrent qu'on passerait outre, si ces moyens
étaient sans effet.
Le pape persistant dans son refus, le concile l'ajourna de nouveau,
mais toujours inutilement, en sorte qu'il fût suspendu de l'exercice
du pontificat, et enfin, après plusieurs autres citations inutiles,
déposé le 22 juin 1439.
Le 5 novembre, le concile nomma pour son successeur, Amédée, duc de
Savoie, qui vivait dans la retraite la plus profonde, avec une grande
réputation de sainteté. Il fut couronné à Bâle, le 24 juillet 1440,
sous le nom de Félix V.
Ici commence un nouveau schisme, lorsqu'à peine on
voit finir celui qui divisait l'Église depuis cinquante et un ans.
Quoiqu'en disent les partisans de la cour de Rome, il n'y a, ni ne
peut y avoir de doute fondé sur la validité et la justice de la partie
du jugement du concile de Bâle, qui déclare le pape Eugène digne
d'être déposé, comme prévaricateur, perfide, parjure et fauteur de
schisme.
Elle était valide, le concile de Bâle ayant le droit de prononcer,
comme celui de Constantinople l'avait reconnu, déclaré et pratiqué
lui-même ; elle était juste, parce que les vices d'Eugène IV, qui
l'avaient motivée, ne pouvaient être révoqués en doute.
Ce pape devait approuver et reconnaître les décrets de l'assemblée
concernant la réforme de l'Église, dans son chef et dans ses membres,
non seulement parce qu'il l'avait promis et juré, mais encore parce
qu'il était urgent d'y mettre promptement la main, les Bohémiens,
disciples, de Jean Huss, n'ayant depuis quelque temps attaqué la
religion catholique que sur les points relatifs à la puissance du pape
et à l'abus qu'on en faisait, pour compromettre les libertés et les
biens des Églises et de leurs ministres.
Eugène IV mourut le 23 février 1447 avec la consolation de voir le
concile de Bâle dissous, et persuadé que le schisme allait finir
puisqu'on lui avait annoncé que la haute vertu de Félix V ne lui
permettrait pas de faire attendre longtemps sa renonciation ; il
se passa néanmoins plus de deux ans avant qu'elle ne fût signée.
Les Romains et les auteurs qui portent leurs préventions dans l'étude
de l'histoire, prennent sujet, pour faire l'éloge d'Eugène IV, de ce
qu'il dit quand il fut à son lit de mort. Mais c'est par leurs
actions, bien plus que par leurs paroles, que les hommes doivent être
jugés.
Les auteurs de l'Art de vérifier les dates, avouent qu'Eugène
commit des fautes énormes sous son pontificat. Il ne put pardonner aux
membres du conclave qui n'avaient pas voté pour lui, et il leur ôta le
chapeau de cardinal.
Fleuri convient qu'il préféra l'agrandissement de sa famille à la paix
de l'Église. Il prodigua les richesses à son neveu par des voies
illicites et même très criminelles. Il fut cause que les Romains se
révoltèrent contre l'administration tyrannique de ce neveu, et il ne
put imputer qu’à lui-même, la nécessité où il se vit de s'enfuir de
Rome, déguisé en moine, pour échapper à la mort.
Si Eugène IV eût été le prince séculier d'une seule ville, nous
dirions qu'il fut un très méchant prince ; mais il semble que
parce qu'il fut pape, nous soyons obligés d'en parler autrement.
À la mort d'Eugène IV, les cardinaux élurent pour lui
succéder Thomas de Sarzane, cardinal évêque de Bologne, né à
Luni, en Toscane.
Cette cérémonie eut lieu le 16 mars, et le nouveau pape prit le nom de
Nicolas V.
Le roi de France eut beaucoup de part à l'extinction du schisme ;
mais la conduite de Nicolas fut très généreuse, et mérite, à cet
égard, les plus grands éloges.
Il accorda tout ce qui lui fut demandé, et Félix, de son côté, fit son
abdication le 9 du mois d'avril 1449 après avoir approuvé et confirmé
le concile de Bâle.
Il reçut le titre de légat a latere perpétuel en Savoie, avec
prééminence de place et de voix sur tous les cardinaux. Ceux qu'il
avait nommés, conservèrent leur dignité, comme tous les prélats qui
avaient suivi son parti, et l'on rétablit ceux qui avaient été
destitués par Eugène IV.
Tous les actes du pontificat de Félix furent confirmés et ceux
d'Eugène frappés de nullité, en ce qui concernait les évêques et les
autres membres du concile de Bâle ; enfin, Nicolas V prouva qu'il
était au-dessus de toutes les considérations personnelles, lorsqu'il
s'agissait du bien et de l'intérêt de l'Église.
Son caractère pacifique facilita la réunion de l'Église grecque et de
l'Église latine. Après la prise de Constantinople, en 1453, il offrit
un asile à tous les savants de la Grèce qui se réfugiaient en
Italie : cette circonstance le mit en état d'enrichir la
bibliothèque du Vatican d'un grand nombre de manuscrits précieux, et
il fit traduire en latin les ouvrages des Pères Grecs qui n'avaient
pas encore été traduits.
Sa protection s'étendit sur tous les hommes de lettres et sur tous les
artistes qu'il chargea d'exécuter de nombreux ouvrages dans les
palais, les églises et les autres grands édifices de la capitale du
monde chrétien ; en un mot, Nicolas V est placé avec raison parmi
les plus saints et les meilleurs papes que l'Église ait eus, et
cependant on n'a jamais pensé à le canoniser. Quel a été le motif de
cette indifférence ? est-ce parce qu'il ne songea point à
agrandir la puissance du Saint-Siège par les guerres et les
excommunications ?
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