ÉTIENNE D’ALBERT, né dans le diocèse de Limoges, cardinal
évêque d'Ostie, et cinquième pape d'Avignon, fut élevé à cette dignité
le 18 décembre 1352 et prit le nom d'Innocent VI ; il mourut à
Avignon, le 12 septembre 1362, sans avoir jamais vu son église.
Il est du petit nombre des papes de cette époque dont la vie fut sans
scandale ; car, s'il travailla constamment à l'élévation de sa
famille, il eut du moins le bonheur d'y rencontrer des hommes
instruits et d'une conduite régulière. Il réforma quelques abus sur
les réserves apostoliques et les droits ecclésiastiques.
Sous ce pontificat, des bandes redoutables de brigands se mirent à
désoler un grand nombre de diocèses ; le vol, l'incendie et les
crimes de toute espèce marquaient partout leur passage ; ils
avaient pris le nom de Tardvenus, et ils s'approchèrent
d'Avignon avec l'intention de surprendre la ville
où ils espéraient trouver de grands trésors. Innocent VI crut les
arrêter en les excommuniant ; mais ils se moquèrent de ses
anathèmes, et ils seraient entrés dans la ville, si le marquis de
Montferrat n'eût trouvé un meilleur moyen de s'en débarrasser. Il leur
fit remettre une grosse somme d'argent de la part du pape, et leur en
promit une seconde plus considérable, à condition qu'ils n'entreraient
pas dans la ville, et qu'ils iraient en Italie faire la guerre aux
ennemis de l'Église qui s'étaient révoltes sur plusieurs points de ce
pays. Ils promirent ce qu'on leur demandait, et ce fléau alla ravager
d'autres provinces.
GUILLAUME, né à Grisac en Gévaudan, moine bénédictin et abbé de
Saint-Victor de Marseille, fut élu pape dans le mois de septembre
1362, quoiqu'il ne fût point encore cardinal. Il avait quitté Avignon,
et était arrivé à Florence, d'où il devait se rendre avec la qualité
de Nonce, dans le royaume de Naples. Les prières du monarque français
ne purent le retenir dans le royaume, et il quitta Avignon,
le 30 avril 1367, pour se rendre en Italie ; il arriva à Rome, le
23 mai, et fit son entrée publique dans cette ville, le 6
octobre suivant. On conçoit la joie des Romains en revoyant le chef de
l'Église, après une absence qui avait duré soixante ans.
Urbain revint cependant à Avignon et y mourut le 19 décembre 1370.
Quelques auteurs prétendent que l'objet de son voyage avait été de
pacifier les différends survenus entre les rois
de France et d'Angleterre : mais, François Pétrarque assure que
ce n'était là qu'un prétexte, et il faut convenir que le pape pouvait
facilement réconcilier les deux souverains sans faire ce long voyage.
Urbain V étant sorti un jour de Saint-Jean-de-Latran pour se rendre en
procession au Vatican, évita le grand détour que ses prédécesseurs
avaient coutume de faire pour ne pas voir le lieu où s'était passé
l'accident scandaleux de la papesse Jeanne.
L'abbé Fleuri en conclut que l'on commençait à ne voir qu'une fable
dans cette histoire ; j'avoue que je ne sens pas la justesse de
cette conclusion ; tout ce qu'il est permis d'en induire, c'est
qu'Urbain V pensa qu'il était ridicule de tourner la place, puisque
cette précaution tendait à prouver le fait, et que le plus sur moyen
d'en effacer le souvenir, était de s'en moquer.
Urbain V tira du sancta-sanctorum les chefs de Saint-Pierre
et de Saint-Paul, et les plaça sur des statues d'argent à
demi-corps ; celui de Saint-Pierre portait la tiare avec les
trois couronnes, ce qui à fait croire à quelques historiens que ce
pape fut le premier qui en mit trois sur sa tête. Il n'est pas certain
néanmoins qu'il y en eût alors plus de deux.
Sur le point de mourir, Urbain protesta solennellement que si, avant
d'être pape, il avait cru, dit, enseigné ou écrit quelque chose de
contraire à la sainte foi catholique, il en faisait en ce moment la
rétractation la plus formelle, en se soumettant à
la pénitence qui lui serait imposée par l'Église. Son prédécesseur
avait fait une déclaration semblable, et, comme l'histoire nous
apprend que Jean XXII en avait donné l'exemple, on doit en conclure
que les papes eux-mêmes ne se croyaient pas infaillibles ; on
sait d'ailleurs que l'opinion de l'infaillibilité du pape est beaucoup
plus moderne.
Urbain V aima la paix autant que son prédécesseur, et montra la même
sagesse. Si je voyais ces deux papes au nombre de ceux que l'Église a
canonisés, j'applaudirais à cette mesure. Mais combien de miracles
n'a-t-on pas supposés, pour accorder cet honneur à des pontifes
scandaleux, tyrans, perturbateurs, et dont les passions cachées sous
le manteau de la religion ont couvert la terre de sang et de
calamités !
PIERRE ROGER, neveu de Clément VI, né comme lui près de
Limoges, cardinal diacre du titre de Sainte-Marie-Neuve, fut élu pape
à Avignon, et prit le nom de Grégoire XI, le 30 décembre 1070 ;
il fut le septième et le dernier des papes légitimes qui tinrent leur
cour à Avignon.
Il transféra le siège pontifical à Rome pour y faire sa résidence
ordinaire ; son entrée, qui eut lieu le 17 janvier 1377,
c'est-à-dire, soixante-treize ans après l'établissement des papes de
France, fut un véritable triomphe à cause de l'empressement avec
lequel il fut reçu par les Romains.
Cependant il songeait déjà à retourner en France, lorsque la mort vint
le surprendre, le 27 mars 1378, et donner lieu au grand schisme
d'Occident ; cette nouvelle calamité de l'Europe dura cinquante
et un ans, et fut produite par la funeste ambition des papes, qui leur
faisait croire qu'ils étaient les évêques oecuméniques,
c'est-à-dire universels, malgré la déclaration contraire de
Saint-Grégoire-le-Grand ; dominés par cette orgueilleuse pensée,
ils se considéraient non comme les évêques de Rome, mais comme ceux de
l'Église universelle, et ils en tiraient cette conséquence qu'ils ne
cessaient pas de résider dans leur évêché, quoiqu'ils fussent à
Avignon.
Ce déplacement de la cour pontificale fut cause que les sept papes
élus en France furent des Français, que la majorité du sacré collège
se trouva composée de cardinaux de la même nation, qu'Urbain V voulut
goûter de nouveau les délices d'Avignon, et que Grégoire XI fut sur le
point de l'imiter ; delà aussi le chagrin que causa aux cardinaux
français l'élection d'Urbain VI qui était italien, et le parti qu'ils
prirent de nommer, au mépris de l'unité, un autre pape de leur nation
qui fut Clément VII ; de là l'établissement de l'antipape à
Avignon même, le séjour d'affection des cardinaux français ; de
là tous les efforts qui furent tentés pour le faire reconnaître
en-deçà des monts et la durée du scandale produite par le schisme que
les princes avaient intérêt de soutenir ; de là enfin, une foule
de malheurs spirituels et temporels qui n'auraient pas eu lieu, si les
pontifes romains eussent respecté la déclaration par laquelle
Saint-Grégoire le grand avait fait entendre que l'évêque de Rome non
seulement n'est point l'évêque oecuménique, mais ne peut jamais le
devenir, parce qu'il réunirait dans sa personne
l'épiscopat tout entier, lequel appartient, suivant le texte de
l'Évangile, à tous les apôtres en général et à chacun d'eux en
particulier ; doctrine d'autant plus respectable qu'elle a été
professée par un des papes les plus zélés pour les droits du
Saint-Siège, et les plus attentifs à étendre son autorité, à
restreindre celle des patriarches, des exarques, des primats et des
métropolitains, les seuls (hors les cas extraordinaires) avec lesquels
il eut eu jusqu'alors des relations directes.
Au reste, si Grégoire XI ne fut point aussi pacifique qu'Innocent VI
et qu'Urbain V, on ne peut du moins lui reprocher d'avoir mis le
trouble et la division dans l'Église, comme l'avaient fait les autres
papes Avignonnais.
Il est vrai qu'il déclara la guerre aux Visconti de Milan et à
quelques autres seigneurs, lorsqu'il vit que les excommunications
restaient sans effet ; mais une sage politique le porta à la
terminer promptement. On peut le blâmer avec plus de raison de la
conduite qu'il tint avec Wiclef ; sa sévérité irrita ce novateur,
et rendit toute réconciliation impossible.
Voici arrivés à l'époque où les plus grands scandales devaient
prouver aux hommes de bonne foi, combien il était téméraire de
prétendre que c'est le Saint-Esprit lui-même qui, pour l'édification
des fidèles, dirige l'élection des chefs de son église. S'il en était
ainsi, jamais il n'y aurait de schisme parmi les catholiques, et tous
les papes seraient plus saints et meilleurs les uns que les autres.
Comme nous voyons le contraire, il est impossible de défendre le
système que je combats, sans accuser le Saint-Esprit de manquer de
puissance, de sagesse et de bonté, ce qui serait un blasphème plein
d'hérésie.
À la mort de Grégoire XI, il y avait vingt-trois cardinaux, six à
Avignon, un en Toscane et seize à Rome. Le choix du nouveau pape
dépendait de ces derniers qui entrèrent dans le
conclave, le 17 avril 1078. Douze étaient Français et pouvaient faire
tomber leurs suffrages sur un cardinal de leur nation ; mais ils
se divisèrent ; les cardinaux gascons voulaient choisir un pape
parmi eux, et les autres en proposaient un de leurs provinces, pendant
que les quatre cardinaux d'Italie songeaient à nommer un italien.
Le peuple se mutina et vint entourer le conclave en criant : Nous
demandons un pape gui soit romain. Il est certain que ce
mouvement pouvait devenir funeste aux électeurs, si le choix ne
tombait pas sur un cardinal d'Italie : en effet, ils ne crurent
pas que le danger eût cessé, quoiqu'ils eussent nommé un Napolitain,
et ils firent annoncer aux séditieux que François Tebaldeschi,
cardinal de Saint-Pierre, et romain, venait d'être nommé, quoique le
véritable élu fût Barthélemi Prignani, archevêque de Bari, dans le
royaume de Naples. La vérité ne fut connue que lorsqu'on put croire
qu'il n'y avait plus aucun danger à l'annoncer.
La consécration du nouveau pape (Urbain VI), se fit le 18, et le 19,
les cardinaux en informèrent leurs collègues absents. Mais l'orgueil
du chef qu'ils venaient de se donner leur parut bientôt si
insupportable, qu'ils quittèrent Rome vers le milieu du mois de mai,
pour se retirer à Anagni, dans la Campanie, et ensuite à Fondi, où les
onze cardinaux italiens se réunirent aux douze français. Ils
adressèrent de là une circulaire à toutes les Églises
catholiques, dénonçant comme nulle l'élection du nouveau pape, ainsi
que tous les actes subséquents, comme leur ayant été extorqués par les
menaces d'une mort presque certaine, dont ils n'étaient délivrés que
depuis qu'ils avaient quitté Rome pour recouvrer leur indépendance.
Ils sommèrent ensuite plusieurs fois Urbain VI d'abdiquer la tiare,
parce qu'ils allaient procéder à une nouvelle élection, et qu'il était
de son devoir de prévenir un nouveau schisme. Le pape motiva son refus
sur la légitimité des suffrages qui l'avaient élevé au trône
pontifical, en sorte que, le 21 septembre suivant, les cardinaux
réunis à Fondi, élurent à sa place Robert de Ginebre, membre du
conclave : cette élection fut annoncée aux cardinaux absents, qui
l'approuvèrent, et Robert fut couronné le 31 octobre, sous le nom de
Clément VII : il fixa quelque temps après, sa résidence à
Avignon.
Depuis cet événement, l'Église catholique eut deux chefs, sans
qu'on pût savoir avec certitude quel était le légitime. En effet, d'un
côté, il était incontestable que l'élection d'Urbain VI n'avait pas
été libre, et de l'autre, elle paraissait ratifiée et renouvelée par
les actes nombreux d'administration signés par les cardinaux, et qui
semblaient appartenir à des temps où toute crainte avait cessé. Cette
double circonstance fut cause que les nations catholiques se
divisèrent, ainsi que les cardinaux, eu deux partis, les unes par
intérêt, et les autres par opinion.
L'empire d'Allemagne et le royaume de Naples avaient des raisons
politiques pour reconnaître Urbain. La France s'intéressait pour
Clément Vil, et l'Angleterre, par opposition au système de sa rivale,
avec qui elle était continuellement en guerre, se décida pour le
premier. Il était de l'intérêt de l'Aragon de se soumettre à Clément
VII, à cause du voisinage du comtat Venaissin ; les mêmes motifs
agissaient également sur la Navarre, dont une partie était
soumise à la France. La Castille prit le parti d'attendre jusqu'à ce
qu'on fût mieux instruit de la vérité. Quelque temps après, Pierre de
Luna, cardinal aragonais, l'un de ceux qui avaient élu Clément VII,
l'emporta et entraîna la Sicile, l'Écosse et l'île de Chypre dans son
parti.
On était si embarrassé pour distinguer la véritable élection
canonique, que les opinions se trouvèrent partagées, non seulement
dans chaque royaume, mais jusque dans chaque couvent, et dans le sein
de chaque famille. On trouve même dans les deux partis des hommes que
l'Église a canonisés. Sainte Catherine de Sienne, religieuse de
l'ordre de Saint-Dominique, qui jouait alors un rôle bien supérieur à
celui que son sexe semblait permettre, écrivit en faveur d'Urbain
VI ; et Saint-Vincent Ferrier, religieux du même institut, qui
n'est pas moins célèbre que cette sainte, pour ses miracles et ses
révélations, se soumit à Clément VII. Cette division eut encore lieu
dans beaucoup d'autres ordres monastiques.
Le fanatisme enfanta la fureur et les persécutions. L'envie
d'augmenter les forces de leur parti, engagea les deux papes à tolérer
et même à commettre respectivement de grandes injustices.
Des guerres scandaleuses, auxquelles on croyait devoir donner la
religion pour motif, armèrent les deux compétiteurs l'un contre
l'autre, et comme on ne pouvait les soutenir sans argent, Urbain et
Clément accablèrent d'impôts et d'exactions les Églises ; et les
prêtres qui s'étaient déclarés leurs partisans, vendirent les
ornements, et jusqu'aux vases sacrés, et engagèrent les biens-fonds et
les rentes perpétuelles des communautés ecclésiastiques.
Les suites de cette guerre insensée plongèrent pour cinquante ans
l'Europe dans la misère et les calamités de toute espèce ; et
cependant il n'y a pas de philosophe chrétien qui ne reconnaisse
qu'elle était sans motif, et qu'il eût suffi, pour la faire cesser,
que les souverains ne mêlassent pas, les intérêts imaginaires de leur
politique avec ceux de la religion.
Si chaque prince eût adopté pour maxime de faire administrer l'Église
de sa nation par un patriarche ou un primat, jusqu'au moment où les
cardinaux se seraient accordés à rejeter l'un et à reconnaître
l'autre, et de ne leur fournir ni hommes ni argent, bientôt on eût vu
les deux partis dans la nécessité de renoncer à leurs prétentions, et
de consentir à la mesure d'une troisième élection »
Je place Urbain VI dans la succession des papes, pour me conformer à
l'ordre numérique, parce qu'il fut élu le premier, et que cet usage
s'est depuis introduit et a été consacré dans l'histoire ; mais
il n'en faut pas conclure que je préfère sa cause à celle de Clément,
puisque le concile général de Constance ne se crut point assez éclairé
pour prononcer sur la question, et prit le parti de les obliger l'un
et l'autre à abdiquer, sous peine d'être déchus de leur droit.
Urbain fut un méchant homme, orgueilleux, et d'une imprudence extrême.
Son audace et ses procédés violents à l'égard des cardinaux, dès qu'il
se crut véritablement pape, furent la seule cause de ce schisme
violent. S'il n'avait pas irrité le sacré collège par sa rudesse, les
cardinaux ne se fussent point séparés de lui. Rien de plus cruel que
sa sévérité à l'égard de l'évêque d'Aquilée et de cinq cardinaux qu'il
avait nommés. Sur le simple soupçon d'un complot tramé contre sa
personne, mais dont il lui fut impossible d'acquérir la moindre
preuve, il les fit mettre à la question, et assista lui-même aux
tourments de ces malheureuses créatures, qui protestèrent jusqu'à la
mort, de leur innocence, et citèrent au tribunal de Dieu leur
impitoyable bourreau.
Il dépouilla la reine Jeanne de son royaume de Naples, parce qu'elle
avait abandonné son parti pour celui de Clément, et il le donna à
Charles III de la Paix, duc de Durazzo,
arrière-petit-fils du côté paternel de Charles II, le
Boiteux ; mais, après en avoir séparé la principauté de
Capoue, le duché d'Amalfi, et d'autres terres, pour les donner à son
propre neveu François Prignani.
Ce prince de nouvelle date arracha d'un couvent de Sainte-Claire, de
Naples, une religieuse jeune, belle, et d'une famille
distinguée ; il la tint enfermée dans son palais pendant
plusieurs jours, et, après avoir assouvi sur elle son infâme
brutalité, il la renvoya dans son couvent. Des réclamations furent
adressées à Urbain, qui était alors à Naples ; mais, au lieu de
punir d'une manière exemplaire le coupable, il répondit qu'il fallait
passer quelque chose à sa jeunesse : ce prétendu jeune homme
avait plus de quarante ans ; il fut cependant arrêté par ordre de
Charles, et convaincu d'avoir exercé la plus grande violence sur sa
victime. Les juges prononcèrent contre lui la peine de mort. Le pape
réclama contre ce jugement, prétendant que le roi ne pouvait faire
mourir personne sans la permission du Saint-Siège, attendu que la
souveraineté du royaume de Naples appartenait au pape.
Telle fut la tournure que prit ce honteux procès, que non seulement le
coupable évita le châtiment qu'il avait mérité, mais qu'il parvint à
épouser une princesse du sang du roi. Celui-ci mourut quelque temps
après, et laissa la couronne à son fils Ladislas. Urbain fit
difficulté de le reconnaître, et déclara qu'il
voulait gouverner lui-même, comme roi, le royaume de Naples ; il
fit prêcher une croisade contre Clément, et excommunia ses partisans
avec plus de rigueur que ceux qui auraient fait d'un crucifix l'objet
de leurs outrages.
Ce barbare pontife mourut le 18 octobre 1389, après onze ans et demi
d'un gouvernement déshonoré par mille cruautés, et sans qu'un seul
chrétien témoignât le moindre regret de cet événement.
Si Clément VII se montra moins cruel que son compétiteur, il poussa
beaucoup plus loin l'avarice. Il ne connut aucune borne dans le
système de concussion qu'il exerça sur les Églises et la partie du
clergé qui l'avait reconnu pour légitime. Évêchés, abbayes, dignités,
canonicats, prébendes, chapellenies, pensions sur bénéfices et autres
revenus ecclésiastiques, tout fut mis à l'encan et vendu comme une
simple marchandise : ce temps est celui des réserves, des
expectatives, des délégations viagères, des divisions des titres pour
multiplier les annates, des acquisitions ab intestat des
biens des évêques, des vacances, et d'une foule d'autres moyens
d'exactions, inconnus avant cette malheureuse époque.
Pour juger des ressources que cette honteuse simonie procura à la
cause de Clément VII, il suffit d'observer qu'après avoir soutenu
plusieurs guerres ruineuses, il restait encore dans le fisc de Rome
trois cent mille écus d'or lorsqu'il mourut. Cet événement eut lieu
le 16 septembre 1394, à la suite d'un accès de colère que lui causa la
nouvelle que l'université de Paris venait de se plaindre au roi de
France que Clément ruinait les études dans son royaume par toutes ses
exactions et les autres abus qui s'y commettaient en son nom.
PIERRE TOMACELLI, cardinal de Naples, fut élu pape par quatorze
cardinaux qui avaient soutenu Urbain VI. Il fut intronisé sept jours
après, c'est-à-dire, le 11 novembre 1389. Sa tiare portait les trois
couronnes ; cet usage paraît avoir été inconnu avant lui, dans
cette cérémonie, et donna lieu de penser combien il y aurait
d'ambition et de vanité dans le système du nouveau pape. Il prit le
nom de Boniface IX, comme s'il eut voulu annoncer,
par-là, la conformité de ses vues avec celles de son compatriote
Boniface VIII. Il étendit et perpétua le système du tribut indirect
des annales ecclésiastiques, c'est-à-dire, le revenu d'une
année de chaque titre ecclésiastique dont il signait la provision.
Cette dépense des titulaires, jointe aux frais de l'expédition des
bulles et de la prise de possession, a constitué débiteurs et rendu
insolvables, dans tous les temps, une multitude de prêtres morts peu
de temps après l'arrivée de leurs provisions.
L'année 1400 était celle du Jubilé : Rome vit arriver dans ses
murs une foule innombrable d'étrangers qui ne reconnaissaient
cependant que Benoît XIII successeur de Clément, mais qui se
conformaient, en prenant part au Jubilé, à la bulle de ce pape qui
avait aussi publié cette solennité à Avignon.
Boniface eut l'imprudence de souffrir qu'ils fussent maltraités et
pillés, conduite aussi impolitique qu'injuste, qui lui fit perdre
l'occasion favorable d'acquérir un grand nombre de partisans, et lui
attira de nouveaux ennemis.
Il afficha la simonie en vendant les bénéfices ecclésiastiques à ceux
qui lui en donnaient le plus d'argent, et les indulgences du Jubilé
aux chrétiens qui voulaient les gagner sans faire le voyage de Rome.
L'empereur, le roi d'Angleterre et celui de France lui ayant proposé
d'abdiquer la tiare pour donner la paix à l'Église, pendant que Benoît
XIII renonceraitaussi à ses prétentions, il rejeta
cette proposition et opposa à ces principes une résistance opiniâtre.
Enfin, ce pape mourut de colère, comme son prédécesseur, le 1er
octobre 1404, à la suite des discussions qui s'engagèrent entre lui et
les délégués de Benoît qui étaient venus lui proposer en son nom
d'avoir une entrevue avec lui dans la ville qu'il aurait désignée,
afin de mettre fin au schisme qui affligeait l'Église.
Ces députés accusèrent Boniface de simonie, et le dépit qu'il en eut
alluma sa bile et lui causa une fièvre ardente qui l'emporta en peu de
jours.
Clément VII mourut sous le pontificat de Boniface IX, et les cardinaux
de son parti élurent à Avignon, le 28 septembre, Pierre de Luna, né en
Aragon d'une très grande famille : il prit le nom de Benoît XIII.
Les cardinaux avaient juré dans le conclave que l'élection qu'ils
allaient faire serait sans préjudice des moyens qu'on pourrait
imaginer pour détruire le schisme, et la renonciation au pontificat
était de ce nombre. Mais, quelques efforts que fissent les princes qui
avaient reconnu Benoît XIII et ceux qui appuyaient Boniface IX, il fut
impossible d'obtenir son abdication ; il fonda son refus sur tous
les prétextes que l'ambition peut alléguer, et qui pouvaient faire
croire qu'il travaillait sérieusement à mettre fin aux maux de
l'Église. Cependant, sa conduite et celle de
Boniface prouvaient qu'ils n'avaient pas moins d'envie de régner l'un
que l'autre.
Benoît XIII vit nommer et mourir plusieurs papes ses compétiteurs, et
cette circonstance nous obligera d'en parler encore plusieurs fois.
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