GUIDE FULCON, Français, natif de San-Gilles, fut élu pape à
Pérouse, le 5 février 1265, sous le nom de Clément IV, et mourut
à Viterbe, le 29 novembre 1268.
Il se trouva absent au moment de son élection, et lorsqu'il l'apprit,
il se déguisa en moine de Saint-François pour se rendre à Rome, se
défiant des embûches de Mainfroy, qui occupa le trône de Sicile
jusqu'à sa mort, arrivée en 1266. Ce souverain pontife avait été marié
et veuf avant de recevoir les ordres sacrés ; deux filles,
provenues de ce mariage, se firent religieuses, après que leur père
eut été nommé pape.
Il continua la guerre contre Mainfroy, et délivra, le 26 février 1265,
la bulle de concession du royaume des Deux-Siciles, à Charles d'Anjou,
conformément au traité de son prédécesseur Urbain, sans tenir aucun
compte de la justice des droits de Conradin, comme s'ils n'avaient pas
été reconnus par le Saint-Siège, pendant le pontificat d'Innocent IV.
Ayant appris, au contraire, que les Recteurs de l'empire pensaient à
l'élire roi des Romains, et qu'il projetait de passer en Italie pour
prendre possession du royaume de Sicile, il lui écrivit, en lui
défendant de faire aucune démarche pour l'un ou pour l'autre, sous
peine d'excommunication et de perdre le titre qu'il avait de roi de
Jérusalem.
Conradin eut raison de penser qu'il n'était pas obligé d'obéir à un
ordre aussi injuste, et il se rendit avec son armée à Rome, où Henri
de Castille, fils de Saint-Ferdinand (qui y exerçait l'autorité civile
en qualité de sénateur), reçut Conradin avec des honneurs presque
égaux à ceux que l'on a coutume de rendre aux empereurs.
Le pape les excommunia tous les deux, et tous ceux qui favoriseraient
l'entreprise de Conradin ; il le déclara déchu du titre de roi de
Jérusalem et du droit à tous les fiefs impériaux dont il jouissait,
inhabile à obtenir aucune dignité séculière, et mit en outre sous
l'interdit ecclésiastique les peuples qui recevraient Conradin comme
roi de Sicile. II fut pourtant reçu presque partout où il se présenta,
malgré Clément IV, qui le traitait d'homme de race maudite de
Dieu, descendant d'hérétiques, schismatiques, ennemis de l'Église,
et indignes de la confiance des hommes.
Charles d'Anjou fit prisonnier son cousin Frédéric, duc d'Autriche,
Henri de Castille le sénateur et beaucoup d'autres chevaliers ;
il eut l'inhumanité de faire couper la tête par la main du bourreau,
sur un échafaud dressé dans la place publique de Naples, à tous les
prisonniers, excepté au sénateur Henri, infant de Castille.
L'abbé Fleuri dit que non seulement Clément IV ne consentit pas à
cette injustice, mais même qu'il la reprocha au roi Charles.
Cependant, beaucoup de graves historiens soutiennent le
contraire ; il est certain qu'il manifesta souvent un grand désir
de voir éteindre la famille impériale de Souabe, et qu'il se montra
ensuite très satisfait que cela se fut effectué. Jamais, surtout, il
ne pourra se laver de la tache de l'avoir injustement privé de l'usage
de ses droits de succession à la couronne de Sicile, seulement par des
passions personnelles.
Pour moi, je le regarde comme l'auteur des guerres sanglantes et
désastreuses qui désolèrent la Sicile, Naples et toute l'Italie par
suite de ses énormes injustices ; et ses successeurs au
pontificat participèrent à ses fautes, comme nous le verrons dans la
suite.
Les écrivains romains le louèrent pour sa modération, mais sans aucun
fondement, puisqu'outre les événements de Sicile, qui prouvent le
contraire, il existe encore beaucoup d'autres preuves de son
emportement. Il soutint avec une fermeté inflexible la résolution de
pourvoir à un archidiaconat de France, sous le seul prétexte qu'il
s'était réservé la provision des bénéfices ecclésiastiques qui
vaqueraient à la cour romaine ; et il voulait faire croire que
cette circonstance s'était vérifiée, parce que la vacance de
l'archidiaconat provenait de la promotion du précédent titulaire à
l'archevêché de Sens, dont les bulles avaient été expédiées par la
cour de Rome. Le roi Saint-Louis s'opposa à cette usurpation, et
soutint les droits du trône.
Il fut question de la réconciliation de l'Église grecque, et plusieurs
prélats dirent, de vive voix et par écrit, qu'ils se réuniraient à
l'Église romaine, s'ils ne craignaient les exactions, les violences et
les attentats que les papes avaient coutume de commettre par suite de
leur ambition, de leur avarice et de leur orgueil. L'empereur Michel
Paléologue manifesta aussi la défiance d'être inquiété par les Latins
qui s'autorisaient de la faveur des papes. Clément IV l'assura du
contraire, et dans le même temps on faisait dans son propre palais un
traité avec Baudouin, empereur des Latins, et Charles d'Anjou, roi de
Sicile, pour reconquérir Constantinople et d'autres villes. N'était-ce
pas une perfidie bien étrange dans un successeur de
Saint-Pierre ?
THÉOBAL DE VISCONTI, Italien, de Plaisance, archidiacre de
Liège, résidant en Palestine, fut élu pape, à Viterbe, le 1er
septembre 1271, sous le nom de Grégoire X, et mourut le 10 janvier
1276.
Pendant trois ans de vacance du Saint-Siège, les cardinaux n'avaient
pu s'accorder dans leur choix. Saint-Bonaventure, l'un d'eux,
personnage d'une grande bonté sous tous les rapports, voulant faire
cesser ce scandale, leur persuada de s'en remettre au choix de six
cardinaux, en s'obligeant à reconnaître pour légitime souverain
pontife celui qu'ils éliraient. Il en résulta l'élection de celui qui
devait être loin d'y penser, puisqu'il était en Palestine. Le nouveau
pape reconnut mieux que personne les intrigues qui se passaient dans
ces sortes d'élections ; c'est du moins ce qu'il démontra dans le
second concile général de Lyon, en 1274 (qui fut le quatorzième des
conciles généraux delà chrétienté), en ordonnant qu'au plus tard dix
jours après la mort du pape, les cardinaux s'enfermassent dans la
salle à laquelle il donna le nom Conclave, en sorte qu'ils n'eussent
aucune communication de vive voix ni par écrit avec personne du
dehors ; qu'il n'y eût qu'une seule salle pour tous, afin que le
jour et la nuit ils pussent se voir et communiquer les uns avec
autres, et qu'il n'y eût point de conversations particulières et
secrètes ; qu'on leur passât leur nourriture pour tous, et que le
pape fût élu dans l'espace de trois jours ; que, dans le cas
contraire, on ne leur donnât plus qu'un seul mets pendant cinq
jours, et que si l'élection n'était pas terminée dans ce délai, on les
nourrît avec du pain et du vin jusqu'à ce qu'ils l'eussent effectuée.
On arrêta encore, dans ce concile, diverses autres mesures sur cet
objet, et on en fit jurer l'exécution par les cardinaux. Que les
écrivains vendus dans les derniers temps à Rome, viennent maintenant
nous dire que l'élection pontificale est l'oeuvre de l'influence
directe du Saint-Esprit.
Grégoire X fut un homme de bonnes moeurs, mais il ne put se détacher
du système de ses prédécesseurs sur les points d'ambition relatifs à
la tiare pontificale. Il s'appropria le pouvoir de confirmer
l'élection du roi des Romains, en donnant son approbation à
celle de Rodolphe d'Autriche, après la mort de Richard de
Cornouailles. Ceci fut d'autant plus injuste que son droit étant
éteint, il en résultait la confirmation naturelle de l'élection du roi
de Castille qui restait sans compétiteur. Grégoire s'excusa en disant
qu'Alphonse n'ayant pas été couronné roi des Romains à
Aix-la-Chapelle, Sa Sainteté ne pouvait le couronner empereur ;
mais il lui fit d'ailleurs diverses concessions pour le satisfaire et
l'engager à renoncer à ses réclamations ; preuve que Sa Sainteté
reconnaissait la justice des plaintes d'Alphonse qui, enfin, abandonna
ses prétentions pour complaire au pape et pacifier l'empire.
En conséquence du même système, Grégoire se mêla des affaires
politiques du gouvernement du Portugal, qu'il qualifiait de tributaire
du Saint-Siège ; et il chicana le roi Alphonse III sur quelques
privilèges du clergé et sur la juridiction ecclésiastique ; il
manifesta sur cette matière les principes erronés de la doctrine
romaine, méconnus avant les temps de Charlemagne même de Grégoire VII.
Il abusa aussi des censures contre Jacques 1er, roi d'Aragon, qu'il
excommunia parce qu'il ne voulait pas renoncer à ses liaisons avec une
dame (soit concubine ou tout ce qu'on voudra), chose si
ordinaire et si fréquente qu'elle ne scandalisait personne dans ces
temps-là. En outre, des mesures de cette nature, contre des
souverains, ne produisent que le mépris des censures ; et c'est
ce qui arriva.
Dans le concile de Lyon, dont nous avons parlé, il réussit à réunir
l'Église grecque avec l'Église latine, d'après les désirs sincères de
l'empereur Michel Paléologue. Mais, comme les papes ne changèrent
point de système, l'union dura peu. Si Grégoire eut renoncé aux
prérogatives usurpées par ses prédécesseurs, peut-être cette union
eût-elle été durable ; mais, bien loin de se contenter de prendre
connaissance des causes des particuliers, par les patriarches de
Constantinople, d'Alexandrie et d'Antioche, il fit consentir que l'on
pût appeler à Rome de toutes les causes du vaste territoire de
l'empire d'Orient. Comme les Grecs en sentaient les conséquences, ils
furent très fâchés de cette mesure, et traitèrent les papes, les
cardinaux et les membres de la chancellerie romaine d'oiseaux de
rapine et de voleurs insatiables d'or.
Grégoire X reconnut, par des épreuves continuelles et douloureuses, le
mal qui résultait de la multitude des instituts réguliers. Innocent
III l'avait senti de même, et il avait, en conséquence, décrété dans
le concile de Latran, en 1215, qu'on n'en admettrait plus de nouveaux.
Cependant il avait lui-même contrevenu à cette disposition du concile
en approuvant, de vive voix, l'établissement des Dominicains et des
Franciscains ; et ses successeurs, regardant avec indifférence ce
statut du concile, admirent d'autres ordres réguliers.
Le concile de Lyon de 1274, annula leurs approbations ; mais
Grégoire X imita le mauvais exemple d'Innocent et des autres papes, en
enseignant, par la pratique, la fausse doctrine de se mettre au-dessus
des conciles. Non content d'excepter les Dominicains et les
Franciscains, il approuva encore ensuite la règle des Servites et
d'autres ordres. Les papes, ses successeurs, ont fait si peu de cas du
décret du concile, que, de nos jours, il est devenu impossible de
savoir le nombre fixe des différentes règles de moines et de
religieuses.
PIERRE de Tarentaise, moine dominicain, cardinal évêque d'Ostie, fut élu pape le 21 février 1276, sous le nom d'Innocent V, et mourut le 22 juin de la même année, sans laisser rien de remarquable sur son pontificat.
Il en arriva de même de Otobon de Fieschi, né à Gênes, cardinal diacre, du titre de Saint-Adrien, élu pape le 11 juillet 1276, sous le nom d'Adrien V, et qui mourut, avant d'être consacré, le 16 août de la même année.
À la mort d'Adrien, les cardinaux refusèrent d'accomplir la
constitution du concile à l'égard du conclave pour les élections, en
prétendant que Sa Sainteté avait décrété le contraire. Les habitants
de Viterbe où s'effectua la vacance, ne croyant point à la dispense de
la loi, s'attroupèrent tumultueusement, et les forcèrent à se
renfermer au Conclave. Il en résulta, le 13 septembre 1276, l'élection
de Pierre, né en Portugal, cardinal évêque de Scilo, qui fut couronné
le 20 du même mois sous le nom de Jean XXI ; mais, quoiqu'il se
promît une longue vie qui lui avait été prédite par un astrologue, il
mourut le 17 mai de l'année suivante, des blessures qu'il reçut par la
chute d'un édifice qu'il venait de faire construire pour sa commodité.
Pendant le peu de temps qu'il occupa le siège pontifical, il fit
preuve d'un caractère libre et ambitieux : libre, parce qu'il
publia une bulle qui dispensait les cardinaux d'observer la
constitution du concile de Lyon pour le conclave des élections
papales : ambitieux, parce qu'il se mêla dans les querelles de
Philippe IV, dit le Bel, roi de France, avec Pinache IV, dit le Brave,
roi de Castille, pour la succession à la couronne Castillane ; ce
qui ne le regardait en aucune manière.
JEAN GAÉTAN des Ursins, noble romain, cardinal diacre , du
titre de Saint-Nicolas, fut élu pape à Viterbe le 25 novembre 1277,
sous le nom de Nicolas III, et mourut d'apoplexie le 22 août 1280.
Il fut ambitieux et avare au suprême degré, sans considérer les
moyens. Il fit cardinaux un frère, deux neveux et quelques autres
parents, et les combla de bénéfices ecclésiastiques, en les dispensant
de l'incompatibilité, afin d'enrichir la famille des Ursins ; de
sorte qu'ils occupassent en Europe le rang de princes, et qu'ils
pussent obscurcir la race des Anibaldi, qui, jusqu'alors les avait
surpassés en splendeur.
Son orgueil lui inspira le dessein de marier son neveu Astolphe des
Ursins avec une petite fille de Charles d'Anjou, roi de Sicile. Ce
dernier ne voulut pas y consentir, disant que la souveraineté des
papes était purement personnelle et de courte durée ; qu'ainsi,
elle ne couvrait pas l'inégalité des familles. Nicolas, depuis ce
temps, en voulut beaucoup au roi, et lui fit tout le mal qu'il put,
mais avec dissimulation et perfidie. Il protégea et excita secrètement
le projet de Pierre III, roi d'Aragon, d'envahir la Sicile, à cause
des droits de la reine Constance, sa femme, fille de Mainfroy ;
ce qui s'effectua sous le pontificat suivant. Il influença aussi,
auprès de l'empereur de Constantinople, Michel Paléologue, pour
l'irriter contre le roi Charles, à qui ce prince refusa tout secours
pour l'aider à reconquérir la ville et les provinces dont il avait été
question dans le traité avec l'empereur Baudouin.
Il séduisit l'empereur Rodolphe pour qu'il fit rendre au Saint-Siège
tout ce qui résultait des actes de donation du roi Pépin, des
empereurs Charlemagne, Louis Ier, et Othon Ier, ainsi que de la
comtesse Mathilde, en y comprenant même ce que les papes n'avaient
jamais possédé. Afin de réunir tous les pouvoirs, il priva le roi
Charles des dignités de sénateur de Rome et de vicaire du Saint-Siège
en Toscane ; il dépouilla les Romains du droit que, par
concession des empereurs, ils avaient conservé d'élire le gouverneur
civil de la ville, sous le nom de patrice dans l'antiquité, et sous
celui de sénateur dans les temps modernes. Souvent le peuple avait élu
des princes puissants, capables de le protéger contre les attentats
des papes et des cardinaux. Nicolas supprima la charge de
sénateur et ordonna que le peuple ne pût élire aucun prince pour
président du sénat.
Abusant enfin de l'ascendant qu'il avait sur l'esprit de l'empereur
Rodolphe, il le fit consentir à un projet enfanté par
l'ambitieux Nicolas, qui consistait à partager l'empire en quatre
royaumes : le premier en Allemagne, héréditaire, pour les
descendants de Rodolphe ; le second à Vienne en Dauphiné, pour
ceux de Clémence, fille de Rodolphe et femme de Charles Martel,
petit-fils de Charles, roi de Sicile ; le troisième en Lombardie
et le quatrième en Toscane, pour deux neveux du pape. La mort vint
arrêter les progrès de son ambition démesurée, mais n'éteignit pas le
souvenir du titre si bien mérité de patriarche du népotisme
pontifical.
L'histoire nous a fait voir que, comme si c'était une vertu digne de
quelqu'un qui a constamment à la bouche le nom de prédécesseur du
pauvre pêcheur Saint-Pierre, presque tous les papes ont imité Nicolas
en créant leurs neveux princes, quoiqu'ils fussent plébéiens.
AUSSITÔT après la mort de Nicolas III, le roi Charles de Sicile
s'intrigua au-delà de ce qu'on peut imaginer, pour faire élire un pape
de son parti. À la tête, était le cardinal Anibaldi, opposé à celui
des Ursins, par qui il avait été continuellement chagriné jusqu'alors.
L'affaire fut tellement embrouillée à force d'intrigues de part et
d'autre, qu'il se passa six mois sans élire un pape, parce qu'on ne se
conforma pas à la constitution du conclave.
Quand le roi Charles crut les choses bien disposées, il excita
sous-main, par des manoeuvres secrètes, un soulèvement dans Viterbe,
contre les cardinaux. Les séditieux les enfermèrent dans une maison,
et ne leur donnèrent pour aliments que du pain et de l'eau, jusqu'à ce
qu'ils eussent fait une élection canonique, qui se termina par la
nomination de Simon de Brion, Français, partisan du roi Charles,
cardinal-prêtre du titre de Sainte-Cécile, sous le nom de Martin IV,
le 22 février 1281.
De tout temps il y a eu des écrivains fanatiques de bonne foi, qui ont
cru aux miracles supposés ; mais il n'a jamais manqué non plus de
propagateurs de fausses merveilles, par mauvaise foi et par esprit de
parti. Je fais cette observation, parce qu'il y a un auteur
contemporain qui dit que la sainteté de Martin IV a été prouvée par
des miracles opérés sur son tombeau, dans le couvent des Franciscains
de Perouse, où il fut enterré à sa mort, qui arriva le 28 mars 1285.
Non-seulement je regarde ces miracles comme supposés, mais même tout
ce que l'on raconte des vertus de ce pape, qui ne parvint à cette
dignité que par de mauvais moyens, pour favoriser Charles d'Anjou, son
compatriote et son protecteur, et qui ne fit que de continuelles
injustices et alla au-delà de ce qu'il pouvait pour lui témoigner sa
reconnaissance.
Son imprudence n'eut point de bornes. L'empereur de Constantinople,
Michel Paléologue, lui envoya deux ambassadeurs pour régler quelques
points qui manquaient au complément de l'union de l'Église grecque
avec l'Église latine. Martin, sachant que Charles de Sicile haïssait
l'empereur, et qu'il projetait de reconquérir Constantinople, refusa
de les recevoir, et excommunia l'empereur Michel, disant que son
projet d'union n'était qu'une feinte. Ce souverain, qui non seulement
avait agi de bonne foi sur ce point, mais qui, même par cette raison,
se trouvait en butte à la haine des archevêques, des évêques, des
abbés et de tout le reste du clergé, tomba malade et mourut bientôt.
Son fils, l'empereur Andronie, révoqua l'union des deux Églises, et
rétablit l'ancien système d'indépendance. L'imprudence injuste et
téméraire de Martin IV ne fut-elle pas la véritable cause du
rétablissement du schisme ?
Il n'y en eut pas moins dans sa conduite envers les habitants des
villes de Messine, de Palerme, et des autres villes du royaume de
Sicile : car, voyant qu'il n'avait pas voulu écouter leurs
députés, ni recevoir leurs excuses, ils se donnèrent au roi Pierre III
d'Aragon ; et leur secours contre Charles d'Anjou lui facilita
beaucoup la conquête de la Sicile. Il excommunia le roi d'Aragon et
ses adhérents, et mit en interdit tous les lieux qui le
recevraient ; mais il n'obtint par-là que le mépris des censures,
car les évêques et les prêtres séculiers et réguliers continuèrent à
célébrer les offices divins comme auparavant, se moquant du pape et de
ses excommunications, qu'ils qualifiaient de rage impuissante.
Il déclara Pierre déchu de la couronne d'Aragon, donna son royaume à
Charles, second fils du roi de France Philippe III, dit le Hardi,
et imposa des tributs en faveur du Saint-Siège, dont il disait que le
royaume était feudataire. Il publia une croisade contre Pierre III et
ses adhérents, et engagea Philippe à faire passer une armée en
Catalogne, pour en faire la conquête. La mort l'enleva avant que la
guerre fût terminée : Pierre y obtenait triomphes sur triomphes
contre les Français, malgré les excommunications ; et il demeura
enfin roi de Sicile par le droit de sa femme, et roi d'Aragon par le
droit qui lui appartenait.
Il répondit à Édouard Ier, roi d'Angleterre, qui demanda le dixième
des revenus ecclésiastiques, pour aller à la Terre-Sainte, qu'il
commençât par se préparer pour le voyage, et qu'alors il les lui
donnerait, mais pas auparavant, dans la crainte qu'il n'en fît un
autre usage ; et lui-même, en même temps, dépensait dans la
guerre contre le roi d'Aragon les dîmes qu'il avait reçues en
Sardaigne, en Hongrie, en Suède, en Dannemarck, en Esclavonie et en
Pologne, pour aller au secours de la Palestine. Il refuse à Alphonse
X, roi de Castille, les secours qu'il lui demande contre les rebelles
de son royaume, et il lance seulement une nouvelle excommunication
inutile, se réjouissant intérieurement de cette guerre civile, qui
empêchait la couronne de Castille de secourir Pierre en Aragon. Tel
est le saint dont on préconise les miracles, et dont la canonisation,
jointe à tant d'autres semblables, faites par quelques papes, a donné
lieu à un grand nombre de critiques d'examiner impartialement chacune
en particulier.
JAQUES SABELLI, noble romain, cardinal-diacre, fut élu pape à
Pérouse, le 2 avril 1285, et mourut le 3 du même mois 1287.
Il fut beaucoup plus modéré que son prédécesseur, dont il n'abandonna
pas le système, mais il le suivit du moins sans acharnement. Il
excommunia cependant Jacques Ier, roi de Sicile, et Alphonse III, roi
d'Aragon, fils de Pierre III, parce qu'ils ne voulaient pas se
désister de leur entreprise sur la Sicile : ils ne voulaient pas
non plus rendre la liberté à Charles II, roi de Naples, fils de
Charles Ier d'Anjou, qu'ils retenaient prisonnier à Barcelone. Il
désapprouva aussi le traité où ce prisonnier avait consenti la cession
du royaume de Sicile en faveur de Jacques Ier, pour prix de sa
rançon ; mais il admit pourtant les ambassadeurs d'Alphonse
d'Aragon, pour la suite des négociations, dans le cours desquelles la
mort l'enleva.
JÉRÔME, né à Ascoli, ex-général de l'ordre de Saint-François
d'Assise, cardinal-évêque de Palestine, fut élu pape le 15 février
1288, après huit mois de vacances du Saint-Siège, à cause des
discordes des cardinaux, et mourut le 4 avril 1292. Il manifesta le
même esprit que ses prédécesseurs dans les affaires d'Aragon et de
Sicile. À la mort d'Alphonse IV, roi d'Aragon, son frère Jacques II
lui ayant succédé, il renouvela les excommunications et les
interdits ; mais les Aragonais et les Siciliens les méprisèrent
et ne voulurent pas reconnaître Charles II, roi de Naples, pour
souverain de l'île.
Ce fut sous le pontificat de ce pape, que l'on acheva de perdre la
Palestine ; et les lettres sans nombre qu'il écrivit partout pour
tenter de nouvelles entreprises en Orient, furent inutiles. Rome
perdit par-là une mine d'or ; mais l'Europe y gagna
l'augmentation de sa population.
APRÈS la mort de Nicolas IV, il se passa deux ans, trois mois
et quelques jours, sans que onze cardinaux pussent se mettre d'accord
entre eux pour élire un pape, parce qu'ils n'observèrent pas la
constitution du concile de Lyon. Quelle plus grande preuve de
l'ambition de huit cardinaux au moins parmi les onze ?
Charles II, roi de Naples, et son fils, Charles Martel, roi titulaire
de Hongrie, leur firent des représentations et les exhortèrent à la
concorde. Il y eut à ce sujet de graves contestations entre Charles II
et le cardinal Gaétan, qui devint depuis si célèbre lorsqu'il fut
pape, sous le nom de Boniface VIII. Enfin, après une conversation
accidentelle du cardinal Napoléon des Ursins, Pierre Moron fut élu
souverain pontife le 5 juillet 1294. Le nouveau pape prit le nom de
Célestin V, parce qu'il était fondateur de la congrégation des
Célestins, sous la règle de Saint-Benoît, et avec des constitutions
particulières.
Aussitôt qu'il fut consacré, il renouvela la constitution du concile
de Lyon sur le conclave des élections pontificales, en révoquant les
bulles de ses prédécesseurs, qui en avaient donné dispense :
par-là, il gêna beaucoup les cardinaux, qui désiraient plus de liberté
pour leurs intrigues.
Aujourd'hui, il est révéré comme saint, sous le nom de Saint-Pierre
Célestin, et c'est peut-être le seul saint véritable qu'il y ait eu
depuis longtemps parmi les papes. Du moins la critique la plus sévère
n'a pu entacher la droiture de ses intentions.
Sa vie privée atteste en sa faveur, et surtout sa renonciation à la
dignité de souverain pontife, dont il était en possession paisible. Il
l'effectua le 13 décembre de la même année, après avoir approuvé un
traité de paix pour la Sicile, entre Charles II, roi de Naples, et
Jacques II, roi d'Aragon. Il mourut en odeur de sainteté, le 19 mai
1296, mais prisonnier dans le château de Fumona et gardé à vue par
ordre de Boniface son successeur, qui ensuite le canonisa comme saint.
À peine il assista à ses funérailles, mais avec tant de joie que les
auteurs de l'art de vérifier les dates (qui sont pourtant très
pieux), ont dit avec raison que Boniface imita en cela les tyrans de
Rome, qui accordaient les honneurs de l'apothéose aux mêmes empereurs
qu'ils venaient d'assassiner. Ceci fait allusion aux moyens iniques
qu'employa Boniface pour engager Célestin à renoncer à la tiare.
BENOÎT GAÉTAN, né à Agnani, cardinal du titre de
Saint-Sylvestre, fut élu pape le 15 décembre 1294, sous le nom de
Boniface VIII, et mourut le 11 octobre 1303.
Plusieurs écrivains l'accusent d'avoir beaucoup intrigué pour
déterminer son prédécesseur à renoncer à la tiare, et quelques-uns
même lui attribuent sa mort pour se délivrer d'inquiétude. Son
orgueil, son ambition et son avarice n'eurent point de bornes, et il
paraît difficile d'en trouver un autre plus hardi à abuser de
l'Écriture-Sainte, pour justifier ses attentats. Il en vint à déclarer
comme dogmatique, en trois bulles, la nouvelle opinion qu'il
appartient de droit aux papes de donner et d'ôter les royaumes, de
résoudre les disputes sur les prétentions à la couronne, et de se
servir des moyens spirituels et temporels pour faire exécuter leurs
résolutions. À peine y eut-il un seul pays catholique où il ne
prétendît pas exercer ce droit de haute souveraineté divine sur les
monarques. Il se gouverna sur ce point avec tant d'arbitraire, qu'il
s'inquiétait peu de paraître inconséquent lorsqu'il lui convenait de
varier sa conduite selon les circonstances politiques qui survenaient.
À la mort de l'empereur Rodolphe, les suffrages des électeurs se
partagèrent entre Adolphe, comte de Nassau, et Albert d'Autriche, fils
de l'empereur défunt. Il en résulta la guerre civile et des maux
énormes. Les électeurs désirant y mettre fin, voulurent se réunir,
annuler l'élection de l'un des deux, et voter tous en faveur de
l'autre. Boniface s'y opposa sous peine d'excommunication, en disant
que lui seul avait pouvoir à ce sujet, et qu'il donnerait l'empire à
qui bon lui semblerait, et même à un autre que les deux compétiteurs.
Il les cita à comparaître devant le Saint-Siège pour alléguer leurs
droits respectifs. Adolphe étant mort pendant la guerre, le pape
imputa l'homicide à Albert et l'excommunia. Les électeurs voulaient le
reconnaître pour roi des Romains, et Boniface les en empêcha. Dans la
suite, étant survenu de grandes altercations avec le roi de France, il
changea de conduite ; et, après avoir absous Albert, il le
reconnut pour légitime roi des Romains, mais en l'obligeant à
confesser que les papes avaient le droit annoncé dans ses bulles, et à
confirmer aussi les anciennes donations dont nous avons déjà parlé.
Il excommunia Fadrique d'Aragon, frère de Jacques II, roi d'Aragon,
parce qu'il retenait le royaume de Sicile. Il le déclara inhabile à
posséder aucune dignité, et renouvela l'interdit général sur
l'île ; mais les habitants, méprisant cette mesure, élurent et
proclamèrent Fadrique pour leur roi, en publiant qu'ils ne voulaient
pas se soumettre à Charles, roi de Naples, Les circonstances ayant
changé, par ses querelles avec le roi de France Philippe IV, dit le
Bel, il n'hésita pas à faire la paix avec Fadrique, à l'absoudre
et à lever l'interdit, pourvu qu'il se reconnût tributaire du
Saint-Siège, et qu'il lui fournît des secours contre ses ennemis.
Il avait excommunié Jacques II, roi d'Aragon, et mis l'interdit sur
son royaume, ce que les Aragonais n'avaient pas non plus observé. Par
suite de sa même détermination, non seulement il donna l'absolution à
Jacques, mais il le fit encore gonfalonier, ou capitaine-général du
Saint-Siège, et lui donna les îles de Sardaigne et de Corse, sous la
condition de porter du secours aux papes et de se reconnaître vassal
et tributaire de Rome.
Il excommunia Éric VIII, roi de Danemarck, parce qu'il avait fait
arrêter l'archevêque de Lunden, et par-là, il troubla pour longtemps
la tranquillité intérieure de ce royaume.
II fulmina l'excommunication contre Édouard 1er, roi d'Angleterre,
pour avoir revendiqué le royaume d'Écosse qui était son
feudataire ; et il entreprît de persuader que l'Écosse était une
propriété directe des papes, et qu'eux seuls avaient droit de disposer
de la couronne.
Il ne suffit point à Édouard de prouver par des documents
authentiques, que l'Écosse était un démembrement de l'Angleterre, et
que cette vérité avait été reconnue par plusieurs rois Écossais.
Boniface n'était pas homme à céder à des raisonnements, mais seulement
à la nécessité, et c'est ce qu'il fit seulement lorsqu'il se trouva
menacé par la France.
Il excommunia Venceslas IV, roi de Bohême, et son fils Venceslas V,
parce que ce dernier accepta le royaume de Hongrie, où il était appelé
par les Hongrois, à qui Boniface voulait donner pour roi
Charles-Robert, petit-fils de Charles II, roi de Naples. Il y excita
la guerre civile qui se termina en faveur de Venceslas, mais après
mille calamités de toute espèce, causées par l'ambitieux pontife.
Venceslas citait par hasard dans ses lettres le royaume de Pologne,
qu'il occupa en effet dans la suite ; et cette citation seule fut
un motif pour que Boniface se crut maître de le donner à qui bon lui
semblerait ; d'après cela il ordonna que Venceslas et tous ceux
qui prétendaient à cette couronne, eussent à comparaître devant le
Saint-Siège, pour y exposer leurs droits respectifs.
En Castille il fit un chose avantageuse, parce qu'elle lui valut
beaucoup d'argent; mais si nous devions nous régir par les règles de
droit, sa détermination ne pouvait avoir aucune validité.
Pinache IV, dit le brave, était mort excommunié, et sa veuve, la reine
Marie, l'était aussi, parce qu'elle n'avait pas voulu se séparer,
quoique les papes précédents eussent déclaré son mariage nul par un
empêchement dirimant de parenté. Alors il déclara ses enfants
légitimes, et, par ce moyen, Ferdinand IV s'affermit sur le trône,
contre l'infant de la Cerda, prétendant à la couronne en vertu du
droit d'aînesse de son père.
Pouvait-il sortir quelque chose de bon d'un homme aussi méchant? car
il le fut encore dans cette occasion ; soit parce qu'on ne peut
valider le mariage d'un mort ; soit parce qu'il n'avait pas le pouvoir
de légitimer pour des dignités temporelles, et encore moins au
préjudice des droits d'un tiers; soit parce qu'il le fit à prix
d'argent, en vendant l'usage de son autorité pontificale.
Il déposa Jacques Colone et Pierre Colone son neveu, de la dignité de
cardinal et des autres bénéfices qu'ils possédaient, et il les
excommunia ainsi que leur parents, qu'il dépouilla de leurs fiefs et
de leurs biens, seulement parce qu'ils s'opposèrent à son despotisme à
l'occasion d'objets relatifs à l'empire et au parti des Gibelins
qu'ils suivaient contre les Guelfes. Ce fut par ce motif que la
famille des Colone découvrit beaucoup de crimes de
Boniface, y compris celui de concubinage, et d'avoir donné le jour à
plusieurs enfants.
Rien n'est comparable à ses discordes avec le roi de France, qui
commencèrent à l'occasion de l'arrestation de l'évêque de Pamiers,
ordonnée par Philippe-le-Bel, pour crime de conspiration. Boniface
s'étant déclaré juge du roi, dans toute espèce d'affaires
indistinctement, et traitant d'hérétiques tous ceux qui ne
reconnaissaient pas la doctrine de détrôner les rois, reçut la réponse
que tous les souverains devaient faire dans de semblables occasions.
Boniface excommunia Philippe et ses adhérents. Le roi convoqua
l'assemblée générale des prélats et des barons du royaume, et
plusieurs d'entre eux réclamèrent un concile général pour déposer
Boniface, en offrant de prouver quelques chefs d'accusation très
graves, surtout le crime de simonie, et diverses hérésies contre des
articles de foi ; et de plus, sa vie très déréglée et un usage
tyrannique et cruel de son pouvoir au préjudice de la religion et de
tous les royaumes- chrétiens.
Guillaume de Nogaret, ne s'en tenant pas aux paroles, s'empara de
Boniface dans Agnani sa patrie, pour lui faire signer une bulle de
convocation du concile général. Il ne put exécuter son projet, faute
de l'avoir transporté ailleurs, parce que ses compatriotes le
retirèrent de ses mains et le conduisirent à Rome. La rage et la
fureur de Boniface lui causèrent une fièvre si violente, qu'elle le
mit au tombeau, sans revoir Rome. En l'année 1605
on retrouva son corps sans être corrompu. Ceux qui croient que cette
circonstance est une preuve de sainteté, peuvent se tromper, en la
trouvant dans ce pape qui fut un tison infernal de discorde de tout le
monde chrétien, et qui n'a laissé que de mauvais exemples indignes
d'être imités.
Le pape Clément V intenta un procès à sa mémoire, d'après les
instances du Roi de France et de ceux qui l'avaient accusé pendant sa
vie. Beaucoup de témoins affirmèrent avoir entendu Boniface dire que
l'âme mourait avec le corps, que le monde était éternel, que toutes
les religions étaient égales, que la simonie n'était pas un péché, et
d'autres propositions hérétiques.
Le pape put obtenir du roi qu'il se désistât de son accusation; il
craignit qu'en déclarant Boniface hérétique, il en résultât des
conséquences contre lui-même , si les actes pontificaux étaient
déclarés nuls, et entre autres les nominations des cardinaux qui
avaient élu Clément. Ainsi il mit fin à l'instance contre Boniface.
L'inquisition condamne comme hérétiques des gens vivants ou morts avec
bien moins de preuves que la centième partie de celles qu'il y eut
contre Boniface. Pour moi, je le regarde comme matérialiste.
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