CENCIUS SABELLI, romain, cardinal prêtre, fut élu pape le 18
juillet 1216, et mourut le 18 mars 1227.
IL suivit le système de son prédécesseur. Nous ferons connaître
quelques vérités quoiqu'elles se rapportent à des époques
postérieures. Il convient de savoir d'abord que tous les successeurs
d'Innocent III ont suivi la même marche, et que les moyens qu'ils ont
employés pour réaliser leurs projets ambitieux, ne présentent d'autre
différence que celle que devait produire leur caractère personnel ou
les circonstances dans lesquelles ils se trouvaient. Car, à l'orgueil
le plus terrible succédait, suivant que l'intérêt l'exigeait, une
humilité qui n'était que feinte, et l'on peut dire que Rome dirigeait
sa tactique sur la connaissance qu'elle avait du caractère personnel
de chaque souverain et de l'état de ses affaires politiques.
Honorius prit part à toutes celles de son temps. À peine fut-il
couronné, qu'il fit en sorte que les souverains envoyassent des hommes
et de l'argent en Palestine, où la puissance des Latins diminuait
chaque jour à proportion que l'ascendant des Mahométans allait
toujours croissant. Les papes étaient intéressés à fomenter les
guerres de croisades pour conserver le royaume de Jérusalem et ceux
d'Asie, qui étaient, pour Rome, une mine inépuisable d'argent.
Non-seulement celui qui produisaient les ordinations de patriarches,
d'archevêques, et les doutes sur les élections épiscopales allait
grossir les trésors du pontife ; mais encore celui qui provenait
des collectes pécuniaires que l'on faisait en Europe, dans l'intention
de secourir les saints lieux, était à sa disposition. Il l'appliquait
librement aux objets qui étaient sa convenance ; comme, par
exemple, à l'achat de duchés ou de comtés avec les terres et les
seigneuries dépendantes, pour quelqu'un de ses frères, de ses neveux
ou pour quelque parent, afin que, parvenu à les faire considérer comme
des princes séculiers d'Italie, il pût leur faire contracter, par le
mariage, des alliances avec des familles souveraines ou liées de
parenté avec elles.
Le nombre des papes qui n'ont pas payé un tribut à ce genre de vanité,
est très-petit, et le scandale des extorsions papales auxquelles ce
genre de vanité donnait lieu était parvenu à un si haut degré, que les
contemporains étaient réduits à trouver bon, le pape qui
ne volait pas les fonds dépendants de son autorité, et qui ne
demandait pas de nouvelles contributions, sous de vains prétextes,
pour rendre ses neveux plus grands, soit en biens, soit en dignités.
La mort de Jean, roi d'Angleterre, et la minorité de son fils
Henri III, qui lui succéda, fournirent au pape Honoré, l'occasion de
diriger les affaires de ce royaume : il donna tant de soins aux
affaires politiques, que l'administration du gouvernement de Rome
parut avoir fixé beaucoup moins son attention ; il écrivait
toujours comme s'il eût été le souverain direct de ce royaume,
n'oubliant jamais de qualifier le roi de tributaire du Saint-Siège, et
de se donner le titre de protecteur. Il agissait ainsi pour pouvoir
commander en maître au roi d'Angleterre, en le menaçant, lorsqu'il le
jugerait convenable à ses intérêts, de punir sa désobéissance
imaginaire, soit par l'excommunication, soit en le dépouillant de la
dignité royale et de la puissance souveraine, soit en déliant les
vassaux du serment de fidélité, ou en leur interdisant toute
communication avec lui, même pour les choses les plus nécessaires à la
conservation de la vie ; soit enfin en offrant le royaume aux
princes catholiques qui, en le recevant, confesseront le tenir du
Saint-Siège, se déclareront tributaires et dépendants de la volonté du
pape qu'ils reconnaîtront pour leur souverain direct, possesseur des
clefs de Saint-Pierre, vicaire de Jésus-Christ, vice-Dieu sur terre,
et même Dieu, quant au pouvoir, (insolence proclamée hérétique par le
droit canon, et qui sera une preuve éternelle de l'infamie et de
l'orgueil pontifical.)
Telle fut la conduite d'Honorius III dans les affaires d'Angleterre,
soit lorsqu'il traitait avec ce pays, soit lorsqu'il voulait engager
les rois de France, Philippe Auguste et Louis VIII, à ne pas continuer
l'occupation du royaume d'Angleterre antérieurement recommandée et
ordonnée par des bulles pontificales.
On découvre la même conduite et les mêmes maximes dans les lettres et
dans la marche des affaires des rois d'Écosse, de Hongrie, de
Portugal, d'Aragon, de Trébisonde, de Bulgarie, de Constantinople,
d'Italie, de Sicile et d'Allemagne, ainsi que dans celles qui sont
relatives aux croisades contre les Albigeois, les Comtés de Provence,
de Foix, de Carcassonne, et les autres provinces de la Gascogne. Il en
agit de même à l'égard de la Castille, lors de la mort du roi Henri
Ier et des prétentions d'Alphonse IX, roi de Léon. Enfin, il fut
partout le même, parce que l'esprit était toujours le même, quoique
les moyens fussent différents.
Le despotisme pontifical était parvenu à sa dernière période dans les
affaires ecclésiastiques : déjà tous les évêques étaient devenus
les esclaves de la cour de Rome ; ils furent obligés de promettre
par serment qu'ils iraient visiter, une fois par cinq ans, le tombeau
des apôtres, et baiser la pantoufle du pape. S'ils exécutaient cette
promesse, ils abandonnaient leur diocèse à la direction d'un vicaire,
et ils dépensaient dans leur voyage, les sommes qui eussent servi à
secourir les diocésains qui étaient dans la misère : dans le cas
contraire ils avaient besoin d'une dispense du Pontife.
Voilà précisément ce qu'on désirait à Rome ; on ne l'accordait
qu'à prix d'argent, de manière que ces grandes concussions mirent au
grand jour l'iniquité dont ce serment était l'objet. Quand déjà on
avait pourvu, pour ce qui concerne les évêchés, à tout ce qui
paraissait convenable aux intérêts de Rome, l'avarice et l'ambition
lui suggérèrent le projet de se réserver des prébendes. Le pape Honoré
en demanda deux par église cathédrale, et deux habits de moine par
monastère de l'empire Romain, du royaume de France et de tous les
autres de l'Europe.
On peut lire dans l'histoire ecclésiastique de Fleuri, les puissantes
réflexions par lesquelles on prouve l'injustice du projet ; mais
si alors son exécution fut suspendue, les successeurs d'Honoré
l'étendirent sur toutes les prébendes et sur tous les bénéfices d'un
rang inférieur. Cet abus prévalut presque partout, jusqu'au XVIIIe
siècle. Il expédia des bulles d'approbation aux ordres religieux de
Saint-Dominique, de Saint-François, de la Mercy, et des Carmes. Son
prédécesseur avait déjà approuvé de parole les deux premiers.
UGOLINI, natif d'Agnania, province de Campante, cousin du pape
Innocent III, cardinal évêque d'Ostie, fut élu pape, le 19 mars 1227,
et mourut le 11 août 12.41.
Ce souverain pontife montra autant et même plus d'ambition, d'avarice
et d'orgueil que son cousin Innocent. L'expérience de ce pontificat,
de ceux qui précédèrent depuis Grégoire VII, et des suivants jusqu'à
Clément XIII, vers le milieu du dix-huitième siècle, nous démontre
d'une manière historique et presque mathématique, que la domination
temporelle occupait beaucoup plus l'esprit des papes que la direction
spirituelle de l'Église catholique, quelques efforts que l'on fit pour
couvrir tout du prétexte de la religion en abusant du texte tronqué de
l'Écriture qu'on interprétait avec la plus grande violence, et que
méchamment on appliquait à contre sens : que l'abus de la
nouvelle doctrine de lancer d'office l'excommunication contre les
rois, de délier les vassaux du serment de fidélité, de susciter des
guerres temporelles contre les souverains, sous le prétexte qu'ils
méprisaient les armes spirituelles de l'excommunication, de les
déclarer hérétiques, schismatiques et ennemis de l'Église ; car
cet abus troubla l'ordre civil en Europe.
Ces deux causes et l'insatiable soif de l'or contrarièrent tellement
la paix, qu'on ne peut pas être surpris en voyant tant de nations se
séparer de l'Église romaine, depuis l'époque où l'on vit paraître la
secte de Valdo, jusqu'à celle qui vit naître celle des Calvinistes.
C'est en vain que les écrivains Romains du XVIe siècle et des deux
siècles suivants ont fait des efforts pour dénaturer certains faits,
et en démentir d'autres ; ceux que l'on avoue, sont en si grand
nombre et d'une telle nature, qu'il est impossible de disculper même
les papes, à plus forte raison les cardinaux, les évêques et les
ecclésiastiques de la cour de Rome.
Grégoire IX excommunia et déposa l'empereur Frédéric II, parce qu'il
n'accomplissait pas, disait-il, le voeu qu'il avait fait d'aller
combattre en Palestine. Ce fut en vain que ce prince lui prouva qu'une
maladie très grave l'en avait empêché, alors ce souverain part pour
l'Asie, et lorsqu'il arrachait au Soudan les villes de Jérusalem, de
Bethléem, de Nazaret et plusieurs autres, Grégoire ordonne au
patriarche de Jérusalem, aux grand-maîtres des ordres Teutonique, des
Templiers et de Saint-Jean, de /'abandonner et de le persécuter parce
qu'il était excommunié, et qu'il était parti sans la permission du
pape.
Grégoire ne s'arrêta pas à cette injustice ; il souleva les
peuples de la Lombardie et de la Sicile, il les porta à la révolte, il
pervertit le roi Jean de Brena, qui avait perdu le trône de
Jérusalem, et qui était gendre du même Frédéric. Il lui propose de se
mettre à la tête des rebelles ; Jean accepte la proposition, et
au nom du pape, il fait la guerre à son beau-père ; il brûle les
villes, les villages ; il souffre que les troupes de Sa Sainteté
violent les couvents de religieuses, qu'ils abusent de celles-ci,
qu'ils commettent toutes les iniquités que l'imagination pourrait
inventer.
Frédéric revient de la Palestine, il fait la conquête de ses états,
qui lui avaient été enlevés pendant son absence, il réduit le pape à
sentir l'urgence d'une réconciliation pour ne pas se voir prisonnier
et pour éviter sa perte. Grégoire absout l'empereur des censures
ecclésiastiques, et fait amitié avec lui ; mais, quelque temps
après, il l'engagea à revenir à la Terre-Sainte, et n'ayant pu
l'obtenir, il protège ouvertement les Lombards nouvellement soulevés,
en leurs fournissant des secours en armes et en argent, Frédéric se
voyant insulté, prend les armes contre le pape et les rebelles ;
la victoire se déclare pour lui ; il s'empare de l'île de
Sardaigne, où il place, pour roi, Hensius, son fils naturel.
Grégoire excommunie de nouveau Frédéric ; il le déclare déchu de
la couronne impériale ; il offre l'empire à Saint-Louis, roi de
France, pour son frère Robert, comte d'Artois. Le saint monarque lui
répondit qu'il regardait la déchéance de Frédéric comme injuste ;
qu'il ne lui reconnaissait pas de pouvoir pour la prononcer, et encore
moins pour disposer de ses états. Le monarque français ajouta à cela
beaucoup d'autres déclarations qui méritent d'être lues.
Les électeurs ecclésiastiques, les archevêques de Mayence, de Trêves,
de Cologne, les électeurs séculiers, le comte palatin du Rhin comme
sénéchal de l'empire, le duc de Saxe comme maréchal, le marquis de
Brandebourg comme premier valet-de-chambre, et le roi de Bohême comme
échanson, écrivirent tous au pape dans le même sens, et en des termes
très expressifs.
Frédéric marcha à la tête d'une armée ; en même temps il publia
plusieurs manifestes contre Grégoire et contre ses attentats ; il
disait que l'orgueil, l'ambition, l'arrogance, la colère, les
vengeances et les mauvaises intentions de ce pape, toutes contraires à
la doctrine de Jésus-Christ et à l'exemple de Saint-Pierre, l'avaient
rendu indigne d'être le chef de la religion catholique ; il
exhortait tous les princes chrétiens à châtier avec rigueur ce
pontife, à redouter les attentats de la cour de Rome contre tout roi
qui ne se rendait point l'esclave du pape, et à se mettre en garde
contre ces dangers, en réduisant les pouvoirs pontificaux aux objets
spirituels, et ne permettant en aucune manière que les papes se
mêlassent des affaires temporelles.
L'empereur s'approcha de Rome ; on lui fit des propositions de
paix, et pendant les négociations, Grégoire mourut, abhorré des
Romains qui s'étaient révoltés deux fois contre les vexations et les
abus de pouvoir de celui qui se disait le serviteur des serviteurs
de Dieu, lorsqu'en même temps, par l'intermédiaire des moines
dominicains et franciscains, il vendait, dans toute la chrétienté, les
indulgences et les dispenses du voeu d'aller faire la guerre en
Palestine. Tout cela se faisait au grand scandale de ceux qui étaient
encore restés les partisans sincères du pouvoir pontifical. Enfin, il
exigeait du clergé la dixième partie de son revenu, sous le titre de Frais
de Croisades.
GODEFROI DE CHATILLON, né à Milan, moine de l'ordre de Citeaux,
cardinal, évêque de Sabine, fut élu pape à la fin d'octobre 1241, sous
le nom de Célestin IV, et mourut le 17 novembre suivant.
On a soupçonné qu'il avait été empoisonné par Roman, cardinal de
Saint-Ange, évêque de Porto, qui avait eu quatre suffrages, et qui ne
passait pas pour scrupuleux.
SINIBALDE DE FIESCHI, né à Gênes, cardinal du titre de
Saint-Laurent, fut élu pape à Anagni, le 25 juin 1243, sous le nom
d'Innocent IV, après une vacance d'un an et plus de sept mois, sans
compter le temps précédent, attribué à Célestin IV.
Lorsque l'empereur Frédéric apprit son élection, il s'écria :
« J'ai perdu un ami dans la personne du cardinal Sinibalde ;
car à présent qu'il est pape, il sera mon ennemi. »
Il en arriva ainsi, et à un tel degré, que Grégoire IX pourrait être
traité de modéré, en comparaison d'Innocent IV. Tout en feignant de
vouloir la paix, il persécuta Frédéric, et prononça même contre lui,
dans le concile de Lyon, une sentence formelle de déposition de
l'empire d'Allemagne et du royaume des Deux-Siciles.
Ce concile fut le premier, en l'année 1245, et il est compté pour le
treizième concile général de la chrétienté, quoique dans la réalité,
il ne mérite pas ce titre. Après cette proposition, il fit ses efforts
pour faire élire roi d'Allemagne, Guillaume, comte de Hollande, malgré
que Conrad, fils de Frédéric, eût été couronné roi des Romains, dès
l'année 1237.
Cette imprudence du pape produisit des schismes et des guerres civiles
sanglantes en Allemagne, en Italie, et à Naples. Il tenta d'allumer le
feu de la discorde dans les royaumes de France, d'Angleterre et autres
puissances, en les excitant à prendre parti contre Frédéric ;
mais Saint-Louis et les autres rois s'y refusèrent constamment. Un des
chefs d'accusation contre l'empereur était de traiter avec les
Sarrazins, et pourtant Innocent, pour assouvir sa rage, commit
l'inconséquence d'écrire lui-même au sultan d'Égypte de ne pas se fier
à Frédéric, et d'abandonner son parti. Cette démarche infâme eut pour
résultat, bien mérité, que le monarque musulman l'accabla de reproches
insultants et très justes, en lui répondant entre autres choses :
« Nous avons reçu votre lettre, et entendu votre envoyé, qui
nous a parlé au nom de Jésus-Christ, que nous connaissons mieux que
vous, et nous honorons plus que vous. »
Telle était la cour du pape Innocent, qu'il ne put rester à Rome où il
était resté, ni à Gènes, sa patrie, par les mêmes motifs, ni dans
toute l'Italie, par crainte de l'empereur. St.-Louis, roi de France,
Henri III d'Angleterre, et Jacques Ier d'Aragon lui refusèrent la
permission de résider dans leurs états, dans la crainte des dépenses
et des usurpations ; ce qui fit qu'il se fixa à Lyon, dont les
archevêques étaient souverains. Le résultat confirma la réalité des
défiances des trois monarques, car les Lyonnais mêmes ne purent
supporter les excès et les abus de la cour pontificale.
L'abbé Fleuri a publié des fragments de lettres et des clauses de
manifestes de l'empereur Frédéric, qui démontrent évidemment que les
malheurs de l'Europe proviennent de ce qu'on a retiré les papes et le
clergé de l'état d'humilité et de pauvreté où ils étaient
autrefois :
« Alors, dit-il, le pontife romain, les évêques et les
prêtres soutenaient les sceptres par leurs prières et leurs
vertus : maintenant ils les détruisent par l'abus de leurs
richesses et de leur autorité.
Enfin, les critiques modernes du dix-neuvième siècle ne peuvent
avancer des vérités plus claires que ce qu'a dit Frédéric.
Le pape, voyant enfin que l'empereur triomphait malgré tous ses
efforts, poussa l'infamie jusqu'à consentir (si même ce ne fut pas par
son ordre), à ce qu'on cherchât les moyens de l'empoisonner. On gagna
un médecin, et ce fut par hasard que Frédéric en eut connaissance, peu
d'instants avant de recevoir la boisson qu'on lui administrait sous le
nom de médecine. La mort de quelques-uns de ses enfants et d'autres
chagrins continuels causèrent enfin la mort de l'empereur.
L'archevêque de Palerme lui donna l'absolution avant qu'il fût mort,
et lui fit des funérailles pompeuses. Mais Innocent, portant sa colère
au-delà même des bornes de la vie, réprimanda sévèrement l'archevêque,
et prétendit qu'il avait encouru l'excommunication, pour avoir absous
sans sa permission ; comme s'il pouvait y avoir des réserves au
moment de la mort.
Frédéric, en outre, avait fait son testament, où il recommandait à ses
enfants d'être soumis à la sainte Église romaine. Ils se conduisirent
ainsi ; mais Innocent forma la résolution d'empêcher la famille
impériale de régner en Allemagne, à Naples, en Italie, ni en
Sardaigne, en disant que c'était une race de rebelles à
l'Église ; comme si l'orgueil et l'ambition des papes pouvaient
s'identifier avec la sainteté de l'Église.
On ne peut se figurer les intrigues qu'il employa contre le fils de
Frédéric, Conrad ; et après la mort de ce roi, en 1254, il
feignit de prendre sous sa protection Conradin, son fils, encore
enfant, afin de régner lui-même sous son nom, à Naples et en
Sicile : il se fit en effet proclamer régent du royaume, mais ce
fut là même que la mort vint arrêter ses projets ambitieux.
Les écrivains romains font de grands éloges d'Innocent IV, et son
épitaphe dictée par les flatteurs, offre matière ; mais
l'histoire de sa conduite et de ses procédés est scandaleuse, et
n'admet point d'excuse. C'est pour cela que nous ne devons pas nous
étonner qu'outre les Vaudois et les Albigeois, il naquit en Saxe, en
1248, une nouvelle secte d'hérétiques qui disaient que le pape
était hérétique, et tant d'autres choses contre le dogme catholique du
sacerdoce et ses pouvoirs spirituels ; personne ne se serait
avisé d'attaquer la puissance spirituelle, si l'on n'eût pas reconnu
ses abus et les mauvaises conséquences que produisait son mélange avec
le temporel.
On raconte d'Innocent IV certain trait digne de mémoire. Sa Sainteté
reçut une grosse somme d'argent en présence de Saint-Thomas-d'Aquin.
et lui dit :
« Vous voyez que je ne puis pas dire comme Saint-Pierre, que
je n'ai pas d'argent. Saint-Thomas lui répondit : Cela est
vrai, mais aussi les miracles du successeur de
Saint-Pierre ne font pas marcher les paralytiques, comme
on les vit marcher alors. »
Nous remarquerons que vers l'an 1780, à l'occasion de quelques
fouilles, on découvrit le corps de l'empereur Frédéric II, et
quoiqu'il se fût écoulé plus de cinq cents ans depuis qu'il avait été
enterré, on le trouva sans aucune trace de corruption : cet
événement appela l'attention, et fui inséré dans les gazettes de
l'Europe : ceci peut donner matière à quelques réflexions
critiques.
RENAUD, neveu de Grégoire IX, cardinal, évêque d'Ostie, fut élu
pape à Naples, le 12 décembre 1254, sous le nombre d'Alexandre IV, et
mourut à Viterbe, le 25 mai 1261.
Il suivit les traces de son oncle et de ses prédécesseurs. Après avoir
excommunié Mainfroy, roi de Sicile, fils de Frédéric II, il le
persécuta, et excita contre lui des guerres sanglantes, en faisant
prêcher une croisade, de même que si c'eût été contre les Sarrazins de
la Palestine.
Il attaqua la puissance civile du sénat de Rome, et se fit un si grand
nombre d'ennemis dans cette ville, qu'il fut obligé de fuir pour
éviter la mort.
Il troubla la paix intérieure de ses serviteurs mêmes, en essayant de
réunir en un seul, cinq couvents de moines de Saint-Augustin et de
Saint-Guillaume.
Il feignit de l'impartialité pour l'élection de l'empire d'Allemagne,
tandis que, sous main, par des moyens cachés et artificieux, il
protégea fortement Richard, roi d'Angleterre, qui n'avait été élu que
très illégalement par l'archevêque de Cologne et le comte palatin,
tandis qu'en même temps il refusait son appui à Alphonse, roi de
Castille, à qui les archevêques de Trêves et de Mayence, le roi de
Bohême, le duc de Saxe et le marquis de Brandebourg avaient donné
leurs suffrages, selon les lois impériales qui regardent cet objet. Ce
fut un service qu'il rendit au royaume de Castille, dont la réunion de
l'empire sur la tête de son roi aurait fait le malheur, ainsi qu'il en
arriva depuis, sous le règne de Charles-Quint ; mais cela ne
diminue en rien la perfidie d'Alexandre.
JACQUES PANTALEON DE COURT-PALAIS, Français, né à Troyes,
patriarche de Jérusalem, fut élu pape, le 29 août 1261, sous le nom
d'Urbain IV, dans la ville de Viterbe, où il se trouvait par hasard
avec neuf cardinaux, au moment de la mort de son prédécesseur.
Les trois mois de vacance s'étaient écoulés en conférences
continuelles, pour s'accorder sur le choix d'un des électeurs, sans
pouvoir y parvenir : ce qui prouve que chacun d'eux prétendait à
la tiare pontificale. Ils pensèrent alors à élire un étranger.
Pourra-t-on croire que l'Esprit-Saint dirigeait, dans cette occasion,
les suffrages des neuf cardinaux du sacré collège qu'on nomme
apostolique ?
Urbain suivit le système qu'il trouva établi dans son Église ; il
renouvela l'excommunication et la guerre en Sicile contre
Mainfroy ; il chercha à empêcher le mariage du roi d'Aragon,
Pierre III, avec Constance, fille de Mainfroy, dans la crainte qu'il
ne prétendit au droit de succéder à la couronne de Sicile ; ce
qui arriva en effet. Urbain offrit cette couronne à Saint-Louis pour
un de ses fils, mais le saint roi la refusa, en disant, avec raison,
que cela était contraire aux droits de Conradin, fils de Conrad, et
petit-fils de l'empereur Frédéric.
Alors le pape, ne considérant que ses projets ambitieux, regarda comme
destitué de droit ce même Conradin, qu'Innocent IV avait pris sous sa
protection, et offrit le trône de Sicile à Charles de France, duc
d'Anjou et de Provence. Charles, moins scrupuleux que son frère
Saint-Louis, accepta, et mena une armée contre Conradin, à qui il ôta
la vie et la couronne à la suite de divers événements.
Les électeurs de l'empire d'Allemagne, voyant la prolongation de la
guerre civile, et regardant comme nulles les élections de l'anglais
Richard et du castillan Alphonse, pensèrent à élire un nouveau roi des
Romains. Ils se proposaient de choisir Conradin, dernier rejeton de la
ligne masculine de la maison de Souabe, qui avait gouverné l'empire
pendant si longtemps : mais Urbain, fidèle au système de tous les
papes, abandonna les apparences de l'impartialité, et ne négligea rien
pour éviter cette élection. Un de ses moyens fut d'inspirer sous main
qu'on le nommât juge du doute juridique, sur les droits d'Alphonse et
de Richard, et l'intrigue fut bien conduite, parce que les
pontifes romains étaient déjà maîtres dans cet art, où ils ont
continué à exceller.
Urbain cita les deux compétiteurs à comparaître devant lui, mais la
mort le priva de prononcer sur ce procès, en le mettant au tombeau le
2 octobre 1264, après avoir exaspéré par ses exactions et ses
violences et excité des troubles continuels parmi les habitants de
Rome et d'Orbiette,
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