Nous allons entrer dans le dixième siècle,
que les uns appellent le siècle de fer,
d'autres d'argile,
et qu'on doit plutôt appeler le siècle de scorie ou de bourbe ;
siècle dans lequel Baronio, quoique romain et cardinal, reconnaît
tant de crimes dans ceux qui ont possédé le trône pontifical, qu'il
ne trouve de consolation qu'en disant que la foi n'y a pas souffert
de préjudice notable : mais n'en est-ce pas un que l'effet
subséquent de faire mépriser ce trône à cause des vices de ceux qui
l'ont occupé ? Certes il n'est pas facile de faire croire à
l'intervention du Saint-Esprit dans les élections pontificales, à la
vue des exemples que nous avons déjà indiqués, et de ceux que nous
remarquerons dans le dixième siècle ; car plusieurs parvinrent
au suprême sacerdoce plutôt par les ruses du diable que par
l'inspiration du Saint-Esprit.
Benoît IV fut élu pape par la faction de Benoît III, dont il était
peut-être parent, puisqu'il était fils de Mumulo, citoyen romain de
famille noble. Il paraît avoir été bon et charitable, et il occupa
le Saint-Siège depuis l'an 900 jusqu'au commencement d'octobre 903.
Nous ne savons pas par quelle faction Léon d'Ardée fut élevé à la dignité pontificale, et sacré le 28 octobre 903. Mais il est certain qu'il occupa le trône tout au plus jusqu'à la fin de novembre, puisque Christophe, son successeur, le lui ravît, s'empara de sa personne, et l'enferma dans une étroite prison, où il mourut le 6 décembre.
CRISTOPHE, fils d'un habitant de Rome nommé Léon, usurpa le pontificat à la fin de novembre 903, par les moyens violents que nous avons indiqués ; mais il jouit peu de temps du fruit de son injustice, car Sergius l'en dépouilla en juin 904, par les mêmes voies dont il s'était servi. Christophe fut renfermé dans un monastère, d'où Sergius le retira pour le mettre dans une prison, où, chargé de chaînes, il acheva sa vie criminelle.
SERGIUS, compétiteur de Jean IX, et réfugié
en Toscane depuis 898, revint à Rome pour chasser Christophe. La
faveur des marquis de Toscane le fit monter au trône pontifical, en
commettant les mêmes crimes que son prédécesseur. Il y ajouta celui
de vivre en concubinage avec Marocia, épouse d'Adalbert, marquis de
Toscane, fille de Théodora l'aînée, et soeur de Théodora la jeune.
Théodora l'aînée fut une femme de beaucoup de talent, mais
impudique, et elle contribua au concubinage de sa fille Marocia, par
ambition de commander despotiquement à Rome, où elle commanda
réellement.
Sergius eut de Marocia un fils nomme Jean, qui devint pape par la
protection de ses parents. Cependant il passa pour fils d'Albéric,
duc de Spolette, mari de Marocia, quoiqu'il ne le fût pas encore à
cette époque.
Sergius, ennemi déclaré de Formose, et partisan actif d'Étienne VI,
annula le concile Romain de Jean IX et les décrets des papes Romain
et Théodore, ses prédécesseurs. Il fit, en conséquence, transporter
avec de grands honneurs le cadavre d'Étienne VI, en réhabilitant sa
mémoire, et renouvelant ses décrets contre celle de Formose. Il mit
une épitaphe honorable sur le tombeau d'Étienne, et infamante pour
Jean IX, qu'il qualifia d'intrus et de schismatique. Sergius mourut
en août de l'année 911.
Nous ne savons rien de certain sur ce pape, sinon qu'il fut élu en août 911 et mourut en octobre 913.
Il en est de même de Landonio, devenu pape le 16 octobre 913, et mort le 26 avril 914.
Il semble que l'histoire se lassait de ne
pas nous présenter des exemples scandaleux. Jean, prêtre de Ravenne,
résida longtemps à Rome, et forma des liaisons criminelles et
déshonnêtes avec Théodora la jeune, soeur de Marocia.
Élu évêque de Bologne, et avant d'être sacré, il fut nommé
archevêque de Ravenne par le pape Landonio qui le sacra. Ce dernier
étant mort, Théodora obtint par ses intrigues et toutes sortes de
moyens, que son amant fut élu souverain pontife. Cette femme
gouverna l'Église pendant la vie de Jean, comme Marocia l'avait fait
sous le pontificat de Sergius.
Le pape Jean X partit en 915 pour faire la guerre aux Sarrasins avec
une armée commandée par Albéric, marquis de Toscane. La méchante
Marocia, jalouse de sa soeur Théodora, et de ce que Pierre, frère de
Jean X, avait plus de pouvoir à Rome qu'elle et son mari Guide, duc
de Spolette, eut l'iniquité de lui persuader de persécuter
mortellement les deux frères. Les soldats de Guide s'introduisirent
dans le palais de Latran, massacrèrent Pierre et s'emparèrent de la
personne du pape qu'ils conduisirent à une prison affreuse, où ils
lui ôtèrent la vie à la fin de mai 928.
Quelques-uns disent que Jean X, en 926, avait fait assassiner
Albéric duc de Spolette, premier mari de Marocia.
LÉON fut pape depuis la fin de 928, jusqu'au 3 février 929. Nous manquons de notices originales. Les circonstances font présumer que son pontificat commença par la force de la faction de Marocia ; et sa courte durée fonde le soupçon, dans de tels temps, que sa mort ne fut pas naturelle.
Il en est de même d'Étienne VII, qui gouverna depuis le commencement de février 929, jusqu'au 12 mars 931.
JEAN fut le fils sacrilège du pape
Sergius III et de la célèbre Marocia, quoique les auteurs de l'art
de vérifier les dates prétendent sans fondement valable, qu'il était
fils légitime d'Albéric, duc de Spolette, et de Marocia.
Jean fut élu pape à cause de la puissance de sa mère et du marquis
Guide son beau-père. Il n'avait que vingt-cinq ans, et se laissa
gouverner par sa mère. Guide mourut peu de temps après, et Marocia,
cette femme singulière, eut l'art de persuader à Hugues, roi
d'Italie, frère utérin de Guide, de l'épouser, en lui promettant de
le faire reconnaître roi de Rome, ce qui s'effectua. Mais alors
Hugues, croyant son autorité assez affermie, traita mal plusieurs
personnages distingués, et même son beau-fils Albéric, qui dans la
suite devint prince romain : celui-ci était fils de la même
Marocia et d'Albéric, duc de Spolette et Patrice de Rome, son
premier mari. Albéric irrité enflamme l'esprit des Romains, et se
mettant à leur tête, il cerne et assiège le château Saint-Ange où
était le roi Hugues avec la reine Marocia et le pape Jean, et
devient prince de Rome.
Les papes ayant perdu ainsi la souveraineté, il se forma une
république, dont Albéric conserva durant sa vie le suprême pouvoir,
et même à sa mort le transmit à son fils Octavien, qui réunit sur sa
tête le souverain pontificat. Le roi réussit à s'échapper par les
murailles, mais le pape Jean XI resta prisonnier et mourut en prison
dans l'année 936.
LÉON, élevé au trône pontifical par la protection d'Albéric, en janvier 906, travailla beaucoup à le réconcilier avec son beau-père Hugues, roi d'Italie, et mourut avant leur réconciliation, le 18 juillet 939, sans laisser une aussi mauvaise réputation que ceux qui l'avaient précédé dans ce siècle.
ÉTIENNE, selon les uns, fut originaire de
Rome, et allemand selon Martin de Pologne : je regarde le
premier comme plus vraisemblable. Il continua, comme son
prédécesseur, à travailler à la réconciliation d'Albéric, prince de
Rome, avec Hugues, roi d'Italie, qui se faisaient une guerre cruelle
et prolongée. Il prit parti dans les révolutions de France en faveur
de Louis IV, dit d'Outre-Mer, contre Hugues-le-Grand, fils du roi
Robert et père du roi Hugues Capet ; et il excommunia ceux qui
étaient rebelles à Louis.
Martin de Pologne ajoute que les Romains coupèrent le nez au pape
Étienne, et lui firent tant de blessures à la figure, qu'il n'osa
pas se faire voir en public pendant son pontificat qui dura depuis
le 19 juillet 909, jusqu'au commencement de novembre 942.
Élu le 11 novembre 942, il mourut vers le 25 janvier 946, avec la réputation d'un bon pontife, charitable et pacifique, ce qu'on peut considérer comme un miracle dans ces temps-là.
Il fut sacré le 8 mars 946, et mourut à la fin de l'année 955. Ami de la paix et pur dans ses moeurs, on ne trouve dans l'histoire aucune raison de lui imputer la faute des événements indiqués par Prudhomme.
ALBÉRIC, marquis de Toscane, mourut en 954
et son fils Octavien lui succéda, non-seulement dans ses états
héréditaires, mais aussi dans ses dignités et dans son pouvoir de
prince et de patrice de Rome, chef de la république.
Le souverain pontife Agapite étant mort, quand Octavien
n'était âgé que de dix-huit ans, ses confidents lui conseillèrent de
se faire élire pape, et le jeune ambitieux suivit ce conseil. Il fut
sacré souverain pontife en janvier 956, parce que les évêques de la
province n'osèrent pas s'y refuser, malgré la nullité notoire de
l'élection, soit par défaut de liberté des électeurs, soit surtout
parce que l'élu n'avait pas trente ans, qui est l'âge désigné par
les conciles pour occuper un siège épiscopal, et n'y ayant personne
qui eût le droit de dispenser de ce défaut. Il changea son nom en
celui de Jean XII ; exemple qui, dans la suite, fut imité par
beaucoup d'autres.
Le jeune pape avait l'esprit militaire plutôt qu'ecclésiastique, et
il en donna des preuves, en commandant lui-même ses armées dans les
différentes occasions. Sa vie manifestait aussi la licence
militaire, se livrant aux plaisirs des sens avec scandale, sans
frein et sans modération, car il convertit le palais pontifical en
un sérail qui renfermait un grand nombre de concubines. Une d'elles
surtout le dominait avec un tel despotisme, qu'elle prenait part aux
affaires ecclésiastiques, et disposait de tout à son gré. De-là
vient que quelques écrivains, qui rejettent l'existence de la
papesse Jeanne, en ont pris occasion de dire que cette fable a pris
son origine de l'empire d'une femme sur le pape Jean, et de la
faiblesse et de l'assujettissement de celui-ci à ses volontés :
mais cela est incertain.
Se trouvant opprimé par Bérenger, roi d'Italie, second du nom, il
appela à son secours Othon, roi de Germanie, en lui offrant de le
couronner empereur d'Occident, dont le titre s'était éteint en 920,
par la mort de Bérenger Ier, aïeul du roi actuel d'Italie. Othon se
rendit à Rome et Jean le couronna : le clergé, le peuple et le
pape lui-même lui jurèrent obéissance et fidélité en se
reconnaissant pour ses vassaux. On célébra un concile, où Othon
confirma à l'Église romaine la souveraineté de Rome et des autres
états pontificaux. Le pape, le clergé et le peuple s'obligèrent à ne
point élire de souverain pontife, sans l'intervention de l'autorité
impériale, et Jean déclara que le royaume d'Italie serait uni pour
toujours à la dignité d'empereur romain.
Après le départ d'Othon, quelques Romains s'adressèrent à lui pour
se plaindre des scandales insupportables et de la faiblesse du pape.
Othon répondit que Jean XII était très-jeune, et qu'on devait
espérer qu'il rentrerait en lui-même, et qu'il lui écrirait à ce
sujet. Le pontife, loin de se corriger, oubliant la fidélité promise
à l'empereur, fit une alliance avec Adalbert, roi d'Italie, contre
Othon. Ce qui le détermina, fut l'avis de quelques Romains qui se
voyaient avec peine assujettis aux Allemands ; de-là naquirent
les célèbres factions des Guelfes et des Gibelins, qui durèrent
plusieurs siècles, et dont les dénominations servirent à désigner
les partisans des papes et des empereurs.
Othon revint à Rome plein de ressentiment, et assembla un concile de
plusieurs évêques d'Italie, qui déposèrent Jean XII, et élurent pour
souverain pontife, le 22 novembre 963, Léon VIII, premier archiviste
de Rome. Othon exigea le serment du clergé et du peuple, de
reconnaître le nouveau pape et de lui obéir. Jean prit la fuite
aussitôt qu'il sut l'arrivée d'Othon ; mais il revint à Rome
dès que l'empereur se fut retiré, et le peuple le reçut avec
acclamation, malgré le désordre de sa vie, par haine contre la
domination Allemande. Jean fit mourir plusieurs cardinaux et
d'autres personnages principaux du parti contraire il assembla
ensuite un concile de seize évêques, le 26 février 964, par lequel
il fit déclarer nul tout ce qui avait été fait, ainsi que les
traités avec Othon ; mais il jouit peu de temps de son
triomphe, car un mari, las de souffrir, l'ayant surpris en flagrant
délit, lui ôta la vie le 14 mai.
LÉON VIII s'était retiré de Rome lorsque
Jean XII revint occuper le siège pontifical. L'empereur Othon,
informé de sa mort, retourna à Rome accompagné du pape qui avait été
sacré. Dans cet intervalle, les Romains avaient élu Benoît V, diacre
de l'église de Rome, pour successeur de Jean, sans s'embarrasser des
promesses faites à l'empereur. Celui-ci, très offensé de cette
conduite, fit reconnaître de nouveau Léon VIII pour seul souverain
pontife, et emmena avec lui Benoît qui vécut tranquille en
Allemagne, sans exciter de schisme dans l'Église, ni prétendre à
aucun droit contre l'ordination de Léon. Celui-ci publia une bulle
pour renouveler les dispositions du concile romain, tenu par son
prédécesseur Jean XII, où il est défendu de sacrer les papes sans le
consentement de l'empereur. Il conserva son pontificat jusqu'à sa
mort, arrivée à la fin de mars ou au commencement d'avril 965.
Mes lecteurs pourront examiner si c'est le Saint-Esprit qui dirige
les élections des papes, ou plutôt si ce n'est pas l'esprit
d'ambition, comme dans toutes les affaires humaines.
À la mort de Léon VIII, on procéda à
l'élection pontificale, conformément au concile de Jean XII et à la
bulle de Léon, en présence des députés de l'empereur Othon. Jean
XIII, évêque de Narni, fut élu, et sacré le 1er octobre 965 ;
mais, peu de temps après, il fut chassé de Rome, par les grands qui
ne pouvaient supporter sa fierté. L'empereur, informé des troubles,
y vint lui-même. Les seigneurs, craignant les effets de sa colère et
voulant l'éviter, invitèrent le pape à revenir. Malgré cela, ils ne
purent s'exempter de la peine capitale.
Le comte Rofrède était mort, mais on déterra son corps pour
l'écarteler ; les consuls furent bannis ; les tribuns et
quelques barons pendus et d'autres décapités ; le préfet Pierre
fut promené sur un âne, le visage tourné vers la queue et fouetté
ensuite ; beaucoup d'autres furent bannis, et enfin il n'y eut
de pardon pour personne.
Mais ce qui est digne de remarque, c'est qu'un prêtre, qui se nomme
le vicaire de Jésus-Christ, au lieu d'intercéder pour ceux qui
l'avaient offensé, excitait au contraire l'empereur à les punir
sévèrement. Ce souverain mourut bientôt, et Jean XIII mit la
couronne sur le front d'Othon II, son fils et son successeur.
Quel parallèle entre Jésus-Christ crucifié, demandant au père
éternel le pardon de ses ennemis, et rejetant sur leur ignorance le
crime de déicide, et Jean XIII, son vicaire, respirant la vengeance
et faisant couler par torrents le sang de ceux qui l'avaient
offensé.
Les notices originales des papes du temps
que nous parcourons, sont aussi obscures que les lumières
littéraires du dixième siècle. Il ne faut donc pas s'étonner de la
diversité des opinions à l'égard de l'ordre successif de Benoît VI,
Domno II et Benoît VII. Je suis l'ordre qu'ont suivi Platina, Fleuri
et les auteurs de l'art de vérifier les dates, de préférence à celui
de Prudhomme.
Benoît VI, né à Rome, fils d'Hildebrand, fut élu pape à la fin de
972 ; mais, peu de temps après, le sénateur patrice Crescence,
fils sacrilège du pape Jean X et de Théodora, soeur de la reine
Marocia, irrité de la conduite de Benoît, le prit à main armée et
l'enferma dans un cachot fétide et obscur, où il lui donna la
mort : les uns disent qu'il le fit mourir de faim, d'autres
qu'il le fit étrangler, et d'autres qu'il fut empoisonné. N'y ayant
plus de souverain pontife, soit qu'il fut mort, comme le pense le
critique Pagi, soit qu'il ne le fut pas, comme le croit l'abbé
Fleuri, on procéda à la nomination d'un autre.
Ce qu'il y a de certain, c'est qu'on élut Franconio, diacre de Rome,
fils de Ferrucio. Le nouveau pape prit le nom de Boniface VII, et
commença à exercer son pontificat avec le secours de Crescence. Il
ne put se maintenir plus d'un mois, parce que le peuple le détestait
et le menaçait. Il déroba les trésors et les bijoux de l'église de
Saint-Pierre, et partit pour Constantinople.
Le choix de son asile, les circonstances de son élection et le sort
de son prédécesseur, donnent lieu de croire que Crescence et
Boniface tramaient une intrigue contre l'empereur Othon II, en
faveur de l'empereur d'Orient, pour la souveraineté de Rome.
Après l'expulsion de Boniface VII, que l'on
regarde comme antipape schismatique, et la mort de Benoit VI, connue
ou supposée, Domno II fut élu.
L'histoire ne présente aucun événement relatif à mon objet, sinon
que Domno mourut le 25 décembre 974.
BENOIT VII, né à Rome de la famille des
marquis de Toscane, neveu du patrice Albéric, et évêque de Sutri,
fut mis sur le trône pontifical, d'après le refus de Saint-Mayolo,
abbé de Cluny, à qui l'empereur Othon et l'impératrice Adélaïde
firent de vives instances pour qu'il se décidât à accepter, s'il
était élu. Les empereurs agissaient ainsi, parce qu'ils regardaient
comme une chose nécessaire de placer sur la chaise de Saint-Pierre
des hommes saints, capables d'arrêter le désordre extrême de Rome et
la contagion de la mauvaise morale, qui se répandait par les
exemples pervers de la capitale du christianisme. Si l'Empereur
pensait ce qu'il disait, il eut grand tort de croire qu'il n'eût pas
trouvé en Italie des sujets dignes de l'élection canonique.
Le savant Muratori cite cinq actes, dont les dates forment le compte
des années du pontificat de Benoit VII, à partir de 972. M. de
Saint-Marc dit par cette raison, que Benoit VII était la même
personne que Benoit VI, de qui il assure que, quoiqu'on l'eût cru
mort dans la prison, il ne l'était pas, et qu'il en sortit libre,
par la faveur de l'empereur.
Le moine Gerbert, que nous verrons bientôt pape sous le nom de
Silvestre II, parle de ces papes comme si c'était le même individu
avec le nom de Benoit, exilé et non pas mort. Les affaires du siège
pontifical étaient alors dirigées par l'esprit infernal, au lieu de
l'être par le Saint-Esprit qui paraissait sommeiller comme les dieux
d'Achab.
Nous pouvons donc dire seulement que Benoît VII, considéré comme une
personne distincte de Benoît VI, mourut le dix juillet 983, selon le
cardinal Baronio.
Pierre, évêque de Pavie, chancelier de l'empereur Othon II, fut élu pape au mois de novembre 983, par la faveur de ce prince et pour mettre fin aux désordres, mais il ne put y parvenir. Il avait de très bonnes qualités, et son humilité le porta à changer son nom contre celui de Jean, en disant qu'aucun pape ne devait s'appeler Pierre, parce que personne ne pourrait être digne de se compter pour le second, en se comparant au premier. Mais dans le mois de mars 984, il était déjà chassé du siège pontifical et prisonnier au château Saint-Ange, par la faction de Boniface VII, qui lui ôta la vie, en le faisant mourir de faim, selon les uns, et, selon d'autres, par le moyen du poison.
Les auteurs critiques de l'art de vérifier
les dates ne mettent pas Boniface VII au nombre des papes, et le
regardent comme un antipape usurpateur. Mais cela ne suffit pas pour
l'exclure, tandis qu'on en compte tant d'autres qui n'ont pas plus
et peut-être moins de droits de s'intituler légitimes. Si les
anciens ne l'eussent pas compté, on n'aurait pas pu donner le nom de
Boniface VIII à ce célèbre Boniface qui eut tant de disputes avec le
roi de France Philippe-le-Bel. Outre cela, nous ignorons si Benoît
VI était déjà réellement mort, quand on élut Boniface, selon ce
qu'en dit le critique Pagi. En tel cas, il aurait plus de droit que
les papes Domno II, Benoit VII et Jean XIV.
Le courage qu'il eut de revenir de Constantinople, aussitôt qu'il
apprit la mort de Benoît VII, aide à penser qu'il se croyait des
droits juridiques ; le patrice Crescence le protégea comme
auparavant, et Boniface fut reconnu en qualité de souverain pontife.
Sa conduite fut égale à son ambition ; et son orgueil fut porté
à un tel point que ses partisans mêmes ne purent le supporter.
Abandonné par eux, il périt d'une mort désastreuse en mars 985. Son
cadavre fut traîné par les rues de Rome. Nu, mis en pièces à coup de
lances, il fut laissé dans la place publique devant le cheval de
Constantin, jusqu'à ce que quelques prêtres recueillirent ses débris
et leur donnèrent la sépulture.
À la mort de Boniface VII, on élut pape, Jean, né à Rome, fils de Robert, citoyen distingué. Il fut quatre mois sans être sacré, et mourut dans la même année. On ne sait pas bien pourquoi sa consécration fut retardée si longtemps. Cette circonstance fait que quelques écrivains ne l'ont pas inscrit sur le catalogue des papes ; mais il est certain que les anciens le comptent, car sans cela on ne pourrait nommer Jean XXII le pape qui prit cette dénomination dans le quatorzième siècle.
Jean, né à Rome, fils du prêtre Léon, fut
élu pape après la mort de Jean XV, et sacré le 25 avril 986.
Le sénateur et patrice Crescence, qui jouissait d'une autorité
presque souveraine, l'exila de Rome et le força de se réfugier en
Lombardie ; mais, ayant été informé de l'approche de l'empereur
Othon III, il en craignit les suites, fit chercher Jean, et l'invita
à revenir, à quoi ce dernier consentit.
Ce pape est le premier qui ait canonisé solennellement les morts qui
avaient joui pendant leur vie de la réputation de Saints. Le 3
février 993, il canonisa Saint-Udalric, évêque d'Ausbourg.
Précédemment, l'opinion populaire avait suffi pour que les évêques
morts en odeur de sainteté, fussent regardés comme saints ;
mais souvent l'intérêt et la vanité achetèrent, par des intrigues et
de l'argent, les suffrages de ceux qui faisaient naître l'opinion,
en racontant des miracles prétendus et des vertus qui étaient
imaginaires. C'est pour cela que la canonisation populaire et
diocésaine des anciens temps mérite peu de cas, lorsqu'on examinant
l'histoire avec impartialité et une saine critique, on y découvre
des choses tout opposées à la croyance des vertus héroïques de
certains personnages. L'invention romaine des canonisations
solennelles a produit un bien mêlé de quelques inconvénients.
On forme à Rome des procès très dispendieux qui attirent à la cour
pontificale de grosses sommes d'argent des autres nations. S'il n'y
a pas une partie qui poursuive la cause, elle reste en suspens, et
celui qui a peu de richesse est forcé de l'abandonner. Voilà
pourquoi depuis le treizième siècle jusqu'à nos jours, presque tous
les béatifiés et les canonisés appartiennent à des instituts
réguliers.
Les corporations de moines sont presque les seules qui puissent
supporter ces frais si énormes.
L'argent influe, non-seulement sur la suite du cours des causes,
mais aussi sur la substance de la décision définitive, cependant par
des voies indirectes. Il facilite les moyens de trouver des témoins
et des témoignages ; il fait pencher l'indécision des
rapporteurs, et dispose favorablement l'esprit du fiscal et des
juges de la congrégation des rits.
Plût à Dieu que cela ne fut pas une vérité aussi certaine ! on
aurait plus de foi aux canonisations, et les protestants n'auraient
pas des armes pour déclamer contre elles. D'un autre côté, ce mal
produit un bien, en diminuant le nombre des canonisations.
Nous ignorons comment elles se faisaient du temps du pape Jean XVI,
mais nous savons par le témoignage de Saint-Abbon, abbé, qui
résidait alors à Rome, que ce pape était avare, et qu'il vendait, à
prix d'argent, toutes les dépêches pontificales. Il ne serait donc
pas téméraire de présumer qu'il inventa les canonisations
solennelles pour multiplier les richesses de son trésor. Du temps de
ce pape, il y avait à Rome quarante monastères de l'ordre de
Saint-Benoît, vingt de religieuses, et soixante églises de
chanoines.
Que l'on me dise si cent-vingt communautés, qui ne s'occupaient ni
de l'agriculture, ni des arts, vivaient aux dépens de Rome, ou
plutôt de toute la chrétienté, qui n'avait eu besoin, du temps des
douze premiers papes, d'entretenir à Rome que sept prêtres.
O fatal renversement des idées !
L'empereur Othon III ayant appris la mort de
Jean XVI, fit élire, pour successeur, Bruno son neveu, fils de
Liutgarde sa cousine germaine, malgré qu'il ne fût âgé que de
vingt-quatre ans. L'élection s'effectua le 3 mai 996. Mais l'année
suivante, l'empereur s'étant enfoncé dans le nord de l'Europe, le
patrice Crescence renouvela ses anciennes entreprises, sachant bien
que les Romains supportaient avec peine la domination des Allemands.
Il exila de Rome le pape Grégoire, et fit élire à sa place Filagate,
évêque de Plaisance en Italie, qui avait été parrain de Grégoire V
et de l'empereur son oncle lors de leur baptême, ainsi que l'exposa
l'abbé Saint-Nil devant tous les deux, quand il fut implorer leur
clémence. Crescence informé qu'Othon marchait vers Rome avec une
grande armée, prépara des provisions de guerre et des vivres dans le
château Saint-Ange, qui s'appelait alors la forteresse de Crescence,
comme on l'avait appelé autrefois la forteresse d'Adrien, parce que
cet empereur l'avait fait construire. À l'approche d'Othon, Filagate,
nommé Jean XVII, et Crescence s'y réfugièrent, mais en vain ;
l'empereur se rendit maître de leurs personnes.
L'antipape prit la fuite : des soldats le trouvèrent ;
après mille traitements indignes, ils lui coupèrent le nez et la
langue, lui arrachèrent les yeux, et le conduisirent en cet état
dans une prison obscure et fétide, tout cela par l'ordre de Grégoire
V, qui craignait que l'empereur ne consentit à lui pardonner.
L'abbé Saint-Nil, informé de ces événements, et de l'emprisonnement
de Crescence, vint à Rome dans le seul dessein de solliciter en
faveur des coupables, et surtout de l'antipape, qui était son
compatriote. Il allégua la circonstance qu'il les avait tenus tous
les deux sur les fonts baptismaux, et ils lui promirent le pardon de
la peine capitale. On dit même que l'empereur fut attendri au point
de ne pouvoir retenir ses larmes, en écoutant l'exhortation du
saint, dont la charité imitait l'exemple de Jésus-Christ. Mais le
perfide et vindicatif Grégoire fit ensuite attacher l'antipape sur
un âne, le visage tourné vers la queue, et, après l'avoir fait
fouetter dans les rues de Rome, il le fit mettre dans un cachot, où
on lui coupa les pieds et les mains avant de lui ôter la vie.
Crescence rendit la forteresse par capitulation, sous la condition
d'obtenir sa liberté ; mais cette condition ne fut pas
exécutée ; à peine fut-il sorti du château, qu'on lui coupa la
tête, et on le suspendit par les pieds. Tout cela n'empêcha pas
l'empereur de prendre Stéphanie, sa veuve, pour sa maîtresse. Elle y
consentit alors, et dissimula son ressentiment, jusqu'à ce qu'elle
put trouver l'occasion de se venger : elle y parvint en
empoisonnant l'empereur, qui en mourut le 21 janvier 1002.
Je ne puis comprendre comment les historiens prodiguent tant
d'éloges au jeune empereur Othon III, à la vue de semblables
perfidies. L'abbé Saint-Nil fit dire au pape Grégoire V que,
puisqu'il avait manqué à la miséricorde promise, il craignît la
colère de Dieu qui tomberait sur lui : et Grégoire mourut le 4
février 999, la même année de l'événement.
L'empereur Othon III avait été élève du
célèbre français Gerbert, natif d'Auvergne, qui avait été instruit
dans les mathématiques par les maures de Cordoue, et qui, après
avoir été professeur à Reims, les avait enseignées à l'empereur, et
à Robert II, roi de France. Les Français, ses compatriotes, le
traitèrent de magicien, ainsi qu'on en accusait, dans ce temps
barbare, presque tous ceux qui savaient un peu de physique, de
mathématiques, et d'astronomie.
Gerbert, d'abord moine bénédictin à Aurillac, ensuite à Bobio en
Lombardie, fut depuis archevêque de Reims par la protection de
Robert, et déposé de ce siège par Jean XVI, en 995 ; il fut
ensuite nommé à l'archevêché de Ravenne, par la protection d'Othon,
en 998. Cet empereur compléta son ouvrage, de manière qu'il fut élu
pontife romain, et intronisé le 3 avril 999.
Gerbert prit le nom de Sylvestre II, et fut aussi ambitieux que tous
ses prédécesseurs ; mais, du moins, il se conduisit de manière
à ne jamais irriter les souverains, envers qui il fut toujours
attentif et modéré. Le cardinal Baronio le traite de flatteur, mais
en cela, il donne lui-même une preuve certaine d'adulation envers
les papes.
Sylvestre savait parfaitement quel mépris on avait alors pour le
siège pontifical, du moins quant aux personnes qui y étaient
assises ; car lui-même étant archevêque de Reims, dit dans un
concile tenu en l'année 990:
« Vénérables pères, que pensez-vous de celui que vous voyez
assis sur le Saint-Siège de Rome, resplendissant d'or et de
pourpre ? S'il manque de charité, et s'il n'a que la
science qui enorgueillit ; ce sera l'antéchrist, assis dans le
temple de Dieu, voulant figurer être Dieu. Et s'il
manque également de charité et de science, ce sera
une statue placée dans le temple comme une idole que vous
consulteriez en vain, car on n'obtient pas de réponse d'un
marbre..... O déplorable Rome ! tu donnas à nos ancêtres les
lumières les plus éclatantes, et maintenant tu n'as plus
que d'horribles ténèbres, qui seront célèbres dans le siècle
futur..... Que nous reste-t-il à voir ?
Nous avons vu Jean Octavien conspirer, au milieu de mille
prostituées, contre le même Othon qu'il avait proclamé
empereur. Il est renversé, et Léon-le-Néophite lui succède. Othon
s'éloigne de Rome, et Octavien y rentre ; il chasse Léon,
coupe les doigts, les mains et le nez au diacre Jean, et, après
avoir ôté la vie à beaucoup de personnages distingués, il périt
bientôt lui-même.
Les Romains mettent à sa place Benoît-le-Grammairien. Peu de
temps après, Léon-le-Néophite l'attaque avec son César,
l'assiège, le prend, le dépose, et l'envoi en Allemagne dans un
exil perpétuel. L'empereur Othon meurt ; un autre du même nom
lui succède ; mais à Rome on lui donne pour successeur un
monstre affreux.
Tel fut Malifacio,
surpassant tous les mortels en iniquités, souillé du sang du
dernier pape. Il fut aussi obligé de fuir, et un concile
nombreux le déposa. Sera-t-il possible de supporter encore qu'une si
grande quantité de prêtres de Dieu, dignes par leur vie et leur
mérite d'éclairer l'univers, doivent se soumettre à de tels
monstres, ignominie du genre humain, dénués de toute connaissance
des sciences divines et humaines ? »
Sylvestre parvint au suprême sacerdoce avec ses lumières, et se
conduisit bien jusqu'à sa mort, arrivée le 11 mai de l'année 1003.
Quelques-uns ont soupçonné que Stéphanie, veuve du patrice
Crescence, l'avait empoisonné, ainsi qu'elle avait empoisonné
l'empereur. Mais il n'y a ni preuves, ni motifs qui puissent le
faire présumer, car Sylvestre ne participa en aucune manière au
malheur de son mari.
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