Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IXe SIÈCLE.

ÉTIENNE IV

XCVIIe PONTIFE. DE 816 A 817.

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 ÉTIENNE, noble et diacre romain, fut consacré pape le 22 juin 816, et mourut le 24 janvier 817.
Durant son court pontificat, il montra combien déjà l'esprit d'ambition était enraciné dans le clergé romain, et avec quelle hypocrisie on savait le cacher. L'élection pontificale ayant suivi immédiatement la mort de Léon III, Étienne se fit consacrer sans attendre la confirmation impériale. Une telle conduite, si l'empereur s'en fût trouvé offensé, aurait pu amener la perte de toutes les provinces romaines. Pour échapper à ce danger, Étienne fit sur-le-champ prêter au clergé et au peuple de Rome serment de fidélité à Louis Ier, le Pieux, et en fit passer l'acte au prince, par des envoyés extraordinaires, se justifiant de s'être fait consacrer sans attendre son approbation, et lui remettant une couronne impériale en or, Il partit bientôt lui-même pour le consacrer empereur et roi, à Rheims, et lui porta une seconde couronne d'or pour servir au couronnement de l'impératrice.
Ce voyage ne lui fut pas inutile, car l'histoire raconte qu'il obtint de Louis tout ce qu'il désirait, et il est aisé de croire qu'il ne désirait pas peu. On ne connaît pas exactement l'objet de ses demandes. Il est vraisemblable, cependant, que ce fût la confirmation des donations de Charlemagne, et la promesse de défendre ses états, au cas où l'empereur de Constantinople aurait l'intention de les revendiquer : c'est à cela, en effet, que se bornaient les principales inquiétudes des papes.

C'est là un véritable scandale, sans doute, mais on pourrait encore passer par là-dessus, si les successeurs de Léon III et d'Étienne IV s'étaient contentés du sort de ces papes ; car enfin, ces derniers reconnaissaient la souveraineté directe des empereurs, et leurs adulations même prouvaient leur soumission. Des temps viendront où ce pouvoir, dont Léon et Étienne étaient décorés, leur semblera trop étroit, et où ils affecteront une souveraineté et un pouvoir universel sur tous les empereurs, les rois, et les autres souverains.



PASCHAL Ier

XCVIIIe PONTIFE. - DE 817 A 824

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 PASCHAL, né à Rome, fut consacré pape le 25 janvier 817, et mourut le 11 mai 824. Il n'attendit pas non plus la confirmation impériale. Louis Ier s'en offensa. Paschal chercha à le satisfaire par des discours subtils. Il connaissait la faiblesse de ce souverain ; il savait que, fidèle aux promesses faites au pape, son prédécesseur, Louis lui avait fait expédier le titre de confirmation de toutes les donations faites par Charlemagne.
En l'an 823, Lothaire, fils aîné de Louis, et déjà associé par son père à l'empire, se rendit à Rome, par son ordre, pour y administrer la justice, à l'occasion de quelques émeutes qui venaient d'avoir lieu. Théodore, nomenclateur de l'Église romaine, et Léon, son gendre, se distinguèrent entre tous ; les Romains, par leur zèle en faveur de Lothaire. Au retour de ce premier en France, tous deux furent assassinés dans le palais de Latran. Leurs parents dénoncèrent devant Louis, le pape Paschal, comme auteur de cet assassinat.
L'empereur s'emporta d'abord, mais à peine Paschal eut il nié avec serment en présence des commissaires impériaux, que, selon son habitude, il se tint pour satisfait. Il demanda toutefois qu'on lui livrât les assassins. Le pape, qui les protégeait, s'y refusa, et, se voyant libre, alla jusqu'à affirmer que Théodore et Léon méritaient la peine de mort, pour s'être rendus coupables du crime de lèse-majesté, et qu'ainsi leur mort ne devait pas être regardée comme un assassinat, mais bien comme une exécution judiciaire, dénuée des formes prescrites.

Tout homme, s'il n'est point membre de ce clergé, qui soutient en toute occasion la curie romaine, doit être scandalisé de cette doctrine, à la fois despotique, immorale, fausse, et ennemie de l'ordre public. Une telle conduite de la part de Paschal est la confirmation la plus certaine du bruit public qui lui attribuait l'assassinat. Ce qui ajoute encore à la vraisemblance, c'est que les assassins étaient, à ce qu'on assure, membres du clergé. Comment, d'ailleurs, Théodore et son gendre Léon auraient-ils été coupables du crime de lèse-majesté ? Paschal n'en donna jamais la preuve. Il serait possible qu'ils eussent parlé contre le danger des doctrines pontificales de mêler la domination séculière avec l'office pacifique de pasteur spirituel. Ce raisonnement passait déjà pour une rébellion en faveur de l'empire. Paschal est vénéré comme saint, le 4 mai. À quel hasard peut-on devoir la canonisation de tels hommes ? Où trouvera-t-on, dans Paschal, des vertus héroïques capables de contrebalancer les violents soupçons d'extrême ambition, de perfide assassinat et de parjure ?



EUGÈNE II

XCIXe PONTIFE. - DE 824 A 827.

Neuvième schisme.

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 EUGÈNE, archiprêtre de Sainte-Sabine de Rome, fut élu pape le 5 juin 824, et mourut le 17 août 827.
Son élection fut loin d'être tranquille. On ne considérait plus alors le pontificat comme un emploi épiscopal, dans le sens que lui donnait Saint-Paul, mais comme une dignité royale, égale, si ce n'était supérieure, à celle des autres souverains temporels, au nombre desquels les papes se comptaient, sans préjudice de la dépendance où ils se trouvaient encore de l'empereur.
Un certain
Zozime fut élu pontife romain par un autre parti, ce qui produisit le neuvième schisme. Il aurait sans doute duré longtemps, et amené la guerre civile, si l'empereur Louis n'eut interposé son autorité. L'empereur Lothaire, son fils, se rendit encore une fois à Rome, et en arrêta les progrès.

On doit observer que les Romains en général, et les propriétaires résidants dans les états pontificaux en particulier, se plaignaient que les papes donnassent leur sanction aux usurpations de terres par lesquelles les juges pontificaux enrichissaient les églises aux dépens des habitants. Cette circonstance n'avait pas été sans influence sur le schisme. L'empereur Lothaire, pour remédier à ce mal, ordonna la restitution des terres usurpées. Le pape Eugène concourut avec lui dans cette mesure, donna le même ordre, et tous deux, d'accord avec les grands de France et de Rome, établirent une loi organique, pour éviter, à l'avenir, cet abus ainsi que d'autres semblables. À l'égard de l'élection du pape, l'acte renfermait ce qui suit :

« Personne, homme libre ou serf, ne pourra s'opposer à l'élection du pape. Elle appartiendra de droit aux Romains conformément à la concession faite par les anciens pères. Les ducs, les grands et le peuple de Rome prêteront serment de fidélité à l'empereur sous cette forme : Je promets d'être fidèle aux empereurs Louis et Lothain : sans blesser la foi que j'ai promise à l'empereur. Je promets aussi de ne point consentir que qui que ce soit devienne souverain pontife, s'il n'a reçu l'élection canonique, et que le nouvel élu soit consacré sans avoir préalablement prêté par écrit, en présence du commissaire impérial, le serment de fidélité semblable à celui qui a été prêté et signé par le pape Eugène. »

Ce serment prescrit de faire part à l'empereur de l'élection papale et d'attendre sa commission, ainsi que la nomination du commissaire qui doit recevoir le serment, avant qu'on puisse procéder à la consécration. Si les papes eussent continué de suivre cette loi organique, consentie par tous ceux qui avaient part à l'élection, on n'aurait pas vu tant de guerres et de meurtres qu'on en a vu depuis le neuvième siècle, et si tous les papes eussent été aussi modérés qu'Eugène II, il n'y aurait jamais eu entre les empereurs et les pontifes de ces guerres scandaleuses telles qu'on en vit dans le douzième, le treizième et dans une partie du quatorzième siècle. Il serait possible que cette modération même ait été une raison pour le priver de la canonisation. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'Eugène la méritait beaucoup mieux qu'un grand nombre de ceux qui furent inscrits à cette époque sur le catalogue des Saints. La modération n'est pas la vertu qui mérita des papes ou cardinaux, membres de la congrégation des
rits, la canonisation de ceux qui ont occupé le siège de Saint-Pierre.



VALENTIN

C.e PONTIFE. EN 827.

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 VALENTIN, archidiacre de Rome, fut élu pape immédiatement après la mort d'Eugène II. Consacré le 1er dimanche de septembre 827, il mourut le 10 octobre de la même année sans rien laisser qui puisse servir à notre histoire. Il y a cependant des raisons de croire en sa bonté, attendu que le pape Eugène II, son prédécesseur, avait eu pour lui l'affection d'un père et qu'il est certain qu'Eugène était un homme vertueux, et par conséquent juste et modéré.



GRÉGOIRE IV

Cle PONTIFE. DE 827 A 844.

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 GRÉGOIRE, prêtre de Rome, fut élu pape, peu de temps après la mort de Valentin ; mais il ne fut consacré que le 5 janvier 828, parce qu'on attendait la confirmation impériale. Il fut cependant couronné, car les Romains qui cherchaient les moyens de persuader que l'approbation des empereurs n'était rien autre chose qu'une cérémonie, s'imaginèrent de le mettre aussitôt en possession du palais pontifical, et des églises de Sainte-Marie-Majeure et de Saint-Jean-de-Latran.

Grégoire fit beaucoup de difficultés pour accepter le pontificat, de telle manière qu'on fut obligé de l'enlever de force de l'église de Saint-Cosme et de Saint-Damien où il se trouvait par hasard. Mais, en dépit de cette apparence de résistance, sa conduite ultérieure fournit de puissantes raisons de croire qu'il avait aussi une grande ambition quoiqu'il sut la dissimuler, sachant bien que la résistance même qu'il opposait, ne ferait qu'enflammer davantage. Le rétablissement de la ville d'Ostie avec ses murailles et ses châteaux forts, sous le nouveau nom de
Grégoriopolis, en serait une preuve suffisante. Cette entreprise est bien loin de mériter notre censure. Plut à Dieu que les papes eussent soutenu les artisans par de semblables travaux ! Seulement la petite ambition de perpétuer le souvenir de son nom en le donnant à cette ville, indique des idées peu identiques avec celles auxquelles devait être attribuée sa résistance à l'occupation de la papauté.

Malgré le serment de fidélité qu'il avait prêté à l'empereur à Louis-le-Pieux, le pape Grégoire se joignit à Lothaire dans sa rébellion contre son père, à laquelle avaient pris part les deux autres enfants que Louis avait eus d'un premier mariage ; il l'accompagna même dans le voyage qu'il fit en France à la tête d'une armée pour détrôner son père. La plus grande partie des évêques français suivait le souverain légitime. Ayant appris que Grégoire avait formé le projet de les excommunier, ils lui écrivirent une lettre très vigoureuse ; ils lui disaient, entre autres choses, qu'ils ne dépendaient en rien du pape, quant à ce qui concernait les affaires intérieures et particulières de l'église Gallicane, et que, si Grégoire les excommuniait, ce serait lui seul qui se trouverait en effet excommunié, parce que ce serait eux qui se sépareraient de la communion d'un homme qui agirait au mépris des canons.
Le pape fit écrire un mémoire par un des siens pour soutenir l'opinion contraire. Le même Grégoire écrivit aux évêques. Il élevait au plus haut degré la dignité papale, lui attribuait un pouvoir très supérieur au pouvoir séculier, et soutenait, en conséquence, qu'ils étaient obligés d'obéir à ses ordres, au mépris de ceux de l'empereur. Les fils rebelles parvinrent avec l'aide du pape à l'horrible action de détrôner leur père, de le soumettre à une pénitence publique, et de le reléguer dans un monastère où il resta renfermé quelque temps, jusqu'à ce que la discorde qui s'était mise entre ses fils, le fit remonter sur le trône impérial. Le pape fut accusé de parjure. Il joua, depuis, un rôle si indigne dans les conférences de réconciliation qui eurent lieu à son sujet, que l'endroit où se tinrent les conférences entre Bâle et Strasbourg, a gardé le nom de
Champ du Mensonge.



SERGIUS II

CIIe PONTIFE. - De 844 A 847.

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 SELON l'opinion la plus commune, Sergius, archiprêtre de Rome, fut consacré pape le 27 janvier 844, mais il n'y a rien de certain là-dessus, par les raisons qu'on verra expliquées plus tard en parlant de la papesse Jeanne. Sa consécration eut lieu sans qu'on eût attendu la confirmation impériale imposée par le traité conclu sous le pontificat précédent. Lothaire se tint pour offensé. Il envoya à Rome son fils Louis à la tête d'une armée. Le pape et les Romains firent mille bassesses et mille adulations honteuses pour se faire pardonner le passé. Ils s'excusèrent sur le danger dont ils avaient été menacés par les intrigues du diacre Jean qui, soutenu par le bas peuple, s'était fait proclamer pape, et s'était emparé de l'église et du palais de Latran. Louis convoqua un concile composé d'évêques, de ducs, et de comtes italiens et français, et on convint que si le pape et les Romains reconnaissaient l'empereur Lothaire pour souverain de Rome et lui juraient fidélité ainsi qu'ils l'avaient fait à Charlemagne et à Louis Ier, l'élection serait confirmée. Le serment fut prêté sur les deux points, et le pape fut reconnu.



LÉON IV

CIIIe PONTIFE. - DE 847 A 854.

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 LÉON, prêtre, cardinal des quatre Saints, couronnés, fut élu pape immédiatement après la mort de Sergius II. Les Sarrasins menaçaient les états pontificaux d'une invasion, et on crut utile d'avoir sur-le-champ une personne intéressée à les défendre ; mais il ne fut consacré que le 12 avril 847 à cause du délai nécessaire pour l'arrivée de la confirmation impériale du souverain de Rome. Les Romains n'attendirent même pas que cette confirmation fut arrivée, mais ils protestèrent que leur intention n'avait point été d'attenter à la fidélité due à l'empereur, et se justifièrent sur la nécessité de contenir les Sarrasins qui entouraient la ville. Les Sarrasins entrèrent cependant et se retirèrent chargés de richesses dont une partie avait été enlevée à l'Église de Saint-Pierre.

Le pape bâtit une ville pour résister à de semblables attaques. Il en fit la dédicace le 27 juin 852, jour auquel on vénère Saint-Léon, et il la fit nommer Léonine afin de satisfaire son ambition, sous prétexte d'un hommage rendu au Saint. Il construisit, depuis, à douze milles de
Centum-Colla, une ville à laquelle il donna le nom de Léopolis. La dédicace en fut faite le 15 octobre de la huitième année de son pontificat, qui doit correspondre à l'an 854, à en croire du moins l'opinion commune sur laquelle il y a beaucoup de doutes, selon ce que nous verrons dans l'article suivant. Avec le temps, les habitants revinrent à l'ancienne situation, et sa ville reçut le nom qu'elle porte encore aujourd'hui de Civita Vecchia.

Il se forma, quelque temps après, une certaine conjuration pour détacher Rome du pouvoir des empereurs d'Occident et rester sous la domination des empereurs d'Orient. Ces derniers résidant beaucoup plus loin des papes et séparés d'eux par la mer, les Romains espéraient vivre plus libres et plus indépendants. Daniel, commandant en chef de l'armée romaine, partit de Rome pour aller à Pavie révéler à l'empereur Louis II, que Gratien, gouverneur de Rome, lui avait communiqué ce projet et lui avait demandé des secours. L'empereur se rendit à Rome, et Daniel, en sa présence et en celle de Gratien, renouvela son accusation d'infidélité ; mais n'ayant pu la prouver, il fut déclaré calomniateur. Toutefois, quelques écrivains tiennent la conspiration pour certaine et ajoutent que le pape Léon IV y était entré par dépit de ce que ni Louis, ni Lothaire son père, n'avaient envoyé les secours militaires contre les Sarrasins, dans les temps de besoin. Ce soupçon a d'autant plus de vraisemblance, que Léon IV, dans sa conduite avec les Mahométans et la construction des deux places d'armes de Léonina et Léopoiis, manifesta un esprit plus militaire qu'ecclésiastique.



JEAN ANGLICAN

OU LA PAPESSE JEANNE

De 854 A 855.



 L'ESPRIT d'ambition qui régnait à la cour de Rome ne pouvait manquer de gagner ceux qui voyaient à quel haut degré d'honneur, de pouvoir et de richesse s'étaient élevés les papes. Pendant le pontificat de Léon IV, il se trouvait à Rome, entre autres étrangers qui avaient fixé leur séjour dans la ville pontificale, déjà le centre des intrigues et de la fortune, une femme nommée Gilberte suivant quelques personnes, et native de Mayence.
Elle avait reçu de la nature un génie actif, entreprenant, audacieux et capable de tout. Elle n'hésita donc pas à abandonner, dès l'âge de pudicité, la maison de ses parents, et à se revêtir d'habits d'homme pour voyager en étudiant sous le nom de
Jean, qu'elle s'était donné ; elle se rendit à Athènes où florissaient alors les sciences et particulièrement la philosophie de ce temps, la jurisprudence et la théologie.
Elle s'adonna d'abord à la grammaire latine et grecque. Maîtresse de ces deux langues ; elle étudia la théologie et, après avoir fait des progrès extraordinaires dans la rhétorique et les arts libéraux, elle se rendit à Rome où, par ses connaissances littéraires, très supérieures à celles des Romains, elle s'acquit une grande réputation près des principaux personnages. Là, aussi bien qu'à Athènes, elle se donna pour originaire d'Angleterre. Quelqu'un lui proposa de se faire prêtre, lui promettant un sort agréable, et
Jean l'anglican, nom par lequel on la distingue des autres Jean, eut le caprice d'accéder à la proposition.

Le pape Léon IV étant mort le 17 juillet 854, le prétendu Jean fut élu pape, et sans attendre la confirmation impériale, il fut consacré comme un véritable pontife, à l'âge de 38 ans ou à peu près, vers la fin de septembre de la même année 854. Si nous nous en tenons à quelques historiens du moyen âge, son pontificat dura deux ans, cinq mois et cinq jours.

Platina, dans sa vie des papes, en fixe la durée à un an, un mois et quatre jours. Je suis d'avis qu'il ne régna pas même une année entière, mais seulement cinq mois et cinq jours, et je pense que les deux ans furent ajoutés par quelques-uns de ceux qui copiaient les histoires pour les défigurer ; on trouve, d'ailleurs, plusieurs exemples de cette falsification dans les codes antérieurs à l'invention de l'imprimerie. Mais lors même que l'on voudrait soutenir l'opinion commune des deux ans cinq mois et cinq jours, il n'en résulterait pas, pour cela, que ce pontificat est fabuleux, ainsi que l'ont écrit Baronius, Labbe et Blondel ; il faudrait alors supputer le compte des Pontificats de Grégoire IV, Sergius II, Léon IV, Jean VIII, Benoît III, Nicolas Ier et Adrien II, ainsi que le fit, avec beaucoup de fondement, l'auteur français de l'histoire de la papesse Jeanne tirée de la dissertation latine de Spanheim, dont la deuxième édition parut en 1758.

Quand on vint lui annoncer son élection, elle était enceinte de trois mois. Cette raison, sans parler des obligations de sa conscience, aurait dû l'engager à renoncer à la dignité pontificale ; mais l'esprit d'ambition lui suggéra la possibilité de cacher, avec le secours de son amant, et sa grossesse et son accouchement. Mais cet événement se découvrit d'une manière horrible, au mois de mars 855. En se rendant à Saint-Jean-de-Latran, elle se sentit attaquée de douleurs très vives, dans la rue, entre le Colisée de Néron, et le temple de Saint-Clément. Elle chercha à résister et à feindre, mais ses efforts même lui furent funestes. Elle accoucha dans la rue, et mourut sur la place même.

Le scandale avait été si grand, qu'il était impossible d'en dissimuler l'infamie. On eut donc recours au moyen extrême de faire effacer partout le nom du pape Jean VIII, et d'en nier même l'existence. Comme on ne pouvait empêcher le bruit de s'en répandre dans toute la chrétienté, les Romains crurent se laver, en donnant au monde un témoignage authentique qu'ils n'avaient pas élu ce pape, parce qu'ils avaient soupçonné la vérité. Il firent ériger, à cet effet, un monument d'infamie. On fit la statue d'une femme, prête à mourir de désespoir et de rage dans les douleurs de l'enfantement, et on la plaça sur le lieu de l'accouchement, où elle resta jusqu'au pontificat de Pie V, qui fit détruire le monument, et jeter la statue à la rivière.

Cet événement extraordinaire donna lieu à une certaine disposition, que la décence réprouverait si la nécessité n'y autorisait. On crut indispensable, toutes les fois qu'il y aurait une élection pontificale, d'acquérir les preuves physiques du sexe du prétendant. Pour obtenir ces preuves, sans violer la pudeur publique, on construisit un grand et magnifique siège pontifical en marbre. Placé dans un endroit élevé, il avait toute l'apparence d'un trône, préparé pour celui qui devait présider la congrégation. Mais ce siège était creusé en forme de chaise percée, de manière qu'un homme pouvait passer sous le trône, et toucher les parties sexuelles de l'élu. Un commissaire, chargé de donner à ce dernier les renseignements nécessaires, veillait à ce qu'il prit la position convenable. Aussitôt que le sexe était connu, le commissaire s'écriait :
Papam virium habemus, notre pape est un homme. On le proclamait ensuite, on lui rendait hommage, et on attendait la confirmation impériale, pour le consacrer souverain pontife.
Cette coutume se conserva pendant quelques siècles. Ce siège subsistait encore à la fin du seizième siècle, sous le nom de
stercoraria, c'est du moins ce qu'affirme Platine, dans sa Vie de la papesse Jeanne, dédiée au pape Sixte IV. Il savait le déplaisir qu'avaient commencé à manifester les Romains, sur un événement qui ne fait pas beaucoup d'honneur aux électeurs de l'année 854 ; aussi, ne voulut-il pas se faire garant de la vérité de l'histoire ; il assure seulement que tout le monde le croyait ainsi. Personne, en effet, ne songea à la révoquer en doute, jusqu'à ce que les protestant du seizième siècle eussent tiré parti de ce fais, pour en argumenter contre la succession véritable, légitime et non interrompue des pontifes romains qui occupèrent le siège de Saint-Pierre.

Je regarde comme nuls tous ces arguments, par lesquels ils voulaient prouver au-delà de ce qu'ils pouvaient faire. Mais les catholiques du même siècle conçurent un autre dessein, et crurent plus convenable de nier tout-à-fait le fait, et de le traiter de fable. En conséquence, presque tous les écrivains catholiques romains ont poursuivi ce nouveau système, de manière qu'ils le regardent aujourd'hui comme une vérité, démontrée sans appel au tribunal de la critique. Je crois, malgré leur décision, que la religion n'est pour rien dans cette querelle, qui n'intéresse que l'histoire. Les témoignages en sont d'ailleurs si irrécusables, que ce serait faire insulte à la religion catholique romaine que de le nier, par crainte de diminuer la foi qui est affermie sur des fondements indestructibles.

Anastase le bibliothécaire, auteur d'une Vie des papes, et contemporain de Jean, place l'élection du pape femelle, entre Léon IV et Benoît III, époque à laquelle il écrivait lui-même. Sa narration ne se trouve pas dans la collection que les jésuites ont publiée des ouvrages de cet écrivain. Ils l'ont supprimée par égard pour la cour de Rome.
Masquardo Frehero, un des plus grands littérateurs du seizième siècle, les accuse devant la république littéraire européenne du crime de falsification, pour avoir imprimé deux exemplaires complets, pour les personnes qui leur avaient confié le manuscrit. Il fit voir que la relation de l'existence du pape femelle se trouvait dans le manuscrit de la bibliothèque royale de Paris, et dans les deux manuscrits d'Heidelberg, envoyés à Mayence aux jésuites, pour l'impression. Tous ceux qui voulaient s'assurer de la vérité, pouvaient aisément consulter les manuscrits. Le fameux Bouclère répéta, depuis, le même reproche dans son histoire.
Les jésuites eux-mêmes contribuèrent à éveiller le soupçon, en mettant en marge des exemplaires mutilés, la note suivante, à la Vie de Benoît III, son successeur,
il résulte clairement de là, que le successeur immédiat de Léon II ne fut pape femelle, Jean VIII, mais bien Benoit III. C'est bien ici qu'on peut appliquer la maxime de Tacite, que quand le crime est manifeste, il ne faut plus prendre conseil que de l'audace. C'est ainsi que celui qui vient de faire un vol, crie : au voleur, au voleur, pour qu'on ne le soupçonne pas.

Marianus, historien écossais, dévoué à la cour de Rome, au commencement du onzième siècle, raconte l'élection de la papesse, non pas comme une chose nouvelle, mais comme reçue de plusieurs autres écrivains, qui ne sont point parvenus jusqu'à nous.
Sigebert, moine du monastère de Gemblours, vers la fin du onzième siècle, prétend que la papesse Jeanne était originaire d'Angleterre.
Othon, évêque de Frisingue, en 1138, et Godefroy de Viterbe, en 1186, rapportent son histoire.
Ranulphe le moine, dans son
Polychronicon de 1340, dit s'être décidé à ne pas conserver le nom de la papesse parmi ceux des papes.
Théodoric de Nien, dans son livre des Droits et Privilèges de l'empire, de l'année 1406, rapporte l'érection de la statue.
Il est suivi par Lasconicos Chalcordilas, historien grec de 1462 ; par Sabellicus et beaucoup d'autres.
Saint-Antonin de Florence, à la même époque, le rapporte aussi.
Guillaume Brevin, en 1470, y ajoute la relation de la chaise percée, dont parle Platina.
Onuphre Panvinius, dans ses Notes sur ce dernier, rapporte que la substance du même fait avait été consignée dans les ouvrages de Pandolphe de Pise, écrivain antérieur au onzième siècle, bien que lui-même déclare n'y point ajouter foi.

Les critiques romains modernes et leurs sectateurs qui nient cet événement, réduisent les arguments aux objections suivantes :

1° plusieurs écrivains du moyen âge supposent que Benoît III fut nommé pape, immédiatement après la mort de Léon IV. Mais cet argument est bien faible, quand on connaît la résolution prise de ne pas parler du pontificat de la papesse, et d'élire comme après une vacance ;

2° Léon, disent-ils, mourut en 855 ; mais cela n'est pas constant, et il y a une grande incertitude chronologique dans les écrivains du moyen âge. Les uns disent qu'il mourut en 853 ; d'autres, en 854 ; d'autres, en 855. En supposant même vraie l'opinion commune, qui fixe en 855 la mort de Léon ; il y a divers historiens qui ne mettent qu'en 856 l'élévation de Benoît III au pontificat, et laissent un espace de temps vide pour la papesse ;

3° quelque variété qu'il y ait entre nous, ajoutent-ils, on ne pourra jamais trouver deux ans, cinq mois et cinq jours pour la papesse. Mais j'ai déjà dit qu'il n'est pas nécessaire de deux ans ; je regarde ces deux années comme une addition du copiste, et cela tranche la difficulté. Car si un exemplaire mal copié a servi d'original aux autres écrivains, il importe peu pour la vérité matérielle du fait, que tous aient copié ensuite cette erreur. Spanheim, d'ailleurs, prouve que tous n'en avaient pas été coupables. Ce qu'il y a d'essentiel à savoir, c'est qu'il y a eu un pape femelle ; qu'il ait régné peu de temps ou longtemps, peu importe.

L'existence de la statue et du siège, unie à la relation de presque tous les historiens, durant sept siècles, ainsi que le témoigne Platina, dans une histoire dédiée à un pape, donnent une force irrésistible à l'établissement de ce fait ; lors même qu'il existerait entre ces auteurs un dissentiment relativement à l'époque précise.
Enfin, Cognard, avocat de Normandie, fit imprimer, en 1565, à Saumur, contre Blondel, un Traité, dans lequel il réfute complètement les arguments de ce dernier. Nous devons regarder comme très certaine l'existence de la papesse Jeanne ; mais circonscrire dans une époque plus courte, le temps de son pontificat. Ceux qui désireront plus d'instruction sur cette question, la trouveront traitée avec la critique la plus exacte et la plus judicieuse, dans
l'Histoire de la papesse Jeanne, publiée en français, en deux volumes in-12. Sans compter les témoignages des contemporains, Anastase et Ranulphe le moine, à cause des doutes qu'ils émettent, l'auteur a réuni le témoignage d'un écrivain du onzième siècle ; de trois du douzième ; de trois du treizième : et de quatre-vingt-trois du quatorzième et du quinzième.

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