Le pape Jean fut consacré le 28 octobre 701.
après une vacance de cinquante jours. Il mourut le 9 janvier 705.
Malgré ce qu'en a écrit M. Prudhomme, on ne trouve sous son
pontificat aucune usurpation d'autorité : il ne fit que
préparer les usurpations de ses successeurs. L'empire d'Orient était
réduit à un état complet de nullité ; il avait perdu l'Afrique,
une grande partie de l'Italie, et beaucoup de provinces en Europe
occupées par les Sarrasins, les Bulgares et les Lombards. Les
soldats de la garnison de Rome étaient des gardes nationaux qui ne
connaissaient ni n'aimaient le service de l'empereur. Les papes de
la fin du sixième siècle leur avaient donné un certain air
d'indépendance manifesté par leurs tentatives, deux fois
recommencées, pour s'emparer de l'élection papale. Sous le
pontificat de Jean VI, ils se révoltèrent contre Théophilacte,
exarque de Ravenne, qui aurait incontestablement péri, si le pape ne
les eût contenus.
Ce fut à cette époque que Rome se vit menacée par Gisulphe, duc de
Bénévent, feudataire du roi des Lombards. Jean VI délivra Rome en
interposant sa dignité respectée, et en faisant de grands présents.
Il n'y avait pas alors à Rome de magistrat civil ou militaire d'une
autorité suffisante pour contenir les papes dans les limites des
affaires ecclésiastiques. Jean VI, par ce service, consolida dans
les mains de son successeur tout le pouvoir administratif de Rome.
Aucun titre, sans doute, ne légitimait cette autorité, mais le
respect des magistrats et du commun des habitants y suppléait assez.
Nous ne tarderons pas beaucoup, d'ailleurs, à voir les papes
triompher de cette difficulté.
Consacré pape le 1er mars 705, il mourut le
17 octobre 707. Il reçut de l'empereur Justinien II et sanctionna
sans aucune réserve, le concile in
Trutto. Cet acte est d'autant plus
remarquable, que, sur le refus qu'avaient fait successivement de
l'approuver, Sergius Ier et Jean VI, Justinien l'avait envoyé à Jean
VII, en lui laissant la liberté de corriger tout ce qu'il croirait
devoir corriger. Justinien remontait alors sur le trône pour la
seconde fois. Il se vengea d'une manière barbare de ceux qu'il
regardait comme coupables d'avoir contribué à sa première
destitution.
Le pape regarda la proposition impériale comme un piège qui lui
était tendu, et la crainte de perdre la vie le priva en effet de la
liberté de faire des corrections. Le concile in
Trutto admit et reconnut, comme de
véritables canons apostoliques, quelques décisions qui ne l'étaient
pas et ne pouvaient pas l'être, parce qu'elles contenaient des
hérésies et d'autres erreurs contraires à tout ce que l'Église
romaine a toujours cru. D'où il suit que Jean VII, qui approuva sans
corrections tous les actes du concile, se rendit coupable lui-même
des hérésies contenues dans ces prétendus canons apostoliques.
L'approbation d'un concile se donna ex
catedrâ, parce que l'empereur la
réclamait du pape comme chef de l'Église, puisqu'il avait déjà la
sanction et la signature des patriarches de Constantinople,
d'Alexandrie, d'Antioche, de Jérusalem et des deux cents onze autres
évêques qui avaient assisté au concile. Par la même raison, une
semblable approbation est incompatible avec l'infaillibilité du
pape, comme le sont aussi les décrets des huit prédécesseurs de Jean
VII, dans la vie desquels nous avons eu occasion de faire de
semblables observations.
Quelques auteurs disent qu'Aribert, roi des Lombards, préférant
tenir son royaume des papes plutôt que d'en faire hommage à
l'empereur d'Orient, fit don à cet effet au souverain pontife de la
suzeraineté de tout le territoire appelé les Alpes-Côtes, qui
s'étend depuis Turin jusqu'à Genève et jusqu'à la France. Jean VII
ne posséda pas alors cette suzeraineté ; mais il vint un temps
où ses successeurs essayèrent de citer cette donation en leur
faveur, pour autoriser l'extension de leurs domaines temporels.
SISINIUS fut consacré le 18 janvier 708, après une vacance de trois mois, et mourut de mort subite le 17 février de la même année ; son court pontificat ne fut ainsi que de vingt jours. Le schisme dont parle M. Prudhomme n'est pas avéré. Mais il est bien certain que, durant ce court intervalle de temps, il projeta de relever les murs de Rome : ce nouveau témoignage d'autorité séculière indique assez combien le pouvoir papal, sans titre, et par la volonté du peuple qui ne paraissait soumis à l'empereur que pour la forme, allait croissant de jour en jour.
Il fut consacré pape le 25 mars 708, et
mourut le 9 avril 715, après un pontificat de sept ans et quinze
jours.
L'empereur Justinien le fit venir à Constantinople pour traiter de
la réunion des Églises Grecque et Latine. La faiblesse de Jean VII
n'avait pu amener cette réunion, et tous les évêques Latins
continuaient de refuser de reconnaître la légitimité du concile de
Constantinople in Trutto,
malgré l'approbation qui avait été donnée à ce concile parle pape
lui-même.
Constantin fit un voyage en Orient en octobre 710, et revint à Rome
en octobre 711. Là, il fit reconnaître le concile (celui de 692) et
l'approuva en tout ce qui n'était contraire ni à la foi, ni à la
discipline, ni à la morale, ni aux droits du siège de Saint-Pierre.
Cette dernière réserve ne s'étendait qu'aux églises du patriarchat
d'Occident ; celles d'Orient continuaient d'être autorisées à
suivre les canons de Trutto.
Toute la discipline de l'Église Grecque est, en effet, fondée sur ce
concile. L'empereur fit de grandes politesses au pape Constantin, et
essaya par divers moyens de capter sa bienveillance. Sachant que les
Romains suivaient uniquement la politique pontificale, il voulait
gagner celui-ci pour que les papes embrassassent le parti de
l'empire contre le roi de Lombardie qu'il craignait voir maître de
Rome. Les pontifes doivent leur autorité temporelle au désir
qu'avait chacun des monarques de les attirer dans ses intérêts.
GRÉGOIRE fut consacré le 19 mai 715, et
mourut le 10 février 731.
L'empereur de Constantinople perdait, de jour en jour, et ses
provinces et son pouvoir, le peuple était si loin de servir de bonne
foi les empereurs, qu'il se souleva en 726, destitua Basile, duc de
Rome, et confia le gouvernement au pape Grégoire II. Il est facile
de reconnaître que c'était là une intrigue ourdie par le clergé.
Ce pape est placé au nombre des Saints. L'Église offre des hommages
à sa mémoire, le 13 février. Je ne puis en donner aucune raison.
L'apôtre Saint-Paul disait qu'aucun de ceux qui s'étaient consacrés
au ministère divin, ne devait se mêler des affaires du monde.
Quelques pontifes romains des premiers temps en avaient dit autant.
Cependant, Grégoire accepta le gouvernement de Rome, et cela non pas
de la main de l'empereur, mais du peuple parjure à la foi promise à
ses maîtres.
La suite des événements postérieurs fait voir que c'était là le but
des papes, depuis que l'empire avait commencé à tomber en ruines.
Nous avons vu que depuis Jean VI, les papes avaient, sans être
revêtus d'aucun titre, exercé ce pouvoir.
Grégoire II prit le titre de gouverneur et, depuis ce temps, ses
successeurs n'ont rien perdu de son pouvoir. Depuis Grégoire II,
Rome fut une véritable république théocratique, jusqu'à ce que
Zacharie la soumît à sa domination ecclésiastique.
J'avoue que je ne comprends pas pour quelles vertus héroïques
Grégoire II fut canonisé.
Il fut consacré pape le 18 mars 731, et
mourut le 28 novembre 741.
Anastase le bibliothécaire et d'autres écrivains, le comptent au
nombre des Saints. Les auteurs de l'Art
de vérifier les dates assurent qu'il
y a beaucoup à dire contre sa sainteté. J'ajouterai que je ne crois
pas qu'il le fût, et que loin d'avoir mérité la canonisation, sa
conduite me semble avoir mérité le contraire.
Intrigant, ambitieux, perfide, il se mêla de tous les intérêts
politiques de l'Europe, il insulta audacieusement son souverain sous
un faux prétexte de religion ; il fit servir à des objets
politiques des armes purement spirituelles ; capable enfin de
tout, sa conduite publique fut totalement opposée à celle de
Saint-Pierre et des douze premiers apôtres qu'on avait, dès
longtemps, cessé de prendre pour modèles dans l'exercice du
pontificat.
Non-seulement il excommunia l'empereur Léon son souverain, comme
hérétique iconoclaste, il l'insulta même en plusieurs lettres, le
traitant de barbare, indigne de régner, et lui disant assez
clairement qu'il ne devait plus compter sur Rome, ni sur l'Italie.
Il eut avec Luitprand, roi des Lombards, une conduite double et
perfide. Il chercha à le rendre son ami pour qu'il ne s'emparât pas
de Rome, et pour qu'il lui cédât divers lieux de sa province, et
bientôt après, il recueillit les ducs rebelles de Spolette et de
Bénévent, et s'unit à eux contre son bienfaiteur. Ce dernier voulut
se venger et châtier une telle perfidie. Grégoire, se sentant le
moins fort, envoie successivement trois ambassadeurs à Charles
Martel, duc de France, pour réclamer son secours contre Luitprand.
On ne peut lire ces lettres sans voir évidemment en Saint-Grégoire
un rebelle contre l'empereur de Constantinople, un intrigant qui
mêle la fraude et le mensonge à la vérité pour détourner Charles de
son alliance avec le roi des Lombards, et un ambitieux hypocrite
qui, sous l'apparence d'offrir l'Italie et l'empire, laisse voir son
désir qu'on offre à Saint-Pierre la souveraineté des provinces
limitrophes de Rome, comme si Saint-Pierre eut jamais désiré la
souveraineté temporelle à laquelle aspirait Grégoire et obtenue par
son successeur immédiat.
Qu'on lise enfin l'histoire ecclésiastique ainsi que les lettres de
Grégoire à l'empereur Léon et au duc Charles ; qu'on observe
ensuite sa conduite avec le roi d'Italie et le duc de Spolette, et
je crois que tout homme impartial reconnaîtra aisément que ce pape
ne peut être placé au nombre des Saints à moins qu'on ne veuille
canoniser, à la fois, l'ambition, la perfidie et le crime.
Ce souverain pontife fut consacré le 30
octobre 741, après une vacance seulement de trois jours, et mourut
le 14 mars 752.
Il ne fut pas moins ambitieux que son prédécesseur, mais il usa de
moyens plus doux, parce que sans doute il était plus artificieux.
En 742, il alla trouver le roi Luitprand et parvint à persuader à ce
prince de lui céder, à titre de possessions du patrimoine de
Saint-Pierre, les provinces de Nami, d'Osimo, d'Ancône et d'autres
villes, ce qui valut au pontife d'être reçu à Rome en triomphe,
comme l'étaient autrefois les empereurs.
En 743, il fit un second voyage et détermina Luitprand à céder à
l'empereur de Constantinople une partie de l'exarchat de Ravenne
qu'il venait de conquérir.
En 743, il fit un troisième voyage pour faire ratifier ces
concessions par Racchise, successeur de Luitprand, et il y réussit.
Il prêcha avec tant de force sur le mépris des grandeurs du monde,
que Racchise abdiqua le sceptre et se fit moine. Le pape le fit
tonsurer.
Il devait être assez extraordinaire d'entendre prêcher sur le mépris
des grandeurs, un homme qui se tourmentait pour acquérir la
souveraineté des provinces qui environnent Rome. Peu de temps après,
il autorisa Pépin, duc de France, fils de Charles Martel, à prendre
le titre de roi de France, et dégagea les Français de leur serment
de fidélité au roi Childéric III qui fut détrôné et renfermé dans un
monastère, afin d'être mis hors d'état de réclamer ses droits. Qui
donc put donner à Zacharie un pouvoir légitime pour une telle
transaction ? Jésus-Christ ? non, certes ; car il
disait au contraire que son royaume n'était pas de ce monde, et il
se reconnut sujet de l'empereur. Saint-Pierre ? tout aussi
peu : sa doctrine était totalement opposée, il enseignait la
soumission au souverain même capricieux et méchant. Avait-il trouvé
ce pouvoir dans les décrets des conciles, dans les écrits des saints
pères de l'Église ? Encore moins. Tous enseignaient ce qu'avait
enseigné Saint-Pierre.
Quel était donc l'origine d'une opinion si aventurée ? L'état
des affaires publiques. L'esprit d'ambition dominait sur le siège de
Saint-Pierre depuis le commencement du troisième siècle, époque à
laquelle il y avait été introduit par Saint-Victor. On n'aspirait
alors à commander que dans les affaires ecclésiastiques de tout le
monde chrétien.
Cette entreprise se suivit avec une constance admirable par des
victoires partielles sur les patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et
de Jérusalem, et sur les primats et métropolitains d'Éphèse, de
Thrace, d'Illyrie, d'Afrique, des Gaules, des Espagnes, d'Aquilée,
de Sardaigne, de Sicile, de Ravenne, de Milan et d'autres prélats.
La plus grande difficulté venait de Constantinople. Le pape Agathon
la surmonta à la fin du septième siècle, et l'ambition romaine ne
reconnut plus de limites. Elle eut, dès lors, pour objet,
l'indépendance des provinces pontificales et de leurs districts, et
chercha à faire prévaloir le respect du souverain pontife sur celui
dû au souverain. Le pape Jean VI l'avait déjà obtenu.
Aussitôt après on commença à désirer le titre qui devait convertir
en obligation ce qui ne venait que du respect. Des moyens séditieux
l'acquirent à Grégoire II. On aspirait à ce que le pouvoir
administratif fût un pouvoir seigneurial : Grégoire II y
parvint. La souveraineté manquait encore : Grégoire III s'en
empara, quoiqu'aucun acte n'en fasse mention. Le désir d'augmenter
son territoire était un désir naturel ; Zacharie l'exécuta. Il
fallait légitimer des usurpations, Charlemagne ne devait pas tarder
à le vérifier. L'Esprit-Saint aurait en vain cherché à reconnaître
en ces pontifes les successeurs de Saint-Pierre ; il n'y aurait
trouvé que ceux des Césars. Leur ambition ne s'arrêta pas là,
l'histoire nous offrira ensuite des entreprises si audacieuses, que
le pape Zacharie lui-même eut douté qu'on pût aller aussi
loin ; nous les verrons peu à peu.
À la mort de Zacharie, Étienne, prêtre
romain, fut élu pape, et prit immédiatement possession de la chaire
pontificale, parce qu'on n'attendait la confirmation d'aucun
souverain. Mais trois jours après, sans qu'il eût encore été
consacré, il se trouva malade en se levant et mourut presque
subitement C'est par cette raison qu'il n'est pas placé au nombre
des souverains pontifes. Immédiatement après sa mort, eut lieu une
seconde élection dans laquelle l'archidiacre de Rome, nominé aussi Étienne,
fut élu le 26 mars 753. Ce dernier mourut le 25 avril 757.
Cet article serait trop long si je voulais y raconter en détail
toutes les intrigues mises en usage par le pape Étienne, pour
usurper la souveraineté de Ravenne et tout l'exarchat, sans parler
de différentes villes de Toscane, du territoire de Bologne et
d'autres provinces limitrophes de Rome.
Astolphe, roi des Lombards, s'en était rendu maître par le droit de
la guerre, après en avoir dépouillé l'empereur de Constantinople.
Étienne se rendit en France, couronna Pépin roi, donna les titres de
patrices de Rome à ses deux fils Charles et Carloman, et défendit
aux français, sous peine de la grande excommunication, de
reconnaître jamais pour roi de France aucun prince qui ne serait pas
de la famille de Pépin. Ce dernier lui promit de faire la guerre au
roi des Lombards, jusqu'à ce qu'il l'eût forcé à se dessaisir des
provinces et des villes ci-dessus mentionnées, qu'il offrit, avec le
duché de Rome, en don à Saint-Pierre, pour que les papes les
possédassent en son nom. Astolphe mit le siège devant Rome, et
Étienne envoya réclamer l'appui de Pépin, auquel il écrivit une
lettre ainsi conçue, qu'il donnait comme venant de l'apôtre
Saint-Pierre :
« Saint-Pierre, dit l'apôtre, au nom et par l'ordre de
Jésus-Christ, fils du Dieu vivant..... Je vous conjure par le Dieu
vivant de ne pas permettre que ma ville de Rome et mon peuple soient
maltraités plus longtemps par les Lombards, autrement craignez que
vos corps et vos âmes ne soient tourmentés par le feu éternel.
Veillez à ce que les brebis du troupeau que Dieu m'a confié ne
soient pas dispersées. Ainsi, vous obéirez à Dieu qui pourrait vous
détruire vous-même et disperser votre peuple comme il a fait de
celui d'Israël. Si vous m'obéissez promptement, vous recevrez une
grande récompense dans cette vie ; vous triompherez de tous vos
ennemis ; vous aurez une longue vie, vous jouirez des biens de
la terre, et par suite, sans doute, de la vie éternelle. Dans le cas
contraire, sachez que par l'autorité de la Sainte-Trinité et la
grâce de mon vicaire, vous serez privé du royaume de Dieu et de
la vie éternelle. »
Il écrivit aussi aux ducs et aux pairs de France une lettre non
moins éloquente.
« Je vous conjure de venir immédiatement délivrer la ville de
Rome du pouvoir des Lombards. Accourez aussi rapidement qu'il vous
sera possible avant qu'on ait épuisé cette source d'eau vive dans
laquelle vous avez été régénérés et conservés. Ne quittez pas les
armes avant le triomphe, sous peine d'être exclus du royaume de Dieu
et livrés au diable et à ses satellites. »
Le roi Pépin se rendit aux voeux du pape et réalisant ses promesses,
il obligea Astolphe à se dessaisir de l'exarchat de Ravenne et des
autres provinces, et il en mit le pape en possession. L'empereur
Constantin IV réclama devant Pépin, et fit valoir ses droits. Pépin
répondit qu'il ne pouvait manquer à ce qu'il avait promis à
Saint-Pierre. Il est bon de savoir qu'Étienne avait entrepris son
voyage en France en qualité d'ambassadeur de Constantin, pour prier
Pépin, au nom de Sa Majesté impériale, de se hâter de faire
restituer l'exarchat à l'empire. Le résultat prouve avec quelle
bonne foi Étienne se conduisit dans cette ambassade.
Ses lettres montrent, dans tout son jour, l'ambition fanatique dont
il était dominé et qui allait jusqu'à faire tenir par ce pape à
Saint-Pierre un langage que ce saint ne pouvait manquer de
désapprouver du haut de sa demeure céleste. Telle est la légitimité
du titre par lequel les papes commencèrent à être maîtres de ce qui
s'appelle l'État pontifical.
Après une conduite qui suffirait seule pour donner de lui une idée
peu favorable, il ne lui manquait plus que d'encourir le reproche
d'hérésie : c'est ce qu'il fit en décidant ex
catedrâ, en sa qualité de souverain
pontife, une question qui se rapportait de loin à un sacrement. On
le consulta de France pour savoir s'il fallait ou non recommencer le
baptême fait avec du vin en absence d'eau ; Étienne
répondit :
« Si l'enfant est en danger de mort, et que le curé ne puisse
se procurer de l'eau, il n'est pas coupable, et l'enfant
doit être réputé baptisé ;
mais si le curé pouvait obtenir de l'eau, il doit être excommunié et
puni des peines de l'église pour avoir manqué à ce qui était prévu
par les canons. Il résulte de là, qu'Étienne a déclaré valide le
baptême fait avec du vin au lieu d'eau, ce qui est une hérésie.
Admirable témoignage de l'infaillibilité papale.
PAUL, diacre de Rome, frère du pape Étienne
II, fut consacré souverain pontife le 29 mai 757, et mourut le 28
juin 767. Pendant un mois et cinq jours que dura la vacance, la
discorde régna dans toute sa fureur parmi les électeurs. Les uns
voulaient nommer Théophitacte,
archidiacre, chef de ce même Paul. Cependant il ne résulta de là
aucun schisme, attendu que les partisans de l'archidiacre
consentirent à l'élection faite par le plus grand nombre.
La situation des papes devenus de fait, sans l'être encore de droit,
souverains temporels, augmentait le désordre de la conduite publique
des pontifes.
Leur principale occupation devint désormais la conservation et
l'augmentation des états pontificaux, appelés perfidement patrimoine
de Saint-Pierre, comme si ce saint
eut pu approuver dans le ciel ce qu'il avait condamné pendant sa vie
mortelle.
Paul Ier monta donc sur le siège papal, avec l'embarras d'avoir à
soutenir les usurpations contre les prétentions de l'empereur de
Constantinople, seigneur légitime, et du roi légitime, dernier
possesseur par le droit de la guerre. Pour réussir, il chercha à se
concilier la faveur du roi de France Pépin, qu'il combla de
flatteries, sachant bien que ce monarque était le seul qui pût lui
être véritablement utile. Avant sa consécration, il lui écrivit, lui
promettant en son nom et au nom du peuple romain, amitié et fidélité
jusqu'à la dernière goutte de son sang, et lui demandant de
continuer à protéger Saint-Pierre. Dans plusieurs autres lettres, il
traita l'empereur de Constantinople et le roi de Lombardie, tous
deux catholiques, pis que s'ils eussent été des idolâtres, ennemis
de la religion catholique. Ainsi, ses prédécesseurs avaient flatté,
servi et loué les rois Goths, hérétiques ariens. Paul ne cessa
d'exhorter Pépin à leur faire la guerre à tous deux, pour que
Saint-Pierre pût jouir en paix de ses nouveaux états.
À la mort de Paul, on vit à Rome un huitième
antipape. Il y aurait eu un schisme terrible, si les Romains,
menacés de tomber au pouvoir de l'empereur leur ancien souverain, et
du roi de Lombardie leur ennemi le plus voisin, n'eussent cédé au
parti protégé par la France. Voici quelle était l'origine de ce
schisme.
À peine Paul était-il mort, que le duc Toton de Toscane, sujet du
roi de Lombardie, fit placer par la force des armes, sur le trône
pontifical, son frère Constantin, quoiqu'il fût alors éloigné. Il le
fit consacrer par l'évêque de Préneste, et Constantin exerça le
pontificat plus d'un an.
Un attentat en produit ordinairement un autre. Valdiperto, un
prêtre, excita une sédition à Rome, le 31 juillet 768, et fit
choisir pour pape le prêtre Philippe, qui fut consacré dans
Saint-Jean-de-Latran. Un autre prêtre, nommé Christophe, plus
indigné encore de ce second attentat que du premier, forma un parti
puissant, s'adjoignit beaucoup d'évêques, de prêtres et d'habitants
de Rome, et fit élire pape un prêtre nommé Étienne, Sicilien
d'origine, mais résidant à Rome. Je ne puis trouver d'expressions
assez fortes pour peindre les cruautés et les homicides qui
résultèrent de l'existence des trois papes, et continuèrent jusqu'à
ce qu'Étienne l'eût emporté, quelque temps après.
Je me contenterai d'observer en passant, que de telles élections, au
lieu d'être l'oeuvre du Saint-Esprit, doivent bien plutôt être
attribuées à l'esprit diabolique de l'ambition. Et on viendra nous
dire que ce sont des saints-pères, que ceux dont le refus de
renonciation donne lieu à de pareils scandales. La stupidité la plus
grossière pourrait seule ajouter foi à de semblables mensonges.
Instruit que Charlemagne avait l'intention de se marier avec
Grisela, fille de Désiré, roi des Lombards, le pape Étienne lui
écrivit pour l'en dissuader. Parmi les grandes sottises contenus
dans ces lettres, la moindre n'est pas sans doute celle qu'il lui
disait sur la famille des rois lombards. Il la peignait,
non-seulement comme indigne de s'allier avec un des monarques
français, mais à peine digne d'être comptée parmi la race animale,
attendu que les femmes étaient toutes laides, sales, lépreuses, et
flétries de tous les vices que la nature peut réunir sur une seule
personne.
Le roi Charlemagne vit bien que le but de toutes ces invectives
était d'éviter que le roi de France, devenu l'allié de Désiré par
son mariage avec la fille de celui-ci, ne lui facilitât les moyens
de se remettre en possession de l'exarchat de Ravenne, et il n'en
fit pas moins son mariage en dépit des officieux avis du pape.
Le saint-père n'avait pas tardé à apprendre à confondre ses intérêts
politiques avec les matières religieuses. Les auteurs de
l'art de vérifier les dates (quoique
ce soit des moines bénédictins de la congrégation de Saint-Maur,
disposés, comme ils le sont, à interpréter tout d'une manière
favorable à la vertu et à la piété des papes), ont dit cependant
qu'Étienne avait été un des hommes les plus imprudents qui aient
jamais occupé le siège de Saint-Pierre.
ADRIEN, diacre, fils de Théodule, duc de
Rome et consul impérial, fut élu pape le 9 février 772, et mourut le
25 décembre 795.
Il flatta Charlemagne avec plus de bassesse qu'eût jamais pu le
faire le plus impudent des courtisans. Il savait bien que Charles
pouvait à son gré le dépouiller du patrimoine de Saint-Pierre, ou y
ajouter, ainsi qu'il le fit en effet. Charles confirma et augmenta
la donation faite par Pépin, en disposant d'une partie considérable
de l'Italie en faveur des papes, avec aussi peu de difficulté que si
elle lui eût appartenu. Le territoire qui passa de cette manière
sous la domination du pape, comprenait tout l'exarchat de Ravenne,
avec la Pentapole, comprise entre la mer Adriatique et les Apennins,
depuis l'embouchure de l'Adige jusqu'à Ancône. Il embrassait la
partie de la Toscane située entre l'embouchure du Cecina jusqu'à la
Murta, remontait de là jusqu'à la source du Tibre, et renfermait
tout le duché de Péruse le long de la rive droite du Tibre. Charles
lui donna depuis le territoire et les villes d'Aquino, de Teano, et
plusieurs autres, auxquelles il força le duc de Bénévent de
renoncer.
Ce pape donna des preuves évidentes de son ambition pour
l'agrandissement temporel du siège de Saint-Pierre, dans les lettres
qu'il écrivit à Charlemagne au sujet des livres carolins et du
concile de Francfort contre le culte des images, et dont les
décisions avaient été adoptées par cet empereur. Mais, craignant de
lui déplaire, bien loin de le traiter, lui et les évêques présents à
ce concile, comme des hérétiques iconoclastes, il le flatta, au
Contraire, chercha à lui montrer la vérité et à le tirer de son
erreur avec tant de modération, qu'on ne pourrait le louer assez, si
l'on ne découvrait sur-le-champ la source impure de ces vertus si
insolites, si inusitées depuis longtemps à la cour de Rome.
Adrien ménageait Charles, et croyait obtenir davantage de lui par
cette modération. Sans le besoin qu'il en avait, il l'aurait sans
doute traité avec la même iniquité que ses prédécesseurs, dans des
cas semblables, avaient traité les empereurs de Constantinople, dont
ils n'attendaient rien. Bien qu'Adrien n'approuvât pas l'hérésie
condamnée au second concile général de Nicée, cependant, pour plaire
à Charles, il transigea au sujet du dernier article des livres
carolins. Cet article déclarait, non pas que le culte des images
serait défendu, mais que chacun serait libre de les adorer ou de ne
pas les adorer, sans que personne fût forcé à cette adoration. Il
est aisé de voir que cette permission était incompatible avec la
définition dogmatique du concile de Nicée. Adrien écrivit toutefois
à Charles :
« Cet article est bien différent « des précédents :
aussi y reconnaissons-nous votre ouvrage. Nous y voyons que vous
suivez entièrement la doctrine de Saint-Grégoire, qui disait que les
images étaient utiles pour l'instruction, mais qu'on ne devait ses
adorations qu'à Dieu. »
N'est-ce pas là un sacrifice des dogmes religieux fait à l'ambition
de conserver une souveraineté temporelle ?
Adrien, avant ce temps, avait eu une grande part aux iniquités
commises par Charlemagne contre les fils de son frère Carloman.
Désiré, roi de Lombardie, beau-père de Charles, avait reçu à sa cour
la veuve de Carloman, et s'était engagé à faire passer sur leur tête
la couronne de leur père. Charles s'en empara, sacrifia ses neveux,
détrôna et fit conduire près de Lyon son beau-père Désiré, éteignit
le royaume de Lombardie, et se rendit maître de toute l'Italie.
Adrien l'aida dans ces diverses transactions, par des moyens
honteux. C'est par son assistance que furent sacrifiés la veuve et
les fils de Carloman. Peu de papes se sont souillés, comme Adrien,
d'autant d'actions déshonorantes et de crimes moraux et politiques,
pour satisfaire leur ambition.
LÉON, prêtre de Rome, fut élu pape le 26
décembre 795, consacré le 27, et il mourut le 11 juin 816.
Il ne flatta pas moins Charlemagne qu'Adrien ne l'avait flatté avant
lui. Il serait possible qu'il eût été de mauvaises moeurs, et qu'il
eût tenté d'acquérir le pontificat par des moyens illicites.
Paschal et Campulo, neveux du dernier pontife, l'accusèrent devant
Charlemagne de crimes très graves, en 799. L'empereur ordonna qu'on
déférât cette accusation devant un concile. Paschal et Campulo
firent que Charles s'était déclaré le protecteur de Léon, et
n'eurent pas le courage de comparaître. Le pape jura en plein
concile que l'accusation intentée contre lui était fausse, et fut
déclaré innocent.
Cela n'a rien d'extraordinaire, mais cela sert beaucoup à
l'histoire, en montrant qu'on peut accuser un pape, et que Léon fut
obligé de faire serment de son innocence devant un concile. Dieu
seul peut savoir si les crimes dont on l'accusait étaient vrais ou
faux : ce qu'il y a de certain, c'est que ses sujets étaient
loin de lui être attachés, et qu'ils essayèrent en différentes fois
de l'assassiner ; ce qu'il y a de certain aussi, c'est que
Charlemagne lui fit dire par son ambassadeur Angilbert, de veiller
sur ses moeurs : un tel conseil, donné par un envoyé au
souverain pontife, donne lieu de penser que ses moeurs, en effet,
n'étaient pas très pures.
Léon flatta Charles si ouvertement, que ce souverain s'étant rendu à
la messe de minuit de Noël, dans l'église de Saint-Pierre, le pape
lui posa sur la tête, comme par une inspiration subite, une couronne
impériale. Il avait disposé, pour le moment, un certain nombre de
personnes secrètement placées à cet effet, pour proclamer Charles
empereur d'Occident et souverain de Rome et de l'Italie, au grand
préjudice des empereurs de Constantinople, qui régnaient dans ce
dernier état.
On ne doit cependant pas oublier de remarquer en passant que Léon
eut pour Charles la même vénération que les anciens papes avaient
eue pour Constantin et ses successeurs. Il se déclara vassal et
sujet de Charles, et reconnut que le pouvoir souverain dont il
jouissait à Rome et dans les autres états du patrimoine de
Saint-Pierre, dépendait de la suzeraineté,
c'est-à-dire de la souveraineté suprême des nouveaux empereurs
d'Occident.
On ne doit pas tant s'étonner de cet excès d'humilité du pape
Léon : tout était dû à son esprit d'ambition. C'est par là
qu'il consolidait la possession nouvellement usurpée des provinces
acquises contre toute justice, sans aucun autre titre qu'une cession
faite par un homme qui n'avait ni le droit, ni le pouvoir de donner
ce qui ne lui appartenait pas. Par suite de ses intrigues, il alla,
en 804, chercher l'empereur, pour qu'il s'emparât de Venise, dont il
désirait le voir maître, craignant que si l'empereur de
Constantinople conservait cet état en Italie, il ne songeât par la
suite à reconquérir l'exarchat de Ravenne et les autres états
pontificaux.
Charlemagne étant mort en 814, il y eut en 815 une nouvelle
conjuration contre le pape. Adrien ayant puni les conjurés de la
peine capitale, l'empereur Louis-le-Pieux le blâma d'une telle
rigueur qu'il jugeait inconvenante dans un souverain pontife.
Léon tomba malade. Pendant ce moment, les peuples donnèrent de
nouveaux témoignages de mécontentement, brûlèrent les nombreuses
maisons de campagne qu'il avait fait bâtir pour enrichir les
églises ; ils avaient même formé le projet de marcher sur Rome
pour s'emparer de force des richesses dont il les avait dépouillés.
L'arrivée de Bernard, roi d'Italie, neveu de Charlemagne, à la tète
d'une nombreuse armée, put seul les arrêter.
A force d'offrandes et d'exactions, Adrien parvint à réunir tant
d'or et d'argent, que les offrandes seules se montèrent, d'après les
inventaires, à huit cents livres d'or et vingt-et-un mille d'argent.
Il fit paver en or la chapelle dite de la Confession
de Saint-Pierre, en employant à cela
quatre cent cinquante-trois livres d'or, et fit poser à l'entrée une
balustrade d'argent du poids de quinze cents livres. Si l'on réunit
ces inutiles embellissements et les autres dépenses exorbitantes
qu'il fit dans les églises de Rome, avec la haine générale de ses
vassaux, il sera facile d'en conclure que la charité envers les
pauvres ne fut pas sa vertu favorite. Adrien est cependant canonisé
et mis dans le martyrologe romain par un décret des cardinaux de la
congrégation des rits,
l'an 1670. On le vénère comme saint, le 11 juin. Qu'y a-t-il
d'étonnant qu'en voyant des canonisations d'hommes tels qu'Adrien,
Grégoire VII et plusieurs autres papes, les protestants refusent
leur approbation aux canonisations romaines ? Ce pape faisait
sans doute consister la sainteté à dire beaucoup de messes,
puisqu'il en disait sept et quelquefois neuf par jour. Quel
renversement d'idées ne remarque-t-on pas entre le neuvième siècle,
dans lequel nous commençons à entrer, et les deux premiers siècles
du christianisme ! Qu'il y a peu de ressemblance entre ces
derniers papes et Saint-Pierre, ou même ses douze premiers
successeurs !
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