Après la mort de Saint-Grégoire-le-Grand, le siège vaqua 6 mois. Le 13 septembre 604, Sabinianus fut choisi pour son successeur. Il mourut le 22 février 606. Pendant son court pontificat il se montra en diverses circonstances, avare, dur et sans charité. Il y eut de son temps à Rome une grande famine, et il vendit au peuple les blés de l'Église que ses prédécesseurs, dans des cas semblables, avaient coutume de distribuer gratuitement. Les pauvres, réunis en troupes, poussaient de grands cris devant son palais, demandant une aumône de pain ou de blé ; mais le pape n'en changea pas pour cela de conduite. Regardant le souvenir qu'avait laissé Saint-Grégoire comme un outrage fait à lui-même, il eut l'insolence d'attribuer la conduite de ce pape à l'hypocrisie et au désir de se faire passer pour saint. Il chercha ainsi à noircir sa mémoire, et alla jusqu'à faire brûler ses oeuvres avec ignominie. Saint-Grégoire l'avait envoyé en ambassade à Rome auprès de Maurice ; mais, n'ayant point été satisfait du résultat de l'ambassade, il avait fait revenir Sabinianus à Rome. C'était là l'origine de son mécontentement.
Il y eut une vacance d'un an passé, au
milieu des intrigues de tous ceux qui, dans la cour de Phocas,
aspiraient à la tiare. Le 19 février 607, Boniface fut consacré, et
il mourut le 10 novembre de la même année. Ce peu de temps lui
suffit pour obtenir de l'empereur que le patriarche de
Constantinople cesserait de prendre le titre d'évêque oecuménique,
bien que Saint-Grégoire-le-Grand n'eût pu l'obtenir. Phocas, en
cédant au pape, n'obéissait point à une conviction de sa
raison ; son seul but était de mortifier Syriaque, patriarche
de sa cour, qui avait donné asile dans son temple à l'impératrice,
veuve de Maurice, et à ses trois filles.
Malgré toutes les menaces de Phocas, ce prélat avait refusé de les
lui livrer avant d'avoir reçu de lui le serment de conserver la mère
et les filles. Le tyran fit le serment demandé, obtint ses victimes
et ne craignit pas de se parjurer ; mais il en conserva une
haine éternelle pour Syriaque.
Boniface, alors archidiacre de Rome, se trouvait à Constantinople en
qualité de nonce de Saint-Grégoire. Ce saint et tous les Romains
s'étaient déclarés contre Maurice, qui avait voulu retenir l'orgueil
et comprimer les plans ambitieux de ce siège. Conformément aux vues
de cette politique, Boniface, loin de rien faire pour sauver la vie
des quatre princesses innocentes, favorisa au contraire le parti du
tyran.
Le pape Sabinianus étant mort, il fit valoir la faveur qu'il avait à
Constantinople pour obtenir les voix des électeurs et pour éteindre
le titre d'évêque oecuménique,
usurpé par les patriarches de Constantinople. L'historien grec
Cedrenus écrivait au douzième siècle que Boniface était ivrogne,
brutal, glouton, inhumain, féroce et sanguinaire. Cet éloge est
bref, mais complet. Heureusement qu'on ne voit plus aujourd'hui de
semblables monstres occuper le siège pontifical. Prétendra-t-on dire
qu'une élection semblable avait été inspirée par
l'Esprit-Saint ?
Dans un concile romain composé de soixante-douze évêques et de
beaucoup de prêtres et de diacres, Boniface établit que celui qui
réunirait les voix du peuple et du clergé serait regardé comme
pontife, si l'empereur confirmait ce choix. Quelques auteurs
ajoutent que ce fut après sa victoire sur le patriarche de
Constantinople, qu'il reçut de celui-ci le titre d'évêque universel.
Saint-Grégoire-le-Grand avait dit que l'Église serait mal gouvernée
si un seul homme prétendait se faire évêque de toutes les
églises et il lui avait prophétiquement départi d'avance le nom
d'antéchrist. C'est là la raison pour laquelle les potentats ont
donne le nom d'antéchrist à tous les papes, depuis Boniface III.
Après une vacance de neuf mois, Boniface,
fils du médecin Jean, fut consacré pape, le 25 août 608. Il mourut
le 7 mai 615. On doit attribuer les longues vacances du pontificat
aux intrigues faites par les prétendants de la cour de
Constantinople et des exarques de Ravenne dont l'influence était
plus rapprochée.
Ceux qui lisent avec attention l'histoire entière des papes, peuvent
observer que l'élection était plus souvent faite par les diacres et
archidiacres de Rome que par les prêtres et archiprêtres. On doit se
rappeler que tous les biens et toutes les richesses de l'Église
étaient administrés par les diacres. Les pieux bénédictins de
Saint-Maur, dans leur excellent ouvrage sur l'art de vérifier les
dates, ont montré que ce maniement de fonds leur fournissait les
moyens de se concilier les voix. Cette conjecture est très bien
fondée, mais elle détruit l'opinion romaine sur la part prise par
l'Esprit-Saint dans les élections.
Le cardinal de Fleury dit que l'Église honore la mémoire de Boniface
IV le 25 mai. Quelques autres écrivains lui donnent aussi le nom de
Saint. Je ne connais rien de sa canonisation, ni même des vertus qui
auraient pu la lui mériter, car la seule action remarquable que
l'histoire rapporte de lui, fut qu'il changea le temple païen du Panthéon
en l'église de Notre-Dame-de-la-Rotonde.
On dit aussi qu'il fit un monastère de sa propre maison :
aucune de ces deux actions ne saurait être héroïque, puisqu'il y
avait déjà un très-grand nombre d'églises et de monastères.
Deusdedit, fils du sous-diacre Étienne, fut élu pape le 13 novembre 615 et mourut le 3 décembre 618. On dit qu'il donna de grandes marques de charité auxquelles il doit sa canonisation. Je n'ai rien trouvé nulle part ni de la canonisation, ni des mérites.
Boniface fut consacré le 23 décembre 619,
après une année de vacance. Il mourut le 22 octobre 625.
Informé de la bonne disposition d'Eboin, roi de Northumberland en
Angleterre, à se convertir à la religion chrétienne, sur les
instances de la reine Edelbourg son épouse, il écrivit à cette reine
pour la persuader de persévérer dans son zèle, et, afin de l'animer
davantage, il lui envoya, comme une marque d'affection de la part de
l'apôtre Saint-Pierre, une chemise brodée en or et un manteau pour
le roi, et un miroir d'argent avec un peigne d'ivoire garni en or
pour elle-même.
Je regarderais le pape Boniface V comme un des hommes les plus polis
du septième siècle et comme un des plus habiles dans l'art de
persuader, si je ne voyais pas, dans cette affaire, un abus de la
politique romaine qui, quand cela pouvait être utile à ses intérêts,
mêlait le sacré au profane.
Cette manière d'offrir des parures de la part de l'apôtre
Saint-Pierre, n'est pas exempte du danger ordinaire de la
superstition, et ne me paraît pas conforme à la simplicité des douze
premiers papes, qui n'attribuèrent jamais à Saint-Pierre des
discours qu'il n'avait point tenus. Annoncer aussi que les rois
étaient sous la protection spéciale du Saint, c'est encore là un de
ces abus représentés comme très avantageux, comme si la protection
générale que Dieu étend sur eux ne suffisait pas. Combien de fois,
depuis, les papes, par une transition facile, n'ont-ils pas regardé
comme appartenant à eux ou au Saint-Siège, les royaumes qu'ils
avaient placés ainsi sous la protection de Saint-Pierre.
Honorius, fils du consul Petronius de
Campanie, fut élu pape le 27 octobre 625, et mourut le 12 du même
mois 638,
Ce souverain pontife fut consulté comme chef de l'église catholique
par Sergius, patriarche de Constantinople, sur la question de savoir
s'il y avait en Jésus-Christ une seule volonté, selon qu'il le
croyait lui-même, ou bien deux volontés, ainsi que le prétendait
Sophronius, patriarche de Jérusalem. Honorius parlant ex
catedrâ, c'est-à-dire en sa qualité
de chef de l'Église, répondit qu'il n'y avait pas en Jésus-Christ
deux volontés, mais une seule. Saint-Sophronius lui écrivit,
cherchant à le convaincre que Jésus étant à la fois parfaitement
homme et parfaitement Dieu, il fallait nécessairement qu'il eût une
volonté comme homme et une volonté comme Dieu, et il lui signalait
les actes particuliers à la volonté divine, et ceux de la volonté
humaine, résultant tous deux de l'Évangile.
Le pape Honorius n'en défendit pas moins de dire que Jésus-Christ
eut deux volontés, et il évita la difficulté de la question en
disant que le divin verbe incarné avait fait et voulu tout ce qui
était bon et parfait. La réponse d'Honorius ne satisfit pas
Saint-Sophronius et les autres catholiques ; ils craignaient de
rentrer dans les hérésies de Sabélius et des autres, qui
confondaient les personnes de la très sainte trinité, leur nature et
leurs propriétés, avec d'autant plus de fondement, qu'on avait déjà
commencé à dire qu'il y avait en Jésus-Christ une seule volonté, ce
qui avait mis dans la nécessité de combattre cette erreur.
Si, en effet, la volonté unique était divine, il s'en suivait que
Jésus-Christ * n'avait pas été parfait et n'avait pas eu la volonté
de souffrir et de mourir pour notre rédemption ; et, si elle
était humaine, il en résultait qu'il n'avait pas de volonté en sa
qualité de Dieu, et qu'il était, par conséquent, inférieur au père,
ainsi que l'avançait Arius.
Les partisans de Sergius citèrent l'épître décrétale du pape
Honorius comme autorité en leur faveur. Aussi le souverain pontife
Jean IV, qui condamna la nouvelle hérésie en 641, voulant laver
l'Église romaine de la tache de posséder un pape hérétique, écrivit
que son prédécesseur Honorius n'avait pas prétendu nier que
Jésus-Christ, outre une volonté humaine, possédât une volonté
divine ; mais seulement qu'il y eût dans Jésus-Christ, comme
dans les autres hommes, deux volontés contraires, l'une encline au
bien, l'autre au mal ; et que Jésus-Christ ne possédât que la
seconde.
Ce fut sous le même prétexte que le moine Saint-Maxime, martyr, dans
une discussion avec Pirrus, patriarche de Constantinople, hérétique
monolélite, voulait lui persuader que le pape Honorius n'avait pas
été de son avis. Mais, en dépit de ces deux apologies, Honorius fut
expressément condamné comme hérétique, l'an 681, au sixième concile
général, qui était le troisième de Constantinople. Il fut, en
conséquence, anathématisé, et son nom fut effacé des diptiques. Le
pape Saint-Léon II approuva les décisions du concile et les
anathèmes fulminés contre son prédécesseur ; il les communiqua
même à l'Église d'Espagne assemblée en ce moment en concile à
Tolède, aussi bien qu'à toutes les Églises d'Occident. Il renouvela
la condamnation d'Honorius, le qualifia de traître à la doctrine de
Saint-Pierre et des apôtres. Les mêmes anathèmes furent renouvelés
au septième concile général, second de Nicée, en l'an 787.
Les Romains modernes ont essayé de déguiser cette vérité à cause des
conséquences qu'elle produit contre la prétendue prérogative
d'infaillibilité des papes ; mais il n'y a pas de littérateur
impartial qui se laisse séduire par d'aussi vaines assertions,
tout-à-fait opposées aux faits qui résultent des lettres
pontificales des sixième et septième conciles généraux et des
historiens ecclésiastiques.
* Je suis descendu du ciel pour faire, non ma
volonté, mais la
volonté de celui qui m'a envoyé. (Jean
6:
38)
SÉVÉRINUS fut consacré pape le 28 mai 640, après une vacance d'un an, sept mois et dix-sept jours ; il mourut le Ier août de la même année, après un pontificat de deux mois et quatre jours. Ce délai paraît devoir être attribué à la résistance opposée par l'empereur Honorius à la confirmation de cette élection par suite des disputes relatives à la somme qu'il réclamait comme droit de chancellerie. Pendant ce temps, Isaac, exarque de Ravenne, Maurice, gouverneur de Rome, et les troupes qui leur étaient soumises, saccagèrent le palais pontifical Placidia. De grands désastres en furent la suite, et plusieurs prêtres furent bannis de Rome à ce sujet.
Jean fut consacré le 24 décembre 640 et mourut le 22 octobre 642. Tout ce qu'on sait de particulier sur lui, c'est qu'il condamna l'hectesis de l'empereur Héraclius, c'est-à-dire, l'édit promulgué qui imposait silence aux deux partis qui se persécutaient mutuellement sur la question de la double volonté, et qui prescrivait de regarder le divin verbe incarné comme ayant fait tout ce qui était convenable, sans s'occuper de la manière dont il l'avait fait. Cet édit même affirmait que Jésus-Christ n'avait qu'une seule volonté toujours bonne, et ne possédait pas la volonté contraire qui produit les coupables désirs et les mauvaises inclinations. Jean IV condamna donc les deux lettres adressées par son prédécesseur Honorius Ier, à Sergius, patriarche de Constantinople, parce qu'elles contenaient la même doctrine que l'hectesis d'Héraclius, dont ce même Sergius était le véritable auteur.
Ce pontife, né à Jérusalem et fils d'un
évêque, fut consacré le 8 décembre 642, et mourut le 3 mai 649.
Il condamna divers hérétiques monotélites et entre autres, Pirrus,
patriarche de Constantinople, qui, après s'être rendu à Rome pour
abjurer son erreur entre les mains de ce pape lui-même, était
retombé dans la même hérésie. Ce qu'il y eut de particulier dans ce
dernier événement, c'est que Théodore se fit apporter du vin
consacré dans un calice, pour signer la condamnation de Pirrus.
Étrange caprice, que de faire servir d'encre le sang du saint
sacrifice de la messe. On déférerait aujourd'hui comme hérétique, au
tribunal de l'inquisition, tout prêtre accusé de suivre un pareil
exemple. M. Prudhomme déclame avec fureur contre un tel attentat, et
il a raison ; mais on ne peut le justifier aussi bien des
autres reproches qu'il fait à Théodore. C'est ce qui lui est souvent
arrivé dans ce qu'il a écrit sur les papes dont j'ai parlé
jusqu'ici.
Ami de la vérité, je me vois donc souvent obligé de la chercher dans
Fleury et dans les autres écrivains véridiques qui ne sèment dans
leurs écrits ni le venin, ni le mensonge, ne citent jamais à faux
les auteurs dont il se servent, et n'altèrent pas les
narrations : ce sont là des vices dans lesquels tombe toujours
M. Prudhomme. Aussi, personne ne doit faire cas de son histoire,
sous peine d'être démenti à chaque pas par les auteurs cités
eux-mêmes. Je suis convaincu que c'est un écrivain de mauvaise foi
et indigne de l'estime de tout homme instruit. Il en est de même de
M. R..... qui a fait l'abrégé de cette histoire ; il n'a fait
que supprimer les déclamations furibondes, et a laissé subsister
dans leur état primitif les mensonges historiques et les calomnies
contre les papes. Il n'est pas nécessaire de mentir pour faire
connaître à fond l'ambition qui a dominé à Rome, et les autres vices
qui en sont l'accompagnement et la suite ordinaire. Pour la bien
connaître, il suffit de la vérité toute nue, tirée des sources les
plus estimées de l'histoire ecclésiastique.
SAINT-MARTIN fut consacré pape le 5 juillet
649, et mourut le 16 septembre 655 ; mais la consécration se
fit avant l'arrivée de l'ordre de confirmation de l'empereur
Constance, ce qui fit que ce souverain regarda Martin comme un
intrus. Cette opinion n'était pas sans fondement, puisque ce droit
des empereurs avait été consolidé par une possession de trois cents
ans. Dès l'origine du Christianisme, le peuple romain avait eu une
part active aux élections des papes, et ce droit avait été placé
ensuite au nombre des prérogatives de la couronne, depuis que, sans
titre et sans justice, le clergé de Rome avait donné l'exclusion au
peuple. La raison était, à cet égard, du côté du souverain, car, la
dignité papale étant une dignité si élevée, le souverain du
territoire devait nécessairement avoir un droit puissant
d'intervention dans ce choix important, afin d'éviter qu'il tombât
sur un ennemi de l'état capable de susciter des révoltes. Tel est le
principe sur lequel est fondé le droit dont jouissent encore
aujourd'hui les Cours catholiques dans les vacances du Saint-siège
de prononcer l'exclusion d'un ou de plusieurs cardinaux,
c'est-à-dire, d'empêcher tel ou tel cardinal d'être élu pape en
remplacement de celui auquel on cherche un successeur.
Les Romains s'étaient affranchis de cette obligation, par la raison
que Constance avait promulgué certain édit connu dans l'histoire
sous le nom de type,
et par lequel il imposait silence aux deux partis qui étaient en
controverse sur la double volonté de Jésus-Christ, et ordonnait
d'attribuer toutes ses opérations au verbe incarné et à ses deux
natures réunies, sans autre explication. Les Romains virent dans le
type, ainsi
qu'ils avaient vu dans l'hectesis
de l'empereur Héraclius, une erreur des monotélites.
Ils craignaient donc qu'il se refusât à confirmer l'élection de
Martin avant qu'on eut approuvé son édit impérial et qu'on s'y fut
soumis. Mais cette excuse ne saurait être valable, attendu qu'il
leur restait du temps pour procéder selon le résultat de la
délibération de l'empereur. Le pape et son clergé ne pensèrent pas
ainsi. Sa Sainteté, au contraire, convoqua à Rome un concile dans
lequel on condamna comme hérétique l'édit du type,
celui de l'hectesis,
tous les écrits dans lesquels on défendait la volonté unique de
Jésus-Christ et les évêques et autres personnes qui avaient adopté
cette opinion. Informé de cette mesure, l'empereur Constance fit
saisir le pape Saint-Martin, et le fit conduire à l'île de
Naxos ; une année après, il fut amené à Constantinople, et
renvoyé de-là dans le Chersonèse Tauride. Pendant tout cet exil, il
souffrit beaucoup de mauvais traitements. Fatigué de la vie, à
l'exemple de l'apôtre Saint-Paul, il demanda enfin à Dieu de mettre
un terme à ses longues souffrances. Il mourut le 16 septembre 655,
jour où l'Église le vénère comme saint martyr.
Le clergé romain, requis par l'empereur d'élire un autre pape, en
remplacement de Martin qu'il venait d'exiler, différa cette élection
aussi longtemps qu'il put trouver des excuses pour ne le pas faire.
Mais ces excuses s'usèrent, et un ordre impérial étant venu y mettre
fin, il nomma le 8 septembre 654, Eugène, archiprêtre de Rome qui,
déjà, depuis juin 653, gouvernait l'Église en qualité de vicaire
général, conjointement avec l'archidiacre et le chef des notaires.
Les Romains se résolurent à cette élection par la crainte de voir
Constance leur donner un pape hérétique monotélite plus ferme
qu'Honorius. Saint-Martin, informé de cet événement, reconnut le
nouvel élu comme véritable pontife : dans une de ses lettres,
il adresse même une prière à Dieu en faveur de son successeur
actuel.
L'Église le vénère comme martyr. Je n'aurais pas besoin d'autre
preuve de sa sainteté, que l'approbation qu'il donna à la nomination
d'un successeur sans qu'il y eût pris part : une telle conduite
indique un grand esprit de charité et un zèle éclairé qui voulait
éviter toute occasion de schisme. Je ne puis cependant approuver sa
conduite précédente. Martin devait prévoir que l'insulte qu'il fit à
l'Empereur en condamnant son type,
sans faire précéder cette condamnation d'aucune admonestation ni
d'aucun avertissement plus doux, tel que le respect dû à son
souverain en réclamait, était un acte de despotisme peu conforme à
la modération de la doctrine évangélique.
EUGÈNE élu, ainsi que nous venons de le
voir, le 7 septembre 654, pendant la vie de Saint-Martin, sans que
ce dernier en eût connaissance et eût renoncé à son titre, ne fut
point soumis à une nouvelle élection après la mort de ce Saint,
ainsi que cela s'était pratiqué avec le pape Vigile, après la mort
de Silvérius. Cette différence fut due au consentement de
Saint-Martin. Eugène envoya des députés à Constantinople pour
traiter avec l'empereur et avec le patriarche, relativement à la
condamnation du type
et de ses auteurs. Les députés s'avilirent en cédant au pouvoir de
Constance. On a voulu tirer de grandes conséquences de ce que le
moine Saint-Maxime, dont la réputation était très populaire à
Constantinople, avait communiqué avec l'empereur et avec le
patriarche.
« De quelle Église êtes-vous, lui demanda le patriarche le 17
mai 655 ? Vous voyez assemblées ici les Églises
de Bysance, de Rome, d'Antioche, d'Alexandrie, de Jérusalem et
des provinces qui en dépendent.
Réunissez-vous donc à l'Église universelle, autrement il vous en
arriverait mal. - Dieu, dit Saint-Maxime, a déclaré que l'Église
catholique s'appuyait sur la profession de foi orthodoxe qui
mérita des éloges de Saint -Pierre... »
Anastase, disciple de Saint-Maxime, écrivant aux moines de Caller en
Sardaigne, sur la déférence des légats du pape Eugène pour
l'empereur et sur le danger dans lequel se trouvait la foi
catholique, ajoutait :
« Nous vous prions de venir au secours de la foi catholique,
et, si vous ne pouviez le faire, il vous faut partir
sur-le-champ pour Rome ; vous réunir là aux hommes formés dans
la foi, et soutenir, à notre exemple, la vérité avec
courage sans s'écarter des voies qui nous sont tracées par les
conciles et par les pères. »
Eugène mourut le 1er juin 607. Les écrivains lui donnent le titre de
Saint, sans qu'on sache pourquoi. Son acceptation du pontificat
pendant la vie de Saint-Martin ne fut pas une vertu héroïque. La
lettre du Saint, exilé en Chersonèse, annonce qu'Eugène ne lui
envoyait ni pain, ni blé, et encore moins, sans doute, de l'argent.
Le choix de ses légats ne donne pas une haute opinion de sa prudence
ou de son zèle. Saint-Maxime se souciait peu que le pape et ses
légats se soumissent à l'empereur. Tout contribue à nous faire faire
peu de cas de la canonisation volontaire. On ne doit pas mettre sur
la même ligne la réponse de Saint-Maxime qui détruit la prétendue
infaillibilité du pape, en supposant que ce privilège divin n'est
fondé que sur la profession de foi catholique qui mérita des
éloges à Saint-Pierre.
Vitalien fut élu le 30 juillet 657 et mourut
le 27 janvier 673. Quelques écrivains lui donnent aussi le titre de
Saint, mais je n'en puis trouver la raison dans l'histoire
ecclésiastique. Dans l'année 666, il donna des preuves d'un naturel
colère, en excommuniant l'archevêque de Ravenne, uniquement parce
qu'il disait que pour gouverner son diocèse il n'avait pas besoin
des ordres du pape. L'archevêque était si bien convaincu de la
justice de son opinion, que, regardant comme un attentat le décret
de censure pontificale, il excommunia lui-même Vitalien.
Bien que cette conduite de l'archevêque fut blâmable, elle sert du
moins à prouver combien les opinions du septième siècle différaient
de celles qui sont énoncées dans les décrétales, puisqu'on croyait
alors qu'un archevêque pouvait excommunier un pape qui aurait commis
des attentats.
À cette époque, l'empereur Constance fit un voyage à Rome, et
quoique le pape Saint-Martin et le concile romain assemblé en 630
l'eussent excommunié comme hérétique monotélite, le pape Vitalien
n'en alla pas moins le recevoir à la tête du clergé, à six mille de
Rome, communia avec lui dans toutes les principales églises, reçut
ses offrandes pendant le saint sacrifice, et pratiqua enfin tous les
actes d'union possibles avec un catholique. Cette conduite contraste
beaucoup avec celle de ceux de ses prédécesseurs qui avaient flétri
la mémoire d'Acacius, patriarche de Constantinople, uniquement parce
qu'il avait communié avec plusieurs personnes regardées à Rome comme
hérétiques, sans aucune condamnation spéciale.
Il fut élu pape le 22 avril 672, et mourut
le 26 juin 676.
Nous n'avons rien à rapporter de lui, relativement à notre objet.
Élu le 2 novembre 676. il exerça le pontificat jusqu'au 11 avril 678, et obtint de l'empereur Constantin III, la révocation du décret de son prédécesseur Constance qui avait déclaré l'archevêque de Ravenne indépendant de Rome ; cette révocation mit fin au schisme commencé du temps du pape Eugène.
Ce pape fut élu le 26 juin 679, et mourut le
10 janvier 682.
L'empereur Constantin III convoqua et présida le septième concile
général, troisième de Constantinople, en 680 et 681. Les légats du
pape y assistèrent : on y condamna l'hérésie des monotélites,
et on frappa d'anathème les hommes morts ou vivants qui l'avaient
soutenue. On renouvela contre le pape Honorius, ainsi que contre
Porrus de Constantinople et les autres, l'anathème lancé auparavant
contre eux, et renfermé dans les suffrages des pères présents au
concile, dans l'adresse du concile adressée à l'empereur, dans
l'épître synodale au souverain pontife Agathon, et dans les lettres
synodiques aux églises patriarchales de Constantinople,
d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, aussi bien qu'aux primats
d'Éphèse, de Césarée, de Carthage, d'Arles et autres. Agathon
confirma les actes approuvés par ses légats, de sorte qu'on ne peut
point élever de doutes sur la condamnation du pape Honorius comme
hérétique monotélite. Il n'est pas douteux non plus qu'il promulgua
son hérésie en sa qualité de chef de l'Église, puisque c'était à ce
titre qu'il avait répondu à la consultation du patriarche Sergius.
Nous voyons par un moyen indirect que les papes se reconnaissaient
encore sujets de l'empereur, puisque Agathon écrivait à
Constantin :
« Conformément à vos ordres, nous avons, ainsi que nous y
sommes obligés, envoyé pour nos légats auprès de Votre Majesté,
etc. »
Il en est de même du droit de régale, par lequel toute élection d'un
pape, faite sans le consentement de l'empereur, était réputée
nulle ; puisque les députés d'Agathon prétendaient qu'on rendît
à l'Église romaine la somme payée d'après la coutume à la
chancellerie pour prix de la confirmation. L'empereur y consentit,
sous la condition expresse qu'on ne manquerait jamais à la coutume
antique de faire passer à Sa Majesté l'acte d'élection, et que l'élu
ne fût pas consacré pape avant la confirmation de l'empereur. Nous
avons déjà dit sur quoi cet usage antique était fondé.
Le même Agathon alla jusqu'à avancer, dans une de ses décrétales,
que les constitutions promulguées par le pontife romain devaient
être acceptées comme si elles étaient dictées
par la voix divine
de Saint-Pierre. Ne faut-il pas
avoir un orgueil bien impudent, pour faire une semblable
comparaison ? Cela est d'autant plus remarquable, qu'il venait
de condamner lui-même la constitution du pape Honorius, relative aux
monotélites. Ce qui rend cette conduite plus choquante encore, c'est
qu'il avait eu la hardiesse d'écrire à l'empereur Constantin III que
l'Église romaine n'était jamais tombée dans l'erreur, et ne s'était
dans aucun cas écartée de la vérité. Il voulait sans doute parler du
clergé et non de son chef.
SAINT-LÉON fut élu pape le 16 avril 682, et
consacré le 17 août de la même année. Il mourut le 3 juillet 683.
Il reçut de l'empereur Constantin III une lettre écrite à Agathon,
dans laquelle il était question d'un légat à envoyer à
Constantinople à résidence, afin que toutes les affaires de religion
et de discipline ecclésiastique fussent traitées dans un conseil
composé de l'empereur, du patriarche de Constantinople et du légat
pontifical.
Saint-Léon, sur la demande de l'empereur, envoya un représentant
sous le titre d'apocrisaire
c'est-à-dire muni de pouvoirs exprimés dans l'apoca,
ou lettre de commission. Ces pouvoirs se réduisaient à entendre
les propositions, à les communiquer au pape, et attendre sa réponse
pour voter définitivement dans le conseil. Léon prit cette
précaution, afin de mieux conserver sa suprématie contre les efforts
continuels faits par les patriarches de Constantinople pour sortir
de la dépendance papale. Les pontifes avaient bien prévu tous ces
efforts du moment où la cour avait été transférée à Byzance :
aussi, avaient-ils toujours eu le soin de faire endurer plus de
vexations à l'évêque de Constantinople qu'à ceux d'Alexandrie,
d'Antioche et de Jérusalem. Ce fut du même principe que naquirent
les jalousies qu'ils eurent continuellement contre l'archevêque de
Ravenne, résidence autrefois des empereurs d'Occident, et
successivement, depuis, des rois hérules, des rois goths, et enfin
des exarques, vice-rois absolus au nom de l'empereur d'Orient.
Il approuva le sixième concile général, et toutes les condamnations
qui s'y trouvaient prononcées.
« De plus, écrivait-il, nous condamnons le pape Honoruis,
qui, au lieu de purifier cette Église apostolique par la
doctrine des apôtres, a projeté de détruire la foi à l'aide d'une
infâme trahison. »
Je ne sais comment ceux qui ont prétendu soutenir l'infaillibilité
du pape, peuvent s'arranger de ce passage.
Quelques auteurs disent que Léon obtint de l'empereur Constantin,
pour le pape, le privilège d'être consacré sans attendre la
confirmation impériale, après l'élection faite par le clergé et le
peuple de Rome.
Consacré le 26 juin 684, après une vacance de onze mois et vingt-deux jours, Benoît mourut le 7 mai 685, sans avoir joui du pontificat plus de dix mois et douze jours.
JEAN fut consacré pape le 23 juillet
685, et mourut le 1er août 686.
Pendant ce court intervalle de temps, il déposséda l'archevêque de
Caller de la prérogative qu'il possédait d'ordonner tous les évêques
de l'île de Sardaigne, alléguant pour raison que cette possession
s'était fondée sans titre. Cette transaction fit paraître dans tout
son jour l'ambition romaine de commander partout. Puisque les
conciles avaient déclaré que les archevêques métropolitains
ordonnaient les évêques de leur province ecclésiastique,
l'archevêque de Caller ne devait pas être inférieur en attribution à
ceux auxquels il était égal en dignités.
Il n'y a aucune preuve qu'on l'ait orné de la couronne impériale,
ainsi que l'avance M. Prudhomme.
Après la mort de Jean V, l'armée s'empara de l'église de Saint-Jean-de-Latran, s'arrogea le droit d'élire le pape, et nomma en conséquence Théodore, prêtre romain. Cependant, le clergé voyant les portes du temple fermées, se réunie dans son parvis et choisit l'archiprêtre Pierre. Le peuple de son côté, se voyant négligé par le clergé et par l'armée, s'assembla sur la place publique et donna ses suffrages à Conon, prêtre âgé, respecté par ses vertus. Ainsi commença le sixième schisme, mais le clergé, prévoyant les malheurs qui allaient en advenir, et désirant les prévenir, considéra son élection comme incomplète, et approuva celle du peuple. Les chefs de l'armée virent bien à leur tour que la leur serait méprisée, et, après quelques contestations, reconnurent aussi Conon. L'exarque de Ravenne, informé de l'affaire, accorda en son nom la confirmation impériale à l'élection de Conon, qui fut consacré, en conséquence, le 23 octobre 686 ; mais il ne jouit pas longtemps de la tiare, car il mourut le 21 septembre 687.
À peine le sixième schisme était-il
terminé, que commença le septième. Quelques électeurs annoncèrent
pour souverain pontife l'archidiacre Paschal, et d'autres
l'archiprêtre Théodore. La majorité du peuple et du clergé choisit
le prêtre Sergius.
Après beaucoup d'événements particuliers, Théodore et Paschal se
soumirent à Sergius, et le reconnurent pape. Paschal fut, depuis,
déposé de l'archidiaconat, comme nécromancien et comme coupable de
plusieurs autres délits. Il offrit cent livres d'or à l'exarque de
Ravenne, s'il faisait déposer Sergius et lui faisait obtenir à
lui-même le pontificat. L'exarque, Jean Platys, se rendit à Rome,
et, voyant que tout le peuple et toute l'armée étaient disposés en
faveur de Sergius, il craignit de mettre le projet à exécution.
L'avidité lui suggéra l'idée de demander cent livres d'or à Sergius
pour ne pas être déposé. Sergius fit tout au monde pour se délivrer
de cette exaction, mais finit par la payer. Qu'on juge donc si
l'Esprit-Saint étendit son influence sur cette élection, et sur
celle de Conon, qui précède.
En 691, on tint à Constantinople le concile in
Trutio nommé quini-sexte,
parce que c'est un résumé des cinquième et sixième conciles. Les
légats du pape y assistèrent ; mais ce dernier refusa de signer
les actes, parce qu'un des canons de ce concile permettait aux
prêtres, diacres et sous-diacres d'exercer les ordres sans se
séparer des femmes avec lesquelles ils étaient légitimement mariés
avant d'entrer dans les ordres. Il y aurait eu dans l'Église latine
moins de prêtres scandaleux et moins de mariages troublés, si
Sergius avait donné l'ordre contraire à toutes les Églises de
l'Occident.
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