Nous allons parler d'un autre Pape, canonisé à cause de ce même
zèle pour l'agrandissement de l'Église romaine. Il eut à soutenir de
violents débats avec les patriarches d'Alexandrie, d'Antioche et de
Jérusalem, et avec le nouveau patriarche de Constantinople, successeur
de Saint-Jean Chrysostôme, pour la sentence de déposition qui avait
été publiée contre ce dernier dans les deux conciles de Chalcédoine.
L'empereur d'Orient Arcadius favorisa les patriarches de son empire
contre les usurpations d'Innocent, qui en était venu au point de
connaître des causes les plus légères, comme par exemple de ce que
Jean, patriarche de Jérusalem, avait souffert qu'on inquiétât dans
leur vie d'anachorète les deux vierges Eustochie et Paula, dirigées
par Saint-Jérôme. Le pape Innocent ne put voir patiemment Arcadius
accorder sa protection aux patriarches, et bannir Saint-Jean
Chrysostôme. Il eut même l'audace d'excommunier l'Empereur, Les
souverains peuvent apprendre par un tel événement quel dommage ils se
font à eux et à leurs sujets, en permettant aux Papes d'avoir un rang
et des dignités autres que celles dont jouissaient Saint-Lin et ses
onze successeurs immédiats. Un siècle ne s'était pas encore écoulé que
les Papes, grâces à l'impolitique Constantin, jouaient déjà un rôle
dans le monde, et moins de cent ans avaient suffi pour qu'un Pape osât
lancer des excommunications contre un successeur de ce même
Constantin : tant avait eu de pouvoir un système suivi avec
constance et uniformité.
Du temps des douze premiers Papes, les patriarches et les primats
étaient si indépendants de Rome dans les affaires de dogme, qu'à peine
communiquaient-ils avec elle. Peu à peu, les Papes se mêlèrent des
affaires du gouvernement, et ils en vinrent au point
qu'Innocent Ier osa les menacer de l'excommunication s'ils ne se
conformaient pas en tout point aux décisions de l'Église romaine. En
bannissant Saint-Jean Chrysostôme, l'empereur Arcadius n'avait fait
qu'user de la souveraineté temporelle, sur l'exercice de laquelle la
souveraineté spirituelle de Rome ne conférait aucun droit. Il résulta
du zèle amer et pétulant d'Innocent, ce qui devait en résulter.
L'empereur Arcadius s'exaspéra, et Saint-Jean Chrysostôme mourut dans
son bannissement.
Une autre action du même Pape, donne lieu à des réflexions d'une
différente nature. L'auteur des Voyages volontaires des Papes,
depuis Innocent Ier jusqu'à Pie VI, imprimé en français à Vienne
en Autriche, l'an 1782, par les libraires réunis, rapporte et prouve,
sur l'autorité d'un historien contemporain, Zozyme, et sur d'autres
témoignages, que, pendant le siège de Rome par Alaric, roi des Goths,
en 410, le sénat romain, composé de sénateurs idolâtres, résolut de
faire des sacrifices aux dieux tutélaires de Rome, et s'adressa au
pontife chrétien comme au personnage le plus éminent en autorité, pour
le prier de vouloir bien agréer ce sacrifice, puisque l'empereur
Honorius demeurait à Ravenne.
Innocent voyant le sénat et les habitants plongés dans l'affliction,
répondit qu'il y consentait, à condition que ce serait en secret. Le
sénat désirait donner au peuple un témoignage de son zèle. Croyant
d'ailleurs que les Dieux lui sauraient peu de gré d'un sacrifice qui
ne serait pas célébré avec toute la solennité possible, il suivit
lui-même en pompe la cérémonie au Capitule, avec les prêtres de ses
Dieux, et offrit le sacrifice au milieu du plus grand appareil.
Cependant les rigueurs du siège n'en continuaient pas moins, et le
sénat se vit forcé de capituler avec Alaric. Il nomma des députés pour
aller à Ravenne obtenir de l'empereur Honorius son agrément à cette
capitulation. L'empereur refusa d'y souscrire. Alaric entra dans Rome.
La ville souffrit des calamités de toute espèce, et Innocent resta à
Ravenne sans vouloir retourner à Rome tant que la ville n'aurait pas
repris sa tranquillité.
Une multitude de réflexions se présente déjà sur l'abandon qu'il fit
de sa propre église dans un temps de calamités, que la présence du
souverain pontife aurait peut-être pu alléger. Il y aurait encore
beaucoup d'autres remarques à faire, mais la principale, celle qui se
rapporte plus immédiatement à la présente histoire, c'est le
consentement qu'il donna au sacrifice offert aux idoles par le sénat
romain. L'unique raison peut-être, pour laquelle Salomon avait été
accusé d'idolâtrie, était pour avoir approuvé l'idolâtrie de ses
femmes. La conduite d'Innocent à cet égard est d'autant plus
remarquable, qu'il poursuivait dans le même temps, avec une rigueur
incroyable, Priscillien et d'autres, qui pourtant, à proprement
parler, ne s'étaient pas rendus coupables d'idolâtrie, puisqu'ils
professaient la religion chrétienne, et qu'ils ne différaient des
autres chrétiens que par l'interprétation particulière qu'ils
donnaient à quelques articles de foi.
Au souvenir d'un tel événement, je ne puis m'empêcher d'être étonné
qu'Innocent soit placé au nombre des saints ; non pas qu'il ne le
fût point (car celui sera peut-être un mérite auprès de Dieu d'avoir
cédé bénignement, et pour l'amour de la paix, aux désirs du sénat et
du peuple romain) ; mais parce que cette conduite répugne tout à
fait aux principes adoptés dans les canonisations. Je suis certain que
si Innocent n'eût pas été Pape, il eût été impossible de le canoniser.
Osius, évêque de Cordoue, avait bien moins d'obstacles contre lui, et
son mérite était d'une bien autre nature que celui d'Innocent ;
cependant, on ne put obtenir la canonisation d'Osius. Je ne sais, de
plus, si jamais Innocent fut canonisé par un décret formel, et j'en
dois d'autant plus douter qu'il n'en reste aucun acte authentique. Il
ne suffit pas qu'on le trouve cité avec le surnom de Saint :
c'était là un usage introduit dans les siècles de barbarie par les
Romains, qui exploitèrent l'ignorance générale à leur profit, et
persuadèrent à tout le monde que la vertu et la vérité étaient le
patrimoine perpétuel de l'Église romaine, dont les pontifes avaient
presque tous été des saints, conséquence nécessaire, suivant eux, de
l'affection particulière avec laquelle Dieu lui-même conduisait
l'affaire importante des élections du souverain pontife, en leur
envoyant le Saint-Esprit en personne pour diriger le jugement et la
volonté des électeurs.
La multitude de schismes et d'autres crimes commis ensuite par les
élus, fait assez connaître que c'est là une imposture. Mais on
n'allait pas si loin aux siècles de barbarie : la crédulité des
ignorants de ce temps avait donné aux Papes modernes des armes pour
combattre les critiques qu'ils taxaient d'impiété. Si c'était là de
l'impiété, eux-mêmes en seraient coupables les premiers, puisqu'ils ne
croient pas aux choses que par intérêt ils voudraient faire croire aux
autres.
Ce Pape, choisi le dimanche 18 mars 417 et mort le 26 décembre
418, laissa, durant son court pontificat d'un an neuf mois et quelques
jours, de puissants témoignages du même esprit d'ambition et de
despotisme dans le gouvernement universel de l'Église, que le Pape
Victor avait commencé à manifester au second siècle, et qui, depuis
lui, avait toujours été, comme nous l'avons vu, prenant de nouvelles
forces.
Je laisse de côté tout ce qu'il fit contre Pélage, Céleste et
plusieurs autres de son opinion, bien que je pusse fortement censurer
sa conduite, si je me laissais entraîner par les déclamations de M.
Prudhomme. Mais il n'en est pas de même de l'abus excessif d'autorité
qu'il fît en nommant Patrocle évêque d'Arles, son vicaire pour les
provinces ecclésiastiques et civiles de France, nommées alors l'une la
province de Narbonne et deux, les provinces de Vienne et Dauphiné. Il
lui confia le pouvoir de donner des lettres formées,
c'est-à-dire, testimoniales, à tous les membres du clergé qu'il lui
plairait de choisir, afin qu'en vertu de ces lettres, ils fussent
reçus à communion partout où il leur conviendrait de se présenter. Il
l'autorise également à ordonner (c'est ce que nous appelons
aujourd'hui consacrer), les évêques dans les trois provinces
désignées ; à connaître de toutes les causes ecclésiastiques qui
s'offriraient à l'exception des causes majeures qu'il se réservait à
lui-même ; enfin, à nommer les juges qui devaient prononcer dans
ces causes.
Un excès de cette nature produisit tous les mauvais effets qu'on en
devait attendre. Les évêques métropolitains de ces provinces et même
les évêques diocésains qui n'étaient pas métropolitains, se trouvaient
lésés par chacun des articles du plein pouvoir donné au vicaire
Pontifical. Ils ne purent supporter patiemment un tel empiétement. La
paix de l'Église gallicane fut troublée, et il en résulta un certain
schisme très funeste ; car, tandis que quelques évêques
voulaient maintenir leurs droits, les autres consentaient à
l'usurpation par respect pour le siège de Saint-Pierre, qui, déjà,
commençait à être vu avec un respect superstitieux, c'est-à-dire, avec
l'idée que la vénération qu'il devait inspirer consistait à laisser le
Pontife romain faire, au nom de Saint-Pierre, tout ce qui lui
conviendrait, sans autre responsabilité que celle du tribunal de Dieu.
Cette maxime, qui commença en France par les motifs que je viens
d'indiquer, est la source véritable de l'accroissement successif du
despotisme papal. Si tous les évêques français avaient agi sur un plan
uniforme de résistance aux usurpations du Pape Zozime, il y a des
raisons de croire que ses successeurs auraient été plus modérés. Mais
l'issue de cette entreprise ayant répondu aux désirs du Souverain
Pontife, cela servit de fondement à de nouveaux projets ; et cet
événement servit désormais d'exemple pour attester et le droit des
Papes et la soumission des évêques.
Zozime ne tarda pas en effet à se croire délié de l'obligation
d'observer les canons, et s'imagina qu'il était supérieur aux lois
ecclésiastiques. Abusant de la lettre d'une déclaration du concile,
tenu à Sardes, il prit connaissance d'une affaire déjà terminée dans
les Conciles d'Afrique. Au grand scandale des évêques africains, le
prêtre Appiarius, condamné par Urbain, évêque de Sicca, recourut à
l'appui du Pape. Il était certain que toutes les affaires devaient
être terminées dans la province même et que les divers évêques
rassemblés par le Métropolitain, étaient les seuls et suprêmes juges.
Zozime accepta le recours ; il lui était fort agréable de voir
ainsi les évêques et le clergé de tout le monde chrétien, persuadés
que la chaire de Saint-Pierre était le trône d'un monarque
ecclésiastique près duquel chacun pouvait venir demander justice, en
cherchant à se soustraire à ses juges naturels, et en éludant les lois
de son pays. les empereurs ne devaient pas tolérer cet abus, et
souffrir que les vassaux éludassent les lois de leur province. Il
était contraire à toute bonne administration civile, de fournir
l'occasion à des voyages longs et dispendieux qui appauvrissaient les
familles. Mais les empereurs d'Occident, depuis Honorius et ses
successeurs, étaient tombés dans une faiblesse extraordinaire, et
contemplaient avec indolence les usurpations des Papes. Ces derniers
profitèrent de l'occasion, et laissèrent à leurs successeurs
l'héritage de leurs excès honorés du nom de vertueux zèle, avec
l'avantage de pouvoir en appeler à leur pontificat pour prouver la
possession de prérogatives qu'aucun des douze premiers Papes n'avait
connues et n'avait pensé à s'approprier.
La mort du Pape Zozime produisit un schisme dont l'histoire
rentre, en grande partie, dans celle que nous écrivons, puisqu'elle
nous montre toute la force de l'intervention du souverain temporel,
dont la décision y mit fin.
L'empereur Honorius termina le schisme de sa propre autorité, en
ordonnant qu'on regardât Boniface seul comme véritable pontife. Je ne
fais aucun cas ici des déclamations de M. Prudhomme, fondées sur une
narration peu sincère. L'histoire ecclésiastique de Fleury est plus
fidèle, et les documents originaux qu'on y cite suffiraient seuls pour
indiquer le degré d'usurpation où en étaient arrivés les Papes des
siècles précédents, qui voulaient faire oublier la dépendance dans
laquelle leurs prédécesseurs avaient vécu, et l'aveu fait par eux, en
mille occasions, que le souverain temporel disposait d'une foule de
prérogatives qu'ils voulurent faire rentrer ensuite dans la dépendance
unique du pouvoir spirituel.
Zozime mourut le 26 décembre 418, et le préfet de Rome Symmaque, bien
qu'idolâtre, exhorte le peuple à laisser le clergé se choisir
librement et tranquillement un nouveau Pape. Plusieurs évêques du
voisinage de Rome se réunirent aussitôt pour célébrer l'élection. Le
27, avant que les offices des funérailles fussent terminés,
l'archidiacre de Rome, Eulalius, se rendit à l'église de
Saint-Jean-de-Latran avec tous les diacres de la ville, quelques
prêtres et une grande quantité d'hommes du peuple. Il ferma les portes
du temple, et en sortit Pape. L'évêque d'Ostie à qui appartenait,
d'après un ancien usage, la prérogative de consacrer les Papes, lui
donna la consécration le dimanche suivant, 29 du mois.
D'un autre côté, avant que la consécration eût été faite,
immédiatement après les funérailles de Zozime, presque tous les
prêtres de Rome, une grande partie du peuple et quelques évêques
s'étaient déjà retirés dans l'église de Théodore, et avaient résolu
d'élire Boniface, ancien prêtre de la ville. Ils députèrent trois
prêtres pour aller à l'église de Latran, et signifier à ceux qui y
étaient réunis de ne pas aller plus avant, sans communiquer ce qu'ils
faisaient à la majeure partie du clergé de Rome, rassemblée dans le
temple de Théodore. Les partisans d'Eulalius traitèrent mal les
députés, et ne tinrent aucun compte de leurs prières. Nous venons de
voir, en effet, qu'ils avaient procédé à la consécration.
Le préfet Symmaque fit comparaître, en sa présence, les principaux
partisans de Boniface, le samedi 28 de ce mois, et leur signifia de ne
rien faire qui fût contraire aux règles, car, autrement, il en
punirait la violation. Ceux-ci, crurent ou feignirent de croire qu'ils
ne manquaient pas aux règles en assemblant, ainsi qu'ils le firent, le
dimanche 29 déjà cité, dans l'église de Saint-Marcellus, neuf évêques,
soixante-dix prêtres et une grande multitude de peuple. Là, ils
consacrèrent solennellement Boniface ; tandis qu'à Latran,
l'évêque d'Ostie en faisait autant d'Eulalius. Boniface fut conduit,
en pompe et au bruit des applaudissements, dans le temple de
Saint-Pierre.
Le même jour, Symmaque écrivit à l'empereur Honorius, à Ravenne, pour
lui donner acte du tout, et lui dire que, puisqu'il appartenait à sa
majesté d'invalider l'une des deux élections et d'approuver l'autre,
il attendait ses ordres à cet effet. Le 3 janvier 419 Honorius ordonna
qu'on teint Eulalius pour légitime Pape, et que Boniface sortît de
Rome. Le préfet Symmaque reçut cet ordre le 6 janvier au soir, jour de
la grande solennité et de la procession en l'honneur de la fête de
l'Épiphanie. Il fit signifier à Boniface le décret impérial, annonce
certaine des séditions populaires, des morts horribles, des désordres
et des malheurs de toute espèce qui en devaient résulter.
Les électeurs de Boniface écrivirent à l'empereur, et lui racontèrent
l'affaire à leur manière, pour prouver que l'élection d'Eulalius était
séditieuse, illégitime et contraire aux règlements. Ils promettaient
de comparaître tous devant Sa Majesté avec Boniface lui-même à leur
tête, et demandaient qu'on exigeât la même soumission d'Eulalius et de
ses partisans, afin que Sa Majesté pût prononcer avec connaissance de
cause. Honorius approuva la justice de cette demande, et le 15 du même
mois il écrivit à Symmaque qu'il eût à suspendre l'exécution de son
rescrit du 3 janvier, et à ordonner aux deux partis de comparaître à
Ravenne le 8 février, sous peine pour celui qui ne se présenterait
pas, de perte totale de ses droits.
En même temps, l'Empereur ordonna à plusieurs évêques estimés
d'Afrique, d'Italie et de France, de se rendre à Ravenne pour y former
un concile et prononcer sur la question du schisme romain. Symmaque,
sous la date du 25 janvier, écrivit à l'Empereur que, de son côté, il
avait exécuté les ordres contenus dans sa lettre du 15. Les évêques
réunis furent de tant d'avis différents, que l'Empereur se vit forcé
de convoquer un autre concile plus nombreux que le premier pour le 1er
mai, ordonnant qu'Achilles, évêque de Spolette, remplît provisoirement
à Rome les fonctions de Pape, surtout pendant les fêtes de la Pâques
du 30 mars 419. Eulalius et Boniface devaient toujours, en attendant,
résider hors de la ville. C'est là le sujet de la lettre qu'il écrivit
au préfet en date du 15 du même mois de mars. Parmi les évêques
nouvellement convoqués, les plus célèbres étaient Saint-Paulin,
Saint-Augustin, Saint-Alipius, Saint-Evodius et Aurèle, primat
d'Afrique.
Eulalius refusa d'obéir au décret impérial. Au mépris de ses ordres,
il entra à Rome le 18 mars. Achilles, évêque de Spolette, arrive le 21
pour exécuter les ordres de l'Empereur. Les partisans qu'Eulalius
avait parmi le peuple se soulevèrent et causèrent de grands troubles,
que le préfet, malgré le secours des principaux citoyens, ne put
parvenir à étouffer sur le champ, parce qu'une multitude d'esclaves
s'était présentée en armes sur la place de Vespasien, pour faire tête
aux partisans d'Eulalius. Le préfet, supposant bien que les deux
partis se préparaient à une guerre civile, écrivit à l'Empereur pour
recevoir ses ordres positifs à l'occasion de la Pâques qui avait lieu
le 30.
L'Empereur lui répondit le 25: « Eulalius étant entré à Rome
malgré notre défense, il faut qu'il en sorte afin d'ôter tout prétexte
à la sédition, et cela, sous peine de perdre sa dignité et peut-être
sa liberté. En vain s'excuserait-il sur ce que le peuple l'y a forcé.
Que tous ceux qui communiquent avec lui, prêtres où laïques, soient
punis à proportion de leurs fautes. L'évêque de Spolette sera chargé
des saints offices pendant tout le temps de la Pâques. L'église de
Saint-Jean-de-Latran lui sera exclusivement réservée. » Les
officiers du préfet Symmaque furent chargés de l'exécution du décret,
sous peine d'amendes considérables et même sous la responsabilité de
leur vie.
Symmaque fit signifier ce décret à Eulalius ; mais ce dernier
souleva le peuple, et refusa de sortir de Rome. Avec le secours de ses
partisans il s'empara de l'église de Latran, y célébra le samedi
saint, y baptisa solennellement et y remplit diverses fonctions comme
s'il eut été véritablement Pape. Le préfet réunit ses hommes et rejeta
Eulalius hors de l'église et de la ville. Achilles, évêque de
Spolette, célébra toutes les fêtes de la Pâques. L'Empereur bannit
Eulalius, punit plusieurs des prêtres auteurs de la sédition, et
déclara, le 3 avril, que Boniface serait considéré comme le vrai Pape.
Le décret impérial arriva le 8 à Rome, et le peuple qui ne souhaitait
plus que la tranquillité, applaudit à cette résolution. Eulalius
s'étant soumis, fut nommé évêque de Népi. Ainsi se termina le schisme.
Le concile convoqué pour le 1er mai, devenait inutile, et il ne se
tint pas.
On peut tirer de ce fait une multitude de conséquences relatives à des
points de droit et à la politique. On y apprend quel était
véritablement le juge dans une affaire de schisme sur le Pontificat,
on y voit que la prérogative du souverain était si bien reconnue, que
l'absence de l'approbation impériale suffisait pour annuler une
élection. Si cette coutume s'était toujours conservée, les histoires
ne seraient pas remplies de tant de guerres scandaleuses qui ont
désolé l'Europe, parce qu'il a plu aux Papes d'oublier ou d'affecter
d'oublier un fait aussi décisif que la dispute entre Boniface et
Eulalius, pour s'arroger des prérogatives supérieures aux prérogatives
impériales.
Ce Pape est, je ne sais pourquoi, cité aussi au nombre des saints.
La vérité est que son parti excita autant de troubles, et fit
périr autant de monde que l'autre. S'il n'eut pas été possédé
d'une extrême ambition de commander, on ne l'eut pas élu, puisque déjà
l'archidiacre Eulalius venait de l'être, bien ou mal ; sans la
désobéissance de ce dernier, aux ordres de l'Empereur, son droit l'eut
certainement emporté. Aussi, se vit-on forcé de le relever de son
bannissement et de lui accorder un évêché particulier. Ce sont là
autant de circonstances qui diminuent beaucoup de la bonne opinion
qu'on pourrait avoir des vertus héroïques de Boniface. Si, au lieu
d'avoir été évêque de Rome, Boniface eut été évêque de Constantinople,
il ne serait certes pas sur la liste des saints.
De son temps, en 431, se célébra le concile général d'Éphèse
contre Nestorius, patriarche de Constantinople, et le Pape n'y prit
pas plus de part qu'aucun autre évêque. Ce fut l'empereur Théodose II
qui le convoqua, et fixa le lieu, le temps et l'objet. Il expédia
lui-même les lettres aux patriarches, primats et métropolitains de
l'Orient, et au Pape, pour tous les évêques d'Occident. Saint-Célestin
envoya des députés ; mais le concile était déjà assemblé quand
ils arrivèrent. Déjà, sous la présidence de Saint-Cyrille, patriarche
d'Alexandrie, ils avaient tenu quelques sessions, prononcé et
promulgué la condamnation de l'hérésie, ainsi que de l'hérésiarque et
de ses sectaires.
Dans la lettre lue en plein conseil, Célestin reconnaissait que les
évêques tenaient leurs droits et leur pouvoir, d'institution divine.
Loin de se plaindre qu'on eût commencé le concile sans attendre ses
députés, il les chargeait au contraire, par les missives dont ils
étaient porteurs, et qui furent lues pendant la session du concile, de
se justifier de leur retard occasionné par leur éloignement du lieu du
concile ; il annonçait de plus qu'il approuvait tout ce qui
aurait été décrété par le concile avant leur arrivée, si les décrets
étaient conformes aux règles établies.
On peut faire les mêmes observations, quant à la compétence des Papes,
sur les conciles généraux de Nicée, en 325, et de Constantinople, en
380. De telle sorte que personne ne peut refuser aux Empereurs le
droit de commander à l'évêque de Rome et aux autres évêques chrétiens
de son empire, de se réunir dans le lieu et au temps fixés, afin d'y
discuter sur la foi et sur les autres questions ecclésiastiques.
L'ignorance seule des siècles postérieurs et la subversion de l'empire
romain ont pu donner lieu à l'introduction d'idées contraires.
La division de l'Europe en plusieurs royaumes ne se serait opposée en
rien à la continuation de ce système, si les souverains eussent voulu
continuer de leur côté à fixer le temps et le lieu. L'empereur
d'Allemagne, Charles V, soutint contre le Pape ses droits à cet égard,
et il devait le faire par considération pour les protestants. Il
insista avec fermeté pour que le concile général ne se tint pas à
Trente, mais dans quelqu'autre ville d'Allemagne où les protestants
pussent se rendre sans avoir de prétexte pour alléguer, ainsi qu'ils
l'avaient fait, leurs craintes de l'influence prépondérante de Rome.
Il est certain que cette influence avait été portée à un excès
bien au-delà de ce qu'il était convenable au bien de l'Église. Cette
détermination n'avait nullement satisfait Jules III, qui, par cette
raison, voulait transférer le concile à Bologne. Il est honteux pour
Charles V, et injurieux à la cause du christianisme, qu'on ait
confondu, comme on le fit au concile de Trente, les intérêts de la
religion avec les intérêts du Pape ; une telle conduite, due à la
faiblesse des souverains et à la lutte d'intérêts profanes opposés
entre eux, en fournissant aux hétérodoxes une occasion et un motif
suffisant de s'opposer aux décisions du concile, qu'ils regardèrent
comme non libres et servilement subordonnées à la volonté du Pontife,
fit souffrir au catholicisme un dommage irréparable.
L'historien Platina, dans son ouvrage intitulé : Vies des Papes, dit que Sixte III fut accusé par un nommé Bassus, dans un concile de cent cinquante évêques, qui l'acquitta, et condamna Bassus comme calomniateur. L'empereur Valentinien, ajoute-t-il, bannit ce dernier, et confisqua ses biens au profit de l'Église romaine. Le cardinal Baronius dit que l'accusateur était Anicius Bassus, ex-consul de Rome, et que le crime dont Sixte fût accusé était d'avoir abusé d'une jeune fille qui avait consacré sa virginité au Seigneur. Ce procès fut présenté et examiné dans le concile romain tenu en 433. En supposant que l'accusation fût calomnieuse, cela suffirait-il pour faire canoniser Sixte ? Sur quoi se fonde donc cette canonisation ? Quelles sont les vertus héroïques qui la lui ont méritée ?
Ce saint pontife manifesta un grand zèle contre les hérétiques,
et particulièrement contre les manichéens. Malheureusement ce zèle
n'était pas conforme à l'esprit de douceur de Jésus-Christ ; mais
plutôt à la rigueur réprouvée dans l'Évangile par l'exemple de
l'apostat Saint-Pierre envers les Samaritains, sur lesquels il voulait
faire descendre le feu du ciel.
Il délivra Rome du sac et de l'incendie dont la menaçait Attila, roi
des Huns; mais trois années après il ne put en obtenir autant de
Genséric, roi des Vandales, qui saccagea la ville pendant quatorze
jours. On dit qu'Attila se laissa fléchir parce qu'il avait cru voir
aux côtés de Léon un guerrier céleste qui le menaçait de la colère de
Dieu s'il se refusait à sa demande. Si cela était vrai, pourquoi n'en
aurait-il pas été de même ensuite avec Genséric ?
Saint-Léon fut fidèle à l'esprit héréditaire d'agrandissement qui lui
avait été légué par ses prédécesseurs. Il chercha à s'immiscer dans
toutes les affaires qui se présentaient en Orient et en Occident. Les
patriarches de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche, de Jérusalem,
les primats d'Éphèse, de Césarée, de Carthage, d'Illyrie, de Thrace,
de Macédoine, des Gaules, des Espagnes, et beaucoup d'autres
métropolitains de toutes les autres parties du monde chrétien, eurent
avec lui des querelles sur leur juridiction, et Saint-Léon ne perdit
aucune occasion de faire croire à tous qu'en sa qualité de successeur
de Saint-Pierre, il avait droit à leur obéissance, aussi bien dans les
causes de discipline universelle que dans les questions relatives à
l'administration intérieure et particulière des provinces dans
lesquelles cependant il n'aurait pas dû s'entremêler s'il eut voulu
imiter les douze premiers Papes.
Cette conduite l'exposa à une très-grande mortification de la part du
concile général de Chalcédoine, convoqué en 451, par l'empereur
Marcien. Les évêques assemblés y accordèrent au patriarche de
Constantinople une juridiction, primatiale sur les provinces
d'Illyrie, de Thrace, et sur celle d'Éphèse. Ils s'exprimaient en ces
termes :
« Les anciens pères ont accordé quelques privilèges au siège de
l'ancienne Rome, parce qu'elle était la résidence de la cour
impériale. Excités par le même motif, les cent cinquante évêques
de Constantinople, aimés de Dieu, ont concédé de semblables
privilèges au Saint-siège de la nouvelle Rome, pensant avec raison
qu'une ville honorée de la résidence d'une cour, d'un
sénat impérial et de privilèges égaux à ceux de l'ancienne Rome,
devait être exaltée et agrandie dans l'ordre ecclésiastique de manière
que la seconde Rome ne le cède en rang qu'à l'ancienne Rome. »
Ce canon est précieux à la fois par ce qu'il contient et parce qu'il
laisse inférer. On y trouve, en effet, un témoignage éternel de la
vérité reconnue par tous les critiques judicieux, mais défigurée par
les Romains ; c'est-à-dire que l'extension de la juridiction des
Papes hors de l'Occident ne vient pas d'une concession directe de
Jésus-Christ, ni d'une transmission de Saint-Pierre, mais de la
volonté des évêques réunis à Nicée, Sardes et autres conciles, ou du
consentement des autres, par égard pour Saint-Pierre et Saint-Paul,
martyrisés à Rome. Voilà pourquoi Saint-Polycrate et les autres
évêques d'Asie, Saint-Cyprien et les autres évêques d'Espagne,
résistèrent aux usurpations commencées par le pape Victor, continuées
par Saint-Étienne, et augmentées successivement par tous ceux qui
vinrent après lui.
Hilaire fut élu pape le 10 novembre 461, et mourut le 21 février 468, C'était un homme d'un caractère intolérant ; il le fit assez voir par l'obstination avec laquelle il s'opposa à la tolérance de toutes les sectes que l'empereur Anthémius voulait introduire à Rome ; la faiblesse de ce souverain ne fit qu'encourager Hilaire, On peut réprouver des doctrines, et tolérer cependant ceux qui professent ces doctrines. Il rentre dans l'autorité propre du Pape de juger des unes, il n'appartient qu'au souverain temporel de prononcer sur les hommes.
SAlNT-SIMPLICIUS fut consacré Pape, le 25 février 468 ; il
mourut le 27 du même mois 483 - Son pontificat vit la fin de l'empire
d'Occident et le commencement de la domination des nations
septentrionales en Italie. Le dernier empereur, Romulus Augustule,
étant mort en 475, Odoacre, roi des Erules, se mit en possession de la
souveraineté territoriale. Ce dernier mourut en 493, époque où
commença le règne des Ostrogoths. Théodoric, premier roi d'Italie,
était très ignorant, comparé même à ceux de sa nation, puisqu'il ne
savait pas écrire ; il était cependant doué de beaucoup de
talents naturels, comme le témoigne sa conduite politique, supérieure
à celle de beaucoup de princes modernes.
Ces nouveautés eurent une influence extraordinaire en faveur des
maximes du pontificat romain, dont les possesseurs ne perdaient jamais
de vue le projet de réunir à leur autorité ecclésiastique la
domination de la ville de Rome où ils régnaient déjà indirectement
depuis que les empereurs d'Occident avaient abandonné Rome pour fixer
la résidence de la cour impériale à Ravenne.
L'élévation de la dignité papale, l'étendue des pouvoirs que les Papes
s'étaient successivement appropriés depuis la conversion de l'empereur
Constantin-le-Grand, la faiblesse et l'ignorance des successeurs de
Théodose et la réunion de beaucoup d'autres circonstances, avaient
donné aux souverains pontifes un très-grand ascendant sur les préfets
de Rome et sur les empereurs eux-mêmes. Il ne leur manquait que la
souveraineté temporelle pour régner en leur propre nom. Mais les rois
Odoacre, Théodoric et leurs successeurs étaient hérétiques ariens, et
cette diversité de religion devait inspirer aux Papes une politique
bien différente, et produire dans leurs idées une grande variation.
Ainsi nous verrons les Papes, pour mieux établir leur autorité à Rome,
tantôt montrer de la préférence pour la domination des Goths, et
tantôt pour celle de l'empereur d'Orient qui, avec le temps, s'était
emparé d'une bonne partie de l'Italie. L'équilibre entre les deux
puissances fut le prétexte à l'aide duquel les Papes les éloignèrent
de Rome l'un et l'autre, et restèrent ainsi comme vice-souverains sans
titre, mais avec l'espérance de l'avoir un jour.
Saint-Simplicius ne vit pas l'accomplissement de ce dessein, mais il
le hâta en cherchant à se rendre agréable à Odoacre et à Théodoric à
la fois
Le Pape poursuivait avec animosité ses débats en Orient au sujet des
élections et des limites à poser au pouvoir des patriarches de
Constantinople, d'Alexandrie et d'Antioche, de manière qu'il en
résulta, entre ces différentes églises, un schisme qui dura jusqu'au
pontificat d'Hormisdas. Je ne sais rien des canonisations des papes
Simplicius, de son prédécesseur Hilaire et des autres Pontifes. Si je
les appelle Saints, c'est qu'ils sont connus sous ce nom dans les
ouvrages imprimés ; mais je fais l'humble aveu de mon ignorance.
Dans les historiens ecclésiastiques qui font autorité, je n'ai jamais
rien lu sur les vertus héroïques d'Hilaire et de Simplicius, qui soit
propre à servir de fondement à toutes ces canonisations. Il serait
possible qu'il en fut de leur canonisation comme du martyre faussement
allégué de leurs prédécesseurs, et que les unes ne soient pas plus
vraies que les autres.
Ce Pape fut élu le 2 mars 483, et mourut le 24 février 492- Son
élection fut faite en présence et sous l'autorité de Basilius, préfet
de Rome, commissionné à cet effet par le roi Odoacre, appelé Barbare,
parce qu'il n'était pas Romain, mais qui, bien loin d'avoir rien de
barbare dans ses moeurs, était au contraire tolérant et modéré. Il
professait l'arianisme, et cependant, loin de persécuter ceux qui
suivaient la religion catholique, il les protégea, leur confia les
premières charges de l'état, et veilla à ce que l'élection du
souverain pontife se fit conformément aux règles établies. Les Papes
devraient se proposer un tel modèle, et ne pas croire se disculper, en
alléguant la vérité de la religion catholique, puisque les ariens et
ceux qui professaient un autre culte en croyaient autant du leur.
Félix assembla à Rome un concile contre Acacius, patriarche de
Constantinople, qui y fut déposé et excommunié pour avoir favorisé
ceux qui prétendaient détruire l'autorité du concile de Chalcédoine.
Il est bien remarquable de voir les pontifes romains réduits à la
nécessité de se faire les apologistes de ce même concile, où l'on
avait déclaré que le privilège du siège romain n'était qu'une
concession volontaire des autres évêques.
La déposition d'Acacius consolida le schisme d'Orient commencé pendant
le pontificat de Simplicius. L'empereur Zénon se refusa à la
révocation de l'édit de profession de foi, connu sous le nom de
zénotique, malgré tout ce que lui dit Félix, des obligations du
souverain temporel qui devait obéir à l'église catholique et au siège
de Saint-Pierre, et ne pas prétendre leur imposer des lois. C'était
pour la première fois qu'un pontife romain osait faire une telle
proposition à un empereur. Il est bon cependant d'en rappeler la date.
L'empire d'Occident avait cessé d'exister, et la domination d'Odoacre
faisait qu'on n'avait plus à Rome aucun égard pour l'empereur
d'Orient. Combien de choses plus graves n'eut-on pas pu se permettre.
Cependant on ne voit pas que Félix ait en rien cherché à irriter
l'empereur. Il est constant, au contraire, que tous les Romains, sans
exception même du Pape, faisaient de leur mieux pour se conserver sa
bienveillance. En examinant de près cette manière de se conduire si
différente envers l'arien Odoacre et le catholique Zénon, on pénètre
bien avant dans la politique des Papes.
Je ne connais rien non plus des vertus héroïques, qui ont pu mériter à
Félix une canonisation.
SAINT-GÉLASE fut élu le premier mars 492, et mourut le 19
novembre 496.
Il eut de grandes contestations avec les Orientaux et particulièrement
avec l'empereur Anastase Ier et avec le patriarche Euphénius,
successeur d'Acacius. Il soutint avec une obstination extraordinaire
et tout l'entêtement du préjugé, les prérogatives de son siège, eu
refusant de reconnaître celles de Constantinople. Il savait bien tous
les obstacles que lui opposaient les décisions du concile de
Chalcédoine. Aussi prétendait-il que ces décisions n'étaient de nulle
valeur, attendu que le pape Léon et ses successeurs ne les avaient pas
sanctionnées de leur consentement, parce qu'elles étaient contraires à
la coutume ancienne. Ses lettres contiennent des expressions très
fortes en faveur du pouvoir des papes sur toutes les églises du monde,
et de l'indépendance de l'Église de Rome, dont les prélats ne
pouvaient, suivant lui, être jugés par personne. Saint-Gélase
paraissait ne plus se souvenir de ce qui était arrivé pendant les deux
premiers siècles ; car il est impossible d'aller plus loin que
lui dans les motifs qu'il allègue en faveur des vues ambitieuses de la
curie romaine sur les affaires ecclésiastiques.
Cependant, il est de fait que les pontifes ses successeurs ont encore
été beaucoup plus loin : car, suivant les prétentions de Gélase
et les préceptes sur lesquels il les appuyait, tout le pouvoir des
papes dans les affaires des autres églises, se réduisait aux questions
de religion et de morale, à celles de discipline universelle, aux
intérêts des évêques en particulier, et au droit d'appel, laissé à
ceux qu'avaient condamnés les patriarches, les primats, les
métropolitains indépendants et les conciles provinciaux. Mais, quant à
tout ce qui concerne les dispenses de mariage, les irrégularités, les
excommunications, les censures, l'administration du sacrement de
l'ordre, la nomination de personnes aux offices à bénéfices
ecclésiastiques, le gouvernement des paroisses et tous les détails du
régime intérieur des diocèses, Saint-Gélase reconnaissait que tout
cela était de la compétence des seuls évêques.
Après de tels empiétements, il est peut-être convenable de rappeler
ici quelques vérités, afin de mieux faire voir combien les successeurs
de Gélase ont encore été au-delà.
Dans son livre sur l'anathème, Saint-Gélase a traité de la distinction
qui existait entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir séculier,
et a établi des principes arbitraires et dénués de toute espèce de
fondement ; il disait cependant :
« que Dieu connaissant la faiblesse humaine, et voulant sauver
les siens par l'humilité, avait séparé de telle manière le pouvoir
ecclésiastique du pouvoir séculier, que les empereurs chrétiens
avaient besoin des pontifes pour la vie éternelle, et que les pontifes
obéissaient dans les choses temporelles aux ordonnances des
empereurs : les serviteurs de Dieu ne se mêleront point des
choses séculières, et les souverains, des choses divines. Ainsi,
chacun des deux ordres conserve ses limites, et chacune des deux
professions dirige les actions qui rentrent dans son
attribution. »
Si les papes Zacharie, Grégoire VII, et leurs successeurs eussent
approuvé cette doctrine de Saint-Gélase, ils n'eussent pas accepté la
souveraineté temporelle de Rome, ou stipulé pour obtenir celle
d'autres districts, sachant bien qu'ils ne devaient pas se mêler des
affaires temporelles. Quatre siècles et demi auparavant, l'apôtre
Saint-Paul le leur avait déjà défendu. « Aucun de ceux,
disait-il, qui se sont consacrés au service divin ne doit
s'embarrasser du soin des affaires temporelles. »
SAINT-ANASTASE II fut élu pape le 24 novembre 496, et mourut le
17 du même mois, 498.
Il écrivit à l'empereur Anastase Ier, pour lui persuader de renoncer à
l'édit hénotique de son prédécesseur Zénon, de professer publiquement
la doctrine du concile de Chalcédoine contre Eutychès, de se séparer
de la communion du patriarche Macédonius, successeur d'Acacius et
d'Euphénius, de donner son adhésion entière aux décisions de l'Église
romaine, afin de cimenter ainsi la réconciliation des Églises d'Orient
et de Rome ; mais le pape mourut avant de recevoir une réponse,
et, malgré le témoignage de Platine et d'autres écrivains, ne se vit
pas dans la position d'excommunier l'empereur.
Le même jour furent élus à la fois deux pontifes romains,
Symmaque, archidiacre, et Laurence archiprêtre. Cette double élection
amena le tumulte, la guerre civile, les homicides et toutes les
horreurs qui en résultent communément.
On ne put arrêter le mal, ni le diminuer qu'en s'adressant à
Théodoric, roi des Ostrogoths, dont la cour se tenait à Ravenne. Ce
roi était arien ; cependant on se soumit à recevoir pour pontife
celui des deux concurrents qu'il désignerait. Théodoric, informé que
Symmaque avait été le premier élu, et qu'il l'avait été par un plus
grand nombre de prêtres romains, le désigna pour pontife. Les
partisans de Laurence accusèrent Symmaque d'un grand nombre de crimes,
prièrent le roi de prononcer sur la validité de leur accusation, et de
nommer, en attendant, un évêque de Rome par intérim sous le
titre de visiteur.
Théodoric nomma l'évêque d'Altine, et convoqua un concile des évêques
d'Italie pour prononcer dans cette cause. Les prélats acquittèrent
Symmaque, disant qu'ils ne l'acquittaient qu'à l'égard des jugements
humains, attendu qu'étant inférieurs au pape, ils pensaient qu'un tel
jugement devait être réservé à Dieu seul. Le même Symmaque avoue que,
dans le cas où le pasteur se tromperait en matière de foi, et ferait
tort à ses ouailles, mais dans ce cas seul, il pouvait être mis en
jugement par elles. L'empereur Anastase l'accusa d'être manichéen, et
un autre d'être adultère. Les deux imputations se trouvèrent
calomnieuses.
Les écrits de Symmaque et sa conduite dans la querelle du schisme lui
font beaucoup d'honneur. On ne peut lui reprocher que la dureté avec
laquelle il traita l'empereur Anastase, qu'il refusa d'admettre à sa
communion, parce que cet empereur avait refusé son consentement à la
condamnation de la mémoire d'Acacius, et parce qu'il communiquait avec
les hérétiques eutychéens. Cette conduite de Symmaque était d'autant
plus blâmable, que le pape et son clergé étaient en même temps en
communication très intime avec le roi Théodoric, hérétique arien. Mais
ce qui est digne surtout d'attention dans cette histoire, c'est que
les Romains reconnaissaient dans le roi le pouvoir légitime de décider
quel devait être le véritable pape, d'après les mêmes principes sur
lesquels avait été établi le jugement rendu par l'empereur Honorius,
en 418, dans le troisième schisme suscité par Eulalius contre
Boniface. On ne s'était pas arrêté à ce que Théodoric était
hérétique ; on n'avait vu en lui que le souverain de Rome.
L'expérience fit voir l'utilité de cet appel. Les schismes avaient été
terminés en moins de temps et avec moins des calamités ordinaires dans
les guerres civiles, que quand la décision des schismes fut confiée à
la décision des seuls évêques.
Ceux qui affirment que le Saint-Esprit assiste aux élections des
papes, et dirige la volonté des électeurs, devaient, avant de
s'avancer aussi loin dans leurs idées fanatiques, réfléchir plus
mûrement sur tout ce qui s'oppose à l'intervention de l'esprit saint,
les homicides, les guerres civiles et les inimitiés qui furent la
conséquence des schismes ; car on ne peut attribuer de si
funestes résultats a l'influence de l'action de Dieu.
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