Déterminés à recueillir sous un seul point de vue
les actions des Papes les plus remarquables par leur grandeur ou par
leur perversité, nous ne pouvons nous empêcher de nous élever contre
les opinions les plus généralement accréditées relativement à
Saint-Pierre.
La vérité est une chose si respectable et si divine, que
Jésus-Christ lui-même a dit : je
suis la vérité, le chemin et la vie.
Quiconque ne suit pas la vérité, ne peut suivre Jésus-Christ.
Quiconque publie une histoire opposée à la vérité, s'oppose à
Jésus-Christ. Le Seigneur refuse qu'on le serve à l'aide du
mensonge, et la religion chrétienne ne serait ni bonne ni vraie, si
elle avait besoin, pour se maintenir, du secours de l'imposture.
Depuis la naissance des disputes, au sujet de la suprématie de
l'Évêque de Rome sur les autres évêques du monde chrétien, et au
sujet des limites de cette suprématie, les écrivains du parti
romain, intéressés à la grandeur de ce parti, se sont efforcés de
donner toute l'autorité de vérités dogmatiques et hors du domaine de
la controverse, à certaines propositions purement historiques, qui
offraient une base à leurs prétentions.
La première de ces propositions, c'est que la présidence du collège
apostolique donnée par Jésus-Christ à Saint-Pierre, était une
prérogative non pas personnelle, mais transmissible à l'évêque qui
lui succéderait dans l'administration de l'église particulière
confiée à ce saint, après l'ascension de Jésus-Christ.
La seconde, est que l'église particulièrement gouvernée par
Saint-Pierre, comme sienne, fut l'église de Rome où il souffrit le
martyre.
La troisième, que Saint-Linus, Saint-Clet et Saint-Clément,
successivement Évêques de Rome, après la mort de Saint-Pierre,
obtinrent par suite d'une disposition divine et d'une concession de
Jésus-Christ, les mêmes prérogatives et la même prééminence dont
Saint-Pierre avait joui, pendant sa vie, sur les onze autres
apôtres.
La quatrième, que cette prérogative et cette préférence est aussi
grande, aussi illimitée, aussi universelle qu'il convenait qu'elle
le fût pour que le véritable vicaire et lieutenant-général de
Jésus-Christ sur la terre, put gouverner l'église universelle avec
un pouvoir égal à celui qu'aurait Jésus-Christ lui-même, s'il ne fût
pas monté aux cieux, et s'il eût gouverné par lui-même en personne.
Il y a beaucoup à dire sur ces quatre propositions. Des ouvrages
très savants ont été écrits pour éclaircir ce qu'il y a de vrai dans
chacune, et pour démontrer l'abus fait par la cour des Papes, de la
crédulité publique, afin d'exercer un pouvoir toujours arbitraire et
souvent injuste, à l'aide d'un voile de religion dont elle couvrait
ses démarches. Ce mot seul impose à la plupart des hommes qui
préfèrent souffrir dans leurs intérêts plutôt que de manquer en rien
à ce qu'on leur dit faire partie de la religion.
Je ne me propose pas d'examiner à fond, en ce moment, ces quatre
propositions ; mais ce que je puis du moins affirmer à mes
lecteurs, c'est qu'elles ne sont fortifiées par aucun témoignage
tiré de l'écriture sainte, ou de tout autre écrivain particulier,
digne de la confiance d'une critique éclairée ; et que diverses
circonstances concourent au contraire à faire douter, avec assez de
fondement, que jamais Saint-Pierre ait été à Rome, et y ait souffert
le martyre ; et, à plus forte raison, que ce Saint ait fondé ou
pu fonder l'église de Rome, comme un siège qui lui fût propre, de.
manière que les évêques qui lui succéderaient dans ce siège de Rome,
succédassent aussi universellement à tous les pouvoirs et à toutes
les prérogatives dont il jouissait lui-même.
Saint-Luc a écrit les actes des apôtres, pendant un séjour qu'il fit
avec Saint-Paul à Rome, en 61. Si, comme on le dit, Saint-Pierre
avait fondé cette église en 43 ; s'il eût quitté Rome en 49,
dans le bannissement qu'il partageait avec tous les Juifs ;
s'il eût enfin assisté en 50 au concile de Jérusalem, sur la coutume
de la circoncision, ne serait-il pas étrange que Saint-Luc eût gardé
le silence sur ce point, lui qui rapporte beaucoup de choses bien
moins intéressantes que la fondation de l'église de la capitale de
l'Empire.
Si Saint-Luc eût eu l'opinion des Romains des siècles modernes, il
devait regarder l'Église romaine, non-seulement comme apostolique,
mais de plus, comme la principale et la souveraine de toutes les
églises apostoliques. Cependant, on ne peut trouver dans son
histoire la moindre parole d'où l'on puisse inférer que Saint-Pierre
ait été à Rome et y ait fondé son église.
Il est certain qu'au nombre des chrétiens qui furent bannis de Rome
avec les Juifs, d'après le décret de l'empereur Claude, se
trouvèrent Aquila et son épouse, Prisce ou Priscille. Aussitôt après
la mort de cet empereur, en 54, et sous le règne de Néron, le décret
cessa d'avoir son effet, et on vit revenir à Rome les Juifs bannis,
ainsi que cet Aquila et son épouse. N'était-on pas autorisé à
supposer que si Saint-Pierre eût réellement fondé l'église de Rome,
il serait revenu à Rome, ainsi que le firent les autres ?
n'aurait-il pas mieux aimé se fixer dans son propre siège, que
d'aller prêcher ailleurs ?
Dans les différentes lettres que Saint-Paul écrivît de Rome à
Philémon, aux Colossiens, aux Philippiens et aux Hébreux, il ne fit
pas même mention de Saint-Pierre et de sa possession en propre de
l'église de Rome. Il se contente de dire en termes généraux que le
principal évêque qui l'administrait en ces temps, était
Saint-Clément. Un silence si constant sur le compte de Saint-Pierre,
et l'absence continuelle de ce dernier de Rome, durant les onze ans
qui s'écoulèrent de 49 à 61, sont sans doute des motifs assez
péremptoires pour révoquer en doute la vérité du voyage qu'on lui
fait faire à Rome en 43, pour y fonder son église.
Le même Saint-Paul, après de longs voyages, revint à Rome en 66. Il
fut accusé devant Néron, et se défendit lui-même et sans le secours
de qui que ce soit, selon qu'il l'écrivit ensuite dans sa seconde
lettre à son disciple Timothée. Si Saint-Pierre eût été à Rome, il
paraît impossible de croire qu'il eût manqué d'assister Saint-Paul.
Et cependant tous les historiens, depuis le troisième siècle,
affirment que Saint-Pierre et Saint-Paul souffrirent le martyre à
Rome en 67 sous le règne de Néron. Ils s'autorisent en cela du
témoignage de Papias et de Saint-Justin, son disciple, écrivains du
deuxième siècle, bien que Papias soit regardé comme un écrivain
crédule, toujours prêt à adopter des traditions erronées, même en ce
qui concerne les apôtres ; et bien que Saint-Clément, auteur du
premier siècle, écrivant de Rome aux Corinthiens, leur parle de
Saint-Pierre comme étant mort dans l'Occident, sans désigner la
ville de Rome, ainsi qu'il eût paru naturel qu'il le fît, puisque
c'était de là qu'il écrivait sa lettre.
En supposant que le témoignage de Papias méritât toute créance, ce
qu'on en pourrait conclure, c'est que Saint-Pierre alla à Rome, en
66, et y souffrit le martyre en 67, et non pas qu'il y alla en 43.
Si, en effet, Saint-Pierre est allé à Rome, et qu'il y ait fondé une
église, il paraîtrait que du moins il ne la regarda pas, durant
vingt-trois ans, comme particulièrement sienne, puisqu'il n'y fixa
pas sa résidence, et ne la dirigea pas même par lettres, comme
Saint-Paul fit des églises de Crête, d'Éphèse, de Thessalonique, de
Philippe, de Colosses et de Rome même qui, à en juger par ses soins
et son zèle, lui doit, à cet égard, plus qu'à Saint-Pierre.
Les critiques philosophes qui censurent librement les actions
humaines, en ne les jugeant que d'après les principes de la raison
naturelle, ne reconnaissent pas dans Saint-Pierre autant de vertus
que les zélés catholiques.
La mort d'Ananias et de Saphira est regardée par eux comme un
injuste assassinat. Les philosophes ne peuvent croire que l'action
de cacher une partie de ses propres biens quand déjà on en a donné
volontairement une partie, soit un crime qui mérite la peine
capitale. Ce châtiment, si disproportionné avec la faute, les choque
d'autant plus, qu'ils voient ce saint laisser impunis les assassins
de Jésus-Christ et ressusciter Dorcas à Josse, pour lui avoir rendu
quelque petit service. Il nous serait difficile, en effet, de
repousser de tels arguments si nous n'avions recours à
l'interprétation facile offerte par la religion catholique, qui nous
fait voir dans tous les actes des apôtres des mystères supérieurs à
notre faible entendement.
Les mêmes philosophes prétendent que si Néron fit mourir
Saint-Pierre, ce ne fut pas uniquement parce qu'il était chrétien,
mais plutôt parce qu'il troublait l'ordre civil, en excitant les
citoyens à mépriser les dieux de l'empire dont le culte faisait
partie des lois romaines. Ils ajoutent qu'il pouvait fort bien
croire ce qu'il regardait comme vrai, et mépriser en son coeur ce
qu'il regardait comme faux, ou communiquer même ses idées à ceux qui
l'interrogeaient, sans aller ébranler les lois les plus sacrées de
l'empire, en proclamant son dissentiment et son mépris.
SAINT-LIN, originaire d'un village de Toscane, est
regardé comme le premier successeur immédiat de Saint-Pierre.
Saint-Irénée, voulant prouver l'existence de la véritable Église au
milieu du deuxième siècle, disait que le douzième Pape était
alors « Eleuthère, qui avait succédé à Sotère,
qui avait succédé à Anicet, qui avait succédé à Pie, qui avait
succédé à Hygin, qui avait succédé à Télesphore, qui avait
succédé à Sixte, qui avait succédé à Alexandre, qui avait succédé
à Évariste, qui avait succédé à Clément, qui avait succédé
à Anaclet, successeur de Lin, premier évêque de Rome, après les
apôtres Pierre et Paul. »
Tertullien, au troisième siècle, a dit que Saint-Clément avait
succédé à Saint-Pierre, au souverain pontificat. Il serait de fort
peu d'importance de décider du droit de primauté entre les deux
derniers, si le doute où se trouvent à ce sujet les savants, n'était
pas un argument de plus pour prouver l'incertitude et l'obscurité du
commencement de l'Église romaine.
Si c'eût été par une disposition
divine que toute l'Église chrétienne
devait être aveuglément soumise à l'obéissance de l'Évêque de Rome,
serait-il vraisemblable qu'on eût été tenu dans une aussi complète
ignorance sur ce point.
Comment expliquer un aussi profond silence au milieu des nombreux
ouvrages publiés sur le christianisme, au premier et au deuxième
siècle ! Saint-Jean l'évangéliste, qui vécut durant tout le
premier siècle, a laissé son Évangile, l'Apocalypse et une
épître ; Hermas écrivit en 92 son livre du Pasteur,
et Saint-Clément son épître aux Corinthiens, en 97. À peu de temps
de là, Saint-Ignace, évêque d'Antioche, Saint-Polycarpe, évêque de
Smyrne, et Saint-Papias, évêque d'Hiéropolis, en Phrygie,
composèrent leurs divers ouvrages.
Avant eux, déjà Saint-Justin, Quadratus et Aristide avaient fait
paraître leurs apologies des chrétiens et de la religion qu'ils
professaient. Car dès les premiers temps on avait eu à combattre des
hérésies. Cérinthe, Cerdon, Simon Magus, Apollonius de Thyanes,
Hébion, Carpocrates, Basilides et plusieurs autres donnèrent
naissance à des controverses dans lesquelles Saint-Lin et ses
successeurs au siège épiscopal de Rome, auraient dû faire éclater
leur droit de primauté sur le reste des évêques de la
chrétienté ; mais il n'est pas plus fait mention d'une telle
prérogative à cette époque, que si elle n'eût jamais existé. Chaque
évêque dans son diocèse, surveillait la pureté de la foi, condamnait
les erreurs qui s'y propageaient, et en donnait ponctuellement avis
aux évêques voisins, pour qu'ils vissent à prendre les mêmes soins.
Si ceux-ci se rangeaient à son opinion, ils lui écrivaient pour lui
communiquer leur approbation, et la doctrine commune était alors
regardée comme canonique. Si au contraire leur opinion, différait de
la sienne, ils lui faisaient part de leurs raisons, et la discussion
s'établissait entre eux. C'est ainsi que les choses se passaient à
l'égard des opinions des hérétiques que j'ai nommés, et des autres
hérésiarques du premier et du deuxième siècle, à moins qu'on ne
trouve dans l'histoire ecclésiastique des actes qui nous prouvent le
contraire.
L'existence de Saint-Lin même n'est garantie par aucun témoignage
plus ancien que celui de Saint-Irénée, évêque de Lyon, qui vivait
cent ans après la mort de cet Évêque de Rome. Il faut, par
conséquent, ajouter peu de foi à ce qu'on nous rapporte du prétendu
martyre que lui fit souffrir Saturnin, avec une ingratitude d'autant
plus honteuse, qu'il devait à Saint-Lin d'avoir chassé les démons du
corps d'une de ses filles. On ne sait pas non plus ce que c'était
que ce magistrat supposé.
Vespasien était alors empereur ; les consuls étaient
Lucius-Césène-Commode, Vérus et Caïus, Cornélius-Priscus. Il
n'existait à cette époque aucune persécution dirigée contre les
chrétiens, puisque celle qui fut ordonnée, en 71, par le même
Vespasien, contre ceux en particulier qu'on prétendait issus de
David, était terminée, et que d'ailleurs Linus, dont le nom et la
patrie indiquent assez une origine italienne, ne pouvait être
compris dans une telle catégorie. Ce n'est donc que sur de bien
faibles preuves historiques qu'on le révère comme martyre.
Selon l'ordre chronologique généralement suivi,
Clet fut le second évêque de Rome. Son nom même n'est pas déterminé
d'une manière certaine. Saint-Irénée
l'appelle Anaclet,
et c'est ce dernier nom qui a été généralement adopté dans les temps
modernes. D'autres en font deux personnages distincts, l'un Clet,
successeur de Linus, et Anaclet, successeur de Clément. Cette
incertitude suffirait seule pour montrer le peu de données que nous
avons pour nous arrêter à aucune des deux opinions, il serait bien
étrange que Jésus-Christ eût permis une telle ignorance,
relativement à la succession de celui qu'il aurait créé son vicaire
sur la terre, et à qui il aurait donné des pouvoirs aussi illimités
que prétendent en avoir les Papes modernes. Quelque petit qu'ait été
un royaume, nous savons aujourd'hui de science certaine quels en ont
été les rois, et nous en serions réduits à recourir à des faits
épars pour déterminer le nom d'un monarque aussi puissant qu'on nous
représente celui de l'Église.
Tout ce que nous avons dit du pouvoir, de la sainteté et du martyr
de Saint-Lin peut aussi s'appliquer à Saint-Clet, Ce fut l'empereur
Domitien, qui, en 93, commença la deuxième persécution, deux ans
après la mort de Saint-Clet. Il faudrait des preuves bien fortes
pour croire à son martyre avant le décret de la persécution
générale.
Il peut se faire que le pape Saint-Clément ait été
celui qui administrait l'Église romaine en 61, selon ce qu'on peut
eu conclure de l'épître de St.-Paul ; il pourrait se faire
aussi que ce fut un autre différent de celui-là.
Beaucoup d'historiens ont répété, d'après Eusèbe, évêque de Césarée,
que Saint-Pierre l'avait désigné pour son successeur, parce qu'il en
avait été accompagné depuis son voyage à Rome, mais que Clément, par
humilité, s'était laissé précéder par Linus et par Clet. Cela est
invraisemblable en soi et plus invraisemblable encore quand on
compare les époques.
Si Clément avait accompagné Pierre à Rome en 43, pour l'aider dans
la conversion des païens, nous devons le supposer âgé au moins de
vingt-cinq ans ; il aurait eu à ce compte cinquante-neuf ans en
67, et quatre-vingt-trois ans en 91. Il serait peu croyable qu'après
avoir renoncé au pontificat, lorsque ses services pouvaient être
utiles, il l'eut précisément accepté quand il ne pouvait plus être
bon à rien. Cette objection reçoit une nouvelle force de l'histoire
qu'on fait de sa vie ; on dit qu'il vécut jusqu'à la fin du
siècle premier, et qu'il fut alors condamné aux travaux publics.
Suivant ce calcul, Clément aurait été âgé de quatre-vingt-douze ans.
De semblables invraisemblances demandent de fortes preuves.
On ajoute que Clément trouva dans l'île où il fut déporté deux mille
chrétiens mourant de soif ; que Clément découvrit par miracle
une fontaine ; et que l'empereur Trajan en étant informé, fit
attacher avec des cordes une énorme pierre au cou de Saint-Clément,
pour qu'on le jetât à la mer, ce qui fut en effet exécuté.
On peut ajouter une telle tradition au nombre infini des fables qui
se rencontrent dans les actes des martyrs. Trajan était un empereur
juste, et quoique sur de fausses informations il ait certainement
persécuté les chrétiens, il n'avait pas publié son édit en l'année
100, et il le révoqua en 104, aussitôt que Pline le jeune, préfet du
Pont et de Bythinie, lui eut fait voir que les chrétiens étaient des
sujets tranquilles, fidèles, et purs des crimes qu'on leur imputait.
On suppose que Saint-Clément divisa le territoire de la ville de
Rome en sept paroisses, nommant dans chacune un notaire pour
recueillir des informations sur la vie et les aventures des martyrs,
et écrire leurs histoires particulières. Telle est l'origine des
nombreux actes des martyrs qui nous sont parvenus, parce que les
évêques des autres villes imitèrent cet exemple. Il n'existe aucune
preuve qui ramène la fondation d'un tel établissement à des temps
beaucoup plus modernes. Il est de fait qu'il y a dans plusieurs des
actes des saints de telles impostures, que les Romains eux-mêmes,
intéressés à les accréditer, reconnaissent qu'ils renferment
beaucoup de choses incroyables ; aussi ont-ils eu le soin de
dire que c'était quelques hérétiques, ennemis de l'Église romaine,
qui les avaient corrompus en les copiant infidèlement, en y ajoutant
ce qu'ils regardaient comme favorable à leurs erreurs, et supprimant
tout ce qui était contraire à leur but.
En supposant vraie cette solution, il en résulterait encore que nous
ne sommes obligés d'adopter aucun des actes, puisque nous ne pouvons
reconnaître les falsifications qui y ont été introduites. D'un autre
côté, les Romains ont avoué, en différentes occasions, que plusieurs
écrivains catholiques des siècles barbares avaient imaginé des
histoires des miracles, alléguant, comme excuse de leur ignorance,
que cela était utile pour exciter à honorer les saints d'un culte
plus particulier. Cet exemple a été malheureusement suivi au
douzième siècle et dans les siècles suivants, par les moines et les
religieux, dans les histoires qu'ils nous ont données de leur ordre.
En résumé, nous ne savons rien de certain sur Saint-Clément, si ce
n'est qu'il fut Évêque de Rome, et qu'il écrivit une épître à
l'évêque et à l'église de Corinthe, sans avoir, pour l'époque où
cela arriva, une certitude chronologique. Le reste a toutes les
apparences de la fable.
Les Papes n'auraient pas eu autant de censeurs, s'ils s'étaient
appliqués à imiter l'exemple de Lin, Clet, de Clément et de quelques
autres que nous citerons bientôt. On ne saurait trouver dans aucun
monument historique digne de crédit, le moindre indice qui fasse
croire que ces Évêques de Rome aient été regardés comme revêtus
d'une autorité universelle pour rien ordonner en leur qualité de
chef.
L'épître de Saint-Clément aux Corinthiens est purement exhortative
et écrite, par des motifs privés, en réponse à une autre qu'il avait
reçue de cette église. Il pourrait même se faire, sans rappeler ce
que nous avons déjà dit, que Clément ne fut pas même pape, au moment
où elle fut écrite ; l'abbé Fleury fait remonter la date de
cette épître jusqu'à l'année 80, peu après l'élévation de Vespasien
à l'empire. Si cela était avéré, il s'en suivrait que l'évêque et
l'église de Corinthe ne se soumettaient pas au Pape, même en matière
de consultation, puisqu'ils n'avaient jamais correspondu avec
St.-Clet.
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