Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

PRÉFACE.

-------

 La cour de Rome a toujours voulu avoir une splendeur, un luxe, une autorité et des richesses égales à celles des autres cours d'Europe, sans trouver en elle-même les moyens que celles-ci possédaient. Réunissant dans la personne du souverain pontife, la souveraineté temporelle de la Romagne et des provinces contiguës, à la présidence spirituelle de la corporation mystique de l'Église, ces présidents profitèrent de leur dignité pour enrichir leur puissance temporelle : afin d'arriver à leur but, ils imposèrent des tributs à toutes les nations catholiques, en s'arrogeant et la dispensation des faveurs ecclésiastiques, qui ne dépendaient auparavant que des évêques, et la décision des affaires importantes relatives à l'administration générale ou individuelle de toutes les églises, et ils exigèrent des récompenses pécuniaires pour l'exercice de ce même pouvoir qu'ils s'étaient approprié. Il est bien vrai qu'ils ne donnaient point à cette exaction le nom de tribut, mais c'en était très réellement un, et d'autant plus pesant, que le tarif, publié pour les droits des expéditionnaires et de la trésorerie pontificale, était tout-à-fait arbitraire

Cet abus était si universellement senti au douzième siècle, que le vénérable Pierre de Blois, archidiacre de Londres, disait, en parlant de l'arrivée de certains ambassadeurs anglais, qu'ils étaient revenus à Londres chargés du plomb des bulles et des brefs pontificaux, et allégés de tout l'argent qu'ils avaient laissé à Rome, ainsi qu'il était d'usage, pour les frais d'expédition. Onasti plumbo, exonerali argento, ut solet Rornoe accidere. Par la même raison, lorsque, dans des temps plus modernes, on introduisit à Rome une monnaie nommée quatrino, cela donna lieu à jouer sur ce mot, et à dire que partout Dieu était trino, excepté toutefois à Rome, où il était quatrino.

C'est à cette constance invariable de la cour de Rome à suivre de telles maximes, qu'on doit attribuer la séparation de plusieurs congrégations chrétiennes, qui s'empressèrent de se soustraire à sa dépendance, et de former une Église distincte, quoiqu'avec le même Évangile.
Au douzième siècle, les Vaudois et ceux qui se donnaient le titre de Pauvres de Lyon ; au treizième, les Albigeois ; au quatorzième, les Wicklefistes ; au quinzième, les Hussites ; au seizième, les Luthériens et les Calvinistes ; enfin, au dix-septième, tous les Chrétiens compris sous la dénomination générique de Protestants, qui se sont successivement éloignés du sein de l'Église romaine, ne s'en seraient point séparés sans les abus criants de ses réserves et de ses exactions : ils seraient fidèlement restés unis au successeur de Saint-Pierre, si on ne les eut exaspérés par un système toujours croissant d'envahissement de pouvoirs et par des exactions pécuniaires destinées à fortifier cette usurpation d'autorité.

L'esclavage dans lequel les papes voulaient retenir tous les chrétiens, et le fardeau pesant de ces tributs réclamés sans titre et sans raison, fomentèrent le désir de l'indépendance et produisirent la dissolution de cette corporation mystique. Quel intérêt eussent eu les corporations chrétiennes à se dissoudre, si le pape eut laissé à chacune d'elles la faculté de s'arranger avec l'évêque chef de chaque diocèse ?

Les Romains devaient connaître cette vérité, et pour le bien de l'Église, renoncer à leur système. Bien loin d'en agir ainsi, ils se sont jetés de préférence dans l'extrémité opposée, en soutenant que les chrétiens, sous peine d'être regardés comme hérétiques, étaient tenus de croire, comme article de foi, que le système romain est juste et ne saurait manquer de l'être, ayant été établi et consolidé par les souverains pontifes. Pour maintenir un tel paradoxe, ils se sont efforcés de persuader que le pape est infaillible dans ses décisions, qu'ils s'est invariablement assuré l'influence de l'Esprit-Saint, et qu'on ne peut se départir d'une telle croyance sans être complètement hérétique.

Ils s'autorisent, à cet effet, du grand nombre de papes canonisés, du titre de Saint-Père donné même pendant sa vie mortelle au souverain pontife, de la sainteté des lois ecclésiastiques qu'il promulgue, et de beaucoup d'autres raisons particulières qu'ils accumulent pour imposer au vulgaire ignorant, vulgaire dans lequel il faut comprendre les ecclésiastiques et les moines, qui ne lisent rien, ou ne lisent que des livres de fausses doctrines, recommandés comme véritablement catholiques par les écrivains de la cour de Rome, pour les intérêts seuls de cette cour.

Nous avons déjà beaucoup d'ouvrages très savants dans lesquels on a clairement démontré que tout le pouvoir des papes, qui n'est point immédiatement dérivé d'une concession expresse de Notre Seigneur Jésus-Christ, résultant du texte du Nouveau-Testament ou de la Pratique de Saint-Pierre, et d'une tradition constante et uniforme des premiers siècles, est une véritable usurpation. Il n'existe en effet ni ne peut exister aucune autre source de vérités chrétiennes. Tout ce qui a été pratiqué par les successeurs de Saint-Pierre, et ne peut se rattacher à ce premier principe, n'est autre chose qu'une prétention arbitraire encouragée par la déférence des évêques et des souverains, mais qui ne peut former aucun titre durable contre l'intérêt et la volonté des nations ; le droit naturel et le droit des gens donnant toujours à celles-ci le pouvoir de revendiquer leurs prérogatives sans préjudice de leur croyance religieuse.

Cette croyance ne dépend nullement de la soumission aux décrets arbitraires du président de la congrégation des chrétiens, mais bien de la foi dans les mystères de la religion et dans l'observation des préceptes du décalogue.

Quel délire, de penser, qu'avec la foi de l'apôtre Saint-Pierre, et reconnaissant en ses successeurs le pouvoir spirituel dont ce saint a joui, mais non le pouvoir qu'ils se sont peu à peu arrogé, je pourrais être réputé hérétique ! Non : ma religion ne dépend pas de la volonté d'un pape; je resterais catholique lors même qu'il ne voudrait pas me regarder comme tel. Ne serait-il pas étrange que mon salut éternel dépendit de la décision d'un homme dans sa propre cause. Qu'il soit pape comme Saint-Pierre l'a été, et je serai chrétien comme on l'était à cette époque.

Une des armes les plus puissantes sur le vulgaire et la plus communément employée par les Romains pour asservir les autres nations, est la prétendue sainteté des papes, et l'influence attribuée au Saint-Esprit dans leur élection et leur administration. Les conséquences dangereuses d'un tel principe, m'ont fait concevoir le projet d'éclairer les ignorants de bonne foi, en leur faisant voir l'erreur dans laquelle on a voulu les entraîner. J'ai donc cru utile de tracer une esquisse rapide de la vie des papes, et de présenter le tableau des moyens employés par chacun pour arriver au pontificat, de sa conduite politique, de ses moeurs particulières et du système politique qui a servi de base et de soutien à ses transactions.

Je n'inventerai rien, parce que l'histoire ne doit pas être une création, mais bien une collection de faits. Je tirerai tout des sources les plus respectables. Les actes des conciles, les écrits des Saints-Pères, les narrations des écrivains impartiaux contemporains, ou les plus rapprochés des diverses époques ; les reproches des adversaires et leurs réfutations officielles ; enfin, tous les mémoires recueillis par les historiens les plus scrupuleux, me seront garants que je ne suppose rien, et que je n'adopte pas aveuglément des faits destitués de preuves. M. Raimond et quelques autres écrivains ont admis quelquefois trop légèrement de semblables informations. Le faux ne peut jamais servir une bonne cause, surtout quand la vérité seule suffit pour assurer la victoire.

J'ai la conscience que les portraits politiques que j'ai eu dessein de tracer feront connaître les papes, de manière que personne à l'avenir ne puisse se laisser tromper que volontairement ; chacun y verra que tout ce qu'on a voulu nous faire croire jusqu'ici relativement à l'intervention du Saint-Esprit dans la nomination des papes, n'est qu'une fable, un mensonge ridicule, et que les moyens pratiques pour obtenir la tiare, ont eu leur source dans les passions humaines souvent les plus honteuses.
On y verra que la vie d'un grand nombre de papes a été telle que ce serait faire insulte au Saint-Esprit, que de lui attribuer de l'influence dans le choix de ces monstres de vice, imposés comme chefs de l'Église chrétienne.
On y verra encore que la plupart ont eu pour système constant d'étendre la dignité de l'évêque de Rome par le titre nouveau d'évêque universel, de vicaire, de lieutenant-général de Jésus-Christ sur la terre, et que, sous l'apparence du zèle, ils ont propagé dans tout le monde l'incendie de la guerre, et ont détruit par millions des générations entières.
On trouvera dans cet ouvrage tout ce qui est nécessaire pour savoir que les nations doivent regarder avec mépris les bulles et les brefs des papes en tout ce qui diminue et circonscrit l'administration temporelle, l'indépendance et la liberté.
On y verra enfin que, malgré les vaines clameurs des prêtres et des moines mal intentionnés, ou ignorants et irréfléchis, il est possible d'être chrétien, catholique, apostolique et romain, réuni dans la foi avec Saint-Pierre, et dans la charité et l'obéissance religieuse avec ses successeurs, sans reconnaître en eux plus de pouvoir qu'on n'en reconnaissait dans Saint-Pierre et ses successeurs immédiats, Saint-Lin, Saint-Clet et Saint-Clément.

- Table des matières Chapitre suivant