La cour de Rome a toujours voulu avoir une
splendeur, un luxe, une autorité et des
richesses égales à celles des autres
cours d'Europe, sans trouver en elle-même les
moyens que celles-ci possédaient.
Réunissant dans la personne du souverain
pontife, la souveraineté temporelle de la
Romagne et des provinces contiguës, à
la présidence spirituelle de la corporation
mystique de l'Église, ces présidents
profitèrent de leur dignité pour
enrichir leur puissance temporelle : afin
d'arriver à leur but, ils imposèrent
des tributs à toutes les nations
catholiques, en s'arrogeant et la dispensation des
faveurs ecclésiastiques, qui ne
dépendaient auparavant que des
évêques, et la décision des
affaires importantes relatives à
l'administration générale ou
individuelle de toutes les églises, et ils
exigèrent des récompenses
pécuniaires pour l'exercice de ce même
pouvoir qu'ils s'étaient approprié.
Il est bien vrai qu'ils ne donnaient point à
cette exaction le nom de tribut, mais c'en
était très réellement un, et
d'autant plus pesant, que le tarif, publié
pour les droits des expéditionnaires et de
la trésorerie pontificale, était
tout-à-fait arbitraire
Cet abus était si universellement senti au
douzième siècle, que le
vénérable Pierre de Blois,
archidiacre de Londres, disait, en parlant de
l'arrivée de certains ambassadeurs anglais,
qu'ils étaient revenus à Londres
chargés du plomb des bulles et des brefs
pontificaux, et allégés de tout
l'argent qu'ils avaient laissé à
Rome, ainsi qu'il était d'usage, pour les
frais d'expédition. Onasti plumbo, exonerali argento, ut
solet Rornoe accidere.
Par la même raison, lorsque, dans des temps
plus modernes, on introduisit à Rome une
monnaie nommée quatrino, cela donna lieu
à jouer sur ce mot, et à dire que
partout Dieu était trino, excepté
toutefois à Rome, où il était
quatrino.
C'est à cette constance invariable de la
cour de Rome à suivre de telles maximes,
qu'on doit attribuer la séparation de
plusieurs congrégations chrétiennes,
qui s'empressèrent de se soustraire à
sa dépendance, et de former une
Église distincte, quoiqu'avec le même
Évangile.
Au douzième siècle, les Vaudois et
ceux qui se donnaient le titre de Pauvres de
Lyon ; au treizième, les
Albigeois ; au quatorzième, les
Wicklefistes ; au quinzième, les
Hussites ; au seizième, les
Luthériens et les Calvinistes ; enfin,
au dix-septième, tous les Chrétiens
compris sous la dénomination
générique de Protestants, qui
se sont successivement éloignés du
sein de l'Église romaine, ne s'en seraient
point séparés sans les abus criants
de ses réserves et de ses exactions :
ils seraient fidèlement restés unis
au successeur de Saint-Pierre, si on ne les eut
exaspérés par un système
toujours croissant d'envahissement de pouvoirs et
par des exactions pécuniaires
destinées à fortifier cette
usurpation d'autorité.
L'esclavage dans lequel les papes voulaient retenir
tous les chrétiens, et le fardeau pesant de
ces tributs réclamés sans titre et
sans raison, fomentèrent le désir de
l'indépendance et produisirent la
dissolution de cette corporation mystique. Quel
intérêt eussent eu les corporations
chrétiennes à se dissoudre, si le
pape eut laissé à chacune d'elles la
faculté de s'arranger avec
l'évêque chef de chaque
diocèse ?
Les Romains devaient connaître cette
vérité, et pour le bien de
l'Église, renoncer à leur
système. Bien loin d'en agir ainsi, ils se
sont jetés de préférence dans
l'extrémité opposée, en
soutenant que les chrétiens, sous peine
d'être regardés comme
hérétiques, étaient tenus de
croire, comme article de foi, que le système
romain est juste et ne saurait manquer de
l'être, ayant été établi
et consolidé par les souverains pontifes.
Pour maintenir un tel paradoxe, ils se sont
efforcés de persuader que le pape est
infaillible dans ses décisions, qu'ils s'est
invariablement assuré l'influence de
l'Esprit-Saint, et qu'on ne peut se départir
d'une telle croyance sans être
complètement hérétique.
Ils s'autorisent, à cet effet, du grand
nombre de papes canonisés, du titre de Saint-Père donné même
pendant sa vie mortelle au souverain pontife, de la
sainteté des lois ecclésiastiques
qu'il promulgue, et de beaucoup d'autres raisons
particulières qu'ils accumulent pour imposer
au vulgaire ignorant, vulgaire dans lequel il faut
comprendre les ecclésiastiques et les
moines, qui ne lisent rien, ou ne lisent que des
livres de fausses doctrines, recommandés
comme véritablement catholiques par les
écrivains de la cour de Rome, pour les
intérêts seuls de cette cour.
Nous avons déjà beaucoup d'ouvrages
très savants dans lesquels on a clairement
démontré que tout le pouvoir des
papes, qui n'est point immédiatement
dérivé d'une concession expresse de
Notre Seigneur Jésus-Christ,
résultant du texte du Nouveau-Testament ou
de la Pratique de Saint-Pierre, et d'une tradition
constante et uniforme des premiers siècles,
est une véritable usurpation. Il n'existe en
effet ni ne peut exister aucune autre source de
vérités chrétiennes. Tout ce
qui a été pratiqué par les
successeurs de Saint-Pierre, et ne peut se
rattacher à ce premier principe, n'est autre
chose qu'une prétention arbitraire
encouragée par la déférence
des évêques et des souverains, mais
qui ne peut former aucun titre durable contre
l'intérêt et la volonté des
nations ; le droit naturel et le droit des
gens donnant toujours à celles-ci le pouvoir
de revendiquer leurs prérogatives sans
préjudice de leur croyance religieuse.
Cette croyance ne dépend nullement de la
soumission aux décrets arbitraires du
président de la congrégation des
chrétiens, mais bien de la foi dans les
mystères de la religion et dans
l'observation des préceptes du
décalogue.
Quel délire, de penser, qu'avec la foi de
l'apôtre Saint-Pierre, et reconnaissant en
ses successeurs le pouvoir spirituel dont ce saint
a joui, mais non le pouvoir qu'ils se sont peu
à peu arrogé, je pourrais être
réputé hérétique !
Non : ma religion ne dépend pas de la
volonté d'un pape; je resterais catholique
lors même qu'il ne voudrait pas me regarder
comme tel. Ne serait-il pas étrange que mon
salut éternel dépendit de la
décision d'un homme dans sa propre cause.
Qu'il soit pape comme Saint-Pierre l'a
été, et je serai chrétien
comme on l'était à cette
époque.
Une des armes les plus puissantes sur le vulgaire
et la plus communément employée par
les Romains pour asservir les autres nations, est
la prétendue sainteté des papes, et
l'influence attribuée au Saint-Esprit dans
leur élection et leur administration. Les
conséquences dangereuses d'un tel principe,
m'ont fait concevoir le projet d'éclairer
les ignorants de bonne foi, en leur faisant voir
l'erreur dans laquelle on a voulu les
entraîner. J'ai donc cru utile de tracer une
esquisse rapide de la vie des papes, et de
présenter le tableau des moyens
employés par chacun pour arriver au
pontificat, de sa conduite politique, de ses moeurs
particulières et du système politique
qui a servi de base et de soutien à ses
transactions.
Je n'inventerai rien, parce que l'histoire ne doit
pas être une création, mais bien une
collection de faits. Je tirerai tout des sources
les plus respectables. Les actes des conciles, les
écrits des Saints-Pères, les
narrations des écrivains impartiaux
contemporains, ou les plus rapprochés des
diverses époques ; les reproches des
adversaires et leurs réfutations
officielles ; enfin, tous les mémoires
recueillis par les historiens les plus scrupuleux,
me seront garants que je ne suppose rien, et que je
n'adopte pas aveuglément des faits
destitués de preuves. M. Raimond et quelques
autres écrivains ont admis quelquefois trop
légèrement de semblables
informations. Le faux ne peut jamais servir une
bonne cause, surtout quand la vérité
seule suffit pour assurer la victoire.
J'ai la conscience que les portraits politiques que
j'ai eu dessein de tracer feront connaître
les papes, de manière que personne à
l'avenir ne puisse se laisser tromper que
volontairement ; chacun y verra que tout ce
qu'on a voulu nous faire croire jusqu'ici
relativement à l'intervention du
Saint-Esprit dans la nomination des papes, n'est
qu'une fable, un mensonge ridicule, et que les
moyens pratiques pour obtenir la tiare, ont eu leur
source dans les passions humaines souvent les plus
honteuses.
On y verra que la vie d'un grand nombre de papes a
été telle que ce serait faire insulte
au Saint-Esprit, que de lui attribuer de
l'influence dans le choix de ces monstres de vice,
imposés comme chefs de l'Église
chrétienne.
On y verra encore que la plupart ont eu pour
système constant d'étendre la
dignité de l'évêque de Rome par
le titre nouveau d'évêque universel,
de vicaire, de lieutenant-général de
Jésus-Christ sur la terre, et que, sous
l'apparence du zèle, ils ont propagé
dans tout le monde l'incendie de la guerre, et ont
détruit par millions des
générations entières.
On trouvera dans cet ouvrage tout ce qui est
nécessaire pour savoir que les nations
doivent regarder avec mépris les bulles et
les brefs des papes en tout ce qui diminue et
circonscrit l'administration temporelle,
l'indépendance et la liberté.
On y verra enfin que, malgré les vaines
clameurs des prêtres et des moines mal
intentionnés, ou ignorants et
irréfléchis, il est possible
d'être chrétien, catholique,
apostolique et romain, réuni dans la foi
avec Saint-Pierre, et dans la charité et
l'obéissance religieuse avec ses
successeurs, sans reconnaître en eux plus de
pouvoir qu'on n'en reconnaissait dans Saint-Pierre
et ses successeurs immédiats, Saint-Lin,
Saint-Clet et Saint-Clément.
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